Les antimormons se servent souvent d’une
lettre pré-imprimée créée il y a longtemps, que la Smithsonian Institution
envoie quand on lui pose des questions sur le Livre de Mormon. Dans le
présent article, John Sorenson relève les erreurs graves que comporte
cette déclaration de la Smithsonian, en faisant remarquer que certaines
parties de cette lettre pré-imprimée sont basées sur des suppositions que
rien ne vient étayer, faites par le personnel de la Smithsonian qui n’est
pas qualifié pour faire de telles généralisations.
UNE NOUVELLE EVALUATION DE LA « DECLARATION CONCERNANT LE LIVRE DE
MORMON » PAR LA SMITHSONIAN
INSTITUTION
par John L. Sorenson
© FARMS
Déclaration révisée de la Smithsonian sur le Livre de Mormon
Depuis de nombreuses années, la Smithsonian Institution distribue une
réponse routinière aux questions qui lui sont posée sur sa position en ce
qui concerne les rapports entre le Livre de Mormon et l’étude scientifique
des civilisations de l’Amérique ancienne. Les déclarations faites sur son
document pré-imprimé attiraient l’attention sur ce qu’une personne de
l’Institution prétendait être des contradictions entre le texte de
l’Écriture et ce que les savants affirment concernant les civilisations du
Nouveau Monde.
En 1982, John Sorenson a fait une critique détaillée du texte de la
Smithsonian, critique qui a été publiée par FARMS. Elle relevait les
erreurs concernant les faits et les fautes de logique de la déclaration.
Il a révisé sa critique en 1995 et y a ajouté la recommandation que la
Smithsonian Institution modifie totalement sa déclaration pour la mettre
scientifiquement à jour. Le personnel de FARMS a eu plus tard un entretien
avec un représentant de la Smithsonian qui s’est montré disposé à apporter
des changements. Plus récemment, des membres du Congrès américain ont
contesté l’attitude de l’Institution arguant du fait qu’il était
contre-indiqué qu’un organisme gouvernemental prenne position en ce qui
concerne un ouvrage religieux.
En mars 1998, le directeur de la communication de la Smithsonian a
commencé à utiliser la réponse brève qui suit aux questions posées sur le
Livre de Mormon:
« Le bureau de la communication a récemment reçu votre question concernant
l’usage que ferait prétendument la Smithsonian Institution du Livre de
Mormon comme guide scientifique. Le Livre de Mormon est un document
religieux pas un guide scientifique. La Smithsonian Institution ne l’a
jamais utilisé dans des recherches archéologiques et tout renseignement en
sens contraire que vous auriez pu recevoir à ce sujet est inexact. »
UNE NOUVELLE EVALUATION DE LA « DECLARATION CONCERNANT LE LIVRE DE
MORMON » FAITE PAR LA
SMITHSONIAN INSTITUTION
(texte révisé à la date du 28 mars 1995)
Depuis de nombreuses années, la Smithsonian Institution (SI) à Washington
reçoit des questions concernant l'exactitude historique du Livre de
Mormon, le rôle qu’on lui prête dans les activités scientifiques de
l'Institution et des questions précises concernant l’histoire du Livre
Mormon par rapport à l'archéologie américaine. Depuis plusieurs décennies,
la SI répond à ce genre de questions en distribuant une lettre
pré-imprimée rédigée par son Département d'Anthropologie. Le contenu de la
lettre a changé de temps en temps dans ses détails, mais, d’une manière
générale, la déclaration nie qu'il y ait des preuves scientifiques qui
confirment l'image de l'Amérique ancienne qu'elle pense que le livre
propose. Les adversaires de l'Église de Jésus-Christ des Saints des
Derniers Jours qui accepte le Livre de Mormon comme historiquement
correct, ont utilisé cette dénégation pour appuyer leur thèse que le livre
est faux. Le présent article évalue l'exactitude de la déclaration de la
SI à la lumière d'une autre perception de ce que l'archéologie a découvert.
La nécessité d’une déclaration de la part de la Smithsonian découle du
fait que depuis des années, certains missionnaires de l’Église et d'autres
personnes enthousiastes à l’égard du Livre de Mormon ont prétendu que les
archéologues de l'Institution utilisent le Livre de Mormon pour guider ses
recherches archéologiques sur le terrain. (En réalité les archéologues du
SI ne font quasiment aucune recherche sur le terrain.) Comme c’est le cas
de tout ce qui est folklorique, cette rumeur passe d’une personne à
l’autre d’une manière tellement impossible à prouver qu’il est impossible
de corriger cette idée stupide et naïve. On peut comprendre que le
personnel de la Smithsonian se soit senti contrarié et irrité de devoir
répondre sans cesse à des questions sur ce sujet. La lettre pré-imprimée
qu’il a créée lui paraissait être une manière raisonnable de régler la
difficulté. Cependant, le contenu de la lettre présente de nombreux
problèmes. Dans l'intérêt de la vérité et de l'avancement des
connaissances (une partie importante de la mission du SI), le personnel de
ses communications publiques devrait corriger ces erreurs. En attendant
qu’il le fasse, la présente évaluation pourra aider quelques personnes à
se faire une idée correcte de certains faits qui y ont trait.
Si l’on veut faire une critique intelligente d’une prise de position
quelconque, on se doit d’être bien préparé concernant toutes ses facettes.
C’est tout aussi vrai quand il s’agit de porter un jugement sur le point
de savoir si ou en quoi le Livre de Mormon a un rapport avec les résultats
de l’étude scientifique de l'Amérique ancienne. Cela demande la
connaissance des deux facettes de la question. Aussi érudit qu’il soit,
l'archéologue qui n'a pas également assimilé le contenu culturel et
géographique du Livre de Mormon ne peut pas le comparer d’une manière
sensée aux découvertes archéologiques (exactement comme si le livre était
un autre livre attribué aux indiens américains, comme le Walarn Olum ou le
Popol Vuh). De leur côté, les spécialistes en Écritures qui sont membres
de l’Église et qui ignorent les détails nécessaires fournis par la science
et vérifiés par des archéologues qui s’y connaissent ne sont pas qualifiés
non plus.
Le Livre de Mormon n'a jamais été analysé en tant que document décrivant
des civilisations anciennes à l'échelle et avec l'intensité qu'il mérite.
Le texte a besoin d’être examiné dans tous ses détails à propos de ce
qu'il dit – et de ce qu’il ne dit pas – concernant les coutumes,
l’apparition des villes, l’art de la guerre, etc., qu'il attribue aux
populations dont il traite. La seule analyse qui aille un peu dans ce sens
a été publiée dans Un Environnement pour le Livre de Mormon dans
l’Amérique ancienne [1] et même cet ouvrage ne fait que commencer les
recherches nécessaires.
