Sariah et les femmes de 1 Néphi

 

Camille Fronk

Journal of Book of Mormon Studies, vol. 9, n°2, 2000, pp. 5-15

 

Un des plus grands obstacles à une étude efficace des Écritures est sans doute le fait qu’on lit les versets dans le même ordre, en concentrant son attention sur les mêmes idées et en posant les mêmes questions. Lorsque je suis parti d’une perspective différente dans l’étude des Écritures, j’ai presque toujours découvert des perspectives nouvelles, presque comme si des versets supplémentaires avaient été ajoutés depuis ma dernière lecture. Je me suis mis à poser des questions auxquelles je n’avais pas pensé et à voir des liens que je n’avais pas reconnus.

 

Quand on lit 1 Néphi, on aurait intérêt à voir les huit années d’expérience du désert par les yeux des femmes du groupe de Léhi. Du fait que 1 Néphi a été écrit par deux hommes (Léhi et Néphi), nous découvrons tout naturellement leur foi et leur sacrifice à chaque page. Par contre, les femmes sont loin d’être aussi visibles que les hommes et leurs voix peuvent au départ sembler étouffées ou faibles.

 

Pendant l’histoire de l’Israël ancien, la culture et l’interprétation habituelle de la loi manifestaient peu de sensibilité à l’égard des femmes. Par exemple, la loi israélite considérait les femmes comme une extension de leur père ou de leur mari. Étant donné qu’au mariage les filles devenaient membres de la famille d’un autre homme, les hommes percevaient les femmes comme « des étrangères ou des personnes de passage dans la maison familiale[1]. » En outre, les lois sur le divorce différenciaient les hommes des femmes : seuls les hommes recevaient des directives concernant le divorce, ce qui implique que les femmes ne pouvaient pas en prendre l’initiative (voir Deutéronome 24:1-4). Un homme pouvait légalement vendre sa fille en mariage pour régler une dette (voir Exode 21:7-9), mais il n’est dit nulle part que des fils étaient vendus. Un serviteur hébreu masculin était automatiquement libéré après sept ans de servitude, mais une servante n’était libérée que si ses besoins de base n’étaient pas satisfaits (voir Exode 21:2-4, 10-11). De plus, l’affectation au lignage et la transmission des terres par héritage se faisaient du côté masculin (voir Nombres 27:8 ; 36:6-8), et la société israélite considérait les femmes comme impures deux fois plus longtemps après avoir enfanté une fille qu’après avoir enfanté un fils (voir Lévitique 12:2-5).

 

Certains éléments des écrits de Néphi montrent que Léhi et sa famille étaient des produits de cette culture israélite. Par exemple, Néphi signale que Léhi « quitta sa maison et le pays de son héritage, et son or, et son argent, et ses choses précieuses » (1 Néphi 2:4) et que ses frères et lui se sont procuré les plaques d’airain contenant « la généalogie de mon père » (1 Néphi 3:12). Il résume ses écrits en disant : « Je dois parler quelque peu de mon père et aussi de mes frères » (1 Néphi 10:1). Nous pouvons être certains que la mère, la femme, les belles-sœurs, la belle-mère, les sœurs et les filles de Néphi figuraient en fait d’une manière aussi importante dans la grande aventure de l’installation dans le Nouveau Monde. Pourtant, bien que Néphi note le nom de son père et de ses frères, le seul nom de femme qui apparaît dans ses annales, c’est celui de sa mère, Sariah.

 

D’autre part, nous sommes en admiration devant la sagesse divine qui imprègne les écrits de Néphi et l’emporte sur sa culture nationale. Tout d’abord, nous entendons la voix de Dieu par l’intermédiaire de la doctrine enseignée par des prophètes qui n’ont sans doute eux-mêmes pas reconnu complètement la profondeur de ce qu’ils déclaraient. Ces sermons inspirés ne contiennent aucun indice d’inégalité entre les hommes et les femmes et semblent contredire la culture prédominante de l’époque. Néphi déclare hardiment que Dieu « ne repousse aucun de ceux qui viennent à lui, noirs et blancs, esclaves et libres, hommes et femmes ; et il se souvient des païens ; et tous sont pareils pour Dieu, tant le Juif que le Gentil » (2 Néphi 26:33). De même, le frère cadet de Néphi enseigne que « un être est aussi précieux à ses yeux [de Dieu] que l’autre » (Jacob 2:21). En dépit de la tendance culturelle à diminuer l’importance d’un segment de la population, la doctrine et les promesses de Dieu parlent à tous ses enfants et transcendent toutes les cultures mortelles[2].

