Le rapport chiastique de la 64e année du règne des juges dans Hélaman 6:7-13
Jack Welch
22 août 2020

Alors que l’étude et l’appréciation du chiasme continuent de s’étendre et d’aller de l’avant, l’un des meilleurs exemples mérite une analyse plus détaillée. Découverte pour la première fois en 1987 et publiée cette année-là sous forme de FARMS Update, cette composition est remarquable à plusieurs égards. Ce texte, qui est le rapport complet et la seule information donnée sur la 64e année du règne des juges, est exceptionnel à bien des égards. Le texte intégral se présente comme suit :

A Et voici, il y eut la paix dans tout le pays 

          B (1) de sorte que les Néphites allaient dans toutes les parties du pays où ils le voulaient, que ce fût parmi les Néphites ou les Lamanites [N/L].

             (2) Et il arriva que les Lamanites allaient aussi partout où ils le voulaient, que ce fût parmi les Lamanites ou parmi les Néphites [L/N];

             (3) et ainsi, ils avaient des échanges libres, pour acheter et vendre, et pour obtenir du gain, selon leur désir.

                    C Et il arriva qu’ils devinrent extrêmement riches, tant les Lamanites que les Néphites;

                                D et ils eurent une abondance extrême (x) d’or, et (y) d’argent, et de toutes sortes de (z) métaux précieux, tant dans le pays au sud que dans le

                                pays au nord [S/N]

                                           E Or, le pays au sud était appelé Léhi, et

                                                     le pays au nord

                                                             était appelé Mulek,

                                                                      d’après le nom du fils de Sédécias;

                                                                      car le Seigneur

                                                             avait amené Mulek

                                                     dans le pays au nord

                                              et Léhi dans le pays au sud.

                                  D’ Et voici, il y avait toutes sortes (x)  d’or dans ces deux pays, et (y) d’argent, et de (z) métaux précieux de toute espèce;

                       C’ et il y avait aussi des ouvriers habiles  qui travaillaient des métaux de toute espèce, et les raffinaient; et ainsi, ils devinrent riches.

            B’ (1) Et ils cultivèrent du grain en abondance, tant dans le nord que dans le sud [N/S]; et ils prospérèrent extrêmement, tant dans  le nord que dans le sud   

                [N/S].

                (2)  Et ils se multiplièrent et devinrent extrêmement forts dans le pays. Et ils élevèrent beaucoup de troupeaux de gros et de petit bétail, oui, beaucoup

                de bétail engraissé.

                (3) Voici, (a) leurs femmes

                           (b) travaillaient et filaient, et

                                    (c) faisaient toutes sortes de

                                          (d) tissus,

                                                 (e) du fin lin retors                                                      

                                           (d) et des tissus

                                    (c) de toute espèce

                           (b) pour revêtir

                 (a) leur nudité.

A’ Et ainsi, la soixante-quatrième année passa dans la paix.

Il saute aux yeux que ce document est phénoménal sur le plan de la composition. Et après un examen minutieux, il devient encore plus remarquable à bien des égards. Il compte parmi les meilleurs exemples de chiasme de tout le Livre de Mormon. J’en veux pour témoin l’ensemble des éléments suivants :

Premièrement, dès le premier coup d’œil, on se rend compte que ce rapport annuel est rédigé avec compétence et beauté. Pour l’observateur ordinaire, aussi bien que pour l’analyste expert, il est évident que les mots, les phrases et les idées qui apparaissent dans la première moitié sont répétés avec précision et de manière équilibrée dans la seconde moitié. La nature chiastique de ce schéma est clairement évidente. Ce texte est admirable tant sur le plan de la qualité que sur celui de la longueur. Ses supports sont ordonnés et expressifs. Sa charnière à dix éléments est précise, concise, significative et a un point culminant pour charnière.

