Le Livre de Mormon décrit-il la guérilla
de manière réaliste ?
Par Book of Mormon Central 10 avril 2018
"Et
ils commettaient le meurtre et le pillage; et puis ils se retiraient dans
les montagnes, et dans le désert, et les lieux secrets, se cachant, de
sorte qu'on ne pouvait les découvrir, voyant quotidiennement leur nombre
grandir, étant donné qu'il y avait des dissidents qui allaient vers eux."
Hélaman 11:25
À bien des égards, la manière de faire la guerre
décrite dans le Livre de Mormon est tout à fait différente de celle que
connaissaient bien la plupart des Américains du temps de Joseph Smith [1].
On en trouve un exemple particulièrement parlant dans le récit crûment
réaliste de la guérilla dans les livres d’Hélaman et de 3 Néphi.
Au
XIXe siècle, on s’attendait généralement à ce que les belligérants se
mettent officiellement en bataille rangée et se livrent à un affrontement
tous azimuts sur un champ de bataille désigné. Par contre, la guérilla est
une affaire de furtivité, de surprise, de camps de base cachés,
d’escarmouches, de replis stratégiques, de terrain avantageux, et -
surtout - de propagande. C’est cette sorte de tactique, étrangère voire
même répugnante à la pensée du XIXème siècle, qu’utilisent couramment les
brigands de Gadianton du Livre de Mormon.
Comme beaucoup d’autres
révolutionnaires, les brigands de Gadianton commencèrent comme un groupe
politique marginalisé [2]. Après que la « voix du peuple » se prononça
contre eux et que leur bande secrète eut été découverte, « ils prirent la
fuite hors du pays, par un chemin secret, dans le désert » (Hélaman 2:2,
11). Des années plus tard, des dissidents néphites relancèrent les « plans
secrets » de Gadianton et entreprirent une guerre prolongée avec les
Néphites (Hélaman 11:26) [3].
On nous dit que « ils commettaient
le meurtre et le pillage; et puis ils se retiraient dans les montagnes, et
dans le désert, et les lieux secrets, se cachant, de sorte qu'on ne
pouvait les découvrir, voyant quotidiennement leur nombre grandir, étant
donné qu'il y avait des dissidents qui allaient vers eux » (Hélaman 11:25
). Comme c’est le cas dans la plupart des exemples historiques, la
tactique des raids de guérilla pratiquée par les brigands marcha
exceptionnellement bien contre les Néphites plus stationnaires et leurs
armées régulières (Hélaman 11:27:33).
Reconnaissant les parallèles
manifestes avec l’histoire militaire moderne, Daniel Peterson fait
remarquer : « Comme ceux qui connurent plus tard les insurrections
marxistes à Cuba, en Chine et au Vietnam, les autorités néphites et
lamanites devaient faire quelque chose. Elles ne pouvaient pas simplement
rester à ne rien faire et tolérer les déprédations auxquelles leurs
ennemis gadiantons se livraient contre eux. Mais elles allaient
s’apercevoir, comme les Français, les Américains, Batista y Zaldívar,
Tchang Kai-shek et le général Westmoreland, qu’il est extraordinairement
difficile de vaincre et presque impossible de déloger les guérilleros du
territoire qu’ils ont choisi [4].
Non seulement il était difficile
d’extirper militairement les brigands, mais il était difficile de les
contrer politiquement. Selon l’historien militaire et général de brigade
Samuel Griffith, « les chefs de la guérilla consacrent beaucoup plus de
temps à organiser, instruire, agiter et faire de la propagande qu’à se
battre, car leur tâche la plus importante est de s’attirer les faveurs de
la population [5]. » Ce programme est clairement présent dans le
comportement des brigands de Gadianton. En certaines occasions, ils
semblaient presque « éteints » (Hélaman 11:10), mais apparemment ils
attendaient simplement leur heure, se mêlant à la population, promouvant
secrètement leur cause et recrutant les dissidents jusqu'à ce qu’ils aient
suffisamment d’appui pour mener une nouvelle insurrection prometteuse (v.
24–34 ).
