Le Chiasme dans le Livre de Mormon

John W. Welch

Quasiment depuis le jour où le Livre de Mormon est sorti de presse en 1830, ceux qui croyaient au livre ont affirmé qu’il ressemblait manifestement à un texte hébreu. Ceux qui ne se voulaient pas se montrer aussi crédules ont prétendu que de toute évidence il ressemblait à tout sauf à un texte hébreu. En fait, la réalité, c’est que ni les croyants, ni les non croyants n'étaient capable de citer beaucoup d’exemples précis. Aujourd'hui, un phénomène récemment reconnu dans le Livre de Mormon donne maintenant la possibilité de citer beaucoup de passages qui portent indéniablement la marque distincte d’une forme littéraire hébraïque antique. Ce phénomène, c’est la présence de chiasmes.

Qu’est-ce qu’un chiasme ?

La structure chiasmique semble avoir commencé comme technique littéraire insolite utilisée sporadiquement en prose et en poésie par de nombreux auteurs pendant près de 3000 ans. cette forme est restée, sauf dans des cas isolés, dans le subconscient intellectuel de l’Europe occidentale moderne jusqu’à ce que l’on redécouvre de fréquents passages chiasmiques dans la Bible. Depuis ce moment-là (le milieu du 19ème siècle) plusieurs érudits de renom, essentiellement des théologiens, ont publié des ouvrages sur ce sujet. Ceux-ci montrent que bien que certains chiasmes apparaissent en grec, en latin et en anglais, cette forme était hébraïque à l’origine et remonte au moins au 10ème siècles av. J.-C., notamment dans Ésaïe et dans les Psaumes.

La terminologie de chiasme décrit la forme elle-même. Elle provient de la lettre khi (X), 22ème lettre de l’alphabet grec, et du grec : chiazein qui veut dire 'marquer d’un X'. Voici pourquoi on l’utilise. Deux vers d’un poème sont appelés parallèles si les éléments composant un des vers correspondent directement à ceux de l’autre, dans un rapport, pour ainsi dire, d’un à un. Il y a de nombreux exemples de parallélismes directs dans les Proverbes, par exemple Proverbes 15:1 :

Une réponse douce calme la fureur,

Mais une parole dure excite la colère

Si l’on inverse le deuxième vers d’un parallélisme, c’est-à-dire si l’on met son dernier élément au début et le premier à la fin, on crée un chiasme. Le verset suivant (Esaïe 55:8) en est un exemple :

Car mes pensées ne sont pas vos pensées,

Et vos voies ne sont pas mes voies, dit l’Eternel.

Et dans le Nouveau Testament, Matthieu 10:39 :

Celui qui conservera sa vie la perdra,

et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera.

Présenté schématiquement, le chiasme simple prend la forme d’un X :

C’est ainsi qu’une fois inventé, le terme chiasme s’est révélé approprié et est resté. Et tout comme le nom est resté, l’idée du chiasme est également restée en l’arrière-plan dans l’esprit des Occidentaux. Héraclite, l’un des philosophes grecs présocratiques, utilise le chiasme pour mettre en relief sa notion de l’éternité du flux et de l’opposition : 

Ce qui est froid devient chaud

Ce qui est chaud refroidit ;

Ce qui est mouillé sèche,

Ce qui est sec devient mouillé.

Les immortels sont mortels,

Les mortels sont immortels,

Chacun vit la mort des autres

Et meurt la vie des autres.  (Fr. 67)

Plusieurs siècles plus tard, Cicéron utilisa des vers chiasmiques comme technique d’accentuation :

Matrem habemus, ignoramus patrem. (Rep. 2:33)

Certains auteurs anglais, qui ont reçu une formation classique approfondie, se sont tournés tout naturellement vers le chiasme comme forme poétique. C’est ainsi que l’on trouve ce bref chiasme dans l’ « Essay on Man » de Pope :

...flamme indomptée dans la nuit,

détruisant les autres, par lui-même détruit.

Même dans nos comptines et nos maximes modernes, le rythme naturel et l’attrait immédiat des vers chiasmiques est manifeste. Mais le lecteur constatera que tous ces chiasmes ne contiennent que deux éléments, dont l’ordre est ensuite inversé. C’est là un facteur important pour différencier le chiasme connu depuis un certain temps en Occident du chiasme caractéristique de l’hébreu ancien.

