La fête juive que vous n’avez pas remarquée dans les premiers chapitres du Livre de Mormon
Par Bradley J. Kramer ·
Meridian, 15 octobre 2019

Extrait de Gathered in One: How the Book of Mormon Counters Anti-Semitism in the New Testament par Bradley J. Kramer
Très peu de temps après avoir fui Jérusalem, Léhi est décrit comme demeurant sous une tente (1 Néphi 2:15). Non seulement il aurait initialement « dressé sa tente dans une vallée au bord d’une rivière d’eau » (v. 6), mais sa tente devient rapidement le centre d’activité de la famille. C’est là que Néphi va après avoir parlé au Seigneur et où il reçoit la tâche de se procurer les plaques d’airain (3:1-4). C’est là que ses frères et lui retournent après avoir terminé cette tâche (4:38) et où la joie de leur mère et de leur père est censée être pleine (5:7). C’est là aussi que Néphi et ses frères reçoivent une autre mission, cette fois de récupérer Ismaël et sa famille de Jérusalem (7:2), et c’est là qu’ils doivent les amener (v.5).

Un tel accent sur la tente de Léhi peut laisser certains lecteurs perplexes. Cependant, pour quiconque est imprégné de la tradition juive, cet accent fait remarquablement écho à Souccot [la fête des Tabernacles], surtout quand on prend en compte les événements mosaïques qui le précèdent. Souccot, après tout, se produit cinq jours après Yom Kippour, et le fait de vivre dans des abris temporaires, tels que des tentes, est au cœur de la célébration. Comme l’explique le rabbin Donin, le nom de Souccot, également orthographié Succot ou Succoth, « désigne les lieux de séjour temporaires utilisés par les enfants d’Israël dans le désert pendant les quarante ans d’errance qui ont suivi l’exode d’Égypte [1] ». Lors de cette fête, les Juifs traditionnellement pratiquants construisent des abris de fortune, des huttes, et y vivent pendant une semaine, comme ordonné dans le Lévitique:

« Vous demeurerez pendant sept jours sous des tentes ; tous les indigènes en Israël demeureront sous des tentes, afin que vos descendants sachent que j’ai fait habiter sous des tentes les enfants d’Israël, après les avoir fait sortir du pays d’Égypte. Je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lé.23:42-43)

Or, non seulement les mentions répétées de la tente de Léhi rentrent dans le cadre de Souccot, mais les actes que Léhi pose pendant qu’il demeure sous sa tente cadrent, eux aussi, avec l’un des objectifs essentiels de cette fête : reconstituer les errances d’Israël dans le désert. Ici, tout comme Moïse dans ce désert, Léhi rend grâces à Dieu pour la délivrance de sa famille (1 Né 2:7; 5:9; Ex 15:1-19), bénit ses enfants (1 Né 2:9 -10; De. 33:1-25), leur parle « avec puissance » (1 Néphi 2:14; Ex. 4:1-12) et rappelle la façon dont les anciens enfants d’Israël « furent aussi conduits hors de captivité » (1 Néphi 5:15; De. 11:1-5). En effet, Léhi remplit si bien le rôle de Moïse qu’il ressemble presque à une réincarnation de l’ancien législateur du judaïsme.

Comme Moïse, Léhi connaît bien « la science des Juifs et la langue des Égyptiens » (1 Né. 1:2; Ex. 2:6-12). Comme Moïse, il prédit les malheurs qui s’abattront sur son peuple pour son penchant pour l’Égypte et cela lui vaut d’être l’objet des moqueries de ses auditeurs (1 Néphi 1:19; Ex. 5:1-2; 11:4-6). Comme Moïse, il est conduit, pour ainsi dire, par une colonne de feu (1 Néphi 1:6; Ex. 13:21-22) hors d’un pays méchant, où sa vie aussi était menacée, et emmène son peuple « trois jours dans le désert » (1 Né. 1:2:6; Ex. 3:18, 5:3, 8:27). Et enfin, comme Moïse, une fois qu’il s’est enfui dans le désert, il construit « un autel de pierres, et [fait] une offrande au Seigneur et [rend] grâces » (1 Néphi 2:7; Ex. 17:15). De plus, certains membres de la famille de Léhi semblent aussi jouer un rôle. Non seulement Laman et Lémuel « murmurent » contre Léhi et son héritier présomptif, Néphi, tout comme les enfants d’Israël avec Moïse, mais ils le font de la même manière et pour les mêmes raisons. Presque immédiatement après avoir quitté Jérusalem, ils se plaignent d’être conduits « pour périr dans le désert » (1 Néphi 2:11; Ex. 14:11); ils désirent plutôt « retourner au pays » d’où ils sont venus (1 Né 7:7; No. 14:3); et ils prétendent que c’est « quelque chose de dur » que leurs dirigeants ont exigé d’eux (1 Néphi 3:5; Ex. 5:21). En conséquence, il est dit de Laman et Lémuel, comme des Israélites errants de Moïse, qu’ils ont « le cou raide » (1 Néphi 2:11; Ex. 32:9) et que ce sont des gens qui ne connaissent pas « la manière d’agir du Dieu qui les avait créés » (1 Néphi 2:12; Ex. 6:3).

