LES DEUX MOITIES D’ESAIE

La Mar Adams

« I have a question », Ensign, octobre 1984, p. 59

Beaucoup de savants non mormons affirment que la deuxième moitié du livre d'Ésaïe a été écrite après l’époque où Léhi a quitté Jérusalem. Or, le Livre de Mormon contient du texte provenant des deux moitiés. Comment cela s’explique-t-il ?

Ce qui pose un problème, c’est le fait que la plupart des savants biblistes disent que le livre d'Ésaïe est la compilation du travail de plusieurs auteurs qui ont vécu sur une longue période de temps [1]. Cette théorie est apparue dès 1100 apr. J.-C., quand Moïse ben Samuel a exprimé sa conviction qu'Ésaïe n'était pas l'auteur de certains chapitres [2]. Je crois, moi, que nous avons de bonnes raisons de croire que l'homme Ésaïe a écrit à l'origine la totalité du livre qui lui est attribué. Léhi aurait donc emporté le livre entier quand il a quitté Jérusalem.

Ce sont les prophéties d'Ésaïe qui ont donné naissance à la théorie des auteurs multiples. Par exemple, Ésaïe mentionne le roi Cyrus de Perse par son nom et dit que c’est Cyrus qui libérera les Israélites de Babylone. Cet événement s’est réellement produit, des décennies après Ésaïe. Cela n’a pas de quoi étonner une personne qui a le témoignage de la prophétie. Mais c’est une impossibilité pour celui qui n’a pas ce témoignage. Ceux qui rejettent l'existence de la prophétie telle que nous la connaissons n'ont d’autre choix que de conclure que le livre d'Ésaïe a dû être écrit par plus d'un homme.

Il y a quelques années, notre groupe de trente-cinq spécialistes des langues sémitiques, des statistiques et de l'informatique à l'université Brigham Young a conçu une analyse du style littéraire pour tester les affirmations de ces savants biblistes. Cette étude, qui a duré plusieurs années, a finalement utilisé plus de 300 logiciels, analysé plusieurs centaines de variables stylistiques et obtenu plus de 4800 comparaisons statistiques.

Le style littéraire en hébreu est beaucoup plus accessible à l'analyse par ordinateur que l’anglais. Cela tient entre autres au fait que la caractéristique hébraïque connue sous le nom de préfixe de fonction peut aider à déterminer les habitudes linguistiques d'un auteur donné. Par exemple, la façon dont un auteur utilise les préfixes de fonction hébreux tels que ceux qui se traduisent « et en cela », « et c’est » et « et à » est censée lui être propre. Ainsi, la comparaison de parties de l’œuvre d'un auteur avec d'autres parties, ainsi que la comparaison de son œuvre avec celle d'autres auteurs, peuvent fournir des données statistiques permettant de déterminer la paternité d’un texte.

Nous avons donc codé sur ordinateur le texte hébreu du livre d'Ésaïe et un échantillonnage aléatoire de onze autres livres de l'Ancien Testament [3]. Nous avons ensuite comparé, d’un texte à l’autre, à l’aide d’un ordinateur le taux des usages littéraires (tels que des formules originales et des expressions idiomatiques comportant le préfixe de fonction et d'autres éléments littéraires de ce genre). Attendu que tout auteur présente des variations internes selon le contexte, l’auditoire, l’évolution de son style et ainsi de suite, nous avons comparé les variations pour un auteur donné aux variations entre auteurs pour un élément littéraire quelconque.

Les résultats de l'étude ont été concluants : il y a un style d’auteur unique dans les diverses sections d'Ésaïe. Les taux d'usage des éléments de ce style sont plus systématiques dans le livre d'Ésaïe, quelle que soit la section, que dans n'importe quel autre livre de l'étude. Cette donnée statistique nous a amenés à la seule conclusion possible : sur la seule base du style, le livre d'Ésaïe s’avère à coup sûr être l’œuvre d'un seul homme. Les deux parties d'Ésaïe que l’on prétend le plus souvent avoir été écrites par des auteurs différents, les chapitres 1–39 et 40–66, se sont révélées plus semblables entre elles par le style qu'à n’importe lequel des onze autres livres de l’Ancien Testament examinés.

Certains savants semblent avoir le désir d'éliminer la prophétie en plaçant la deuxième moitié d'Ésaïe après les événements décrits, rendant historique plutôt que prophétique la mention de ces événements. Mais les saints des derniers jours, avec leur témoignage de la prophétie et avec les nombreux éléments fournis dans les Écritures, affirment depuis longtemps qu’Ésaïe, fils d'Amots, a écrit la totalité du livre d'Ésaïe. Dans le Livre de Mormon, Jacob, Néphi, Abinadi et Jésus citent tous différentes parties d'Ésaïe et chacun mentionne le prophète par son nom. Dans leurs évangiles dans le Nouveau Testament, Matthieu, Luc et Jean le bien-aimé font de même [4].

Quelles que soient les preuves fournies par les Écritures ou par des sources profanes telles que l'analyse par ordinateur, il continuera assurément à y avoir des gens qui essayeront d’écarter les prophéties d'Ésaïe parce qu'ils jugent qu'Ésaïe n’aurait pas pu connaître de tels détails à l'avance. En cela ils se trompent doublement : (1) ils se trompent quand ils pensent qu'Ésaïe n'a pas écrit les chapitres 40–66 et (2) ils se trompent quand ils pensent que les prophètes ne connaissent pas de tels détails. Les paroles des prophètes de Dieu se réalisent invariablement.

Notes

[1] John L. McKenzie, Dictionary of the Bible, New York, The Macmillan Company, 1965, p. 379.
[2] Edward J. Young, An Introduction to the Old Testament, Grand Rapids, Michigan, Eerdman’s Publishing, p. 199.
[3] Des échantillons aléatoires des livres suivants de l’Ancien Testament ont été utilisés dans l’étude: Esdras, Néhémie, Jérémie, Ézéchiel, Daniel, Osée, Amos, Michée, Habacuc, Zacharie et Malachie.
[4] Dans 2 Né 6:5–6, Jacob cite És 49; dans 2 Né 12, Néphi cite És 2 (voir aussi 2 Né 11:2); dans Mosiah 14, Abinadi cite És 53; dans 3 Né 22, Jésus cite És 54 (voir aussi 3 Né 23:1); et dans Jean12:38–41, Jean cite És 53 puis És 6.