LA GUERRE CONTRE LES SAINTS DE DIEU

par Stephen E. Robinson
Ensign, janvier 1988, pp. 34-39

La guerre contre Babylone, la grande et abominable, a commencé avant la formation du monde et continue à toutes les époques.

Dans 1 Néphi 13-14, le prophète Néphi raconte une vision dans laquelle il a vu l'avenir du monde et de ses royaumes en ce qui concerne sa postérité. La vision de Néphi est le type de révélation que l'on appelle apocalyptique en littérature biblique, un type parfaitement représenté dans le Nouveau Testament par l'Apocalypse de Jean. Les deux révélations ont cependant davantage en commun que la forme apocalyptique, car elles traitent, l'une et l'autre, d'une notion souvent mal comprise: la grande et abominable Église du diable. Ensemble, les visions nous donnent des renseignements prophétiques sur le sujet.

Cependant, avant de poursuivre, nous devons définir les termes qui ont trait aux deux visions:

Le mot grec apostasia signifie rébellion ou révolution. Il exprime l’idée d'une reprise en main interne par des factions hostiles aux intentions des dirigeants précédents. Je préfère personnellement la traduction mutinerie, car elle suggère que des membres non autorisés s'emparent d'un navire et le conduisent là où il n'est pas censé aller. Étant donné que les premiers chrétiens considéraient souvent l’Église comme un bateau, je pense que mutinerie contient la même idée que ce que Paul et d'autres voulaient dire par le terme apostasia (voir 2 Th. 2:3).

Le mot grande, dans l'expression grande et abominable Église, est un adjectif qui exprime la quantité plutôt que la qualité et, comme l’hébreu gadol ou le grec megas, nous informe de la grande taille de la grande et abominable entité. Des sens secondaires pourraient désigner une grande richesse ou une grande puissance.

Le terme abominable est utilisé dans l'Ancien Testament pour décrire ce que Dieu hait, ce qui ne manque pas de susciter sa colère. Dans Daniel, l'abomination du dévastateur est cette chose qui est si haïssable pour Dieu que sa présence dans le temple fait partir la présence divine, laissant le sanctuaire abandonné. Dans l'Ancien Testament, les termes traduits par abominable ou abomination (racine hébraïque shiqqoutz, ta'ab, piggoul; version des Septante et Nouveau Testament grec bdelugma) sont habituellement associés au culte idolâtre ou à une immoralité sexuelle grossière.

Le mot église (hébreu qahal ou edah; grec ekklesia) avait anciennement un sens légèrement plus large que maintenant et désignait une assemblée ou une association de personnes qui s'étaient liées entre elles et avaient les mêmes loyautés en commun. Le terme n'était donc pas nécessairement restreint à des associations religieuses ; en fait, à Athènes, les Grecs utilisaient ce terme pour désigner l’assemblée législative du gouvernement.

À l'origine, le terme ekklesia, formé à partir des mots signifiant appeler et hors, désignait les citoyens que des hérauts appelaient hors de chez eux ou convoquaient à des réunions publiques. C'était donc le mot idéal pour représenter le groupe de personnes que Dieu « appelle hors » du monde par l'intermédiaire du Saint-Esprit. La dimension civile de ce mot apparaît dans Actes 19:32, où assemblée est la traduction du grec ekklesia. Nous ne devons cependant pas oublier que nous ne connaissons pas le mot originel qui se trouvait sur les plaques d'or que Joseph Smith a traduit par Église. Quel qu’ait été ce mot, le prophète a choisi de le traduire par Église plutôt que par assemblée.

Lorsque nous assemblons tout cela, nous constatons que l'expression grande et abominable Église désignait une assemblée ou une association immense de gens liés entre eux par leur loyauté à ce que Dieu hait. Il est très vraisemblable que cette « Église » se livre spécifiquement à l'immoralité sexuelle, à l'idolâtrie (c'est-à-dire au culte des faux dieux) ou aux deux. Bien que l'Apocalypse n'utilise pas l'expression exacte « grande et abominable Église », Jean et Néphi utilisent l’un et l'autre un certain nombre d'expressions semblables pour la décrire. Ils l'appellent la « mère des prostituées et des abominations », « mère des abominations » et « la prostituée qui est assise sur de nombreuses eaux » (Ap 17:1, 5; 1 Né 14:10-11).