Selon Rabbi Donin, l’un des principaux objectifs de la reconstitution de l’Exode pendant Souccot est de s’identifier à cette expérience et d’en tirer la leçon, en particulier le besoin de faire confiance à Dieu et de compter sur sa protection [2]. Et cette leçon n’est pas perdue pour Néphi. Par exemple, lorsqu’il voit le comportement de ses frères, il l’impute immédiatement à un « endurcissement de leur cœur » semblable à celui d’un pharaon (1 Néphi 2:18; Ex. 16:7-8). De plus, quand il semble que ses frères et lui ne pourront pas accomplir une tâche que leur père leur a confiée sous sa tente, Néphi souligne la ressemblance entre leur situation et celle des enfants d’Israël et est inspiré par le passage où Moïse sépare les eaux de la mer Rouge. Comme il le dit à ses frères :
« C'est pourquoi, montons, soyons forts comme Moïse, car, en vérité, il a parlé aux eaux de la mer Rouge, et elles se sont séparées çà et là, et nos pères ont traversé et sont sortis de captivité à pied sec, et les armées du Pharaon ont suivi et ont été noyées dans les eaux de la mer Rouge.

Or voici, vous savez que cela est vrai, et vous savez aussi qu'un ange vous a parlé; pouvez-vous donc douter? Montons: le Seigneur est capable de nous délivrer, comme il a délivré nos pères, et de faire périr Laban, comme il a fait périr les Égyptiens. » (1 Né 4:2-3)
C’est ainsi que l’histoire de l’Exode domine cette section du Livre de Mormon tout comme elle contrôle Souccot, et elle le fait en termes pratiques, réalistes et positifs.

Un autre objectif de la célébration de Souccot, selon le rabbin Robinson, est de comprendre la dépendance que l’on a vis-à-vis de Dieu et de remercier Dieu pour ses bénédictions. Comme l’écrit Robinson, Souccot montre à quel point Israël reste tributaire de « la volonté de Dieu dans un monde hostile » [3]. Ce fait était certainement évident lors de leurs errances dans le désert – lorsque la manne, les cailles et l’eau ont été fournies miraculeusement – et cela continue de se manifester dans la récolte des fruits, un événement qui coïncide avec Souccot et dont le succès dépend beaucoup de la providence de Dieu. C’est une autre raison pour laquelle les structures habituellement construites lors de cette fête sont assez fragiles, ne nécessitant que trois parois et un toit fait pour que « les étoiles puissent être visibles à travers par une nuit claire » [4].

Ces structures représentent donc les tentes dans lesquelles les anciens Israélites habitaient, mais elles présentent également à leurs habitants une image de la fragilité de l’existence humaine et de sa dépendance à l’égard de Dieu. Selon Robinson, ces huttes, ou souccot, servent de leçons de choses, enseignant que Dieu seul fournit « un véritable abri » [5]. Par conséquent, remercier Dieu pour sa protection et sa providence est un aspect important de Souccot. Dans ce sens, Souccot est également connue sous le nom de chag ha’asif ou fête de la récolte [6] et, en tant que fête de la moisson, c’est aussi le moment de remercier Dieu pour sa générosité. Selon le rabbin Donin, Souccot est un moment « où l’esprit de reconnaissance et de gratitude envers le Seigneur pour avoir répondu aux besoins des gens vient plus naturellement » [7]. Robinson va même jusqu’à décrire Souccot comme « une sorte d’équivalent juif du Thanksgiving américain » [8], car, comme pour le Thanksgiving, c’est le moment « d’offrir à l’Éternel des sacrifices consumés par le feu » comme expression de remerciement (Lé. 23:33-37).