Deuxièmement, il est clair que ce chiasme respecte les limites littéraires naturelles. Il commence juste après le marqueur de date précédent, « et ainsi finit la soixante-troisième année » (Hélaman 6:6) et prend fin sur son propre marqueur de date, ce qui en fait le rapport complet de cette année, « et ainsi, la soixante-quatrième année passa dans la paix » (Hélaman 6:13). Le rapport pour la soixante-cinquième année commence immédiatement dans Hélaman 6:14. On n’aurait pu espérer de limites plus claires pour le début et la fin de ce chiasme.

Troisièmement, le point culminant ou tournant se trouve juste au centre, la partie E. Il y a 142 mots anglais dans la première moitié de ce texte et 149 mots anglais dans la seconde moitié. Le point culminant se concentre sur les noms éponymes de Léhi et Mulek, ainsi que sur le nom théophorique [nom contenant celui de la Divinité, voir plus loin -- NdT] royal de Sédécias et le nom divin du Seigneur.

Quatrièmement, ce chiasme affiche une symétrie parfaitement équilibrée. Les parties A et A’ sont de longueur égale et centrées sur la paix. Les parties B et B’ ont chacune trois sous-parties qui s’équilibrent et qui traitant de l’ouverture sans précédent des voyages et du commerce entre les pays du nord et du sud, entre Néphites et Lamanites, par le biais du commerce et de l’agriculture, de la part des hommes et des femmes. Les parties C et C’ ont la même brièveté et attestent qu’ils « devinrent riches ». Les parties D et D’ ont la même longueur et parlent de toutes sortes d’or, d’argent et de métaux précieux dans les deux pays. Cet équilibre littéraire impeccable reflète l’équilibre politique remarquablement atteint ici entre ces deux pays et groupes de populations.

Cinquièmement, pour être forte, une structure chiastique doit être basée sur les principaux mots-clés, phrases ou thèmes. Ce critère est facilement satisfait ici, principalement parce que presque chaque mot a sa place dans cette structure. Entre autres, les mots clés suivants sont répartis uniformément et séquentiellement: paix, nord, sud, pays, riches, extrêmement, de toute sorte / espèce, or, argent, précieux, pays, Léhi, Mulek. Cette structure ne dépend pas d’éléments secondaires du discours ou d’une phraséologie vague.

Sixièmement, ce chiasme ne contient pratiquement aucune répétition étrangère ni d’éléments hors du sujet. On peut s’interroger sur l’introduction du travail des femmes dans le troisième tiers de la partie B’, mais ce travail domestique complète avec finesse celui des agriculteurs et des bergers en B’, les « ouvriers habiles » en C’, et joue le rôle de contrepoint au commerce public en B. En outre, le travail des femmes est contenu dans un bref sous-chiasme qui sert expressément à mettre cette mention unique des femmes en parité avec les trois mentions précédentes du travail des hommes.

Septièmement, un ordre chiastique fort ne doit normalement pas entrer en concurrence avec d’autres formes littéraires fortes dans le passage. Dans ce cas-ci, la sous-structure chiastique semble être la seule forme littéraire présente dans ce compte rendu écrit.

Les caractéristiques ci-dessus correspondent parfaitement aux principaux critères communément acceptés par pratiquement tous les chercheurs qui ont formulé les critères permettant d’évaluer et d’analyser la présence et les points forts ou faibles des chiasmes dans les textes hébreux.

Ma liste de critères permettant d’identifier la présence d’un chiasme contient encore d’autres facteurs subjectifs dont la présence améliore encore davantage l’appréciation pour l’habileté de l’auteur qui a composé le chiasme. Par exemple, en ce qui concerne l’utilisation intentionnelle du chiasme, je demande : Y a-t-il une raison identifiable d’employer le chiasme? Dans ce cas-ci, la réponse est clairement oui. Ici, le rédacteur de ce rapport annuel veut que ses lecteurs célèbrent la réconciliation entre ces deux nations rivales qui étaient en conflit l’une avec l’autre depuis cinq siècles. Il n’existe pas de meilleure forme littéraire pour accomplir cet objectif que le chiasme avec son équilibre typique des éléments à inclure.

