Les auteurs hostiles à l’Église reprochent à Brigham Young d’avoir retiré la biographie de Joseph Smith de la circulation, sous-entendu parce qu’il voulait cacher certaines choses. Scot et Maurine Proctor, auteurs de The Revised and Enhanced History of Joseph Smith by his Mother, nous disent ce qui s’est réellement passé.

Qu’est-ce qui a été retiré du livre le plus personnel jamais écrit sur Joseph Smith ?
Par Scot et Maurine Proctor
Meridian,·30 janvier 2017

Pouvez-vous imaginer l’aubaine que ce serait si la mère d’un des grands hommes ou des grandes femmes de ce monde avait écrit sa biographie ? Que se passerait-il si nous avions, grâce à la mère de George Washington ou de Jeanne d’Arc, des connaissances personnelles qu’aucun autre historien ne pourrait donner ? Nous, les saints des derniers jours, nous avons ce genre d’information remarquable sur la vie de Joseph Smith écrite par sa mère, Lucy Mack Smith, une chose rare s’il en est.
L’histoire de Lucy Mack Smith est disponible depuis des générations sous une forme modifiée. Cependant, les notes originales brutes de Lucy, appelées « manuscrit préliminaire », sont réapparues dans les années 1960 dans les archives de l’Église. D’après ces notes, nous avons refait une nouvelle édition, appelée The Revised and Enhanced History of Joseph Smith by His Mother (l’histoire de Joseph Smith par sa mère, revue et augmentée), beaucoup plus proche de la voix propre de Lucy et contenant des scènes et des soliloques importants sortis de l’original par les premiers éditeurs.

Qu’apprenons-nous sur Joseph dans ce livre très personnel qui comprend désormais les écrits oubliés de Lucy ? Plus que ce que nous avons vu dans les versions traditionnelles que nous avons eues pendant des décennies. Les ajouts ne font que renforcer l’histoire, les sentiments et l’émotion de l’une des sagas les plus importantes de tous les temps.

Considérée par les spécialistes comme l’une des principales sources de documentation sur le rétablissement, l’histoire de Lucy se lit comme un roman. Vous devenez, comme l’a dit un lecteur, « une mouche sur le mur dans la cuisine familiale des Smith » en train de lire l’histoire de Lucy. On ne saurait lire cette histoire sans ressentir une émotion poignante pour la vie et la mort de Joseph.

Pourquoi Lucy a-t-elle raconté l’histoire

C’était le milieu du triste hiver de 1844-1845, quelques mois seulement depuis que ses fils Joseph et Hyrum avaient été assassinés par des émeutiers dans la prison de Carthage, quand Lucy Mack Smith s’est mise en devoir de raconter l’histoire de sa vie à une secrétaire de vingt-trois ans nommée Martha Jane Knowlton Coray. Lucy avait soixante-neuf ans, affligée, comme elle le dit, « par une complication de la maladie et des infirmités » et souffrant toujours de sa perte.

À l’automne 1840, elle pensait qu’elle avait eu son lot de misères. Elle écrit : « Je pensais alors que je n’avais plus rien à craindre de plus sur la terre que ce que j’avais vécu lors de la mort de mon mari bien-aimé. C’était tout le chagrin que ma nature était capable de supporter, et je croyais que je ne pourrais plus jamais être amenée à subir une affliction aussi grande que celle-là. »

Mais le temps allait prouver qu’elle se trompait. Sa nature allait être amenée à en supporter davantage. Un soir de juin 1844, la nouvelle était parvenue à Nauvoo que ses deux fils avaient été assassinés et trente-trois jours plus tard, un autre fils, Samuel, allait dépérir et mourir de complications liées à une poursuite à cheval par des émeutiers.

De ses six fils qui avaient atteint l’âge adulte, cinq avaient disparu et, à l’exception de quelques gendres, la famille de Lucy était réduite à des veuves et à des enfants sans père.

Ce ne furent pas ses seules pertes. Une fois que son fils Joseph avait reçu une vision céleste et avait appris qu’il était le prophète qui devait rétablir l’Évangile dans les derniers jours, Lucy avait été assaillie par les épreuves. Elle avait perdu sa ferme à New York ; elle avait vu son mari emprisonné ; elle avait marché sous une pluie incessante jusqu’au Missouri, ce qui l’avait presque tuée ; elle avait vu les soldats brailler tandis qu’ils traînaient vers la prison ses fils condamnés à mort.