Tandis qu’en grec, en latin et en anglais, les chiasmes ne sont pour ainsi dire jamais composés de plus de deux éléments, il n’y a, en hébreu, aucune limite au nombre de termes ou d’idées que l’on peut employer. Un chiasme en hébreu peut être prolongé de manière à comprendre un nombre indéfini de termes écrits dans un ordre donné et ensuite dans l’ordre inverse exact, c’est-à-dire :

a-b-c-d-...-x-x-...-d-c-b-a

Ces structures peuvent comprendre plusieurs vers ou plusieurs chapitres. En voici une illustration simple dans Psaumes 3:7-8 qui utilise cinq éléments dans un parallélisme inversé :

(a) sauve-moi,

(b) mon Dieu!

(c) Car tu frappes

(d) tous mes ennemis

(e) à la joue,

(e) les dents

(d) des méchants

(c) tu brises.

(b) Auprès de l’Eternel

(a) est mon salut.[1]

En voici un deuxième exemple, plus long, qui vient d’Esaïe 60:1-3 

(a) Lève-toi,

(b) sois éclairée,

(c) car ta lumière arrive,

(d) Et la gloire

(e) de l’Eternel

(f) se lève sur toi.

(g) Voici, les ténèbres couvrent la terre,

(g) Et l’obscurité les peuples ;

(f) Mais sur toi se lève

(e) L’Eternel,

(d) Sur toi sa gloire apparaît.

(c) Des nations marchent à ta lumière,

(b) Et des rois à la clarté

(a) de ton lever.

Il y a de nombreuses bonnes raisons pour qu’une forme littéraire de ce type ait séduit l’esprit des Hébreux d’autrefois. Premièrement, le chiasme est facile à mémoriser. La tradition hébraïque, au contraire de la tradition grecque, qui est écrite, était orale. Non seulement les manuscrits et les rouleaux étaient rares, mais il y en avait également peu qui pouvaient les lire. C’est pourquoi les contes de l’Israël d’autrefois et les chants de ses prophètes étaient transmis de génération en génération, de bouche à oreille dans les familles, et de longs passages de la Torah étaient appris par cœur[2]. Dans la mémorisation et la récitation, les regroupements et les répétitions chiasmiques aidaient certainement les Hébreux. Deuxièmement, le chiasme était tout simplement en vogue. Chaque époque et chaque culture a été caractérisée par une forme dominante d’écriture : l’Angleterre du 16ème siècle avait un goût prononcé pour le sonnet et les Grecs du 4ème siècle, Platon en particulier, sont connus pour l’usage fréquent qu’ils faisaient de la dialectique. Le chiasme est resté une forme littéraire courante du monde hébraïque jusqu’au premier siècle après le Christ, moment où il a été détruit avec la plupart des institutions juives.

La redécouverte de chiasmes dans la Bible peut être attribuée à trois archéologues du 19ème siècle : Robert Lowth, John Jebb et John Forbes. Lowth[3], évêque de Londres, et Jebb[4], évêque de Limerick, ont tous deux écrit des ouvrages de 300 pages décrivant les hébraïsmes dans les saintes Ecritures. Mais ils mettent presque entièrement l’accent sur les images poétiques et les parallélismes directs. Seul Jebb accorde beaucoup d’attention à l’épanodos (le nom qu’il utilisait pour désigner le chiasme). Mais en 1854, John Forbes[5] acheva une étude beaucoup plus approfondie, 'The Symmetrical Structure of Scripture'. Avec la publication de ce livre, il est possible de commencer à parler d’une connaissance relativement généralisée des formes chiasmiques dans la Bible. Une vague d’autres auteurs ont suivi Forbes et, en 1860, une section sur le chiasme fut finalement ajoutée au célèbre ouvrage encyclopédique de T. H. Horne, 'Introduction to the Critical Study and Knowledge of the Holy Scriptures'[6]. Cet évènement marque le moment où la forme chiasmique fut reconnue comme authentique et importante.