La longueur peut être un point fort supplémentaire. Plus le chiasme est long, plus il se révèle remarquable et intentionnel. Avec une douzaine de points dans sa structure principale, le schéma de Hélaman 6:7-12 est bien au-dessus de la normale.

Sa densité est également respectable, car il n’y a pas de digressions superflues. Les termes clés de ce passage dominent et aucun ne semble être un intrus répété en dehors du schéma.

En fin de compte, le début et la fin de cette structure se combinent pour donner une impression de retour. La paix était clairement la principale condition sous-jacente qui permettait tous les échanges, la correspondance, le commerce et la prospérité dont jouissaient ces deux pays auparavant cloisonnés. Ce texte commence par la paix et se termine par la paix.

En effet, le rapport décrit les grands changements survenus au cours de la soixante-quatrième année concernant la prospérité, la liberté de circulation et la paix entre les Néphites et les Lamanites. Les dirigeants des deux pays ont certainement dû conclure des traités de commerce et de paix importants pour que ce genre de paix et de prospérité se produise, car avant cette époque, les restrictions en matière de voyages étaient la norme dans la société néphite, comme le montrent Mosiah 7:1 ; 8:7 ; 28:1 ; Alma 23:2 ; 50:25 et Hélaman 4:12. Dans ce cas-ci, la paix a été rendue possible par la conversion de nombreux Lamanites à la suite des efforts missionnaires miraculeux de Néphi et de son frère Léhi, Néphi ayant auparavant été grand juge à Zarahemla pendant dix ans. Les décrets officiels de ce type sont connus dans l’ancien Proche-Orient sous la forme de décrets misharum qui proclamaient généralement la liberté des esclaves et accordaient une « équité » pour le pays. Et les traités entre dirigeants voisins, opérant sur la parité les uns avec les autres, étaient souvent utilisés dans le monde hittite pour créer des partenariats juridiques et commerciaux entre les royaumes ou districts voisins.

Et d’un point de vue pratique, en plus de marquer ce moment sans précédent dans l’histoire néphite, le fait d’avoir recours ici à un chiasme a dû permettre d’empêcher tout ajout ou suppression de texte, car toute modification sauterait aux yeux. C’est peut-être pour cette raison que d’autres comptes rendus de l’Antiquité ont dû être rédigés sous forme chiastique. Par exemple, le Chilam Balam mésoaméricain de Chumayel, comme Hélaman 6, se concentre non seulement de manière chiastique sur la migration des gens vers le pays qu’ils occupent maintenant, mais attire également une attention particulière, en son centre, sur un jeu de mots sur le nom du pays, comme J. E. S. Thompson l’a noté. L’utilisation de structures chiastiques dans les inscriptions mayas, parmi lesquelles certains récits de la création et des origines, a récemment été commentée de manière innovante par Kerry Hull.

Esthétiquement, il y a une certaine beauté et une certaine qualité artistique dans ce texte qui autrement n’aurait pu être qu’une note routinière dans les annales néphites sur la soixante-quatrième année du règne des juges. Apparemment, l’historien néphite de l’époque connaissait bien la forme chiastique. J’ai tendance à croire qu’il avait été formé pour reconnaître la structure d’Alma 36 et de nombreux autres passages similaires. Il a ensuite choisi d’utiliser le chiasme pour enregistrer dans les annales de son peuple les développements survenus au cours de cette année extraordinaire. Je pense qu’il était très satisfait des résultats de son élégant savoir-faire.
 
L’intégrité délibérée de ce texte peut également être quantifiée en comptant le nombre de fois où ses mots et ses groupes de mots apparaissent. [Les chiffres qui suivent valent pour le texte anglais. Ils n’ont pas toujours pu être conservés dans la traduction française NdT] En effectuant une vérification rapide, et sachant que le nombre 10 était un nombre important dans le mysticisme hébreu (le Saint des Saints mesurant 10 coudées sur 10 coudées sur 10 coudées), il est intéressant (accidentel?) que le mot « pays » apparaisse 10 fois dans ce texte (9 x au singulier et 1 x retour aux deux pays unifiés). Le mot « ils » apparaît également 10 fois, désignant toujours les Néphites et les Lamanites ensemble, toujours au nominatif actif, n’apparaissant jamais comme « eux » (2x « ils le feraient », 7x « ils ont fait » et 1x « ils devinrent »).