Entre-temps, la plupart des saints des derniers jours caractérisent les
civilisations des Néphites et des autres peuples dont il est question dans
le livre d’une manière qui n’est ni systématique ni critique, sur la base
de traditions non officielles plutôt que sur des études scientifiques
saines. Néanmoins, ce que des gens qui ne sont pas des saints des derniers
jours ont affirmé que le Livre de Mormon disait concernant l'Amérique
ancienne est tout aussi peu fiable. Même les quelques savants non-religieux,
comme ceux du personnel de la SI, qui sont censés avoir examiné
suffisamment l'Écriture à la lumière de l’archéologie pour faire une
déclaration à son sujet, n’ont pas examiné, comme ils l’auraient dû, ces
annales complexes autrement que d’une manière superficielle.
Dans les études relatives à l’histoire de la culture de l’Amérique
ancienne aucune comparaison n’a de valeur si elle ne renvoie pas au bon
endroit et au bon moment. Par exemple, si les chercheurs examinent la
question de l’origine d’une forme architecturale donnée mentionnée dans un
document du centre du Mexique, ils se feraient passer pour des sots s’ils
gaspillaient leurs efforts à examiner des édifices en Équateur. En vertu
du même principe, il faut impérativement parler du lieu et du moment
précis dont le Livre de Mormon parle si l‘on veut être pris au sérieux
lorsque l’on veut établir les rapports entre cet ouvrage et l'archéologie.
Ces dernières décennies, les savants membres de l’Église ont établi, à
propos du texte du Livre Mormon, trois faits importants qui définissent la
façon dont on doit le comparer aux informations scientifiques externes. Le
premier point est que le Livre de Mormon lui-même présente les événements
qu’il rapporte dans le Nouveau Monde en les situant dans un territoire
dont l’étendue est limitée: pas plus de 800 ou 900 km de long et beaucoup
moins en largeur [2]. Ce territoire est également caractérisé comme étant
situé de part et d’autre d'un isthme séparant deux océans. Cette échelle
est contraire à ce que beaucoup de saints des derniers jours et
virtuellement tous les détracteurs du Livre de Mormon ont supposé. Ils ont
cru pendant des générations que le continent américain tout entier était
la scène des événements du Livre de Mormons. Mais l’étude soigneuse de
centaines de détails entremêlés dans le texte sur la topographie,
l’hydrographie, le climat, les localités et le mode de vie a abouti à un
consensus selon lequel les populations du Livre de Mormon ont vécu dans
tout ou partie de la Mésoamérique, c'est-à-dire dans la région occupée
autrefois par les peuples civilisés du sud et du centre du Mexique et du
nord de l'Amérique centrale.
Le deuxième point est que le Livre de Mormon parle d’événements et de
cultures qui se limitent presque entièrement à la période « Préclassique »
ou « Formative », antérieure à 300 apr. J.-C. environ.
Troisièmement, ce sont des annales tenues par et à propos d’un secteur
seulement de la société mésoaméricaine, une « lignée » noble bien précise.
Elles ont été écrites pour expliquer et justifier des événements qui ont
touché les descendants d'un souverain (Néphi) qui vivait au sixième siècle
av. J.-C., probablement dans le sud du Guatemala. Elles ne prétendent pas
être et ne sont manifestement pas l'histoire d’une nation tout entière, et
ne parlons même pas d’une « culture » ou d’une « civilisation » complète.
Elles ne nous parlent pas non plus systématiquement des parties de la
Mésoamérique ou au-delà qui n’étaient pas mêlées au destin de cette lignée
bien déterminée.
Il est important aussi de savoir que le Livre de Mormon ne rend compte
d’éléments culturels qu’au passage et de manière fragmentaire. Son but
premier est religieux ou idéologique et il ne propose que des
renseignements cryptiques concernant des sujets tels que la technologie,
la structure politique ou la structure sociale, même pour le segment de la
population dont il parle. Cette brièveté signifie que des siècles tout
entiers et des territoires de grande étendue ne sont effleurés qu’avec une
poignée de mots pour caractériser les événements ou les cultures en
question.
Sur la base de cette caractérisation du Livre de Mormon, de ses
populations et de ses terres, nous pouvons voir le genre d’expert qui est
qualifié pour faire des commentaires utiles sur les rapports que le récit
du Livre de Mormon pourrait éventuellement avoir avec les découvertes des
savants. L’expert en question devrait être renseigné au maximum sur
l'archéologie, l’art, l'anthropologie biologique, la linguistique et
l'histoire du sud et du centre de la Mésoamérique à l’époque préclassique,
particulièrement quand il s’agit de rattacher les résultats de
l'archéologie sur le terrain à un texte sacré ésotérique. En même temps,
l’expert doit connaître parfaitement le contenu culturel des annales du
Livre de Mormon, à propos duquel des études importantes ont été publiées
ces dernières années par des analystes membres de l’Église. Est-il besoin
de le dire, rarissimes sont les experts qui sont qualifiés à ce point.
Personne, dans la poignée d'archéologues de la Smithsonian, n’est ne
serait-ce que spécialiste de la Mésoamérique, sans même parler d’être
spécialiste de l’époque préclassique. Il n'y a pas non plus la moindre
indication que quelqu'un parmi le personnel ait examiné le Livre de Mormon
d’une manière approfondie susceptible de permettre une comparaison utile
avec les résultats de la recherche. On peut donc se demander qui sont les
sources bien informées qui pourraient être à la base de la déclaration de
la SI concernant le Livre de Mormon.
Conscient du fait que les gens ont attendu du département d'anthropologie
de la SI davantage que ce que ce personnel est qualifié pour dire, nous
allons examiner point par point les difficultés que présente la lettre de
la SI.
Analyse de neuf points de la déclaration de la SI
Les déclarations une et neuf ne posent pas de problèmes directs. Elles
disent en substance que l'Institution n'a jamais utilisé le Livre de
Mormon comme guide scientifique; ses archéologues ne voient pas de liens
directs entre l'archéologie du Nouveau Monde et le contenu du livre; et il
y a effectivement des exemplaires du Livre de Mormon dans la bibliothèque
de l'Institution qu'ils pourraient consulter s’ils le désirent. Nous
espérons bien que les questions oiseuses posées par le public à propos de
ces questions élémentaires cesseront totalement au vu de ces déclarations.
Le point deux parle du « type physique de l'Indien américain », dont il
est dit qu’il est « fondamentalement Mongoloïde. » C'est une définition
standard et simpliste qui évite beaucoup de problèmes importants liés à ce
sujet. Certaines caractéristiques biologiques des populations natives
américaines sont effectivement, de manière générale si pas universelle,
les mêmes sur tout le continent, mais ces éléments ne sont pas nombreux.
