Les saints des derniers jours croient-ils que les hommes et les femmes peuvent devenir des dieux ?
par Dan Peterson

Les membres de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours croient que les êtres humains peuvent progresser spirituellement jusqu'à ce que, par la miséricorde et la grâce du Christ, ils puissent hériter et posséder tout ce que le Père a : ils peuvent devenir des dieux. Cela est enseigné dans les révélations données aux prophètes modernes (voir D & A 76:58 ; 132:19–20), ainsi que dans les sermons prononcés par Joseph Smith [1]. Un couplet écrit par Lorenzo Snow, cinquième président de l’Église, déclare :

 

Ce que l’homme est maintenant, Dieu le fut autrefois ; ce que Dieu est maintenant, l’homme peut le devenir [2].

 

Cette doctrine est généralement dénommée déification, et la formulation de cette doctrine chez les saints est souvent mal interprétée et mal comprise. Les saints des derniers jours ne croient pas que les êtres humains puissent être un jour indépendants de Dieu ou qu’ils puissent cesser un jour d’être subordonnés à Dieu. Ils croient que devenir comme Dieu veut dire vaincre le monde grâce à l’expiation de Jésus-Christ (voir 1 Jean 5:4-5 ; Apocalypse 2:7, 11). Ainsi les fidèles deviennent héritiers de Dieu et cohéritiers avec le Christ et hériteront toutes choses tout comme Christ hérite toutes choses (voir Romains 8:17 ; Galates 4:7 ; 1 Corinthiens 3:21-23 ; Apocalypse 21:7). Ils sont reçus dans « l’Église du premier-né », ce qui signifie qu’ils héritent comme s’ils étaient le premier-né (voir Hébreux 12:23). Il n’y a aucune limitation à ces affirmations bibliques ; ceux qui deviennent comme Dieu hériteront tout. Dans cet état glorifié, ils ressembleront à notre Sauveur ; ils recevront sa gloire et seront un avec lui et avec le Père (voir 1 Jean 3:2 ; 1 Corinthiens 15:49 ; 2 Corinthiens 3:18 ; Jean 17:21-23 ; Philippiens 3:21).

 

Une doctrine ancienne

 

La doctrine de la déification de l’homme n’est pas un enseignement exclusif de l’Église rétablie de Jésus-Christ.On la retrouve aussi au début de l’histoire chrétienne. Au IIe siècle, Irénée, évêque de Lyon (vers 130–200 apr. J.-C.), le théologien chrétien le plus important de son époque, a dit essentiellement la même chose que Lorenzo Snow :

 

« Si la Parole est devenue homme, c’est pour que les hommes puissent devenir des dieux [3]. »

 

En outre, Irénée demande :

 

« Reprochons-nous [à Dieu] que nous n’avons pas été d’emblée des dieux, mais que nous avons d’abord été créés simplement hommes et puis plus tard dieux ? Bien que Dieu ait opté pour cette façon de faire dans sa pure bienveillance, pour que personne ne puisse l’accuser de discrimination ou de ladrerie, il déclare : « J’ai dit, vous êtes des dieux ; vous êtes tous fils du Très-Haut. »... Parce qu’il fallait tout d’abord que la nature soit manifestée, puis après cela ce qui était mortel serait conquis et englouti dans l’immortalité [4]. »

 

Vers la même époque, Clément d’Alexandrie (vers 150–215 apr. J.-C.) a écrit : « Oui, je le dis, la Parole de Dieu est devenue homme afin que vous puissiez apprendre d’un homme comment devenir un dieu [5]. » Il dit aussi que « si on se connaît soi-même, on connaîtra Dieu et, connaissant Dieu, on deviendra comme Dieu... Il a la beauté, la vraie beauté, car c’est Dieu, et que l’homme devient un dieu, puisque Dieu le veut. Donc Héraclite avait raison quand il a dit : ‘les hommes sont des dieux et les dieux sont des hommes [6].’ »

 

Toujours au deuxième siècle, Justin Martyr (vers 100–165 apr. J.-C.) insiste sur le fait qu’au début les hommes « ont été faits comme Dieu, exempts de souffrance et de mort » et qu’ils sont donc « jugés dignes de devenir des dieux et d’avoir le pouvoir de devenir enfants du Très-Haut [7]. » Athanase, évêque d’Alexandrie (vers 296–373 apr. J.-C.), a également déclaré sa croyance en la déification en termes très similaires à ceux de Lorenzo Snow : « La Parole s’est faite chair afin que nous soyons rendus capables d’être faits dieux... Tout comme le Seigneur, revêtant le corps, est devenu homme, de même, nous, les hommes, nous sommes, nous aussi, divinisés par l’intermédiaire de sa chair et désormais héritons la vie éternelle [8]. » À une autre occasion, Athanase a observé : « Il est devenu homme afin que nous puissions être rendus divins [9]. » Enfin, Augustin d’Hippone (354–430 apr. J.-C.), le plus grand des premiers pères chrétiens, a dit : « Mais celui-là même qui justifie déifie également, car en justifiant il fait des fils de Dieu. ‘Elle [leur] a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » [Jean 1:12]. Si donc nous avons été faits fils de Dieu, nous avons également été faits dieux [10]. »