Elle dit à propos de de ses souffrances qui n’en finissaient pas : « Je me demande souvent, en entendant des frères et des sœurs murmurer à cause des désagréments insignifiants qu’ils doivent affronter... et je me dis : le salut vaut autant maintenant qu’au commencement de l’œuvre. Mais je trouve que « tout le monde aime l’achat, peu paieront le prix. »

C’était une femme qui non seulement était prête à payer le prix de ses convictions religieuses, mais qui l’avait déjà fait, qui se mit au travail avec la secrétaire cet hiver-là à Nauvoo. Ainsi, son histoire a un air de sincérité et d’une émotion profonde.
 Autant que d’autres aient douté de son fils Joseph et l’aient interpellé, Lucy n’avait pas le moindre doute qu’il était exactement ce qu’il prétendait lui-même être : un prophète.

Elle avait une histoire remarquable à raconter et elle l’a fait d’une manière remarquable : avec passion, franchise et aisance. En dehors de toute autre chose, ce serait une histoire merveilleuse pour des générations de lecteurs, mais au-delà de cela, elle donne un aperçu personnel de Joseph Smith que l’on ne voit nulle part ailleurs.

Nous voyons Joseph affronter une souffrance atroce lors d’une opération grossière sur sa jambe, être malade de chagrin devant la perte des 116 pages par Martin Harris, étaler un manteau sur le sol dur soir après soir pour donner à quelqu'un d’autre son lit à Kirtland. À travers les souvenirs de Lucy, nous entrons dans la maison familiale des Smith, nous entendons leurs conversations, nous regardons un jeune prophète commencer à comprendre qu’il a un destin profond.

Comment l’histoire de Joseph a été modifiée

Quand Lucy eut fini de raconter son histoire, Martha Jane et son mari, Howard Coray, qui avait été l’un des greffiers de Joseph Smith, dont la tâche comprenait la constitution des annales historiques officielles de l’Église, prit ses notes brutes, le Manuscrit préliminaire, et les révisa substantiellement. Ce qui avait commencé comme l’histoire de Lucy Mack était devenu l’histoire de Joseph Smith.

Ce n’était pas simplement un travail de correction de la grammaire ou de changement et de clarification de chronologies incertaines. Il a été dit que « environ un quart du manuscrit révisé n’est pas dans l’avant-projet, tandis qu’environ dix pour cent de ce dernier ne figure pas dans le manuscrit révisé. »

Les ajouts dans la version révisée étaient des informations visant à en faire une histoire plus équilibrée et plus complète, ainsi qu’à inclure les informations sur la version personnelle de Joseph Smith de la Première Vision et de la première visite de Moroni. Des données supplémentaires tirées de « L’histoire de Joseph Smith », publiées plus tôt dans le Times and Seasons, furent ajoutées. Des lacunes furent comblées, des explications nécessaires ajoutées. Si la maman Smith fut certainement souvent consultée tout au long de la rédaction et qu’elle donna clairement son approbation pour la version finale, il est évident que sa plus grande contribution était déjà passée.

Il n’est donc pas surprenant de constater que si la version révisée avait des points forts qui manquaient au Manuscrit de préliminaire, elle est également plus éloignée de la voix propre à Lucy. Les Coray supprimèrent plusieurs de ses soliloques, ils supprimèrent des détails intimes de la vie et des affections familiales, ils évitèrent parfois des émotions, ils embellirent ses expressions. Malheureusement, si l'on compare le Manuscrit préliminaire avec la version révisée, il est clair que ce n’est pas toujours un gain.

Les corrections des Coray donnèrent lieu à un type de discours plus tatillon, plus formel que celui dont Lucy est coutumière. Ironie du sort, leurs changements sonnent démodés à l’oreille moderne, par opposition au discours plus direct de Lucy. Mais la perte la plus grande réside dans l’éloignement par rapport aux perceptions et aux sentiments de Lucy.