Le chiasme dans l’Ancien et le Nouveau Testament

La meilleure manière de déterminer l'ancienneté et les caractéristiques hébraïques du chiasme est de l’observer dans la Bible. L’Ancien Testament contient certains des documents écrits les plus anciens qui existent dans l’histoire du monde. Lorsque des structures particulières se répètent d’une manière suivie dans cet ouvrage, on peut en conclure qu’elles représentent des tentatives délibérées de la part des anciens de composer une forme de prose artistique. À propos des caractéristiques hébraïques du chiasme, Nils Lund a formulé sept règles concernant les passages chiasmiques[7]. Les plus intéressantes pour cette étude sont les règles 1, 3 et 7. La règle n°1 dit que le centre du chiasme est toujours la charnière. La règle n°3 note que les idées sont souvent distribuées de manière à se situer au commencement, au milieu et à la fin du chiasme mais nulle part ailleurs. Et la règle n°7 dit qu’il peut y avoir un mélange de lignes à parallélisme direct et à parallélisme inverse dans la même structure. Ces caractéristiques se voient facilement dans les passages bibliques suivants[8] :

(a) Tout ce qui se mouvait sur la terre périt,

(b) tant les oiseaux

(c) que le bétail

(d) et les animaux,

(e) tout ce qui rampait sur la terre,

(f) et tous les hommes.

(g) Tout ce qui avait respiration, souffle de vie dans ses narines,

(h) et qui était sur la terre sèche,

(i) mourut. 

(i) Et furent détruits

(h) tous les êtres

(g) qui étaient sur la face de la terre,

(f) depuis l’homme

(e) et les reptiles

(d) (et les animaux)

(c) jusqu’au bétail,

(b) et aux oiseaux du ciel:

(a) ils furent exterminés de la terre.

- Genèse 7:21-23 -

(a) Cherchez-moi, et vous vivrez!

(b) Ne cherchez pas Béthel,

(c) N’allez pas à Guilgal,

(d) Ne passez pas à Beer-Schéba.

(c) Car Guilgal sera captif,

(b) Et Béthel anéanti.

(a) Cherchez l’Eternel, et vous vivrez!

- Amos 5:4-6  -

(a)Est-ce donc en vous taisant, ô dieux, que vous rendez la justice?

Est-ce ainsi que vous jugez avec droiture, fils de l’homme?

(b) Loin de là! Dans le cœur, vous consommez des iniquités;

Dans le pays, c’est la violence de vos mains que vous placez sur la balance.

(c) Les méchants sont pervertis dès le sein maternel,

Les menteurs s’égarent au sortir du ventre de leur mère.

(d) Ils ont un venin pareil au venin d’un serpent,

D’un aspic sourd qui ferme son oreille,

Qui n’entend pas la voix des enchanteurs,

Du magicien le plus habile.

(e) O Dieu,

(f) brise-leur

(g) les dents dans la bouche ! 

(g) Les mâchoires des lionceaux !

(f) Arrache,

(e) Eternel.

(d) Qu’ils se dissipent comme des eaux qui s’écoulent!

Qu’ils ne lancent que des traits émoussés!

Qu’ils périssent en se fondant,

comme un limaçon;

(c) Sans voir le soleil,

comme l’avorton d’une femme!

(b) Le juste sera dans la joie, à la vue de la vengeance;

Il baignera ses pieds dans le sang des méchants.

(a) Et les hommes diront: Oui, il est une récompense pour le juste;

Oui, il est un Dieu qui juge sur la terre.

- Psaume 58 -

(a) C’est pourquoi je leur parle en paraboles,

(b) parce qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en entendant ils n’entendent ni ne  comprennent.

(c) Et pour eux s’accomplit cette prophétie d’Esaïe:

(d) Vous entendrez de vos oreilles, et vous n’entendrez point; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point.

(e) Car le cœur de ce peuple est devenu insensible;

(f) Ils ont endurci leurs oreilles,

(g) et ils ont fermé leurs yeux,

(h)De peur qu’ils ne voient

(g) de leurs yeux,

(f) qu’ils n’entendent de leurs oreilles,

(e) qu’ils ne comprennent de leur cœur, qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

(d) Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent!

(c) Je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes

(b) ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.

(a) Vous donc, écoutez ce que signifie la parabole du semeur.