 

Les cinq auteurs ci-dessus n’étaient pas seulement des chrétiens orthodoxes ; ils furent aussi, avec le temps, vénérés comme des saints. Trois des cinq écrivirent au cours de la centaine d’années qui suivit la période des apôtres et tous les cinq croyaient en la doctrine de la déification. Cette doctrine fit partie du christianisme historique jusqu'à une époque relativement récente, et c’est encore une doctrine importante dans certaines églises orthodoxes orientales. Un auteur affirme qu’un principe fondamental de l’orthodoxie dans la période patristique était de reconnaître « l’histoire de l’univers en tant qu’histoire de la déification et du salut. » Par conséquent, les premiers pères chrétiens ont conclu que « parce que l’Esprit est vraiment Dieu, nous sommes vraiment déifiés par la présence de l’Esprit [11]. »

 

Le Westminster Dictionary of Christian Theology contient les éléments suivants dans un article intitulé « Deification » :

 

La déification (en grec theosis) est pour l’Orthodoxie l’objectif de tout chrétien. L’homme, selon la Bible, est « fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. »… Il est possible à l’homme de devenir comme Dieu, de devenir déifié, de devenir dieu par la grâce. Cette doctrine est fondée sur plusieurs passages de l’AT et du NT (p. ex. Psaumes 82 (81.6 ; II Pierre 1.4), et c’est essentiellement l’enseignement tant de St Paul, bien qu’il ait tendance à utiliser la langue de l’adoption filiale (cf. Romains 8.9–17 ; Galates 4.5–7) que du Quatrième Évangile (cf. 17.21–23).

 

Saint Irénée reprend les termes de II Pierre dans sa célèbre phrase : « Si la Parole a été faitde homme, c’est pour que les hommes puissent être faits dieux » (Adv. Haer V, Préf.), et devient la norme dans la théologie grecque. Au quatrième siècle, saint Athanase répète Irénée presque mot à mot, et au cinquième siècle, st Cyrille d’Alexandrie dit que nous deviendrons fils « par participation » (grec methexis). La déification est l’idée centrale de la spiritualité de St Maxime le Confesseur, pour qui la doctrine est le corollaire de l’Incarnation : « La déification est, en bref, la globalisation et l’accomplissement de tous les temps et de toutes les époques »... et saint Syméon le Nouveau Théologien à la fin du dixième siècle écrit : « Celui qui est Dieu par nature converse avec ceux qu’il a fait dieux par la grâce, comme un ami parle avec ses amis, face à face. »...

 

Enfin, il convient de noter que déification ne signifie pas absorption en Dieu, étant donné que la créature déifiée reste elle-même et distincte. C’est l’être humain dans sa totalité, le corps et l’âme, qui est transfiguré dans l’Esprit en la ressemblance de la nature divine, et la déification est l’objectif de tout chrétien [12].

 

En bref, qu’on l’accepte ou qu’on la rejette, la doctrine de la déification de l’homme a clairement fait partie, pendant des siècles, de l’orthodoxie chrétienne ordinaire. Il est évident que ce n’est pas une invention de Joseph Smith. Au lieu de cela, les saints des derniers jours croient que c’est une vérité éternelle rétablie par les prophètes modernes.

 

Déclarations modernes

 

Pour les saints des derniers jours, ceux qui sont dignes ne recevront l’héritage divin complet que par l’expiation du Christ et seulement après avoir reçu une glorieuse résurrection. Sont proches de la compréhension que les saints ont de la doctrine, les idées exprimées par C. S. Lewis, dont le caractère chrétien authentique est pratiquement incontesté : « C’est une chose sérieuse que de vivre dans une société de dieux et de déesses possibles, de se rappeler que la personne la plus terne et la plus inintéressante à qui vous parlez pourrait un jour être une créature que, si vous le voyiez maintenant, vous seriez fortement tentés d’adorer [13]. »

 

Dans une déclaration plus complète de cette doctrine de la déification, Lewis explique :

 