Le Dr T. Dale Stewart, qui a été longtemps l'anthropologue physique de la
Smithsonian, a choisi de mettre l’accent sur ce qui est commun, comme dans
son bref ouvrage, The People of America [3]. Toutefois, d'autres
experts, tout aussi respectés, ont remarqué qu’il y avait une diversité
importante parmi les « Indiens d’Amérique ». Par exemple, le Dr Juan
Comas, longtemps l'anthropologue physique le plus éminent du Mexique, a
posé la question : « Les amérindiens sont-il un groupe biologiquement
homogène ? » Il répond par un « Non » formel et justifie son point de vue
par des raisons solides [4].
Les recherches sur les groupes sanguins ont amené G. Albin Matson et ses
collègues à dire : « Les Indiens américains ne sont pas complètement
mongoloïdes [5]. » Le professeur Earnest Hooton de Harvard est du même
avis et pense y voir une composante du Proche-Orient [6]. Joseph B.
Birdsell, mon mentor à la UCLA, a reconnu que « un nombre important
d’anthropologues estiment que la branche méditerranéenne de la race
blanche a contribué à la génétique des aborigènes américains » et, « d’un
point de vue phénotypique, beaucoup d'Indiens américains ont des
caractéristiques morphologiques que l’on peut attribuer de manière
plausible à une ascendance méditerranéenne [7]. » L'anthropologue polonais
Andrzej Wierçinski a analysé une série importante de crânes dégagés dans
des sites majeurs de la Mésoamérique et y a découvert une grande
diversité. Il a estimé qu’il y avait trois « souches amérindiennes
primaires » qui proviennent d’Asie (il est donc, de manière générale,
d’accord avec Stewart), mais il a aussi trouvé des indications que des
traits ont été « introduits par... des populations qui ont émigré de la
Méditerranée occidentale [8]. » Il est bien entendu vrai que ces idées
sont considérées comme hérétiques par beaucoup d'anthropologues physiques
américains, mais c’est probablement une affaire de mode ou de goût
intellectuel plutôt qu'une mesure de leur exactitude.
Le point numéro deux de la déclaration de la SI affirme aussi que « les
ancêtres des Indiens actuels sont arrivés au Nouveau Monde – probablement
en franchissant une langue de terre... [au] Détroit de Behring... – dans
une succession de petites migrations à partir d’il y a environ 25.000 à
30.000 ans. » De nos jours, les archéologues américains se querellent avec
véhémence quasiment sur chacun des mots et chacune des expressions de
cette déclaration. Cette interprétation un peu simpliste est en soi tout à
fait plausible, pourtant elle ne s’appuie que sur des « preuves
archéologiques » équivoques et non sur le genre de preuve irréfutable que
laisse croire la déclaration de la SI à propos du Livre de Mormon. C'est
pour cela que la controverse concernant « l'origine des Indiens américains
» continue.
Il est instructif, en ce qui concerne l’affaire du Livre de Mormon, de
jeter un coup d’œil sur les études faites récemment à propos de cette
controverse. E. J. Dixon a relevé certains sites archéologiques présentant
des anomalies, comme Monte Verde au Chili, l’abri rocheux de Pedra Furada
au Brésil et l'abri rocheux de Meadowcroft dans l’est des États-Unis, qui
ne correspondent pas à la déclaration de la SI. Il pense qu’il ne faut
sans doute « pas les considérer comme faisant partie d’un modèle
monolithique de peuplement de l’Amérique, mais sont... les restes
tangibles de colonisations sporadiques anciennes qui ne sont pas liés à
l’évolution ultérieure dans la préhistoire du Nouveau Monde. » Ils peuvent
au contraire constituer « le témoignage silencieux de colonisations
anciennes vouées à l’échec comme ce fut le cas de celle des Vikings des
milliers d'années plus tard. » Il reste à voir si les porteurs de ces
cultures étaient « mongoloïdes » et si leurs gènes se sont perpétués.
« Le phénomène nordique » dont il a été question permet de comprendre que
nier formellement la possibilité de la présence de peuples du Livre de
Mormon, c’est se mettre sur un terrain marécageux que ce soit du point de
vue théorique ou du point de vue méthodologique. Pour Dixon, la colonie
nordique du « Vinland » « prouve que divers groupes humains ont pu tenter
de coloniser le continent américain... pour disparaître par la suite et
que « la preuve de leur passage serait extrêmement difficile à détecter
par l’archéologie. » Mais il trouve que la colonie nordique au Groenland
est encore plus instructive que celle du continent nord-américain. Au
Groenland, les archéologues ont trouvé les ruines d'au moins 330 fermes et
de 17 églises, des milliers d’objets, y compris des vêtements de style
européen faits en laine du Groenland, ainsi que les squelettes des Vikings
eux-mêmes. La colonie a existé environ 500 ans (la moitié de la durée des
« Néphites » du Livre de Mormon). Ce cas fournit « la preuve claire d'une
colonisation transocéanique majeure et de longue durée de l’Amérique et
qui a fini par échouer ». En outre, les gènes que les descendants des
hommes du Nord ont pu laisser ont dû se mêler aux populations Inuit [«
Esquimau »] originaires du Groenland de sorte qu’on ne peut pas les
identifier maintenant comme étant clairement d’origine européenne. En
conséquence : « On ne peut pas démontrer que la colonisation originelle du
Groenland par les hommes du Nord s’est produite si l’on se base sur
l'analyse génétique des populations vivantes [9]. »
Ne serait-il pas prématuré de la part des archéologues de dire, avec
l'assurance manifestée dans la déclaration de la SI à propos du Livre de
Mormon, qu'on ne peut pas s’attendre à trouver d’autres cas comme celui
des hommes du Nord ? En fait, d'autres découvertes de ces dernières années
confirment la nécessité d’avoir l’esprit ouvert. On a trouvé, sur la côte
du Labrador, une colonie tout à fait inattendue de baleiniers basques qui
avait été « oubliée pendant presque 400 ans ». Les archéologues ne
soupçonnaient même pas l’existence de restes pourtant importants de leur
colonie jusqu’à ce que la découverte fortuite de documents d’archives dans
le nord de l’Espagne révèle l'existence de cet avant-poste de l’autre côté
de l'Atlantique par rapport au pays basque. Ce n’est que quand l'histoire
a été mise au jour par ces documents historiques que les archéologues ont
pu savoir où ils devaient chercher et trouver les restes matériels de la
colonie [10]. Alison T. Stenger a repris une série d’études qui suggèrent
l'arrivée et la survie pendant un certain temps de ce qui a pu être un
groupe provenant du Japon ou du nord-est de l'Asie, qui a atteint le
territoire de l’actuel État de Washington [11] Entre-temps, Otto J.