 

Deuxièmement, les écrits de Néphi contiennent en fait des allusions multiples aux femmes. « Ce qui est étonnant, ce n’est pas qu’il y ait si peu de choses sur les femmes dans le Livre de Mormon, mais qu’il y en ait tant, étant donné l’époque et les traditions[3]. » Vus sous cet angle, les cas dans lesquels il est question de femmes dans le récit de Néphi doivent être considérés non comme dénués d’importance mais comme dignes d’un examen sérieux.

 

Qui étaient les femmes de 1 Néphi ?

 

Néphi mentionne expressément neuf femmes : Sariah, la femme d’Ismaël, les cinq filles d’Ismaël (dont quatre devinrent les épouses des quatre fils aînés de Léhi et une qui épousa Zoram, le serviteur de Laban; voir 1 Néphi 16:7) et les deux femmes qui entrèrent par le mariage dans la famille d’Ismaël avant leur départ de Jérusalem (voir 1 Néphi 7:6). Néphi fait allusion à ses « sœurs » dans 2 Néphi 5:6, mais le texte ne fournit aucune information confirmant le nombre de sœurs ou l’ordre de leur naissance dans la famille. John L. Sorenson considère que ces filles sont nées à Jérusalem, avant le départ de la famille, et devaient être plus jeunes que Néphi; « autrement, il serait impossible de les situer dans l’histoire des enfantements de Sariah[4]. » Il suffit de dire que neuf femmes citadines au moins ont été précipitées dans une existence de huit ans dans le désert. Non seulement ces neufs femmes ont survécu, mais l’expérience a définitivement changé leur vie. Le fait de contempler la vie dans le désert par leurs yeux nous apporte une perspective qui sinon nous échapperait.

 

SARIAH

 

Sariah est la première et la seule femme que Néphi nomme dans ses annales. En termes presque respectueux, il fait allusion à elle dans la toute première phrase (« Moi, Néphi, étant né de bons parents… ») et mentionne expressément son nom quand il énumère les membres de sa famille (voir 1 Néphi 2:5). Le nom Sariah vient apparemment du nom hébreu הירש (śryh). Les détracteurs du Livre de Mormon ont avancé l’argument que bien que śryh puisse être détecté dix-neuf fois dans la Bible comme nom masculin, il n’y a aucun indice que ce nom ait été appliqué à une femme. En réponse à cela, Jeffrey R. Chadwick a découvert une mention d’une femme d’Éléphantine appelée « śryh, fille d’Osée[5] » dans un papyrus araméen du 5e siècle av. J.-C. Dans l’usage féminin, le nom signifie probablement « princesse de Jéhovah », dérivé de la racine hébraïque sar(ah), signifiant « prince » ou « princesse » et jah, dérivé de Jéhovah[6]. »

 

En outre, dans ses annales, Néphi décrit davantage sa mère que n’importe quelle autre femme. Au chapitre 5 de 1 Néphi, dix versets consécutifs traitent de Sariah (voir 1 Néphi 5:1-10). Ce récit rapporte la réaction de crainte de Sariah quand elle ne voit pas ses fils revenir de leur mission d’obtenir les plaques d’airain de Laban. La lecture hâtive et limitée de ces versets pourrait amener le lecteur inattentif à en conclure que Sariah était du genre à « murmurer ». Mais cette façon de voir ignore la conception que l’on avait généralement des femmes dans cette culture.