- Matthieu 13:13-18 -

Le chiasme dans le Livre de Mormon

Maintenant se pose la question du chiasme dans le Livre de Mormon. Joseph Smith a publié le Livre de Mormon en 1830 dans l’ouest de l’Etat de New York. La première page du livre affirme qu’il a été écrit « dans la langue des Egyptiens », mais selon « la science des Juifs ». C’est-à-dire qu’il a été écrit avec des caractères égyptiens, mais dans le style hébraïque. Si le Livre de Mormon est véritablement la traduction directe d’un texte dont la stylistique est hébraïque, le chiasme doit en faire partie intégrante et doit aider à l’interprétation et à la compréhension de la conception d’ensemble du livre.

Si l’on peut identifier le chiasme de manière convaincante dans le Livre de Mormon, des hébraïsmes précis témoigneront de son origine, parce qu’il n’y a pas la moindre chance pour que Joseph Smith ait pu être informé de l’existence de ce style grâce aux connaissances existantes à son époque. Personne en Amérique, et encore moins dans l’ouest de l’Etat de New York, ne comprenait pleinement ce qu’était le chiasme en 1829. Joseph Smith était mort depuis dix bonnes années quand le livre de John Forbes fut publié en Écosse. Même les érudits éminents d’aujourd’hui ne savent pas grand chose sur le chiasme en dehors du nom et d’un petit nombre de passages où l’on pourrait le trouver. Il y a encore moins de chances que Joseph Smith ait pu remarquer la forme de manière accidentelle, puisque la plupart des passages bibliques contenant des mots en ordre inverse ont été réarrangés dans un ordre naturel, dans la traduction de la King James. Et même s’il avait connu l’existence de cette forme, il aurait quand même eu la tâche écrasante d’écrire des phrases chiasmiques originales de façon artistique. Essayez vous-même d’écrire un sonnet ou un chiasme à niveaux multiples: votre appréciation de ces formes se transformera en respect admiratif. Par conséquent, si l’on constate que le Livre de Mormon contient de véritables formes chiasmiques, ne doit-on pas affirmer sans restriction que le livre est un produit de la culture hébraïque ancienne ?

Deuxièmement, le chiasme met considérablement en valeur le découpage des Ecritures. Si les auteurs anciens du Livre de Mormon ont volontairement mis des éléments déterminés en parallèle les uns avec les autres, ces éléments doivent être examinés ensemble pour être pleinement compris dans leur contexte complet. De plus, les pensées qui apparaissent à la charnière doivent toujours recevoir une attention spéciale et toute idée antithétique introduite dans la charnière doit être mise en contraste avec l’idée correspondante. On pourra trouver la réponse à d’autres questions et l’on fera des observations intéressantes. Les questions de structure au sein de passages courts et d’unité au sein de livres entiers seront rendues claires[9]. Par exemple, c’est le chiasme qui explique pourquoi Néphi a divisé ses écrits en deux livres, au lieu de les laisser tous en un seul livre. On pourra apprécier les questions de style sous l’éclairage qui leur donnait tout leur relief à l’origine, surtout en ce qui concerne les répétitions que l’on a si souvent accusées d’être inutiles et le produit de l’ignorance.

Le chiasme peut apparaître n’importe où dans le Livre de Mormon, bien qu’il caractérise essentiellement le style de la première moitié du livre. Dans la première moitié, ceux qui utilisent le plus cette forme sont Néphi, Benjamin et Alma le Jeune. Ils utilisent le chiasme dans pratiquement tous les contextes possibles, allant des passages purement narratifs ou d’argumentation à des passages d’une belle éloquence poétique. Les exemples qui suivent parlent d’eux-mêmes et ne demandent guère d’explications supplémentaires.

Exemple 1

(a) Et... les Juifs

(b) auront les paroles

(c) des Néphites,

(c) et les Néphites

(b) auront les paroles

(a) des Juifs;

 

(a) et les Néphites et les Juifs

(b) auront les paroles

(c) des tribus perdues d’Israël;

(c) et les tribus perdues d’Israël

(b) auront les paroles

(a) des Néphites et des Juifs

- 2 Néphi 29:13 -

Exemple 2

(a) Les hommes boivent de la damnation pour leur âme

(b) s’ils ne s’humilient,

(c) et ne deviennent comme des petits enfants,

(d) et ne croient que le salut est dans le sang expiatoire du Christ.