L’édition de 1853 des Coray change souvent sa voix, ne permettant pas la pleine expression de ses sentiments au sujet de choses qui étaient importantes pour elle. Par exemple, lorsqu’elle était une jeune mariée à la recherche de la vérité, elle alla à l’église presbytérienne et en revint. Dans l’édition de 1853, on lit :

« J’ai entendu qu’un homme très pieux devait prêcher le sabbat suivant dans l’église presbytérienne. Par conséquent, je me suis rendue à la réunion, m’attendant pleinement à entendre ce que mon âme désirait : la Parole de Vie. Lorsque l’ecclésiastique a commencé à parler, j’ai fixé mon esprit avec une attention profonde sur l’esprit et la matière de son discours ; mais, après l’avoir écouté jusqu’au bout, je suis rentrée chez moi, convaincue qu’il ne comprenait ni n’appréciait le sujet sur lequel il avait parlé, et je me suis dit dans mon cœur que la religion que je cherchais n’était pas alors sur terre. »

Le Manuscrit préliminaire dit avec plus de passion et d’intimité :

« Enfin, j’ai appris qu’un homme connu pour sa piété allait prêcher le sabbat suivant dans l’église presbytérienne. J’y suis allée en m’attendant à obtenir la seule chose qui pouvait satisfaire mon âme, le pain de la vie éternelle. Lorsque l’ecclésiastique a commencé, j’ai fixé mon esprit avec attention, retenant mon souffle, sur l’esprit et la matière du discours, mais tout était vide, vanité, vexation de l’esprit et tombait sur mon cœur comme le souffle glacé prématuré sur l’épi naissant mûrissant sous le soleil d’été. Il ne comblait pas le vide douloureux intérieur ni ne satisfaisait la soif insatiable de mon âme. J’étais dans un désespoir quasi total, et c’est l’esprit attristé et troublé que je suis rentrée chez moi, me disant dans mon cœur : la religion que je cherche n’est pas sur terre. »

L’édition de 1853 ignore parfois l’émotion comme si c’était embarrassant, excluant de précieux détails sur les sentiments de la famille Smith face à ses problèmes. Dans le Manuscrit préliminaire, Lucy décrit l’épuisement et l’anxiété de son mari quand les médecins arrivent pour opérer le petit Joseph, après que l’enfant a souffert des semaines d’angoisse à cause d’une douleur à la jambe. Ce paragraphe est entièrement supprimé dans l’édition de 1853 :

« Mon mari, qui était constamment avec l’enfant, sembla contempler un instant mon visage ; puis, tournant les yeux vers son fils, tout d’un coup toute sa souffrance ainsi que mon anxiété intense lui envahirent l’esprit. Il fondit dans un flot de larmes et sanglota comme un enfant. »

Ce qui manque aussi dans l’édition de 1853 est l’expression de l’affection de Joseph Smith, père, envers ses enfants quand ils se retrouvent à Palmyra après une séparation de plusieurs mois. L’édition de 1853 parle de l’arrivée de Lucy et de ses enfants à Palmyra avec une petite partie de leurs effets et à peine deux cents en argent liquide.

« Quand j’ai retrouvé mon mari à Palmyra, nous étions dans une grande gêne, non pas par indolence, mais à cause du grand nombre de revers de fortune qui avaient assez singulièrement marqué notre vie. »

Elle nous donne une image plus personnelle dans le Manuscrit préliminaire :

« Je poursuivis ensuite mon chemin et, au bout de peu de temps, j’arrivai à Palmyra avec une petite partie de mes effets, mes bébés et deux cents d’argent, mais parfaitement heureuse dans la compagnie de ma famille.

« La joie que je ressentis à nous confier, mes enfants et moi, aux soins et à l’affection d’un mari et père tendre me payait doublement pour tout ce que j’avais souffert. Les enfants entourèrent leur père, s’accrochant à son cou, lui baignant le visage de larmes et de baisers qu’il leur rendit de tout cœur. Nous nous réunîmes maintenant tous et tînmes mûrement conseil sur ce qu’il y avait de mieux à faire et comment nous mettre à la tâche dans notre dénuement. »