Les caractéristiques principales de la grande et abominable Église décrite dans 1 Néphi peuvent être énumérées comme suit :

1. Elle persécute, torture et tue les saints de Dieu ( voir 1 Né 1:5).
2. Elle recherche la richesse et le luxe (voir 1 Néphi 13:7-8).
3. Elle est caractérisée par l’immoralité sexuelle (voir 1 Né 13:7).
4. Elle a ôté des choses claires et précieuses des Écritures (voir 1 Né 13:26-29).
5. Elle exerce sa domination sur toute la terre, parmi toutes les nations, familles, langues et peuples (voir 1 Né 14:11).
6. Elle subira son sort lors d’une guerre mondiale, les nations qu'elle pousse contre les saints se feront la guerre jusqu'à ce que la grande et abominable église soit elle-même détruite (voir 1 Né 22:13-14).

Un autre symbole utilisé dans l'Apocalypse pour représenter la grande et abominable église, ainsi que l'esprit profane et la méchanceté en général, c'est Babylone. Cinq des six caractéristiques mentionnées dans 1 Néphi sont également attribuées à Babylone dans l'Apocalypse.

1. Babylone est ivre du sang des saints, des martyrs de Jésus et des prophètes (voir Ap 17:6; 18:24).
2. Elle est connue pour sa grande richesse et son luxe (voir Ap 17:4; 18:3, 11-16).
3. Elle se caractérise par une immoralité sexuelle débridée (voir Ap 17:1-2, 5).
4. Elle exerce sa domination sur toutes les nations (voir Ap 17:15, 18; 1:3, 23-24).
5. Elle subira son destin de la part des rois mêmes qui, à cause de ses séductions, ont fait la guerre à l'Agneau (voir Ap 17:14-16 ; 18:23).

L'unique caractéristique qui ne soit pas commune aux descriptions des deux prophètes est la déclaration de Néphi que la grande et abominable église a ôté des parties importantes du canon des Écritures. Cette omission dans l'Apocalypse n'est pas étonnante puisque les annales de Jean sont une des Écritures dont Néphi dit qu'on y a touché (voir 1 Né 14:23-24).

Quand nous relevons les caractéristiques de Babylone, nous devons prendre soin de faire la distinction entre elle et la bête d'Apocalypse 17. Elles ne représentent pas les mêmes choses, bien que la bête soutienne la grande et abominable église (voir Ap 17:3, 7). La bête, par exemple, est totalement absente de la description de la grande et abominable église faite par Néphi.

Babylone, la « femme... vêtue de pourpre et d'écarlate », décrite dans Apocalypse 17-18, est spécifiquement la contrepartie satanique de la femme vertueuse du chapitre 12, qui symbolise l’Église de Jésus-Christ forcée de se retirer dans le désert (voir TJS Ap 12:6) – c’est-à-dire de devenir inaccessible aux êtres humains. Le fait de symboliser la fausse église par une femme immorale souligne sa méchanceté: elle est physiquement et spirituellement infidèle, représentant l’immoralité sexuelle et l'idolâtrie, la double abomination de l'Ancien Testament. C'est ainsi qu'elle est « la mère des abominations ».

Il apparaît dans l'Apocalypse que, tandis que le symbole de la femme impudique représente la fausse religion, les bêtes, l'image de la bête et ses cornes représentent d'autres aspects du royaume du diable. La « mère des prostituées » ne peut pas représenter des royaumes ou des gouvernements, qui le sont par la bête et ses cornes (voir Ap 17:12; aussi TJS Ap 13:1) – mais elle peut représenter les fausses croyances et les fausses idéologies qui souvent s'emparent des gouvernements et les motivent.

Le même génie mauvais, Satan, le dragon ancien, est derrière les deux, mais la bête et la prostituée symbolisent des entités distinctes ayant des fonctions séparées dans l'empire du mal.

Quand les gouvernements civils (les rois de la terre) commettent la fornication avec la fausse religion – c'est-à-dire quand l’Église et l’État sont associés – alors le vin de leur fornication enivre le monde entier et ses péchés et ses fléaux parviennent jusqu'au ciel (voir Ap 17:2 ; et 18:3-5). L’immoralité et l’idolâtrie de la grande et abominable église, de concert avec le pouvoir de l’État, dominent l'économie et le mode de vie de toutes les nations et détruisent l'équilibre et le discernement spirituel des êtres humains.