On peut se faire une idée de première main du savoir-faire
politique des brigands de Gadianton en lisant une lettre de Giddianhi,
l’un de leurs chefs. Son épître à Lachonéus tente de flatter et
d’intimider le gouverneur néphite et ses soldats [6]. Après avoir proposé
aux Néphites : « Livrez-vous à nous, et unissez-vous à nous, et faites la
connaissance de nos œuvres secrètes », Giddianhi menace de les détruire
complètement d’ici un mois s’ils ne se soumettent pas (3 Néphi 3:7-8).
Pourtant, à l’instar d’un certain nombre de guérilleros tout au long de
l’histoire, ces voleurs passèrent trop tôt à la tactique habituelle de la
bataille rangée [7].
La première impulsion des Néphites fut de «
tomber sur les brigands et de les détruire dans leurs terres. » (3 Néphi
3:20). Mais Gidgiddoni, leur capitaine en chef, un prophète, les avertit
qu’en agissant ainsi, ils allaient courir à la catastrophe, tant
militairement que spirituellement. Au lieu de cela, il proposa : « Nous
nous préparerons au centre de nos terres, et nous rassemblerons toutes nos
armées, et nous n'irons pas contre eux, mais nous attendrons qu'ils
viennent contre nous » (v. 21 ). Il s’agissait également rassembler leur
nourriture et leurs animaux, laissant leurs terres complètement désolées
afin de survivre au siège (v. 22 ).
Cette tactique inversait la
stratégie que les brigands avaient systématiquement utilisée contre les
Néphites. Selon Peterson « Gidgiddoni allait forcer les armées de
Gadianton à attaquer les Néphites dans leurs propres bastions. Les villes
fortifiées néphites allaient effectivement prendre la place des camps de
base de montagne. ... En cédant du territoire dans un « repli stratégique
» classique, il « allait attirer l’ennemi en profondeur » [8], pour
reprendre l’expression de Mao. Les brigands tombèrent à court de
nourriture, ne purent assiéger la ville et perdirent la bataille décisive
(3 Néphi 4:1–14 ).
Dans les principes de base aussi bien que dans
les subtilités nuancées, la description que le Livre de Mormon fait de la
guérilla est incroyablement authentique [9]. Peterson la décrit comme « un
ensemble totalement crédible et cohérent de comportements et de réactions
militaires [10]. » Ce trait du Livre de Mormon est particulièrement
remarquable car il est tellement hors de propos venant d’un paysan du XIXe
siècle comme Joseph Smith.
Si des exemples de tactiques de guérilla
ont été utilisés par différents groupes militaires tout au long de
l’histoire, « ce n’est qu’au cours de notre siècle qu’elles ont été
systématisées en termes théoriques officiels [11]. » Selon Peterson, la
guérilla qui apparaît dans le livre de Mormon va bien au-delà de ce que
Joseph Smith aurait été susceptible de créer avec sa propre imagination.
Ce n’est pas simplement la description précise que le Livre de Mormon fait
d’une manière irrégulière de faire la guerre qui est étrangère à Joseph et
à son environnement. Il me semble clair que ses récits militaires
réalistes et totalement non romanesques ne viennent pas de l’esprit de ce
Joseph Smith, qui, bien que détestant la bataille en elle-même, aimait les
parades et l’apparat militaire, savourait son titre de de
Lieutenant-général de la Légion de Nauvoo et, dans un uniforme élégant
bleu et or, n’aimait rien tant que de passer en revue les troupes monté
sur son étalon noir, Charlie [12].
Peterson fait remarquer
ailleurs que dans « la description que fait le Livre de Mormon des
brigands de Gadianton, nous trouvons une représentation détaillée et
réaliste d’une lutte de guérilla prolongée — dépourvue de toute trace de
romantisme, d’uniformes, de glamour ou de défilés, mais correspondant
remarquablement bien au comportement réel d’un conflit aussi non
conventionnel que celui-là [13]. »
Ces constatations montrent bien
que Joseph Smith était un vrai prophète. Cela montre également que le
récit du Livre de Mormon concernant des combinaisons secrètes et leurs
efforts de guérilla pour déstabiliser et détruire des gouvernements n’est
pas fantaisiste.