Dans le Manuscrit préliminaire, Lucy interrompt périodiquement son récit pour nous livrer un soliloque. La plupart du temps ces passages ont été supprimés, raccourcis ou considérablement modifiés pour l’édition de 1853 au point que sa voix dans ces passages est parfois à peine reconnaissable. Par exemple, un soir, au cours de l’impression du Livre de Mormon, Lucy cacha le manuscrit dans un coffre sous le lit pour l’empêcher de tomber dans les griffes de conspirateurs qui avaient décidé de le voler et de le détruire. Pendant qu’elle était couchée sur les annales, les scènes importantes de la vie de Lucy commencèrent à défiler devant ses yeux. Cet aperçu de la spiritualité de Lucy est coupé dans l’édition de 1853 :

« Enfin, comme si j’étais conduite par un esprit invisible, j’arrivai au moment [dans ma mémoire] où le messager de Waterloo m’avait informée que la traduction était effectivement achevée. Mon âme se gonfla d’une joie qui ne pouvait être plus intense que par la pensée que les annales, qui avaient coûté tellement de travail, de souffrance et d’anxiété se trouvaient maintenant en fait sous ma tête, que ce même ouvrage n’était pas seulement l’objet que notre famille avait suivi avec tant d’empressement, mais que les prophètes des temps anciens, les anges , et même le grand Dieu avaient eu le regard sur lui. ‘Et, me disais-je, ‘vais-je avoir peur de ce que l’homme peut faire ? Les anges ne veilleront-ils pas sur la précieuse relique des morts dignes et de l’espoir des vivants ? Et suis-je effectivement la mère d’un prophète du Dieu du ciel, de l’instrument honoré dans l’accomplissement d’une si grande œuvre ?’ J’avais le sentiment d’être dans le domaine des anges, et mon cœur bondissait à la pensée de la grande condescendance du Tout-Puissant.

« C’est ainsi que je passai la nuit entourée d’ennemis et cependant dans un bonheur extatique. »

Enfin, l’édition de 1853 supprime parfois un incident ou une description qui complète le tableau que Lucy peint. Par exemple, elle parle de la situation pitoyable des réfugiés qui s’enfuirent à Far West lorsque la milice les eut chassés de chez eux dans les zones périphériques. Dans l’édition de 1853, elle dit :

« C’était assez pour faire saigner le cœur de voir les enfants, malades de refroidissements et pleurant de faim dans les jupes de leurs mères pour se nourrir, tandis que leurs parents étaient démunis du moyen d’assurer leur confort. »

C’est déjà une scène poignante en soi, mais le Manuscrit préliminaire ajoute une note déchirante.

« C’était assez pour faire saigner le cœur de voir des enfants exposés au soleil et aux vents, malades de refroidissements et affamés pleurant dans les jupes de leurs mères pour avoir à manger et leurs parents démunis du moyen d’assurer leur confort, tandis que leurs maisons, qui se trouvaient non loin de la ville, étaient pillées de tout leur contenu, leurs champs ouverts pour permettre aux chevaux appartenant aux émeutiers de les dévaster et de les détruire et leur bétail gras abattu et transformé en charognes sous leurs yeux, tandis qu’une forte garde, placée sur nous à cet effet, nous empêchait d’utiliser la moindre particule du stock que l’on tuait tout autour de nous. »

Brigham Young a-t-il rejeté le livre de Lucy Mack Smith sur Joseph ?

Beaucoup de personnes ont demandé si Brigham Young a modifié le livre de Lucy et si oui, pourquoi ? Voici la réponse.
Malgré le fait qu’il était important de publier le livre de Lucy (parce que le désir était grand de connaître tout ce qu’on pouvait sur Joseph), deux autres projets consumaient l’énergie et les ressources des saints en 1845.

Leurs ennemis n’avaient jamais laissé tomber les persécutions. Ils avaient formé des « meutes de loups » pour chasser les saints ; ils avaient brûlé les maisons à l’extérieur de Nauvoo, envoyant un flot de réfugiés dans la ville ; ils avaient harcelé les Douze de poursuites judiciaires et maintenant Nauvoo avait été transformée en atelier de construction de chariots pour fuir la ville. Le déménagement de tout ce qu’ils possédaient en vue du départ tout en continuant à construire un temple absorba les saints cet hiver-là et le manuscrit de Lucy fut naturellement relégué à l’arrière-plan.