Dans ce contexte, nous ne devons pas oublier l'utilisation que fait Satan des combinaisons secrètes. Le Livre de Mormon nous dit clairement que les combinaisons secrètes existent dans toutes les nations depuis le commencement des temps. Ces organisations secrètes sont intimement liées à Babylone pour la recherche du pouvoir et de la richesse et pour tuer les saints de Dieu. Moroni se lamente de ce que les combinaisons secrètes ont causé la destruction des Jarédites et de son propre peuple et avertit qu’un sort semblable attend toutes les nations qui permettent à ces combinaisons de prospérer (voir Éther 8).

La plus grande difficulté que l'on peut rencontrer pour comprendre la description que fait Néphi de la grande et abominable église est ce qui semble être une contradiction entre le chapitre 13 et le chapitre 14. Dans 1 Néphi 13, la grande et abominable église est une église précise parmi beaucoup d'autres. Autrement la description qu'en fait Néphi, quand il dit qu'elle est « la plus abominable, par-dessus toutes les autres Églises » (1 Né 13:5, 26) n'a pas de sens. De plus, la grande et abominable église du chapitre 13 a une description historique précise : elle a été formée parmi les Gentils après que les Juifs ont transmis la Bible dans sa pureté aux Gentils (1 Néphi 13:26). Elle est aussi l’agent historique spécifique responsable de l'excision de vérités claires et précieuses des Écritures.

À cela nous devons ajouter l’information donnée dans Doctrine et Alliances 86:1-3, qui dit que la grande et abominable église a fait son oeuvre après que les apôtres se sont « endormis », c'est-à-dire après la fin du 1er siècle de notre ère. Dans l'Apocalypse, le rôle de la prostituée a aussi un cadre historique. Elle entre en scène après l'apparition de la bête, qu'elle monte et qui la soutient, et elle est éliminée de la scène alors que la bête continue (voir Ap 13:1; 17:3, 7, 16). Il est clair qu’ici « grande et abominable » désigne une église bien précise parmi beaucoup d'autres qui ne sont pas « grandes et abominables ».

La contradiction apparente se trouve dans 1 Néphi 14:10, où il nous est dit que l'église du diable est constituée de toutes les organisations qui ne sont pas associées à l'Église de Jésus-Christ.

« Voici, il n'y a que deux Églises ; l'une est l’Église de l'Agneau de Dieu, et l'autre est l’Église du diable. »

Comment cela se peut-il ? Comment l’église ou les églises du diable peuvent-elles être une et nombreuses en même temps ? La contradiction apparente nous donne en fait la solution à l'ensemble du problème et, en fin de compte, notre identification de la grande et abominable église. La réponse est que le terme est utilisé de deux manières différentes dans 1 Néphi 13-14. Au chapitre 13, il est utilisé historiquement et au chapitre 14 il est utilisé de manière typologique.

Dans la littérature apocalyptique – n'oubliez pas que la révélation donnée à Jean et dans 1 Néphi 13-14 sont de nature apocalyptique – le voyant est ravi en vision et voit les choses sous l'angle de Dieu. Le temps cesse d'être un élément important : c’est là une des raisons pour lesquelles la chronologie de l'Apocalypse nous semble parfois mélangée. Pour Dieu, il n'y a pas de temps comme nous le calculons (voir Alma 40:8).

Les visions apocalyptiques sont hautement symboliques, nécessitant habituellement la présence d'un ange pour servir d'interprète pour que le voyant comprenne ce qu'il voit. Les symboles sont exhaustifs, c'est-à-dire qu'ils représentent des catégories dans lesquelles tous les exemples spécifiques de quelque chose peuvent être placés. C'est la raison pour laquelle la grande et abominable église peut être appelée Ninive (certains termes de Jean viennent de la description de Ninive dans Nahum 3), ou Babylone, Sodome, l'Égypte, Jérusalem ou Rome. Les noms changent, mais le caractère – « la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre » – reste le même dans toutes les dispensations.