« Le commandement Soyez parfaits n’est pas du vent idéaliste. Ce n’est pas le commandement de faire l’impossible. Il va faire de nous des créatures qui peuvent obéir à ce commandement. Il a dit (dans la Bible) que nous étions des « dieux » et il va confirmer ses paroles. Si nous le laissons faire–car nous pouvons l’en empêcher si nous le voulons–il fera du plus faible et du plus souillé d'entre nous un dieu ou une déesse, un être éblouissant, radieux, immortel, palpitant d’une énergie, d’une joie, d’une sagesse et d’un amour que nous ne pouvons pas imaginer maintenant , un miroir sans tain brillant rendant parfaitement le reflet de la puissance infinie, de la joie et de la bonté de Dieu (même si c’est, bien sûr, à une plus petite échelle). Le processus sera long et, dans certains domaines, très douloureux ; mais c’est ce qui nous attend. Rien moins que cela. Il pensait ce qu’il disait [14]. »

 

Dieu et le Christ sont les objets du culte des saints des derniers jours. Bien que les mormons croient en la déification ultime de l’homme, rien dans la littérature mormone ne parle d’adorer un être autre que le Père et le Fils. Les saints des derniers jours croient en « un seul Dieu » en ce sens qu’ils aiment et servent une seule Divinité, dont chaque membre possède tous les attributs du divin.

 

Étant donné que les Écritures enseignent que ceux qui obtiennent la vie éternelle vont ressembler à Dieu, recevoir l’héritage de Dieu, recevoir la gloire de Dieu, être un avec Dieu, être assis sur le trône de Dieu et exercer le pouvoir et la domination de Dieu, il ne saurait certainement pas être anti-chrétien de conclure avec C. S. Lewis et d’autres que des êtres comme ceux-là puissent être appelés dieux, pour autant que nous nous souvenions que cet usage du terme dieux ne doit pas réduire ou limiter de quelque façon que ce soit la souveraineté de Dieu, notre Père. C’est comme cela que les premiers chrétiens utilisaient le terme, c’est comme cela que C. S. Lewis utilisait le terme ; et c’est comme cela que les saints des derniers jours utilisent le terme et comprennent la doctrine.

 

Notes

 

[1] Voir Joseph Smith, comp., Lectures on Faith, Salt Lake City, Deseret Book, 1985, 5:3; et Teachings of the Prophet Joseph Smith, p. 346–348.
[2] Le président Snow disait souvent de ce couplet qu’il lui avait été révélé par l’inspiration pendant la période de Nauvoo de l’Église. Voir, par exemple, Deseret Weekly, 3 novembre 1894, p. 610; Deseret Weekly, 8 octobre 1898, p. 513; Deseret News, 15 juin 1901, p. 177; et Journal History of the Church, Historical Department, Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, Salt Lake City, 20 juillet 1901, p. 4.
[3] Irénée, Contre les hérésies, livre 5, préface.
[4] Id., 4.38 (4) ; comparer avec 4.11 (2) : « Mais l’homme reçoit la progression et la croissance vers Dieu. Car comme Dieu est toujours le même, l’homme, lui aussi, quand il se trouve en Dieu, progressera toujours vers Dieu. »
[5] Clément d’Alexandrie, Exhortation aux Grecs, p. 1.
[6] Clément d’Alexandrie, l’instructeur, 3.1. Voir son Stromateis, p. 23.
[7] Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, p. 124.
[8] Athanase, Contre les Aryens, 1,39, 3.34.
[9] Athanase, Sur l’Incarnation, 54.
[10] Augustin, Sur les Psaumes, 50.2. Augustin insiste sur le fait que ces personnes sont des dieux par la grâce et non par nature, mais elles sont néanmoins des dieux.
[11] Richard P. McBrien, Catholicism, 2 t. Minneapolis : Winston Press, 1980, 1:146, 156, italiques dans l’original.
[12] Symeon Lash, « Deification, » dans The Westminster Dictionary of Christian Theology, dir. de publ. Alan Richardson et John Bowden, Philadelphie, Westminster Press, 1983, p. 147–148.
[13] C. S. Lewis, The Weight of Glory and Other Addresses, éd. révisée, New York, Macmillan, Collier Books, 1980, p. 18.
[14] Lewis, Mere Christianity, p. 174–175. Pour un exemple plus récent de la doctrine de la déification dans la chrétienté non mormone moderne, voir M. Scott Peck, The Road Less Traveled, New York, Simon et Schuster, 1978, p. 269–270 : « Nous pouvons tourner autour du pot autant que nous le voulons, nous tous qui postulons un Dieu d’amour et y pensons vraiment, nous en venons finalement à une seule idée terrifiante : Dieu veut que nous devenions Lui-même (ou Elle-même). Nous évoluons vers l’état divin. »