Des années avant la mort de Lucy, certains de ses effets furent laissés entre les mains de son fils, William Smith, dont le manuscrit de cette histoire rédigé par les Coray. Le document tomba entre les mains d’Isaac Sheen, qui était à un moment donné membre de l’Église, au Michigan. Lorsque, en septembre 1852, l’apôtre Orson Pratt partit en mission en Angleterre, il rendit visite à M. Sheen sur sa route vers l’East et lorsque le manuscrit lui fut montré, il l’acheta pour une certaine somme d’argent, l’emporta à Liverpool où il fut publié sous sa direction en 1853, sans révision, sans le consentement du président Young ni d’aucun des Douze et à leur insu [1]. »

L’édition de 1853 de l’histoire de Lucy Smith fut appelée « Biographical Sketches of Joseph Smith, the Prophet and His Progenitors for Many Generations » et suivait assez fidèlement le manuscrit révisé de Coray. Le livre eut beaucoup de succès parmi les saints britanniques et en 1854 devint disponible à Great Salt Lake City avec les éloges du Deseret News : « Ce nouvel ouvrage très intéressant devrait être entre les mains de tous les saints qui éprouvent ne serait-ce que le moindre intérêt pour l’histoire de l’œuvre des derniers jours [2]. »

Mais George A. Smith, neveu de Lucy et historien de l’Église, avait quelques réserves importantes concernant le livre. Dans une lettre datée de 1859 à Solomon Mack, un autre neveu de Lucy, il fit part de ses préoccupations, avançant l’idée que le « massacre choquant » de ses deux fils avait affecté son intellect. Il écrivit : « Bien qu’elle ait enduré ces privations d’une manière vraiment étonnante pour ses amis, nous ne devons pas nous dissimuler que ces coups terribles ont eu un impact visible sur ses facultés intellectuelles aussi bien que sur sa force physique... Au cours des quinze dernières années, elle a embrouillé considérablement les événements... Je serais heureux de connaître ton opinion sur l’histoire de maman Smith sur sa famille, dans la mesure où tu es au courant [3]. »

Brigham Young et ses conseillers a exprimèrent des réserves semblables, disant que lorsque l’histoire fut écrite, « maman Smith avait soixante-dix ans et perdait la mémoire. » Ils pensaient que « son esprit avait subi plusieurs chocs graves » et que « par conséquent, elle n’arrivait plus à se rappeler correctement quoi que ce soit de ce qui s’était passé [4]. »

Tandis qu’il continuait à étudier le livre et le comparait à d’autres sources, George A. Smith commença à se rendre compte qu’il y avait des erreurs factuelles, ou du moins qu’il fallait vérifier l’exactitude des histoires. Elle raconte, par exemple, que trois inconnus apparurent à l’improviste et répandirent du plâtre de Paris dans les champs de David Whitmer, lui permettant ainsi de partir pour Harmony afin de rencontrer Joseph Smith pour la première fois. George A. écrivit à David Whitmer pour vérifier l’histoire, mais ne reçut aucune réponse. Dans les premiers mois de 1859, George A. et l’historien adjoint Wilford Woodruff continuèrent à envoyer des lettres de demandes pour vérifier l’exactitude des détails du livre.

Ainsi donc, des questions sur le livre se posaient dans l’esprit des frères depuis plusieurs années avant 1865 lorsque Brigham Young décida de le rappeler. Dans un geste assez spectaculaire, la Première Présidence dit : « Nous souhaitons que ceux qui ont ces livres soit les remettent à leur évêque pour transfert au bureau du président ou de l’historien ou les envoient eux-mêmes pour qu’on puisse les détruire [5]. » Ce que la Première Présidence craignait, c’était que soient perpétuées les inexactitudes qui, elle en était certaine, émaillaient l’histoire de Lucy. « Nous ne souhaitons pas que des doctrines erronées et sans fondement soient transmises à la postérité sous la sanction de grands noms, écrivit-elle, qu’elles soient reçues et chéries par les générations futures comme authentiques et fiables [6]. » Brigham Young n’avait pas l’intention de supprimer le livre de manière permanente, mais de le réviser et de le republier dans ce qu’il espérait être une forme plus correcte.