Dans ce sens, l’église du diable est l'équivalent du « grand et spacieux édifice » dont Néphi et son père ont la vision (voir 1 Néphi 8:26-28, 31, 33-34 ; 11:35-36). La description apocalyptique du grand et spacieux édifice correspond aux caractéristiques de l'église du diable ; la construction artificielle sans fondations représente le monde charnel, et ses valeurs et son mode de vie l’amènent à se moquer du royaume de Dieu. Elle combat les apôtres de Jésus-Christ et sa chute sera grande, car « c’est ainsi que sera la destruction de toutes les nations, tribus, langues et peuples qui combattront les douze apôtres de l'Agneau » (1 Néphi 11:36).

Pour donner une autre illustration, prenons le nom de la grande et abominable église : Babylone. Une lecture rapide et littérale de l'Apocalypse pourrait nous porter à croire que l'on nous décrit une ville déterminée et nous allons vouloir savoir quelle ville Babylone représente. Toutefois, si nous lisons plus soigneusement, nous voyons que Babylone n'est pas une seule ville mais beaucoup, qui toutes rentrent dans la catégorie plus générale de « la grande ville ».

Babylone est l'antithèse de la cité de Dieu, la Jérusalem céleste ou Sion. De même que Sion se trouve là où demeurent ceux qui ont le cœur pur (voir D&A 97:21), de même Babylone se trouve partout où vivent les méchants. Les saints des derniers jours ne semblent pas avoir la moindre difficulté à comprendre que Sion est une catégorie spirituelle qui peut, dans différents contextes, désigner Salt Lake City, une branche dans une région lointaine du monde, Far West, Jérusalem, la ville d'Hénoc ou la nouvelle Jérusalem. Alors pourquoi est-il difficile de comprendre Babylone, l'opposé de Sion, de la même manière?

C'est cette identité variable que Jacob nous enseigne dans 2 Néphi 10:16 : « Ceux qui combattent Sion, tant Juifs que Gentils, tant esclaves que libres, tant hommes que femmes, périront ; car ce sont ceux-là qui sont la prostituée de toute la terre, car ceux qui ne sont pas pour moi sont contre moi, dit notre Dieu » (italiques ajoutées).

Ainsi donc, dans ce contexte, quiconque lutte contre Sion peut être placé dans la catégorie de Babylone. Dans la littérature apocalyptique, la distribution des personnages est constante. Il n'y a qu'un seul scénario et une seule intrigue depuis la fondation du monde jusqu'à sa fin, et les rôles et les répliques du drame sont toujours les mêmes d'une dispensation à l'autre, même si les personnes et les institutions qui jouent les rôles et disent les répliques changent avec le temps.

La chose importante à savoir, c’est ce que sont les éléments constitutifs, les caractéristiques qui permettent l’identification des catégories typologiques. Nous pouvons alors nous orienter dans n’importe quelle époque et n’importe quel lieu et savoir qui y joue les rôles de Babylone et de Sion. Cela vaut, bien entendu, aussi pour notre époque.

Une fois que nous comprenons que le terme grande et abominable église a deux utilisations, l'une ouverte (exhaustive et archétypique), l'autre fermée (exclusive et historique), le reste devient plus facile. Dans 1 Néphi, l’ange et Néphi parlent tous deux de l'institution bien précise qui jouait le rôle de Babylone dans l'empire romain du deuxième siècle de notre ère : « Vois la formation d’une Église qui est la plus abominable, par-dessus toutes les autres Églises », qui torture et tue les saints de Dieu, se délecte de l'or et des soieries et ôte beaucoup de parties de l'Évangile du Christ (1 Né 13:5 ; voir aussi 1 Né 13:8, 26).

Par contre, au chapitre 14, verset 10, Néphi décrit les catégories archétypiques : « Il n'y a que deux Églises » : l’Église de l’Agneau de Dieu, ou Sion ; et l'Église du diable, ou Babylone. « Quiconque n'appartient pas à l'Église de l'Agneau de Dieu appartient à cette grande Église qui est la mère des abominations ; et elle est la prostituée de toute la terre. »

La littérature apocalyptique est dualiste. Étant donné qu'elle traite de types, tout se ramène à des principes opposés : l'amour et la haine, le bien et le mal, la lumière et les ténèbres. Il n'y a pas de zones d'ombre dans les textes apocalyptiques. Dans ce sens, il y a deux catégories dans le domaine de la religion : la religion qui sauve et la religion qui ne sauve pas. La première est l’Église de l'Agneau, la seconde, quelque bien intentionnée qu'elle soit, est une contrefaçon.