Les quatre mots « les deux », « tous », «  sud » et « nord » apparaissent chacun exactement 5 fois.

Les trois mots « Néphites », « Lamanites » et « extrêmement » apparaissent quatre fois.

Trois triplés apparaissent: 1x « acheter, vendre, gain »; et 2x « or, argent, métaux précieux ». Et de même trois doublets apparaissent: « multiplier et devenir », «troupeaux de gros et de petit bétail », « travaillaient et filaient ». Les mots « paix », « riches », « appelé », « Léhi » et « Mulek » reçoivent une double expression. Celles-ci semblent être des répétitions conscientes.

Et tandis que vingt mots génériques ne sont utilisés qu’une seule fois, deux autres qui n’apparaissent qu’une seule fois sont « Sédécias » et « Seigneur ». Il est très remarquable que le centre de ce chiasme implique ces deux mots au singulier. Au point culminant, les mots « Sédécias » et « Seigneur » sont parallèles, ce qui intrigue puisque le mot hébreu pour « Seigneur » constitue le suffixe théophorique -yah ou -iah à la fin du nom « Sédécias » [en anglais le nom est Zedekiah, calqué sur l’hébreu tsedek yahou, « Dieu est saint », tandis que le français reprend la forme grecque où le suffixe iah disparaît NdT]. Ainsi, ce chiasme fonctionne encore mieux en hébreu qu’en anglais. La double occurrence de cet élément divin juste en son centre souligne le fait que c’était le seul et unique Seigneur Jéhovah qui avait amené Léhi et Mulek dans le Nouveau Monde. On ne pourrait trouver de point d’unité politique et de paix plus fort que ce point d’origine commun.

Plus j’examine de près ce passage d’Hélaman 6, plus je suis impressionné. Je me souviens quand j’ai remarqué ce chiasme pour la première fois. C’était en mars 1987, et cela m’a tellement excité que j’ai immédiatement publié un rapport à ce sujet en mai 1987 sous forme d’un FARMS Update.

Je mentionne ici pour conclure le timing de cette découverte parce que je me souviens bien de cette fin de soirée de mercredi où j’ai pris conscience de ce chiasme. À ce moment-là, j’étais l’évêque de la 36e paroisse de BYU, et les étudiants avaient besoin d’entrevues avec l’évêque, d’autant plus que la fin du semestre d’hiver approchait. Tous les autres étudiants prévus pour ce soir-là étaient arrivés ponctuellement à l’heure. Il y en avait un au milieu de ma liste de rendez-vous qui ne s’était toujours pas présenté. Il se faisait tard. J’étais fatigué et je devais donner mon cours sur le Livre de Mormon le lendemain matin. J’ai décidé d’attendre le temps qu’il fallait. J’ai ouvert mon exemplaire du Livre de Mormon et je me suis assis sur le canapé dans le hall de l’appartement et j’ai commencé à lire le texte pour la leçon du lendemain, qui traitait justement du passage de Hélaman 5 à Hélaman 6. Ce texte d’Hélaman 6:7-12 s’est détaché du texte environnant comme constituant un seul rapport annuel, un trésor laissé par un antique scribe anonyme mais très diligent. Sa structure chiastique, en particulier au centre, était indubitable. Lorsque le jeune homme a passé timidement la tête dans le hall, je lui ai souhaité la bienvenue. Je lui ai dit que le Seigneur venait de nous bénir tous les deux parce qu’il était un peu en retard. Je lui ai fait part de ce que je venais de découvrir. Nous avons eu une super interview, malgré ses inquiétudes initiales. J’espère que ce texte a autant signifié pour lui et pour de nombreux autres amoureux du Livre de Mormon que pour moi ces trente-trois ans plus tard.