Dans une note dans son journal intime, Wilford Woodruff détaille le but du président Young : « Il a dit qu’il souhaitait que nous prenions cet ouvrage et que nous le révisions, que nous le corrigions ; qu’il appartenait à l’historien de s’en occuper, qu’il contenait beaucoup de fausses affirmations et qu’il voulait qu’elles soient supprimées et toutes les autres affirmations que nous ne savions pas être vraies et que l’on donne la raison pour laquelle on les excluait [7]. » On ne sait pas vraiment ce qu’étaient les « fausses affirmations » qui ont sauté aux yeux de Brigham Young, mais il est clair que bon nombre de ses préoccupations provenaient de ce qu’il doutait des capacités de Lucy, à son âge avancé et compte tenu de sa santé, de raconter correctement l’histoire.

Le temps et la recherche allaient montrer que cette évaluation était réfutable. Ceux qui visitèrent Lucy à Nauvoo pendant les dernières années de sa vie signalaient souvent qu’elle était alerte et mentalement éveillée. Le peintre Frederick H. Piercy, qui a dessiné des scènes de la piste mormone encore en usage aujourd'hui, s’arrêta au passage à la Mansion House et observa soigneusement Lucy. « Je ne pouvais manquer d’observer la vieille dame avec beaucoup d’intérêt. Compte tenu de son âge et de ses afflictions, elle avait alors conservé ses facultés à un degré remarquable. Elle parlait très librement de ses fils et, les larmes aux yeux et avec tous les autres symptômes d’un grand sérieux, confirmait leur réputation de vertu et d’honnêteté [8]. »

Enoch Bartlett Tripp, qui lui rendit visite en novembre 1855 dans l’un des derniers mois de sa vie, a également fait ce commentaire sur sa mémoire : « J’ai rendu visite à la mère du Prophète et je l’ai trouvée dans une chambre solitaire dans la partie orientale de la maison dans son lit et très faible. Quand je me suis approché de son chevet et que je lui ai dit qui j’étais, elle s’est assise dans son lit et, en passant ses bras autour de mon cou, elle m’a embrassé en s’exclamant : ‘Je peux mourir en paix maintenant que j’ai vu votre visage venu des vallées des montagnes.’ Elle a posé de nombreuses questions concernant les saints et m’a fait remarquer que cela avait été d’un grand réconfort pour elle de sortir en buggy avec ma femme et moi à l’époque où j’enseignais ici [9]. »

Mais ce qui est bien plus importants que les comptes rendus anecdotiques, ce sont les études modernes faites par Richard Lloyd Anderson sur l’histoire de la maman Smith. En consultant d’autres journaux personnels, articles de journaux, registres religieux non mormons, registres d’état civil et souvenirs indépendants pour vérification, il a conclu que la grande majorité de ce que Lucie déclare passe très bien le test.

Il note : « les manuscrits préliminaire et final donnent environ deux cents noms. À l’exception d’un faible pourcentage de noms indéfinis, presque tous peuvent être vérifiés, y compris quelques souvenirs spectaculaires provenant de son enfance en Nouvelle-Angleterre. Son pourcentage pour les dates n'est pas aussi bon, ce qui est probablement le reflet de son intérêt pour les personnes plus que pour les années civiles ; pourtant, lorsqu’elle se trompe, c’est généralement à un an ou deux près.
« De toute évidence, un événement en lui-même lui restait de manière plus vive à l’esprit que le moment exact où il avait eu lieu. L’histoire de Lucy est donc une source fiable mais pas infaillible. Comment le savoir ? Pour répéter un fait essentiel, elle est une source de première importance lorsqu’elle parle de quelque chose dont elle a été témoin oculaire et seulement secondaire lorsqu’elle relaie ce que d’autres lui ont dit [10]. »

Outre l’exactitude, d’autres facteurs ont influencé le rappel du livre en 1865. Nous qui vivons à une époque où la succession à la présidence de l’Église se fait de manière calme et ordonnée, où le décès d’un prophète signale un changement prévisible, nous pouvons avoir du mal à imaginer la confusion et l’émotion déchirantes qui ont suivi la mort de Joseph Smith pour le saint moyen.

Des prétentions et des contre-prétentions à la présidence divisèrent certaines parties de l’Église, et si le tout gros des membres suivit Brigham Young, des groupes fragmentés se rassemblèrent autour d’autres comme Sidney Rigdon, James Strang et Lyman Wight.