Cependant, au sens historique du terme, il n'y a qu'une seule entité qui puisse être la grande et abominable église. Les églises bien intentionnées ne pourraient donc pas être la mère des abominations décrite dans 1 Néphi 13. Elles ne tuent pas les saints de Dieu et ne cherchent pas à dominer les gouvernements civils ni ne recherchent la richesse, le luxe et l’immoralité sexuelle.

Que ce soit au sens apocalyptique ou au sens historique, on emboîte le pas à l'Église de l'Agneau ou à la grande et abominable église non pas en en devenant membre, mais en lui accordant sa loyauté. Comme il y a des saints des derniers jours qui appartiennent à la grande et abominable église à cause de leur loyauté à Satan et à son mode de vie, de même il y a des membres d'autres Églises qui appartiennent à l'Agneau à cause de leur loyauté vis-à-vis de lui et de son mode de vie. L'appartenance est basée davantage sur la possession du cœur que sur la possession des registres.

Certains saints des derniers jours ont commis l'erreur de croire qu'une confession bien déterminée, à l'exclusion de toutes les autres, a été, depuis le commencement des temps, la grande et abominable église. C’est dangereux, car beaucoup de personnes voudront alors savoir de quelle église il s'agit, et il s'ensuivra inévitablement des relations d'hostilité avec cette confession.

Certains ont, par exemple, affirmé que des éléments du judaïsme au 1er siècle étaient le reflet de traits de caractère de Babylone. Après tout, les dirigeants juifs ont persécuté l’Église et ont versé le sang des saints. Ils ont crucifié le Messie et ont uni la religion au gouvernement civil. Nous devons cependant nous rendre compte que c'est ce genre d'argument – à savoir que les Juifs étaient la bête, l'antéchrist – qui a été directement la source de l'Holocauste au 20e siècle et attise encore la folie de certains groupes d'aujourd'hui. La main de Satan a-t-elle jamais été plus visible dans aucune entreprise humaine que dans l'Holocauste ?

L'ironie, c’est que tandis que Jérusalem en 30 apr. J.-C. a pu être l’une des manifestations de Babylone (voir Ap 11:8), le judaïsme ne peut pas être la grande et abominable église que Néphi et Jean décrivent. Premièrement, les Juifs n'exerçaient pas la domination sur toutes les nations de la terre. Deuxièmement, Néphi dit que les Écritures étaient complètes quand elles sont sorties de la bouche d'un Juif, mais que la grande et abominable l'église, qui a été formée parmi les Gentils, les a amputées (1 Né 13:24-26). Troisièmement, il ne semble pas que ce soit le sort des juifs d'être totalement consumés par les nations de la terre – bien au contraire.

Plus fréquemment, on a suggéré que l'Église catholique romaine pourrait être la grande et abominable église de Néphi 13. Cela ne tient pas non plus debout, d'abord parce que le catholicisme romain, tel que nous le connaissons, n'existait pas encore quand les crimes décrits par Néphi ont été commis. En fait, l'expression catholique romain n'a de signification qu'après 1054 de notre ère, quand elle est utilisée pour faire la distinction entre l’Église d’Occident, de langue latine, qui a suivi l'évêque de Rome, et l'Église d’Orient, de langue grecque, qui a suivi l'évêque de Constantinople.

Dans la période qui s'est écoulée entre Pierre et l'empereur romain Constantin, il y a eu de nombreuses églises chrétiennes en plus de l'église principale : les églises ébionite, syrienne et égyptienne, les donatistes, les gnostiques, les marcionites et ainsi de suite. Même si nous utilisions le terme catholique pour désigner l'église dont Constantin a fait la religion d’État en 313 apr. J.-C., le Nouveau Testament, tel que nous le connaissons, connaissait déjà une large diffusion. C'est-à-dire que les parties claires et précieuses avaient déjà été enlevées. L'idée que des moines médiévaux aux yeux fuyants aient pu réécrire les Écritures est un jugement injuste et malveillant. C’est à ces moines que nous devons le fait que ce que nous avons nous ait été conservé.