(e) Car l’homme naturel

(f) est ennemi de Dieu,

(g) et l’est depuis la chute d’Adam,

(f) et le sera pour toujours et à jamais,

(e) à moins qu’il ne se rende aux persuasions de l’Esprit Saint,

(d) et ne se dépouille de l’homme naturel,

(c) et ne devienne un saint par l’expiation du Christ,

(b) et ne devienne semblable à un enfant,

(a) soumis, doux, humble

 

- Mosiah 3:18-19 -

Exemple 3

(a) Et quiconque ne prend pas sur lui le nom du Christ

(b) devra être appelé par un autre nom ;

(c) c’est pourquoi, il se trouve à la gauche de Dieu.

(d) Et je voudrais que vous vous souveniez aussi que c’est là le nom...

(e) qui ne serait jamais effacé

(f) si ce n’est par la transgression ;

(f) veillez à ne pas transgresser,

(e) afin que le nom ne soit pas effacé de votre cœur...

(d) Je voudrais que vous vous souveniez de toujours retenir ce nom...

(c) afin de ne pas vous trouver à la gauche de Dieu,

(b) mais que vous entendiez et connaissiez la voix par laquelle vous serez appelés

(a) et aussi le nom par lequel il vous appellera.

- Mosiah 5:10-12 -

Faut-il le dire ? L’ordre des mots de ces deux derniers exemples est étonnant. Ces passages ne sont que de petits éléments de la structure chiasmique très complexe de l’ensemble du discours du roi Benjamin. Le fait que celui-ci utilise le chiasme n’est pas illogique. Au moment où il fait son célèbre discours, il s’exprime au cours d’un couronnement traditionnel et on peut donc s’attendre à ce qu’il utilise la rhétorique la plus traditionnelle et la plus convaincante dont il dispose. Les idées de Benjamin avaient été soigneusement préparées au préalable et de plus, « il fit écrire les paroles qu’il disait et les fit envoyer parmi ceux qui n’étaient pas à la portée de sa voix ». Ce soin méticuleux mis à rédiger un discours était la règle plutôt que l’exception chez les prophètes du Livre de Mormon.

Exemple 4

(a) Et ils me dirent : Non, car le Seigneur ne nous révèle rien de pareil.

(b) Voici, je leur dis : Comment se fait-il que vous ne gardiez pas les commandements du Seigneur?

(c) Comment se fait-il que vous vouliez périr

(d) à cause de l’endurcissement de votre cœur?

(e) Ne vous souvenez-vous pas des choses que le Seigneur a dites?

(d) Si vous ne vous endurcissez pas le cœur,

(c) et me demandez avec foi, croyant que vous recevrez,

(b) étant diligents à garder mes commandements,

(a) assurément ces choses vous seront révélées

- 1 Néphi 15:9-11 -

Un chiasme peut également apparaître comme un instrument de logique, car son caractère complet parachève avec force une pensée et en regroupe fermement tous les éléments épars. Néphi a utilisé ce système de raisonnement avec tant de succès contre ses frères rebelles, qu’en rédigeant plus tard les événements des douze années d’expédition de sa famille, il pouvait encore se rappeler fièrement sa réprimande si bien tournée. La charnière de l’argument est une question qui va au fond des choses : « Ne vous souvenez-vous pas des choses que le Seigneur a dites ? » La même pensée concernant ce que le Seigneur a dit ou dira apparaît, comme il convient, aux extrémités aussi bien qu’au centre de ce chiasme. Notez aussi que la première moitié du chiasme contient les paroles de Néphi, mais que la deuxième moitié est construite au départ des paroles du Seigneur, ce qui s’accompagne d’une transition adroite au centre. Qui Néphi pouvait-il avoir comme meilleur partenaire de discussion dans son parallélisme que l’Ecriture ? En fait, les deux seuls termes du passage qui ne sont pas identiquement parallèles sont périr et demandez avec foi. Néphi établit peut-être un contraste entre la force vivante de la vraie foi et la crainte sinistre de la mort qui accompagne quiconque voyage dans le désert.