Étant donné que William Smith, frère de Joseph, avait avancé ses propres prétentions à la succession de Joseph, la description positive que Lucy Smith faisait de lui dans son histoire devait préoccuper Brigham et n’était pour lui qu’une preuve de plus de ce que le livre contenait des distorsions. À travers les yeux de Lucy, on voit William comme un vaillant missionnaire, un combattant pour l’Évangile rétabli et le bénéficiaire d’une révélation dans un moment terrible au Missouri. En réalité, William était volatile, instable et contestable. Il avait un passé en dents de scie, s’étant souvent opposé à son frère prophète. En désaccord avec Joseph lors d’une réunion à Kirtland, William, furieux, tenta de le jeter dehors et lui infligea une blessure que Joseph ressentit de temps en temps tout le reste de sa vie. Pendant les jours sombres à Far West où Joseph fut emmené à la prison de Liberty, William, s’exclama : « Dieu le damne, Joseph Smith aurait dû être pendu par le cou il y a des années et Dieu le damne, il va maintenant y avoir droit de toute façon [11]. »

Dans sa dernière rencontre avec Joseph au printemps 1844, William lui demanda de lui donner un lot de la ville de Nauvoo près du temple. Joseph lui dit qu'il le ferait avec plaisir s’il construisait une maison et y vivait, mais qu’il ne lui donnerait pas ce lot, d’une valeur de mille dollars, si c’était pour le vendre. William accepta les modalités et dans les heures qui suivirent, une demande fut faite par un certain M. Ivins auprès du greffe pour savoir si ce lot était libre et appartenait à William, car le frère du Prophète le lui avait vendu pour cinq cents dollars. Quand Joseph l’apprit, il ordonna au préposé de ne pas faire le transfert, et les dernières paroles de William à Joseph furent menaçantes.

Après la mort de ses frères, William, quelque peu ramené à une certaine humilité, demanda à être ordonné patriarche président de l’Église, poste auquel il avait légitimement droit comme étant le descendant le plus âgé de la lignée de la famille Smith. Il y fut ordonné le 25 mai 1845, mais au bout de quelques jours, il prétendit que cela lui donnait le droit de succéder à Joseph comme chef de l’Église tout entière et, dès octobre 1845, il était excommunié.

Un homme ambitieux doit trouver un foyer pour ses aspirations, et William se mit à chercher. Expulsé de l’Église, il devint temporairement un dirigeant dans le groupe de James Strang. Excommunié là-bas, il commença à enseigner, dès 1850, que les dirigeants légitimes de l’Église devaient provenir de la famille immédiate du Prophète. Comme Joseph Smith III était trop jeune, il proposa qu’on le soutienne comme président par intérim, « tuteur de la postérité de Joseph », jusqu'à ce que le garçon atteigne sa majorité. En 1854, il cherchait à retrouver son ancien poste d’apôtre dans l’église, et puis après 1860, lorsque Joseph Smith III eut été soutenu comme président de l’Église réorganisée à Plano (Illinois), il espéra trouver une haute fonction dans la nouvelle organisation.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le rappel du livre de Lucy en 1865 par la Première Présidence ait visé si fortement William : « Ceux qui ont lu l’histoire de William Smith et qui l’ont connu savent que ce qui est dit dans ce livre à son sujet, quand il est sorti du Missouri, est totalement faux [12]. » Le timing du rappel était probablement aussi significatif, puisqu’il eut lieu si peu de temps après que les fils de Joseph eurent organisé une église et avancent des prétentions à la succession. Brigham ne voulait pas que le livre de Lucy renforce leurs efforts. Il a probablement ressenti la même chose à propos de la description idéalisée que le livre faisait d’Emma, qui soutenait ses fils dans l’Église réorganisée.

Après le rappel, le président Young nomma un comité de révision composé de George A. Smith et du juge Elias Smith, tous deux cousins du Prophète et parfaitement versés en histoire de l’Église. George A. étudiait le livre depuis des années et Elias avait été rédacteur en chef du Deseret News. Ils épluchèrent le livre, consultèrent d’autres personnes, firent des ratures et des corrections dans le texte et dans les marges d’exemplaires du livre et menèrent à bien le travail à la satisfaction du président Young. Ironie des choses, lorsque cette tempête, qui avait tourbillonné autour de l’histoire de Lucy, se fut calmée, il n’y avait eu qu’une petite quantité de la matière qui avait été changée et ce, même pas de façon significative. Elle ne s’était pas trompée comme on l’avait supposé précédemment.