Sadovszky a présenté de nombreuses preuves convaincantes par la
linguistique et l'ethnologie comparée (il y en a encore beaucoup plus qui
ne sont pas encore publiées) de migrations directes en provenance de la
région de langue ob-ougrienne (vogul et ostyak) de la Sibérie occidentale
vers le centre de la Californie au premier millénaire av. J.-C. On n’a pas
tenté de tester sa proposition par l’archéologie [12].
Il est cependant difficile, comme nous le dit bien Dixon, d’amener les
experts appartenant à l’anthropologie traditionnelle, ancrés dans leurs
convictions, à faire attention à de telles découvertes. « Les progrès
demanderont du courage de la part de la plupart des chercheurs qui
découvrent des informations ne correspondant pas aux modèles scientifiques
reçus. Ces chercheurs doivent s’attendre à la critique et au rejet de la
part des autres savants s’ils contestent les modèles acceptés et proposent
d’autres interprétations [13]. » Si nous devions accepter la déclaration
de la SI sur l'origine des natifs d’Amérique comme un postulat qui exclut
toutes les possibilités non mongoloïdes, nous irions à l’encontre de la
nature même de la science qui est exploratoire et nous négligerions une
grande quantité de données dont les implications n’ont pas la chance
d’être au goût du jour.
Le troisième point de la déclaration de la SI concerne les voyages
transocéaniques vers l’Amérique. Elle choisit les Normands (les Vikings)
comme étant les premiers à avoir fait un tel voyage. Cette conception
surannée ne peut être entretenue aujourd’hui que par ceux qui ne tiennent
pas compte des preuves massives allant en sens contraire. Il y a trente
ans, lorsque la déclaration de la SI a probablement été rédigée, un point
de vue aussi conservateur pouvait être excusable : les publications
relatives à la question étaient éparses et difficiles à réunir. Mais dès
1971, un ouvrage anthropologique standard, Man across the Sea: Problems
of Pre-Columbian Contacts [14], était publié. Cet ouvrage présentait
une quantité importante de données et d’arguments en faveur de (et aussi
contre) l'idée que les voyageurs avaient les moyens techniques de
traverser les océans et avaient effectivement atteint l’Amérique avant les
Normands. Les articles que contient cet ouvrage opposé à la thèse
diffusionniste n’autorisaient en aucune façon la SI à écarter aussi
complètement l'idée. Mais récemment une quantité de documents beaucoup
plus grande a été rendue accessible dans Pre-Columbian Contact with the
Americas across the Oceans: An Annotated Bibliography [15]. À propos
de cet ouvrage, le professeur David H. Kelley de l'Université de Calgary a
dit : « Dorénavant plus personne ne pourra se permettre de donner son
opinion sur ce sujet sans avoir soigneusement examiné cet ouvrage
essentiel. » Le Dr Betty J. Meggers, une des archéologues du Smithsonian,
l’a qualifié de « bibliographie impressionnante et effort monumental ». En
1993, il est temps que la déclaration de la SI concernant le Livre de
Mormon tienne compte de la nature substantielle d’un grand nombre des 5600
rubriques de cette bibliographie (à la fois pour et contre) avant
d’exclure péremptoirement tous les voyages qui ne sont pas des voyages
vikings. Dans l'introduction, les bibliographes disent, sous la rubrique «
conclusion provisoire », que : « Il est vraisemblable que la capacité
technologique d’effectuer des traversées transocéaniques a existé... assez
souvent par le passé dans le Vieux Monde. [Après avoir passé en revue
cette vaste documentation], il nous paraît à la fois plausible et probable
que de nombreux voyageurs ont fait la traversée des océans et ce, en
plusieurs endroits. En outre, les éléments dont nous disposons, grâce aux
études culturelles des sciences naturelles, de l’anthropologie physique,
de la linguistique et d’autres peuvent être invoqués de manière plausible
à l’appui de ce point de vue [16]. » Étant donné que ces auteurs
connaissent maintenant cette documentation mieux que n’importe qui d’autre,
leur verdict « plausible » mérite d'être pris au sérieux et la déclaration
de la SI devrait la prendre en considération.
Les peuples mésoaméricains ont mentionné aux explorateurs espagnols des
traditions selon lesquelles leurs ancêtres étaient venus de l’autre côté
de l'océan. Par exemple, Bernardino de Sahagun écrit au Mexique au 16ème
siècle : « Concernant l'origine de ce peuple, l’histoire que racontent les
vieux est qu'ils sont venus par la mer... dans plusieurs navires de
bois... [17] » D’autres récits traditionnels disent la même chose [18].
Les professeurs Meggers et Clifford Evans, tandis qu’ils travaillaient
sous les auspices de la Smithsonian, ont découvert des éléments qui les
ont amenés à la conclusion que des Asiatiques avaient effectivement fait
au moins un voyage épique depuis le Japon jusqu’en Équateur. Meggers
continue à argumenter avec force ce point de vue [19].
Le moins que l’on puisse dire à propos du point trois de la déclaration de
la SI est qu’il essaye d’éluder le problème des voyages transocéaniques en
parlant comme si la question ne se posait pas. C’est quelque chose que ne
peut pas se permettre aujourd’hui une institution savante responsable (il
est vrai que certains savants de la vieille école continuent à éluder le
problème justement de cette façon).
Le point quatre reste dans la ligne de raisonnement du paragraphe
précédent en faisant des déclarations simplistes sur la nature des
éléments en faveur des contacts entre continents. Il dit qu'aucun des
principaux animaux ou plantes comestibles du Vieux Monde ne se trouvait en
Amérique avant l'arrivée des Espagnols. Mais lorsque nous examinons la
distribution des légumes et des animaux du Vieux Monde, nous observons,
par exemple, que les Romains ne connaissaient pas le riz. Devons-nous donc
en conclure qu'ils n'ont eu aucun contact, disons, avec l'Inde ? Ils en
ont eu, bien entendu. Ils n’avaient pas non plus de chameaux : le Proche-Orient
était-il donc hors de leur portée ? De toute évidence pas. C’est une
argumentation qui est méthodologiquement trompeuse et peu soigneuse. Les
éléments culturels ne se répandent pas automatiquement ou inévitablement,
même lorsque les gens savent que ces éléments existent dans les mains
d'autres peuples. Dans le Vieux Monde, il arrive souvent que des régions
très proches l’une de l'autre ne partagent pas ce que nous pourrions
considérer de manière ethnocentrique comme des techniques ou des objets «
principaux ». La raison pour laquelle il en est ainsi a été traitée en
détail dans les trois premiers articles de Man across the Sea (cité
plus haut). Ce qui est important comme preuve, c’est ce qui est en commun
et la liste des éléments qui confirment des rapports anciens entre les
continents sont nombreux et comportent un nombre important de produits de
culture [20]. Ce point quatre est un leurre qui détourne l’attention des
règles importantes de méthodologie qu’il faut respecter si l’on veut
traiter ce sujet d’une manière responsable. Il est difficile de croire que
des anthropologues sérieux faisant partie de la Smithsonian aient pu
rédiger un paragraphe aussi naïf que celui-ci [21].