En fait, nous le voyons se dérouler à nouveau sous
nos yeux en ce moment où des groupes terroristes dans le monde entier
cherchent à recruter secrètement des armées et à renverser les
gouvernements. Concernant le conflit des Néphites avec les brigands, Ray
C. Hillam, professeur de sciences politiques, fait cette réflexion : « Ce
n’était pas simplement un conflit d’armes mais d’idées [14]. » Il en va
certainement de même de nos jours.
Si l’objectif le plus important
des brigands de Gadianton modernes est, comme le dit Griffith, de «
s’attirer les faveurs de la population », il y a quelque chose que chacun
de nous peut faire [15]. Nous pouvons nous unir, vivre l’Évangile et
partager sa joie et sa bonté avec le monde. Car, comme nous l’apprenons
dans Alma 31, la parole de Dieu « avait eu un effet plus puissant sur
l'esprit du peuple que l'épée ou quoi que ce fût d'autre qui lui fût
arrivé » (Alma 31:5).
Notes
[1] Voir
Stephen D. Ricks et William J. Hamblin, dir., Warfare in the Book of
Mormon, Salt Lake City et Provo, Utah, Deseret Book et FARMS, 1990).
[2] Pour une étude de groupes du même genre, voir Kent P. Jackson, «
Revolutionaries in the First Century », dans Masada and the World of the
New Testament, dir. de publ. John F. Hall et John W. Welch, Provo, UT, BYU
Studies, 1997, p. 129–140; John W. Welch, “Legal and Social Perspectives
on Robbers in First Century Judea”, dans Masada and the World of the New
Testament, p. 141–153; John W. Welch et John F. Hall, Charting the New
Testament, Provo, UT, FARMS, 2002, tableau 3–12; Daniel C. Peterson,
“Exploratory Notes on the Futuwwa and Its Several Incarnations”, dans
Bountiful Harvest: Essays in Honor of S. Kent Brown, dir. de publ Andrew
C. Skinner, D. Morgan Davis et Carl W. Griffin, Provo, UT, Neal A. Maxwell
Institute for Religious Scholarship, 2011, p. 287–312. [3] Pour plus
d’informations sur les brigands de Gadianton et leurs combinaisons
secrètes, voir David R. Benard, John W. Welch et Daniel C. Peterson, «
Secret Combinations », dans Reexploring the Book of Mormon: A Decade of
New Research, dir. de publ. John W. Welch, Salt Lake City et Provo, UT,
Deseret Book et FARMS, 1992, p. 227–229; John W. Welch et Kelly Ward, «
Thieves and Robbers » dans Reexploring the Book of Mormon, p. 248–249;
Book of Mormon Central, “Why Does the Book of Mormon Use the Phrase
‘Secret Combinations?’” KnoWhy 377, 31 octobre 2017. [4] Daniel C.
Peterson, « The Gadianton Robbers as Guerrilla Warriors », dans Warfare in
the Book of Mormon, p. 152. [5] Samuel B. Griffith, trad., Mao Tse-tung
on Guerrilla Warfare (US Marine Corps, 1989), p. 8. [6] Voir Book of
Mormon Central, « Pourquoi Giddianhi était-il tellement poli ? (3 Néphi
3:2) » KnoWhy 190, 19 septembre 2016, article dans Idumea. [7] Voir
Peterson, « The Gadianton Robbers as Guerrilla Warriors », p. 158 – 162.
[8] Peterson, «The Gadianton Robbers as Guerrilla Warriors », p. 163.
[9] Voir aussi, Book of Mormon Central, « How Realistic are Nephite Battle
Strategies? (Alma 56:30) », KnoWhy 164, 12 août 2016. [10] Peterson,
«The Gadianton Robbers as Guerrilla Warriors », p. 167. [11] Peterson,
«The Gadianton Robbers as Guerrilla Warriors », p. 147. [12] Peterson,
«The Gadianton Robbers as Guerrilla Warriors », p. 167. [13] Daniel C.
Peterson, « Not Joseph’s, and Not Modern » dans Echoes and Evidences of
the Book of Mormon, dir. de publ. Donald W. Parry, Daniel C. Peterson et
John W. Welch, Provo, Utah, FARMS, 2002), p. 197. [14] Ray C. Hillam, «
Gadianton Robbers and Protracted War » BYU Studies Quarterly 15, n° 2,
1975, p. 221. [15] Griffith, trad., Mao Tse-tung on Guerrilla Warfare,
p. 8.
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