La véracité de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours est indissolublement liée à l'authenticité du Livre de Mormon. Ou bien celui-ci est véritablement le document historique qu'il affirme être, et dans ce cas ni Joseph Smith, ni personne d'autre, que ce soit au 19e siècle ou de nos jours, n'aurait pu en être l'auteur, ou bien c'est un faux, et alors il sera inévitablement démasqué par les progrès des connaissances scientifiques, et l'Église se révélera être une fausse église. Or, depuis une cinquantaine d'années, les indices en faveur de l'authenticité historique du Livre de Mormon n'ont cessé de se multiplier au point que quiconque veut mettre le Livre de Mormon (et l'Église) en doute ne peut plus - s'il est intellectuellement honnête - les ignorer. L'article suivant traite d'un de ces indices.

 

Alma, un nom hébreu

 

Paul Y. Hoskisson

Journal of Book of Mormon Studies, vol. 7, n°1, 1998

 

Le nom Alma est utilisé plus fréquemment dans le Livre de Mormon que n'importe quel autre à l'exception de Néphi. Il a aussi fait l'objet de plus d'attention de la part des détracteurs et des défenseurs du Livre de Mormon que n'importe quel autre nom. Certains détracteurs ont estimé que Joseph Smith avait dû tirer Alma d'un mot latin qui signifie « nourrissant » et qui est utilisé comme nom féminin dans certaines langues découlant du latin. Cette supposition erronée a amené ces personnes à affirmer qu'aucun document divin dans la tradition hébraïque n'appliquerait un nom féminin latin à un prophète manifestement masculin du Livre de Mormon.

 

Mais aucune personne bien informée ne commettrait cette erreur aujourd'hui, parce que le nom Alma, comme Hugh Nibley l'a fait remarquer il y a des années[1], apparaît dans un document écrit dans une langue incontestablement sémitique (document découvert en 1963 N. d. T.), une des lettres de Bar Kocheba, dirigeant en Terre Sainte pendant la deuxième révolte juive contre les Romains, vers 130 apr. J.-C. Le nom, utilisé dans un document commercial écrit sous la forme d'une lettre, est Alma ben Yehuda (Alma, fils de Yehuda). La photo en annexe le montre à la fin de la 4e ligne (souvenez-vous que l'écriture va de droite à gauche), épelé 'lm' et au commencement de la 4e ligne à partir de la fin, 'lmh.

 

La consonne au début du nom était écrite, dans cette lettre, avec un aleph, première lettre de l'alphabet hébreu ; toutefois, le nom dérive probablement d'une racine qui commence par un ayin, ‛lm. Dans les derniers siècles avant Jésus-Christ et les premiers siècles après, dans la langue parlée parmi les Juifs, les consonnes aleph et ayin ont commencé à fusionner. En conséquence, les lettres représentant ces sons ont eu tendance à devenir également interchangeables. On peut voir la même convergence dans une autre langue sémitique, le phénicien, où, par exemple, 'lm et ‛lm signifient tous deux « éternité ».

 

La racine d'Alma, ‛lm, apparaît deux fois dans l'Ancien Testament (1 Samuel 17:56 et 20:22) où elle signifie « jeune homme ». Dans les deux cas, une structure de voyelles courante pour les noms dans les langues sémitiques est utilisée (cette structure s'appelle la forme segholée). Dans 1 Samuel 17:56, à cause de sa place dans la phrase, ce mot contient la voyelle originale, le a de la forme katl. par conséquent ‛lm devait être prononcé almu en proto-sémitique, exactement ce qui serait requis de la forme du Livre de Mormon, Alma. (Le -u  final est la désinence du nominatif masculin singulier. Longtemps avant que les indications des voyelles ne soient ajoutées à l'écriture consonantique hébraïque de l'Ancien Testament, ces voyelles avaient quasiment disparu de l'hébreu parlé. Même dans les documents hébreux les plus anciens, quand les désinences auraient théoriquement encore pu exister en hébreu parlé, le texte ne représente normalement aucune voyelle dans l'écriture.)

 

Le -a final d'Alma représente probablement une terminaison hypocoristique. Cela signifie que le nom a été raccourci dans l'Antiquité comme diminutif affectueux. En même temps, ce genre de terminaison hypocoristique était couramment utilisé pour représenter le nom d'une divinité sous une forme radicalement abrégée, la plupart du temps une unique consonne finale, habituellement la lettre aleph, mais aussi par la lettre , comme dans la lettre de Bar Kocheba. L'importance du nom Alma apparaît clairement dans son utilisation comme épithète (un terme utilisé pour caractériser une personne ou une chose) dans un des textes mythiques d'Ugarit. Ugarit était une petite cité-état sur la côte de la Syrie, qui fleurit entre 1500 et 1200 av. J.-C., à la fin de l'âge du bronze. La langue que l'on y parlait était très apparentée à l'hébreu et avait en commun avec lui beaucoup de structures et de mots poétiques précis. Dans une des célèbres épopées d'Ugarit, un héros du nom de KRT est appelé glm'l, « jeune homme [du dieu] El » (KTU 1.14.II.8-9; le son g au début de ce terme ugaritique est l'équivalent d'aleph ou ' en hébreu). Le nom Alma du Livre de Mormon pourrait découler de cette vieille expression sémitique, auquel cas il voudrait dire exactement ce que signifie l'épithète ugaritique : « jeune homme de Dieu », qualificatif qui convient plutôt bien aux deux prophètes du Livre de Mormon qui portent ce nom.

 

D'autres étymologies sont possibles, bien que moins probables. La racine arabe ‛alama/‛alima, « qui connaît, érudit, distingué, chef » (suggérée par Robert F. Smith et John A. Tvedtnes) nous donne des significations plausibles. En outre, 'lm veut dire « lier » ou « être muet » en hébreu et pourrait signifier, avec une terminaison hypocoristique aleph, « Il [Dieu] est lié ».  Toutefois, cette racine n'est présente en hébreu que dans deux formes verbales rares, dont aucune ne justifie l'orthographe telle qu'elle apparaît dans le Livre de Mormon (bien entendu, les Néphites ont pu créer une variante dans l'orthographe au cours des siècles qui se sont écoulés entre le départ de Jérusalem et l'époque d'Alma).

 


 

 


[1] Hugh W. Nibley, critique du Bar-Kochba de Yigael Yadin, BYU Studies, 14/1, 1973, p. 121.