À l'époque de Constantin, les apôtres étaient déjà morts depuis des siècles. En outre, on ne pourrait pas accuser d’immoralité l'Église de l'époque. En réalité, elle avait poussé l'ascétisme jusqu'à l'extrême. Dans certaines régions du monde, le catholicisme remplaçait une forme de christianisme plus ancienne et déjà corrompue. Et pendant une grande partie de la période, les membres de l'Église catholique n'étaient pas en mesure de persécuter qui que ce soit, puisqu’on les jetait eux-mêmes aux lions. L'Église catholique du IVe siècle a été un résultat de l'apostasie – son produit final – pas la cause. Pour trouver les véritables coupables, nous devons examiner une période de beaucoup antérieure au IVe siècle apr. J.-C. dans l'histoire religieuse. Satan avait ses ministres dans le monde bien longtemps avant cela, et nous devons nous souvenir que Babylone était déjà là pour s’opposer à Sion à l'époque de Caïn, de Nemrod, du Pharaon et d'Hérode.

En réalité, aucune église, confession ou groupe de croyants historiquement connu ne répond à toutes les conditions requises pour être la grande et abominable église: Elle a dû être formée chez les païens, elle a dû contrôler la diffusion des Écritures, elle a dû tuer les saints de Dieu, y compris les apôtres et les prophètes, elle devait être liguée aux gouvernements civils et utiliser leurs forces de police pour imposer ses idées religieuses, elle devait exercer la domination sur toute la terre, elle devait rechercher de grandes richesses et l’immoralité sexuelle et elle devait durer quasiment jusqu'à la fin du monde. Aucune confession, aucun système de croyances ne correspond à la totalité de la description. Le rôle de Babylone a plutôt été joué par de nombreuses organisations, idéologies et églises à beaucoup d'époques. Il doit être clair que la grande et abominable église que Néphi décrit au chapitre 13 n'est pas la même entité historique qui a crucifié le Sauveur et martyrisé Joseph et Hyrum.

Ce serait une erreur d'imputer à une confession moderne les activités d'une grande et abominable église antique. L'autre erreur, c'est d'aller trop loin dans l'autre sens en sortant complètement l'abominable église de l'histoire. Le terme devient alors simplement un symbole vague de tout le mal qui existe dans le monde en dehors de toute association. Nous ne pouvons pas, face aux éléments fournis par les Écritures, accepter ce point de vue. Car si nous le faisons, nous ne pourrons pas reconnaître les catégories ni savoir qui joue le rôle de Babylone à notre époque ou dans les temps à venir.
Nous devons donc, d'une part, éviter la tentation de voir, dans le rôle de la grande et abominable église, une entité précise, car cela pourrait nous empêcher de reconnaître le rôle quand il est joué par une autre entité.En même temps, nous ne devons pas oublier que le rôle sera joué par une entité ou une coalition et nous devons être en mesure de dire, d'après leurs fruits caractéristiques, laquelle est Sion et laquelle est Babylone.

Pouvons-nous alors identifier l'organisation historique qui a joué le rôle de la grande et abominable église tout au début du christianisme ? Pareil agent a dû avoir son origine dans la deuxième moitié du Ier siècle et a dû faire une grande partie de son œuvre avant la moitié du IIe siècle.

Cette période pourrait être appelée la tache aveugle dans l'histoire chrétienne, car c'est ici que l'on a conservé le moins de sources historiques primaires. Nous avons de bonnes sources pour le christianisme du Nouveau Testament ; ensuite les lumières s'éteignent, pour ainsi dire, et nous entendons le bruit assourdi d'une grande lutte. Quand les lumières se rallument, une centaine d'années plus tard, nous constatons que quelqu’un a disposé tout le mobilier autrement et que le christianisme est devenu quelque chose de très différent de ce qu'il était au commencement. Cette entité différente peut être décrite avec précision comme étant le christianisme hellénisé.

L'hellénisation du christianisme est un phénomène que les spécialistes de l'histoire chrétienne reconnaissent depuis longtemps. Le terme hellénisation désigne la superposition de la culture et de la philosophie grecques aux cultures de l'Orient. Le résultat a été une synthèse de l'Est et de l'Ouest, creuset de culture populaire, qui était virtuellement mondiale. Toutefois, dans le domaine de la religion, synthèse signifie compromis, et quand nous parlons en termes d’Évangile, faire des compromis avec les croyances populaires signifie apostasier par rapport à la vérité.

Quand le christianisme juif et la culture grecque se sont heurtés de front dans le champ de la mission païen au milieu du Ier siècle, une grande bataille de croyances et de modes de vie s’est produite. C'est la vision du monde des Grecs qui a fini par l'emporter et le christianisme juif a été révisé pour le rendre plus attrayant et plus séduisant pour un auditoire grec.