Exemple 5

(A) Voici, le Seigneur a créé la terre

afin qu’elle soit habitée ;

et il a créé ses enfants

afin qu’ils la possèdent         

(B) Et il suscite

une juste

nation

et détruit

les nations

des méchant

(B’) Et il emmène

les justes

dans des pays précieux,

et les méchants,

il les détruit

et il maudit le pays pour eux par leur faute.

(A’) Il règne là-haut dans les cieux,

car c’est son trône,

et cette terre

est son marchepied.

- 1 Néphi 17:36-39 -

Ce passage est une trouvaille complexe. Il combine magistralement des parallélismes directs et des parallélismes inverses. Les parties A et A’ contiennent chacune des pensées directement parallèles, à savoir, dans A, la création, par le Seigneur, de la terre et la création de ses enfants, et dans A’, le trône du Seigneur et son marchepied. Il est intéressant de voir que le mot terre apparaît dans A et A’. Les parties B et B’ sont constituées de quatre lignes poétiques, chacune contenant deux fois trois parties. Deux des trois parties sont inversées quand elles apparaissent pour la deuxième fois, comme ceci :

justes / nations

nations / des méchants

il emmène   / les justes

les méchants  / il les détruit.

En outre, ces parties inversées viennent à la fin des lignes dans B, mais elles apparaissent au début des lignes dans B’. Cela laisse les mots suscite et détruit au commencement de B et pays précieux et maudit le pays à la fin de B’ dans une forme parallèle directe. C’est ainsi qu’un autre chiasme est créé entre les parties directement parallèles de B et de B’ et les parties inversées de B et de B’, c’est-à-dire:

B’ inversé direct

B direct inversé

Et ce n’est pas tout: la première ligne de B et la première ligne de B’ expriment la même idée, la bénédiction des justes, tandis que la deuxième ligne de B et la deuxième ligne de B’ expriment l’idée que le mal est puni. C’est ainsi qu’au milieu de parallélismes inverses , le parallélisme direct est également habilement maintenu.

Exemple 6

Et tous sont pareils pour Dieu,

tant le Juif

que le Gentil.

Mais voici, dans les derniers jours,

(X)

ou dans les jours des Gentils—

oui, voici, toutes les nations des Gentils

et aussi les Juifs

             

(A) ils seront ivres d’’iniquité

lorsque le Seigneur des armées les châtiera

 

(B) Et toutes les nations qui combattent Sion

seront comme un songe, une vision nocturne

             

(C) Il en sera pour elles comme 

de celui qui a faim

et qui rêve,

qu’il mange,

puis s’éveille,

l’estomac vide ;

 

(C’) ou comme de celui qui a soif

et qui rêve,

qu’il boit,

puis s’éveille,

épuisé et languissant ;

 

(B’) ainsi en sera-t-il de la multitude des nations

qui viendront attaquer la montagne de Sion.

 

(A’) Car voici, vous tous qui commettez l’iniquité,...

vous serez ivres...

Car voici, le Seigneur a répandu sur vous un esprit d’assoupissement.

             

Car voici, vous avez fermé vos yeux,

et vous avez rejeté

les prophètes ;

(X’)

 vos têtes

et les voyants,

[il a voilés]

à cause de votre iniquité

- 2 Néphi 27 : 1-5 -

Exemple 7

(A) La signification du mot restauration est de ramener

le mal au mal,

ou le charnel au charnel,

ou le diabolique au diabolique -

 

(w1w2) le bien à ce qui est bien,

 

(x1x2) le droit à ce qui est droit,

 

(y1y2) le juste à ce qui est juste,

 

(z1z2) le miséricordieux à ce qui est miséricordieux.

 

C’est pourquoi, mon fils, veille à être

 

(z’1) miséricordieux envers tes frères ;

 

(y’1) agis avec justice,

 

(x’1) juge avec droiture

 

(w’1) et fais continuellement le bien ;

 

et si tu fais toutes ces choses, alors tu

recevras ta récompense ; oui,

(z’2) la miséricorde te sera rendue ;

 

(y’2) la justice te sera rendue ;

 

(x’2) un jugement droit te sera rendu ;

 

(w’2) et le bien te sera rendu en récompense.

 

Car ce que tu envoies au dehors

reviendra vers toi et te sera rendu ;

(A’) c’est pourquoi le mot restauration condamne plus complètement

le pécheur et ne le justifie pas du tout.