 

Nous considérons les questions suivantes : Qu’exigeait-on de Sariah quand on lui a fait quitter son mode de vie habituel à Jérusalem ? Quelles sont les indications de la foi de Sariah qui se dégagent au moment du départ de la famille ? Pourquoi Néphi décide-t-il de noter cet incident pour attirer notre attention sur sa mère, un incident qui la montre manifestement en train de murmurer contre Léhi ? Pourquoi ne pas choisir une expérience qui montrerait plus manifestement sa force spirituelle ? Quel effet l’attitude de Sariah va-t-elle avoir sur les autres femmes qui rejoindront plus tard le groupe de Léhi ? Telles sont les questions que j’aimerais approfondir dans cette étude.

 

LE DEPART DE JERUSALEM

 

Pour apprécier le sacrifice que représentait le départ du groupe de Jérusalem, nous déduisons des annales quelques indices sur la maison que Léhi et Sariah ont abandonnée. Néphi rappelle souvent que son père était un homme riche. Il parle « de l’or et de l’argent et toutes sortes de richesses » de la famille (1 Néphi 3:16), de leurs « choses précieuses » (1 Néphi 2:4; 3:22), et de la réaction de convoitise de Laban devant l’abondance des biens familiaux de Léhi (voir 1 Néphi 3:25). Nous pouvons donc en déduire que la famille habitait dans une des plus belles maisons de ou près de la ville et jouissait d’une situation sanitaire et alimentaire particulièrement favorable[7]. Les archéologues ont découvert des maisons bien construites à l’intérieur des murs de Jérusalem, dans une partie de la ville appelée Citée de David. Ces maisons datent du 7e siècle av. J.-C., et il y a des indications qu’elles ont étés détruites par le feu au moment de l’invasion babylonienne en 586 av. J.-C.[8]. Bien que Léhi et Sariah aient très vraisemblablement habité dans une autre partie de la ville, ces maisons contemporaines nous donnent une idée du luxe relatif que leur famille a vraisemblablement connu.

 

Une de ces maisons qui ont été découvertes était un bâtiment de quatre pièces et de deux niveaux avec de grosses colonnes pour soutenir le toit et des blocs de calcaire taillé encadrant les ouvertures de porte. La maison mesurait six mètres vint sur dix mètres quatre-vingts. Une aile « de service », constituée de trois chambres minuscules derrière la maison contenait des toilettes intérieures et le logement des domestiques[9]. Les restes d’autres belles maisons à Jérusalem montrent que les résidents possédaient des chaises, des tables, des lits, de nombreuses lampes à huile en argile, un four, des structures de pierre pour entreposer du grain et des récipients d’argile pour entreposer des liquides. Les maisons les plus belles étaient ornées de décorations sous forme de peintures, de vases de faïence, de perles de verre, de plaques d’ivoire gravées, de poteries décorées et de laiton travaillé[10].

 

Si le fait de partir de chez lui fut un sacrifice pour Léhi, on peut affirmer que ce fut une épreuve plus grande de la foi pour Sariah. Il y a quatre raisons qui soutiennent cette affirmation. Premièrement, il est certain que Sariah passait plus de temps chez elle et avait plus de responsabilités domestiques que Léhi; par conséquent, partir de chez elle devait être quelque chose de très important pour elle. Selon la tradition Israélite, la maîtresse de maison supervisait toutes les autres femmes de la maison, y compris les filles non mariées, les belles-filles et les servantes[11]. Le monde de Sariah tournait autour de sa maison, tandis que les devoirs commerciaux et religieux devaient amener Léhi à être souvent hors de chez lui.

 

En outre, ils abandonnèrent leurs « choses précieuses » pour ne prendre que leur « famille, et des provisions, et des tentes » (1 Néphi 2:4). Pour avoir visité des camps bédouins le long d’un itinéraire que la famille de Léhi a pu suivre, certains chercheurs de l’Église pensent que les « provisions » contenaient « du blé, de la farine, de l’orge, du lait caillé séché, de l’huile d’olive ou de sésame, des olives, des dattes, quelques ustensiles de cuisine, de la literie et des armes telles que arcs, flèches et couteaux » mais qu’il ne devait pas y avoir des couverts[12]. Il est peu probable que Sariah ait emmené de jolis colifichets ou des décorations de maison pour adoucir la dure réalité de la vie sous la tente.