Les principales idées acquises dans le monde grec étaient la nature absolue de Dieu (c'est-à-dire qu'il ne peut être lié ni limité par quoi que ce soit) et l'impossibilité pour quoi que ce soit de matériel ou de physique d'être éternel. Pour satisfaire les païens imprégnés de philosophie grecque, le christianisme dut éliminer la doctrine du Dieu anthropomorphique et celle de la résurrection des morts ou les réinterpréter radicalement. Nier ou modifier la doctrine de la résurrection des morts est précisément ce que certains chrétiens grecs avaient fait à Corinthe et Paul leur avait répondu avec force dans 1 Corinthiens 15.

Paul rattache aussi l'apostasie aux efforts de Satan pour créer une fausse religion. Dans 2 Thessaloniciens 2, il dit : « Il faut que l'apostasie soit arrivée auparavant, et qu'on ait vu paraître l'homme du péché, le fils de la perdition » (2 Thessaloniciens 2:3). Cet « homme du péché » s'assiéra dans le temple de Dieu, « se proclamant lui-même Dieu » (2 Th 2:4). Le « mystère de l'iniquité » (2 Th 2:7) agissait déjà tandis que Paul écrivait et vous vous souviendrez qu’un des noms de Babylone est « mystère » (Ap 17:5).

Le fils de la perdition ou « l'homme du péché » dont parle Paul est Lucifer (voir Bruce R. McConkie, Doctrinal New Testament Commentary, Salt Lake City, Bookcraft, 1973, 3:62-64). Il est la contrefaçon de l'Homme de sainteté. Le temple dans lequel il est assis est l’Église, maintenant abandonnée, privée de la présence divine par l'abomination de l'apostasie. La traduction de Joseph Smith de 2 Th 2:7 ajoute : « Le Christ le laisse agir jusqu'à ce que soit accompli le temps où il sera écarté du chemin. »

Dans Doctrine et Alliances 86:3, le Seigneur identifie la prostituée, Babylone, comme étant l’Église apostate : « Lorsqu'ils [les apôtres] se sont endormis, le grand persécuteur de l'Église, l'apostat, la prostituée, oui, Babylone, qui fait boire à sa coupe toutes les nations dans le cœur desquelles règne l’ennemi, oui, Satan, voici, il sème l'ivraie. C'est pourquoi l'ivraie étouffe le bon grain et chasse l'Église dans le désert. »

Il est clair que, quel que soit le nom de confession que nous choisissions de lui donner, l’Église apostate la plus ancienne et la grande et abominable église que Néphi et Jean décrivent sont identiques. Le fait est que nous ne savons pas vraiment quel nom lui donner. J'ai proposé christianisme hellénisé, mais c'est une description plutôt qu'un nom.

L'abominable église historique du diable est l’église apostate qui a remplacé le vrai christianisme au cours des premiers et deuxième siècles, en enseignant les philosophies des hommes mêlées d'Écritures. Elle a détrôné Dieu dans l'Église et l’a remplacée par l'homme en niant le principe de la révélation et en se tournant plutôt vers l'intelligence humaine. Produits du libre arbitre humain, ses credo étaient une abomination pour le Seigneur, car ils étaient de l'idolâtrie : des hommes adorant les créations, non de leurs mains, mais de leur esprit.

Babylone, aux Ier et IIe siècles, peut même avoir été un ensemble de mouvements différents. Certains chrétiens juifs ne parvenaient pas à abandonner la loi de Moïse et ont fini par abandonner le Christ. Les chrétiens orthodoxes ont adopté la philosophie grecque. Les gnostiques se sont vautrés dans les mystères et dans les pratiques indicibles, d'une part, ou dans une ascèse névrosée, d'autre part. Des compilateurs du IIe siècle, tels que Tatien et Marcion, ont refait et réécrit les Écritures, le dernier nommé éliminant hardiment tout ce qu’il n’aimait pas. Et tous ensemble, ils ont forcé la femme vertueuse, la véritable Église de Jésus-Christ, à se retirer dans le désert.

© 2000 by Intellectual Reserve, Inc. Tous droits réservés. Traduit et affiché avec la permission du Church Copyrights and Permissions Office.