L'apôtre James E. Talmage a dit que le Livre de Mormon ne contenait aucune absurdité et rien de déraisonnable (Articles de Foi, p. 338). Si c'est le cas, que dire des barques jarédites ? Éther, chapitre 6, nous dit qu'un vent « furieux » a poussé les barques vers la terre promise. Il a fallu à ce vent furieux 344 jours pour pousser les barques jusqu'au Nouveau Monde. Même si ce vent furieux ne pouvait pousser les barques qu'à 10 miles [env. 16 km] à l'heure, la distance parcourue aurait été de 82 560 miles [env. 132130 km], suffisamment pour faire trois fois le tour du monde. Est-ce raisonnable, cela ? » (Walter Martin, The Maze of Mormonism, éd. revue et augmentée, Regal Books, Ventura, Ca., 1978, p. 316).

 

UN « VENT FURIEUX » ET LES BARQUES JAREDITES

 

Malin L. Jacobs et Stanley D. Barker

 

La question est tendancieuse. Le lecteur est piégé par le bout de phrase « …ne…qu'à 10 miles à l'heure… » Quand on est à la fin du 20e siècle, 16km/h, cela semble très lent. Cependant, avant la révolution industrielle, 16km/h, c'était une très grande vitesse, qui ne pouvait être atteinte que sur des distances assez courtes et uniquement par des coureurs à pied ou par des cavaliers, par exemple.

 

On sait très peu de choses sur la vitesse des navires dans l'Antiquité, mais l'information qui suit est typique :

 

Dès le 6e siècle de notre ère, des marchands arabes envoyaient leurs dhows depuis la péninsule arabe jusqu’en Chine. Les navires arabes suivaient les moussons jusqu’à la côte orientale de l’Inde, puis continuaient jusqu’à Ceylan, juste à temps pour la mousson d’été (de juin à septembre) et traversaient à toute allure la baie souvent traîtresse du Bengale, au large des îles Nicobar, traversant le détroit de Malacca et passant dans la mer de Chine méridionale. De là ils pouvaient lancer une pointe rapide mais risquée de trente jours jusqu’au comptoir commercial principal de Canton en Chine. Le voyage de la péninsule arabe jusqu’en Chine prenait environ 120 jours de navigation ininterrompue, ou six mois en comptant les arrêts d’approvisionnement en chemin[1].

 

Le voyage décrit ci-dessus avait une longueur d’environ 8000 km. Si cela demandait 120 jours de navigation, la vitesse moyenne devait être d’environ 2,7 km/h.

 

En 1947, Thor Heyerdahl fit, sur un radeau de joncs, le trajet du Pérou à l’archipel des Tuamotu. Le voyage avait une longueur de 6900 km et une durée de 101 jours, soit à nouveau une vitesse moyenne d’environ 2,7 km/h[2].  En 1970, l’expédition Râ II, de Heyerdahl parcourut 5230 km sur l’Atlantique en 55 jours, soit une vitesse moyenne de 3,8 km/h[3]. Les vitesses de Heyerdahl s’accordent de manière générale avec le peu que l’on connaît de la vitesse des bateaux de l’Antiquité.

 

L’art de la construction navale progressa lentement au cours des siècles. Christophe Colomb, utilisant les meilleurs navires de son temps, traversa en 36 jours l’océan Atlantique, des îles Canaries à l’île Watling, aux Bahamas, une distance d’environ 5800 km[4]. Sa vitesse moyenne était d’environ 6,7 km/h. Il fallut 63 jours au Mayflower pour parcourir les quelque 5600 km séparant l’Angleterre de la Nouvelle-Angleterre[5], soit une vitesse moyenne de 3,7 km/h.

 

La vitesse moyenne la plus rapide en 24 heures en voilier a été atteinte par le Yankee Clipper Lightning, qui parcourut 698 km[6], à une vitesse moyenne de 29 km/h. Le Yankee Clipper Andrew Jackson établit un record de 15 jours pour la traversée à partir de Liverpool, pour une vitesse moyenne de 15.5 km/h[7]. En 1973, il y eut une compétition du tour du monde en yacht de course. Le gagnant fit 43390 km en 144 jours, une vitesse moyenne d’environ 12,6 km/h[8].

 

Les exemples ci-dessus montrent que si l’on a enregistré des vitesses allant jusqu’à 29 km/h pour des voiliers, lors de voyages ininterrompus pendant de nombreux jours même les vaisseaux mus exclusivement par le vent, spécialement conçus pour une vitesse maximale, n’atteignent pas la vitesse moyenne de 16 km/h.