- Alma 41:13-15 -

L’astuce ici est ingénieuse: après avoir donné quatre paires de termes, Alma apparie deux listes de quatre termes et en inverse en même temps l’ordre. Ou pour utiliser un chiasme pour décrire ce chiasme: Alma écrit une liste de paires et ensuite une paire de listes. Sérieusement, voilà un extraordinaire jeu de mots.

L’utilisation du chiasme qui est de loin la plus subtile est son rôle dans la conception structurelle de passages plus longs et de livres. Le livre de Mosiah est un de ces passages longs qui utilise une structure chiasmique dans son organisation sous-jacente.

Exemple 8

Le livre de Mosiah :

(A) Le roi Benjamin exhorte ses fils (1:1-8)

(B) Mosiah choisi pour succéder à son père (1:10)

(C) Mosiah reçoit les annales (1:16)

(D) Discours de Benjamin et paroles de l’ange (2:9-5:15)

(E) Le peuple contracte l’alliance (6:1)

(F) Des prêtres sont consacrés (6:13)

(G) Ammon quitte Zarahemla pour le pays de Léhi-Néphi (7:1-6)

(H) Le peuple en servitude. Ammon mis en prison (7:15)

(I) Les 24 plaques d’or (8:9)

(J) Les annales de Zénif commencent à son départ de Zarahemla (9:1)

(K) Défense contre les Lamanites (9:14-10:20)

(L) Noé et ses prêtres (11:1-15)

(M) Abinadi persécuté et mis en prison (11-12)

(N) Abinadi lit la vieille loi aux prêtres (13-14)

 

(N’) Abinadi fait ses propres prophéties (15-16)

(M’) Abinadi persécuté et tué (17:5-20)

(L’) Noé et ses prêtres (18:32-20:5)

(K’) Les Lamanites menacent le peuple de Limhi (20:6-26)

(J’) Les annales de Zénif prennent fin à son départ de Néphi-Léhi (22:16)

(I’) Les 24 plaques d’or (21:27 ; 22:14)

(H’) Le peuple d’Alma en servitude (23)

(G’) Alma quitte le pays de Léhi-Néphi pour Zarahemla (24)

(F’) L’Eglise organisée par Alma (25:14-24)

(E’) Les incroyants refusent de faire alliance (26:1-4)

(D’) Paroles d’Alma et paroles de l’ange du Seigneur (26-27)

(C’) Alma le Jeune reçoit les annales (28:20)

(B’) Des juges choisis au lieu des rois (29:5-32)

(A’) Mosiah exhorte son peuple (29:5-32) 

 

Il est clair que l’on n’atteint les fondements de la littérature chiasmique que lorsque l’on découvre son organisation sous-jacente. Le livre de Mosiah en est la preuve évidente, car il est certain qu’il n’a pas d’ordre chronologique et que l’on peut s’y perdre si on suit le mauvais schéma d’organisation. Tout comme le livre de Mosiah, 1 Néphi, le discours du roi Benjamin et Alma 36 utilisent comme fondement une structure chiasmique. Dans 1 Néphi, par exemple, comparez les chapitres 7 et 16, ensuite les chapitres 8 et 15 et ainsi de suite. Cela explique aussi la division entre 1 Néphi et 2 Néphi.

On peut concevoir que les passages courts étudiés jusqu’ici auraient pu apparaître par inadvertance (voir l’exemple 1). Mais des passages aussi complexes que les quelques derniers cités ne peuvent pas être le fruit du hasard.

Exemple 9

Alma 36 est également stupéfiant :

(a) Mon fils, prête l’oreille à mes paroles (v. 1)

(b) Garde les commandements et tu prospéreras dans le pays (v. 1)

(c) Captivité de nos pères ; car ils étaient dans la servitude (v. 2)

(d) Il les a assurément délivrés (v. 2)

(e) Confiance en Dieu (v. 3)

(f) Fortifié dans les épreuves, les difficultés, les afflictions (v. 3)

(g) Exalté au dernier jour (v. 3)

(h) Je connais non par moi-même, mais par Dieu (v. 4)

(i) Né de Dieu (v. 5)

(j) Membres paralysés (v. 6)

            