Le point cinq mentionne quatre matières dont on dit qu’elles n’ont pas été
utilisées dans le Nouveau Monde avant 1492 : « le fer » « l’acier », « le
verre » et « la soie ». Ce sont des mots qui sont utilisés dans le texte
du Livre de Mormon. Le fait que ces mots soient utilisés dans la
traduction du texte anglais original a amené beaucoup de personnes à
supposer que les « Néphites » dont il est question dans le Livre de Mormon
utilisaient les mêmes substances qui nous viennent à l’esprit lorsque nous
rencontrons ces termes aujourd'hui. Dans la même catégorie, il y a
d’autres termes traduits et utilisés dans le Livre de Mormon tels que «
vin », « cheval » et « bétail ». Mais il faut bien entendu traiter les
mots anglais utilisés dans une traduction avec la même prudence que les
mots que les traducteurs utilisent quand ils traitent un texte ancien
quelconque. Par exemple, certains des mots hébreux traduits pour désigner
les noms de certains métaux dans l'Ancien Testament sont problématiques;
plusieurs mots différents ont été traduits par un terme anglais unique : «
bronze » et « acier » par exemple [22]. Quiconque a fait de la traduction
sait qu’il est difficile et parfois impossible de trouver des termes
équivalents [23].
Le problème est clair dans le cas du mot « soie » dans le Livre de Mormon.
Il est naïf de supposer automatiquement que les Néphites dont il est
question dans ce récit devaient, comme les Asiatiques, avoir des vers à
soie se nourrissant de feuilles de mûrier pour expliquer l’utilisation de
ce mot. C’est ce même problème de terminologie qu’ont rencontré les
Espagnols en arrivant dans le Nouveau Monde. Nous apprenons, par exemple,
qu'un ver à soie sauvage du Mexique produisait une fibre que les Indiens
récoltaient pour faire un tissu [24]. Les explorateurs européens
devaient-ils appeler ce tissu seda (« soie ») ou non ? Les spécialistes du
monde classique rencontrent un problème du même genre : Aristote et
d'autres Grecs décrivent un ver à soie, mais les experts modernes
considèrent cette allusion à une fusion de renseignements sur deux types
de ver à soie originaires du sud-est de l’Europe et n'ayant aucun rapport
direct avec l’Extrême-Orient [25]. De plus, on se servait des poils fins
du ventre des lapins d’Amérique centrale pour en tisser une étoffe que les
Espagnols considéraient comme « égale en finition et en texture à la soie
» [26]. Au Yucatan, on récoltait et on tissait une fibre semblable à la
soie (le kapok) provenant de la cosse du ceiba; il semble que c’est cela
que l'évêque Diego de Landa désigne à un moment donné sous le nom de «
soie ». Clavigero disait à propos de ce kapok qu'il était « aussi doux et
aussi délicat que la soie, peut-être même plus [27]. » Cependant, le coton,
le textile courant en Mésoamérique, était lui-même parfois tissé avec tant
de finesse que Cortez affirmait que les textiles « faits de soie ne
pouvaient s’y comparer » [28].
En outre, on tirait de fines fibres de l’ananas sauvage et « de l'herbe à
soie », Aecmea magalenae, qui, par sa texture, pourrait être qualifiée de
« soie » [29]. Le Livre de Mormon pourrait-il donc commettre une erreur
lorsqu’il parle de « soie » ? Pas si son action se situe en Mésoamérique.
Il en va exactement de même pour le terme « vin ». Dans le passé, le sens
de ce terme était plus vague. Dans sa traduction du Livre de Mormon,
Joseph Smith ne l’a pas forcément utilisé dans le sens étroit que la
plupart des gens reconnaissent aujourd'hui. Les recherches de Samuele
Bacchiocchi ont récemment fait ressortir que le « vin » biblique (qu’il
vienne du latin « vinum », du grec « oïnos », ou de l’hébreu « yayin »)
pourrait désigner le jus de raisin et même le raisin lui-même, en plus de
la boisson fermentée [30]. Mais il n’est pas nécessaire d’utiliser des
raisins pour pouvoir qualifier une boisson de « vin » (bien que le raisin
ait été connu et utilisé dans l’Amérique précolombienne [31]). L'étude
anthropologique classique de Weston LaBarre sur les boissons américaines
considérait qu’il était inutile d’essayer de distinguer le « vin » de la «
bière » dans la littérature historique [32]. Les Espagnols qualifiaient de
« vin » le jus fermenté du maguey (un cactus), le « pulque » [33] et
donnaient le nom de « vignobles » aux plantations de maguey [34]. Mais,
d’après les auteurs espagnols, on faisait d'autres « vins »: de bananes
[35], d’ananas [36], avec le tronc du palmier coyol [37] et avec une
écorce d’arbre [38].
Cette brève incursion dans les complexités de la traduction d’un texte
ancien [39] vaut aussi pour les mots « fer », « acier » et « verre » dont
la SI dit qu’on n’en trouvait pas dans l’Amérique ancienne. Avant de
pouvoir aborder la question sous l’angle des découvertes archéologiques,
il faut traiter des problèmes textuels, y compris la traduction. Par
exemple, le mot « verre » n’est mentionné que deux fois dans le texte
anglais du Livre de Mormon. La première fois (2 Néphi 13:23) se situe dans
une citation du livre d'Ésaïe dans l'Ancien Testament (Ésaïe 3:23) où le «
verre » est mentionné comme objet de décoration utilisé par les femmes
israélites. Toutefois, les traductions modernes de ce passage, [y compris
Segond] préfèrent « miroirs », qui pouvaient autrefois être faits de métal
poli aussi bien que de « verre ». Autrement dit, le « verre » d'Ésaïe 3:23
et par conséquent de 1 Néphi 13:23 est un anglicisme qui ne désigne pas
forcément une substance vitreuse. L'autre utilisation de « verre » dans le
Livre de Mormon se trouve dans Éther 3:1, qui signale un événement qui a
eu lieu dans le Vieux Monde. Ainsi, la question de savoir s’il y avait ou
non du verre dans le Nouveau Monde antique est à côté du sujet ; il ne
sert à rien de critiquer ou de défendre le terme « verre » puisque le
texte de l'Écriture ne parle pas de la substance « verre » dans le
contexte du Nouveau Monde.