Selon Howard Searle, ces changements comprenaient principalement ce qui suit : « (1) Plusieurs mentions favorables à William Smith furent supprimées ou modifiées. (2) Six des dix-huit références à Emma Smith furent omises, mais les suppressions semblent plutôt accessoires. Un chaleureux éloge d’Emma... fut laissé intact. (3) De nombreuses corrections furent apportées dans les dates et les noms, en particulier dans les données généalogiques du chapitre neuf. (4) Certaines inexactitudes et idées fausses de la maman Smith furent corrigées. Son rôle exagéré dans la construction de l’école de Kirtland...fut révisé dans les deux exemplaires de l’histoire qui furent utilisés par le comité de révision. (5) Certains jurons et paroles grossières (de la part des persécuteurs du Missouri et rapportés par Hyrum devant un tribunal) furent retirés de l’histoire. (6) Des mots furent modifiés afin de clarifier le sens et améliorer la grammaire. (7) Quelques ajouts furent faits pour étendre des parties du récit... (8) Des affirmations qui semblaient défavorables à l’image de Joseph Smith ou de l’Église furent omises. (9) Certaines mentions dont l’intérêt était purement familial furent supprimées [13]. »

La version contenant les révisions de George A. et Elias Smith fut essentiellement oubliée jusqu’en 1901, quand le bureau général de la société d’amélioration mutuelle des jeunes gens chercha à la publier dans son mensuel, The Improvement Era. Le président Lorenzo Snow donna son autorisation en tant que président de l’Église, juste avant sa mort en octobre 1901, et la série débuta dans le magazine à partir de novembre 1901 et se poursuivit pendant toute l’année qui suivit.

Joseph F. Smith, petit-fils de Lucy Smith, qui était devenu le prophète, écrivit une préface pour l’histoire : « La présentation de cet ouvrage au public permet de conserver un document de valeur et de pérenniser le témoignage d’une femme noble et fidèle, une mère et une héroïne en Israël [14]. » Une nouvelle génération, qui n’affrontait pas les pressions et les dissensions de l’ancienne, apportait une nouvelle perspective à l’histoire.

Enfin, afin de donner à l’histoire de la maman Smith un plus large public, elle fut de nouveau publiée en 1945, éditée par Preston Nibley, historien adjoint de l’Église, qui apporta très peu de modifications mais ajouta quelques notes pour le contexte. Le lecteur d’aujourd'hui peut trouver l’édition de 1853 et celle de 1945 dans les bibliothèques et les librairies.
Lorsque Lucy se mit au travail avec Martha Jane, elle n’avait certainement aucune idée de la controverse qui allait se déchaîner autour de la narration toute simple de l’histoire de sa vie, et des mains par lesquelles elle allait passer avant d’être appréciée par un large public. Mais cela ne l’aurait sans doute pas surprise non plus. La vie lui avait enseigné que les bonnes choses ont toujours un prix.

Notes

1. Joseph F. Smith, Introduction à “History of the Prophet Joseph, by His Mother, Lucy Smith,” Improvement Era 5 (novembre 1901), p. 1-2
2. Deseret News, 16 novembre 1854
3. George A. Smith à Solomon Mack, dans Manuscript History of Brigham Young, 23 février 1859, p. 204
4. Millennial Star27 (21 octobre 1865), p. 658
5. Id.
6. Id. p. 659.
7. Wilford Woodruff Journal, 13 février 1859, LDS Church Archives
8. Frederick H. Piercy, Route from Liverpool to Great Salt Lake Valley (1855; réimpression Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1962), p. 94
9. Enoch Bartlett Tripp’s Journal, vol. 1 31 décembre 1844, BYU Special Collections.
10. Richard Lloyd Anderson, “His Mother’s Manuscript: An Intimate View of Joseph Smith,” Brigham Young University Forum address, 27 janvier 1976.
11. Wilford Woodruff Journal, 13 février 1859, LDS Church Archives
12. Millennial Star 27, (21 octobre 1865), p. 658
13. Searle, “Early Mormon Historiography,” p. 420, 422.
14. Smith, Introduction à “History of the Prophet Joseph,” p. 3