(A) La Souffrance de la Conversion  

détruit (v. 9)

torturé d’un tourment éternel (v. 12)

déchirée au plus haut degré (v. 12)

torturée par tous mes péchés (v. 13)

tourmenté par les souffrances de l’enfer (v. 13)

horreur inexprimable (v. 14)

être banni et être anéanti (v. 15)

souffrances d’une âme damnée (v. 16)

Invoque Jésus-Christ (v. 18)

 

(A') La Joie de la Conversion

plus de souffrance (v. 19)

quelle joie (v. 20)

quelle merveilleuse lumière (v. 20)

âme remplie d’une joie aussi extrême que l’avait été ma souffrance (v. 20)

rien d’aussi raffiné (v. 21)

rien d’aussi doux que m’a joie (v. 21)

chanter et louer Dieu (v. 22)

aspirait à être avec Dieu (v. 22)

 

(j) Retrouve l’usage des membres (v. 23)

(i) Né de Dieu (v. 26)

(h) La connaissance que j’ai est de Dieu (v. 26)

(f) Fortifié dans des épreuves, des difficultés, des afflictions (v. 27)

(e) Je place ma confiance en lui (v. 27)

(d) Il me délivrera (v. 27)

(c) Egypte -- captivité (vv. 28-29)

(g) Savoir comme je sais (v. 30)

(b) Garde les commandements et tu prospéreras dans le pays (v. 30)

(a) Ceci est conforme à sa parole (v. 30)

 

Deux points encore méritent commentaire: premièrement, le contraste entre la souffrance et la joie, qu’Alma aimerait rendre aussi frappant que possible, est rendu explicite au verset 20 : « Mon âme était remplie d’une joie aussi extrême que l’avait été ma souffrance. » Deuxièmement, Alma met la charnière de sa vie à la charnière du chapitre, c’est-à-dire que le Christ se situe au centre des deux.

Conclusion

La structure du Livre de Mormon repose sur le chiasme, élément fondamental de l’hébreu antique. Même si tout ce que l’on a su de cette forme est resté en veilleuse pendant des siècles, celle-ci n'a été redécouverte qu'au 19ème siècle, alors que le Livre de Mormon était imprimé depuis longtemps. Étant donné que le Livre de Mormon contient de nombreux chiasmes, il devient donc logique de le considérer comme un produit du monde antique et d’en juger en conséquence les qualités littéraires. Étudié de cette façon, le livre est émouvant et mérite d’être lu plus soigneusement.

 

 

 


[1] De légères modifications ont dû être apportées aux passages cités pour rendre les chiasmes plus apparents (NdT).

[2] Paul Gaechter, Die literarische Kunst im Matthäus-Evangelium, Stuttgart, Verlag Katholisches Bibelwerk, 1965, p. 6.

[3] Robert Lowth, De Sacra Poesi Hebraeorum Praelectiones Academicae, traduction anglaise Mass. 1829.

[4] John Jebb, Sacred Literature, Londres, 1820.

[5] John Forbes, The Symmetrical Structure of Scripture, T. & T. Clark, Edinburgh, 1854.

[6] T. H. Horne, Introduction to the Critical Study and Knowledge of the Holy Scriptures, 3 volumes, 11ème édition, Londres, 1860.

[7] Nils Lund, Chiasmus in the New Testament, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1942, pp. 40-41.

[8] Beaucoup de chiasmes n’ont pas survécu à la traduction de la King James, alors qu’ils sont clairs comme de l’eau de roche en hébreu. Ces exemples sont souvent des traductions mot à mot de l’hébreu ou du grec.

[9] La première édition du Livre de Mormon a été imprimée sous forme de paragraphes ordinaires sans versets. Des divisions de chapitre arbitraires apparaissent dans l’édition de 1830 (1 Néphi avec sept chapitres, 2 Néphi avec quinze, etc.). La répartition actuelle en chapitres et en versets a été faite en 1879 par Orson Pratt. Il n’est donc pas nécessaire de tenir compte des chapitres et des versets quand on étudie la structure d’un passage. En fait, beaucoup de chiasmes qui sont difficiles à repérer dans les pages à parallèles des éditions modernes ressortent bien dans les pages ordinaires de la première édition. BYU Studies 10 (1969)