Le problème de la traduction hante aussi le mot « acier ». Il serait bien
difficile de dire à quelle substance le mot fait allusion dans le Livre de
Mormon lorsque le mot « acier » dans la version biblique de la King James
« doit souvent être compris comme étant du 'bronze' ou du 'cuivre' [40]. »
De plus, le fer-nickel météorique a été qualifié de « sorte d'acier » [41]
et cette matière était bien connue en Mésoamérique [42]. On se servait du
fer en Mésoamérique, bien que l’on ait fait peu de tests techniques pour
déterminer ce qui était fondu et ce qui était météorique. L'archéologue
Sigvald Linne a trouvé un morceau de fer fondu dans une tombe à Mitla
(Oaxaca) [43], tandis qu'à Teotihuacan, il a découvert un vase en
céramique qui avait été utilisé pour la fonte d’une masse « d’aspect
métallique » qui contenait du fer et du cuivre [44]. Des objets et des
minéraux de fer ont été trouvés dans de nombreuses fouilles et dans de
nombreuses collections de musée en Mésoamérique et sont mentionnés dans
des traditions. Il n'est pas hors de question que ce métal ait été utilisé
d’une manière assez suivie avant l'arrivée des Espagnols [45]. Étant donné
les changements dans les connaissances, nous recommanderions à la SI de
faire preuve de précaution lors de la formulation de toute déclaration
future. Heather Lechtman a dit à propos de la métallurgie en Amérique du
Sud : « Il serait absurde de tenter des généralisations ou des évaluations
soigneuses… des débuts de la métallurgie andine quand nous voyons que dans
les treize dernières années... des bribes de renseignements ont lentement
été rassemblés, qui vont changer nos idées précédentes… [46] » Il en va de
même de la Mésoamérique. J'ai montré que la littérature signale plus d’une
centaine de spécimens – mais ils sont systématiquement ignorés par les
archéologues conservateurs – des spécimens qui montrent définitivement ou
probablement l’utilisation de métaux à une époque plus reculée et de
manière plus répandue que ne le reconnaissent les idées officiellement
acceptées [47].
On peut donc contester à deux égards la déclaration de la Smithsonian sur
le Livre de Mormon dans les sujets qu’elle traite dans son point cinq :
(1) elle n’est pas au courant des découvertes qui contredisent sa
déclaration péremptoire que certaines matières n’existaient pas en
Mésoamérique et (2) elle souffre de naïveté dans sa façon de traiter la
terminologie d’un texte potentiellement ancien.
Le point six de la déclaration répond à la question des voyages
transpacifiques. Il dit que s’il y en a eu, ils n’ont eu pratiquement
aucun effet et n’auraient pu se produire que par accident. De par leur
nature il est sans doute impossible de confirmer des déclarations
négatives de ce genre et cependant il est clair, comme nous l’avons dit
plus haut, que ce rejet désinvolte est en réalité le fruit de l'ignorance
et non d’une étude et d’une évaluation soigneuses des nombreux éléments
d’appréciation portant sur le sujet. C'est une affaire de foi aveugle, pas
une attitude scientifique. Encore une fois, il vaut la peine de remarquer
que la longue liste de savants méticuleux qui refusent de se laisser
mettre à l’écart par de telles fins de non recevoir a comme chefs de file
les professeurs Meggers et Evans. Ces deux savants, ainsi que beaucoup
d'autres, ont acquis la conviction que des voyages transpacifiques ont eu
lieu depuis des milliers d’années [48]. Parmi les principaux auteurs qui
ont fourni de la documentation en la matière et dont les écrits sont
passés en revue dans la bibliographie Pre-Columbian Contact citée
ci-dessus, nous pouvons mentionner comme méritant une attention spéciale
José Alcina Franch, George F. Carter, Robert von Heine-Geldern, Stephen
Jett, David H. Kelley, Ling Shun-Shêng, Joseph Needham et Paul Tolstoy. On
ne peut pas considérer qu’une déclaration de la Smithsonian sur le Livre
de Mormon peut être basée sur des recherches rigoureuses si elle rejette
purement et simplement des travaux de premier ordre comme les leurs. Les
voyages transocéaniques, y compris ceux dont il est question dans le Livre
de Mormon, se situent, selon de nombreuses recherches modernes, dans le
domaine du possible.
Le septième point de la déclaration concerne le point de savoir s’il
existait un lien entre l'Égypte et le Mexique à l’époque précolombienne.
On ne voit pas très bien pourquoi cet élément est introduit dans la
déclaration, étant donné que le Livre de Mormon ne prétend pas à des liens
directs avec l'Égypte. Quoi qu’il en soit, je ne connais aucun égyptologue
qui ait accordé une attention suffisante à l'information nécessaire tant
sur l'Égypte que sur le Mexique pour justifier que l’on puisse dire qu’il
n’y a pas de lien. Il y a, en fait, des documents qui indiquent qu’il
existe un lien et qui méritent d'être examinés soigneusement lorsque
quelqu’un de qualifié voudra véritablement tenter de faire une comparaison
valable [49].
D’une manière générale, il est plus facile de marquer son accord avec le
paragraphe huit. Les découvertes « d’écrits égyptiens, hébraïques et
autres du Vieux Monde dans le Nouveau Monde dans des contextes
précolombiens » sont, dans de nombreux cas, sujets à caution. Il n’y en a
que peu qui ont été étudiés avec soin et certaines des soi-disant
recherches et traductions de ce genre d’inscriptions sont effectivement
fantaisistes. Cependant, rares sont les archéologues ou les épigraphistes
conventionnels, comme ceux sur lesquelles s’appuie manifestement la
déclaration de la Smithsonian, qui ont sérieusement étudié ces écrits ;
ils les ont rejetés d’emblée de manière arbitraire. Ces dernières années,
deux études d’un haut niveau critique ont conclu que certaines
inscriptions sont authentiques et révèlent effectivement l’existence de
systèmes d'écriture du Vieux Monde utilisés autrefois en Amérique [50].
D'autres inscriptions restent dans le domaine du possible [51]. Il est
tout simplement impossible à l’heure actuelle d'exclure d’une manière
responsable la possibilité que certaines inscriptions datent de l’époque
précolombienne et soient authentiques. Toutefois, cela ne change pas
grand-chose en ce qui concerne le Livre de Mormon. Selon cet ouvrage, le
système d'écriture utilisé dans sa rédaction n’était connu d’aucun autre
groupe (voir Mormon 9:34) et ne se retrouverait donc pas parmi ceux qui
sont éparpillés un peu partout sur le continent américain et dont les «
épigraphistes américains » affirment qu’ils ont leur origine dans le Vieux
Monde. De toute évidence, l’écriture du Livre de Mormon n'était pas «
égyptienne » comme telle, bien que ceux qui l'utilisaient la considéraient
comme apparentée aux glyphes égyptiens anciens. Soit dit en passant, Linda
Miller Van Blerkom, de l'Université du Colorado, a montré que « les
glyphes mayas ont été utilisés des six mêmes manières que ceux de
l’écriture égyptienne [52] ».