 

Mais qu’en est-il des barques jarédites ? Le Livre de Mormon dit :

 

« …Et elles étaient petites, et elles étaient légères sur l'eau, semblables à la légèreté d'un oiseau sur l'eau. Et elles étaient construites de manière à être extrêmement étanches, à savoir qu'elles pouvaient contenir de l'eau comme un plat; et le fond en était étanche comme un plat; et les côtés en étaient étanches comme un plat; et les extrémités en étaient pointues; et le sommet en était étanche comme un plat; et la longueur en était la longueur d'un arbre; et la porte, lorsqu'elle était fermée, était étanche comme un plat » (Ether 2 :16-17).

 

D’après cette description, il semble  évident que la superficie effective des barques présentée au vent était assez réduite. Cela veut dire que le vent n’avait pas grand-chose sur quoi pousser. Il est certain qu’elles n’avaient pas de voiles. Par conséquent, les forces principales qui agissaient sur elles étaient les courants océaniques, qui ne disposaient, eux aussi, que d’une petite surface. La plupart du temps, les barques devaient être poussées par des courants de surface, étant donné que des bateaux légers ne pouvaient pas s’enfoncer de plus d’une dizaine de mètres sous l’eau (et cela seulement pendant une période de temps assez courte) même avec des ouragans et des mers démontées. Le vent « furieux » devait créer des courants de surface qui, à cause de l’inertie et du frottement, devaient avancer beaucoup plus lentement que le vent. Ces courants devaient pousser les barques, qui, également à cause de l’inertie et du frottement, devaient avancer beaucoup plus lentement que les courants.

 

Du fait des turbulences et de l’état orageux de la mer, pareil mode de propulsion serait extrêmement inefficace, un pourcentage minime seulement de l’énergie dépensée par le vent et par l’eau allant dans la propulsion des barques vers la terre promise. A la lumière des vitesses soutenues, à long terme, des voiliers (anciens et modernes) examinées plus haut, et l’inefficacité inhérente à la poussée du vent en l’absence de voiles, une vitesse moyenne de 2 à 3 km/h semble raisonnable pour les barques jarédites. La vitesse exagérée de 16 km/h proposée par celui qui a posé la question est totalement irréaliste.

 

À 3 km/h, les barques feraient 26400 km en 344 jours. Bien que nous ne sachions pas d’où les Jarédites sont partis pour leur longue traversée, et que ne sachions donc pas quelle distance ils ont réellement parcourue en mer, nous connaissons quelques distances qui pourraient être représentatives. La distance  en arc de grand cercle de la Chine au sud du Mexique est d’environ 13100 km. La somme des arcs de grand cercle de la Palestine, en traversant la Méditerranée jusqu’à l’Atlantique et le sud du Mexique, donne à peu près la même distance. Il n’est pas raisonnable de penser que les vents et les courants se sont toujours dirigés directement vers la terre promise, car les barques devaient éviter les terres émergées et d’autres dangers. Par conséquent la distance parcourue par les barques jarédites a dû être supérieure à 13100 km, mais probablement inférieure à 20000 km (la moitié du tour du monde par un arc de grand cercle).

 

Étant donné ce que nous savons des vitesses atteintes par les navigateurs anciens et modernes et ce que nous savons de la construction des barques jarédites et leur mode de propulsion, le chiffre donné par le Livre de Mormon sur la durée de la traversée des Jarédites jusqu’à la terre promise est donc tout à fait raisonnable.

 



[1] Nanca Jenkins, « The China Trade », Aramco World Magazine, juillet-août 1975, 26 :24, 26-27, cité par Lynn et Hope Hilton, A la recherche de la route de Léhi, L’Etoile, septembre 1977, p. 37.

[2] “Exploration : 20th Century Triumphs”, Compton’s Interactive Encyclopedia, éd. 1997, Softkey Multimedia Corporation, 1996.

[3] « Ra Expeditions”, Grolier’s Multimedia Encyclopedia, éd. 1997, Grolier Interactive, Inc., 1997.

[4] Richard Humble, The Explorers, Time-Life Books, 1979, p. 66.

[5] Melvin Maddocks, The Atlantic Crossing, Time-Life Books, 1981, p. 20.

[6] Miles Hopkins Imlay, Rear Admiral (Ret.), “Clipper Ships”, Encyclopaedia Britannica, éd. 1968, vol. 5, p. 931.

[7] Miles Hopkins Imlay, id. P. 931.

[8] A. B. C. Whipple, The Racing Yachts, Time-Life Books, 1980, p. 168.