Ce but de reconnaissance apparaît également pendant que Léhi habite sous une tente. Ayant quitté « sa maison, et le pays de son héritage, et son or, et son argent, et ses choses précieuses » (1 Néphi 2:4), Léhi est dans une situation très vulnérable. De plus, il vit dans le désert et ne sait pas où il va ni ce qu’il est censé faire. En effet, on peut se demander de quoi exactement Léhi doit être reconnaissant. Néanmoins, conformément à Souccot, son séjour sous sa tente est marqué par des offrandes sacrificielles et des expressions de gratitude envers Dieu. Comme le dit le Lévitique :

« Pendant sept jours, vous offrirez à l’Éternel des sacrifices consumés par le feu. Le huitième jour, vous aurez une sainte convocation, et vous offrirez à l’Éternel des sacrifices consumés par le feu ; ce sera une assemblée solennelle: vous ne ferez aucune œuvre servile. Telles sont les fêtes de l’Éternel, les saintes convocations, que vous publierez, afin que l’on offre à l’Éternel des sacrifices consumés par le feu, des holocaustes, des offrandes, des victimes et des libations, chaque chose au jour fixé. Vous observerez en outre les sabbats de l’Éternel, et vous continuerez à faire vos dons à l’Éternel, tous vos sacrifices pour l’accomplissement d’un vœu et toutes vos offrandes volontaires. » (Lé. 23:36-38)

Léhi ne se réjouit donc pas tant des abondantes bénédictions présentes dans sa situation immédiate que de ce qu’il célèbre une fête mosaïque qui met l’accent sur la générosité de Dieu, même dans les circonstances les plus difficiles. Il n’est donc pas étonnant que Léhi offre non seulement une offrande de remerciements lorsqu’il atteint la vallée de Lémuel (1 Néphi 2:7), mais il le fait à nouveau lorsque ses fils reviennent avec les plaques d’airain (5:9), comme il le fera encore plus tard lorsque Ismaël et sa famille le rejoindront (7:22). Souccot est un moment pour rendre grâces à Dieu pour toutes ses bénédictions, aussi petites ou apparemment insignifiantes soient-elles.

En outre, on n’est pas censé fêter Souccot seul ou avec sa famille immédiate. C’est le moment de partager ses bénédictions avec des amis, des voisins et même des étrangers, et, de cette façon, le temps de Léhi sous sa tente est conforme à la description biblique de Souccot, ainsi qu’à plusieurs coutumes non bibliques ultérieures qui y sont associées à cette fête. L’intérêt soudain manifesté par Léhi pour inviter Ismaël et sa famille à le rejoindre, par exemple, ainsi que la volonté d’Ismaël de le faire sont certainement des exemples de pouvoir révélateur ainsi que des préparatifs inspirés pour créer une nouvelle civilisation dans un pays lointain. Cependant, ils peuvent également être considérés comme des moyens de célébrer Souccot. Souccot, après tout, met traditionnellement l’accent sur la valeur de la famille et des amis, un autre exemple des bénédictions généreuses de Dieu. Par conséquent, il est de coutume pour les Juifs pratiquants d’inviter leurs amis et leur famille dans leur soucca pour partager des repas et passer du temps ensemble. Comme l’écrit le rabbin Robinson, « les règles de l’hospitalité ne sont nulle part plus évidentes que dans la coutume d’inviter des ushpizin / invités d’honneur à profiter de l’abri de la soucca.[9] »

En fait, selon le rabbin Greenberg, les invités sont considérés comme des « remplaçants » des patriarches bibliques et, ces dernières années, des matriarches. Ce sont souvent « ceux qui sont dans le besoin ou qui ont besoin d’une soucca pour manger » [10]. Une telle impulsion, à laquelle vient s’ajouter l’accent mis sur la collecte « de toutes sortes de semences de toute espèce » (8:1), une autre activité de Souccot, tout cela est rassemblé métaphoriquement dans les instructions de Léhi aux fils de « retourner au pays de Jérusalem pour amener Ismaël et sa famille dans le désert » afin que « ses fils prennent les filles de quelqu’un pour épouses, afin de susciter une postérité pour le Seigneur dans la terre de promission » (7:1). Cette préoccupation pour la communauté ainsi que pour la continuité qui habite l’esprit de Léhi alors qu’il vit sous une tente cadre parfaitement avec la célébration traditionnelle de Souccot.

Notes

[1] Donin. To Be a Jew: A Guide to Jewish Observance in Contemporary Life, 250
[2] Donin. To Be a Jew, 250.
[3] Robinson. Essential Judaism: A Complete Guide to Beliefs, Customs, and Rituals, 105.
[4] Donin. To Be a Jew, 253.
[5] Robinson. Essential Judaism , 105.
[6] Dosick. Living Judaism: The Complete Guide to Jewish Belief, Tradition, and Practice, 147.
[7 Donin. To Be a Jew, 250.
[8] Robinson. Essential Judaism , 101.
[9] Robinson. Essential Judaism, 104
[10] Rabbin Irving Greenberg, The Jewish Way: Living the Holidays, 112.