En bref, l’étude soigneuse de la « Déclaration concernant le Livre de
Mormon » de la Smithsonian Institution et de la documentation
anthropologique et apparentée dans ce domaine indique que bien qu’il soit
une tentative justifiée de régler un problème d’information du public, le
contenu de la déclaration est souvent peu fiable et bien trop superficiel.
La déclaration est systématiquement simpliste, comme un professeur qui a
beaucoup à faire et qui parle avec condescendance à un enfant curieux qui
le harcèle. Les réponses qu'elle donne montrent un manque de connaissance
sérieuse des affirmations et implications culturelles véritables du Livre
de Mormon et qu’en outre les faits qu’elle avance concernant l'Amérique
ancienne ou le processus culturel sont gravement déficients.
Les mormons comme les non-mormons devraient laisser les gens de la
Smithsonian tranquilles et les laisser s’occuper du travail technique pour
lequel ils sont qualifiés. Il faut faire un sort au mythe qu’ils sont soit
des mormons qui ne veulent pas l’avouer soit des spécialistes hautement
informés sur l'archéologie ayant trait au Livre de Mormon. Mais il est
vraisemblable que l’on continuera à poser des questions ; il faudrait donc
rédiger un nouvel opuscule dont la formulation serait plus soigneuse.
NOTES
[1] John L. Sorenson, Un environnement pour le
Livre de Mormon dans l’Amérique ancienne, sur Idumea.
[2] On trouvera l’histoire des recherches qui démontrent ce point dans
John L. Sorenson, The Geography of Book of Mormon Events: A Source Book,
éd. rév., Provo, Utah, Foundation for Ancient Research and Mormon Studies,
1992.
[3] T. Dale Stewart, The People of America, Londres, Wiedenfeld and
Nicolson, 1973.
[4] Juan Comas, Cuadernos Americanos 152, mayo-junio 1967, pp. 117-125,
Voir aussi son Antropologia de los Pueblos Ibero-Americanos, Barcelone,
Editorial Labor, 1974, pp. 35-42 et 52et suiv.
[5] G. Albin Matson etc., « Distribution of hereditary blood groups among
Indians in South America. IV. In Chile », American Journal of Physical
Anthropology 27, 1967, p. 188.
[6] Cité dans Harold Gladwin, Men out of Asia, New York, McGraw-Hill,
1947, pp. 63-65.
[7] « The problem of the early peopling of the Americas as viewed from
Asia », dans Papers on the Physical Anthropology of the American Indian,
dir. de publ. W. S. Laughlin, New York, Viking Fund, 1951, p. 14; lui-même
pensait que cette composante génétique « blanche », quoique valable,
provenait probablement d’une ancienne population non mongoloïde située en
Extrême-Orient qui était arrivée en Amérique via le Détroit de Behring. Ce
n’est, bien entendu, pas la seule possibilité.
[8] « Inter- and intrapopulational racial differentiation of Tlatilco,
Cerro de las Mesas, Teotihuacan, Monte Alban and Yucatan Maya », Actas,
Documentos y Memorias de la 36a. Congreso Internacional de Americanistas,
Lima, 1970, Lim, 1970, 1:1, 231-48. Ou : voir son « 'Afinidades raciales
de algunas poblaciones antiguas de México », Anales del Instituto Nacional
de Antropología e Historia, México, 1972-1973, pp. 123-144.
[9] E. James Dixon, Quest for the Origins of the First Americans,
Albuquerque, University of New Mexico Press, 1993, pp. 130-132.
[10] Brian Fagan, « Basques of Red Bay », Archaeology, sept./oct. 1993,
pp. 44-51.
[11] « Japanese-influenced ceramics in precontact Washington state: a view
of the wares and their possible origin », dans The New World Figurine
Project, dir. de publ. Terry Stocker, Provo, Utah, Research Press, 1991,
1:111-122.
[12] Voir, entre autres publications, « The new genetic relationship and
the paleolinguistics of the Central California Indian ceremonial houses »,
Tenth LACUS Forum, Quebec City, 1983, Columbia, Caroline du Sud,
Linguistic Association of Canada and the United States, 1984, 516-520; et,
'The discovery of California: breaking the silence of the
Siberian-to-America migrator », The Californians 2/6, 1984, pp. 9-20.
[13] Dixon, p. 132.
[14] Carroll L. Riley, J. Charles Kelley, Campbell W. Pennington et Robert
L. Rands, dir. de publ., Man across the Sea: Problems of Pre-Columbian
Contacts, Austin, University of Texas Press, 1971.
[15] John L. Sorenson et Martin H. Raish, Pre-Columbian Contact with the
Americas across the Oceans: An Annotated Bibliography, 2 vols., Provo,
Utah, Research Press, 1990.
[16] Sorenson et Raish, p. x.
[17] Historia General de las Cosas de Nueva España, México, Editorial
Nueva España, 1946, 1:13.
[18] Voir John L. Sorenson, « Some Mesoamerican traditions of immigration
by sea », El México Antiguo 8, 1955, pp. 425-438.
[19] Voir, tout récemment, « El origen transpacifico de la cerámica
Valdivia; una revaluación » Boletín del Museo Chileño de Arte Precolombino
2, 1987, pp. 9-31.
[20] Voir, par exemple, George F. Carter, « Domesticates as artifacts »,
dans The Human Mirror: Material and Spatial Images of Man, dir. de publ.
Miles Richardson, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1974, pp.
201-230. On trouvera toute une panoplie de parallèles en symboles, plus
parlants, à certains égards, que les objets, dans John L. Sorenson, « The
significance of an apparent relationship between the ancient Near East and
Mesoamerica », pp. 219-241, dans Man across the Sea.
[21] Toute version future de la déclaration sur le Livre de Mormon qui
traite de la façon dont les savants doivent aborder les preuves de
contacts transocéaniques doit examiner soigneusement l’étude de la
spécialiste de la Smithsonian, Betty Meggers, « The significance of
diffusion as a factor in evolution », dans Reprint Proceedings,
Circum-Pacific Prehistory Conference, Seattle, August 1-6, 1989, part
VIII: Prehistoric Trans-Pacific Contacts, Pullman, Washington State
University Press, 1989. Autre texte de valeur : Harold Schneider, «
Prehistoric transpacific contact and the theory of culture change »,
American Anthropologist 79, 1977, pp. 9-25.
[22] Voir, par exemple, Lenore O. Keene Congdon, « Steel in antiquity: a
problem in terminology », dans Studies Presented to George M. A. Hanfmann,
dir. de publ. David G. Mitten etc., Harvard University Fogg Art Museum
Monographs in Art and Archaeology II, Mainz, Philipp Von Zabern, 1971, pp.
17-27.
[23] Les problèmes sont traités en détail dans des publications des United
Bible Societies telles que Jan De Waard et William A. Smalley, A
Translator's Handbook on the Book of Amos, Stuttgart, UBS, 1979 ;
réfléchissez par exemple aux problèmes que posent des termes « simples »
tels que « cèdre » et « chêne » traités à la p. 224.
[24] I. W. Johnson, « Basketry and textiles », dans Archaeology of
Northern Mesoamerica, Part 1, Handbook of Middle American Indians, Austin.
University of Texas Press, 1971, 10:312; cf. W. H. Prescott, The History
of the Conquest of Mexico, New York, Modem Library, n.d., p. 84, citant
Humboldt.
[25] William T. M. Forbes, « The silkworm of Aristotle », Classical
Philology 25, 1930, pp. 22-26. Entre-temps, Gisela M. A. Richter prétend
que l’étoffe mince, douce et diaphane que les Grecs classiques appellent
amorginon était une soie produite par certains papillons sauvages sur deux
petites îles grecques seulement. Voir « Silk in Greece », American Journal
of Archaeology 33, 1929, pp. 27-33.
[26] H. H. Bancroft, The Native Races of the Pacific States, Londres,
Longmans, Green, 1875, 2:484.
[27] Alfred M. Tozzer, dir. de publ., Landa's Relacion de las Cosas de
Yucatan, Harvard University Peabody Museum of American Archaeology and
Ethnology, Papers No. 18, 1941, p. 201; il utilise le même terme, « soie
», pour désigner le tissu asiatique importé par les Espagnols. Aussi
Francesco Saverino Clavigero, History of Mexico 1, trad. Charles Cullen,
Philadelphie, Thomas Dobson, 1817, p. 41.
[28] Fernando Cortes, His Five Letters of Relation to the Emperor Charles
V, dir. de publ. Francis A. MacNutt, Gorieta, New Mexico, Rio Grande,
1977, 1:254.
[29] Felix W, McBryde, « Cultural and historical geography of Southwest
Guatemala », Smithsonian Institution Institute of Social Anthropology
Publication No. 4, 1947, p. 149; William E. Safford, « Food plants and
textiles of ancient America », Proceedings, 19th International Congress of
Americanists, Washington, 1915, Washington, 1917, p. 17.
[30] Wine in the Bible: A Biblical Study on the Use of Alcoholic
Beverages, Berrien Springs, Michigan, Biblical Perspectives, 1989, pp.
54-76.
[31] Compare Tozzer, Landa's Relacion de las Cosas de Yucatan, 198, et F.
V. Scholes et D. Warren, « The Olmec region at Spanish conquest »,
Handbook of Middle American Indians, vol. 3, part 2, dir. de publ. G. R.
Willey, Austin. University of Texas Press, 1965, p. 784.
[32] « Native American beers », American Anthropologist 40, 1938, pp.
224-234.
[33] Par exemple, Bernardino de Sahagun, Historia General de las Cosas de
Nueva España : Editorial Pedro Robredo, 1938, 1:313.
[34] Comme dans Thomas Gage, Thomas Gage's Travels in the New World, dir.
de publ. J. E. S. Thompson, Norman, University of Oklahoma Press, 1958, p.
76.
[35] MeBryde, « Cultural and historical geography of Southwest Guatemala
», p. 36.
[36] Id., p. 144.
[37] Gage, Thomas Gage's Travels, p. 76.
[38] Fort utilisé dans les plaines mayas sous le nom de « balche »; voir
Tozzer, Landa's Relacion, p. 198.
[39] À propos de la forme et du contenu anciens de la source originelle du
Livre de Mormon, voir John L. Sorenson, « The Book of Mormon as a
Mesoamerican codex », Newsletter and Proceedings, Society for Early
Historic Archaeology 139, 1976, Provo, Utah, pp. 1-7; et, parmi beaucoup
d’autres publications, des articles par Tvedtnes, Szink, Goff, Welch,
Seely, Ricks et Ostler dans Rediscovering the Book of Mormon, dir. de publ.
John L. Sorenson et Melvin J. Thorne, Salt Lake City, Deseret Book et
Foundation for Ancient Research and Mormon Studies, 1991.
[40] Robert J. Forbes, Metallurgy in Antiquity: A Notebook for
Archaeologists and Technologists, Leiden, E. J. Brill, 1950, p. 402.
[41] Id.
[42] Lincoln LaPaz, « Topics in meteorics. Hunting meteorites: their
recovery, use, and abuse from Paleolithic to present », University of New
Mexico Publications in Meteoritics 6, 1969, pp. 55-67; H. H. Nininger, Our
Stone
[43] « Zapotecan antiquities », Ethnographical Museum of Sweden,
Stockholm, Publication 4, n.s, 1938, p. 75.
[44] « Mexican highland cultures », Ethnographical Museum of Sweden,
Stockholm, Publication 7, n.s., 1942, p. 132.
[45] Des dizaines de références sont données dans la bibliographie annotée,
John L. Sorenson, Metals and Metallurgy Relating to the Book of Mormon
Text, Provo, Utah, Foundation for Ancient Research and Mormon Studies,
1992.
[46] « The Central Andes », dans The Coming of the Age of Iron, dir. de
publ. T. A. Wertime et J. D. Muhly, New Haven, Yale University Press,
1980, p. 285.
[47] Metals and Metallurgy, pp. 58-74.
[48] Voir comme déclaration fondamentale de leur point de vue, Evans et
Meggers, « Transpacific origin of Valdivia phase pottery of coastal
Ecuador », Actas de la 36a. Congreso Internacional de Americanistas,
Sevilla, 1964, Séville, 1966, 1:63-7.
[49] Voir, par exemple, certains parallèles culturels cités et démontrés
dans mon article dans Man across the Sea cité précédemment ainsi que les
informations intéressantes quoique inégales fournies dans R. A. Jairazbhoy,
Ancient Egyptians in Middle and South America, Londres, Ra Publications,
1981, et d’autres de ses écrits résumés dans Pre-Columbian Contact.
[50] David H. Kelley, « Proto-Tifinagh and Proto-Ogham in the Americas »,
The Review of Archaeology, Spring 1990, pp. 1-9; et William R. McGlone
etc., Ancient American Inscriptions: Plow Marks or History?, Long Hill,
Massachusetts, Early Sites Research Society, 1993.
[51] Voir beaucoup d’ouvrages indexés dans Pre-Columbian Contact, vol, 2,
sous « writing », en particulier Jacques de Mahieu, « Corpus des
inscriptions runiques d'Amérique du Sud », Kadath 68, Bruxelles, 1988, pp.
11-42.
[52] « A comparison of Maya and Egyptian hieroglyphs », Katunob 11, août
1979, pp. 1-8.
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