 

Ces derniers siècles, les femmes nomades, telles que les bédouines, possédaient un simple coffre avec une serrure pour contenir leur trésor. Chaque femme portait la clé dans son turban[13]. Même les femmes de très riches bédouins n’avaient qu’un seul coffre, même s’il était très gros. Les bédouines portaient aussi leurs trésors sous la forme de pièces de monnaie et de bijoux autour du cou et des poignets. On peut se demander si Sariah faisait la même chose. Les richesses qui lui entouraient le cou et les raffinements qu’elle avait dans son coffre ont sans doute peu à peu disparu du fait que la nécessité de survivre dans le désert l’a mise dans l’obligation de les échanger ou de les vendre. Après tout, Néphi dit que son père abandonna ses biens (voir 1 Néphi 2:4); il n’affirme rien de pareil en ce qui concerne les richesses portables de sa mère. Que ce soit dès le début de leur voyage ou plus tard, lorsque la famille fit voile vers un nouveau pays, il est sous-entendu que Sariah était démunie de tout rappel tangible de la vie privilégiée qu’elle avait connue à Jérusalem.

 

Une deuxième raison qui nous donne à croire que le départ a été plus difficile pour Sariah c’est que Léhi a dû s’adapter plus facilement à la vie sous la tente à plein temps que Sariah. Hugh Nibley voit en Léhi « un expert en voyages caravaniers[14]. » Les membres de la famille se plaignaient des visions de Léhi, mais jamais de son manque d’habileté à conduire et à protéger sa famille dans le désert. De même, ses fils semblent avoir eu une expérience préalable de la chasse dans le désert, Néphi en particulier, qui possédait un arc en acier (voir 1 Néphi 16:14-18). Les frères de Néphi se moquent de sa proposition de construire un bateau mais jamais de sa capacité de chasser dans le désert[15]. Par contraste, la tradition donne à croire que les femmes restaient chez elles pendant les voyages caravaniers. On se demande si Sariah avait jamais passé du temps sous une tente. Il est vrai que Léhi possédait probablement une bonne tente avec de l’ameublement pour augmenter le confort et la protection, mais même la tente la plus luxueuse aurait été une maigre consolation à la perte de la maison de Sariah à Jérusalem.

 

Troisièmement, chose sans doute plus difficile encore que quitter le confort et le luxe de sa maison, Sariah a dû quitter sa famille et les autres femmes qu’elle fréquentait[16]. Au moment où sa famille part en voyage, Néphi cite Sariah comme seule femme dans une distribution d’hommes « de grande stature ». Cela implique qu’au départ Sariah n’avait pas de compagnie féminine pendant une période d’adaptation exigeante. Cela aurait certainement renforcé son courage et aurait rendu les choses plus faciles pour elle si elle avait eu une autre femme pour compatir à son sort et partager le fardeau des exigences croissantes.

 

Quatrièmement, Néphi ne donne aucune indication de ce que sa mère ait reçu du Seigneur son témoignage personnel de la nécessité de fuir Jérusalem. Léhi, par contre, reçoit beaucoup de visions et de songes (voir 1 Néphi 1:16) qui vont lui permettre de voir, d’entendre et de lire pour connaître Dieu et sa volonté. En réponse à sa prière, Léhi « vit et entendit beaucoup de choses » à cause desquelles « il frémit et trembla extrêmement » (1 Néphi 1:6). Il vit « Dieu assis sur son trône » et « un être descendre du milieu du ciel » dont le « resplendissement surpassait celui du soleil à midi » et « douze autres le suivre [dont] l’éclat dépassait celui des étoiles du firmament » (1 Néphi 1:8-10). Ces personnages glorieux donnèrent à Léhi un livre dans lequel il lut la destruction imminente de Jérusalem (voir 1 Néphi 1:13-14). Finalement, le Seigneur commanda à Léhi « en songe, de prendre sa famille et de partir dans le désert » (1 Néphi 2:2).

 

Toutes ces révélations mettent en évidence l’amour manifeste de Dieu pour son prophète, Léhi, et la confiance qu’il lui accorde, ainsi que la foi et l’obéissance louables de Léhi, même quand sa vie est menacée par des Jérusalémites furieux. Néphi se borne à dire : « Et il arriva [que Léhi] fut obéissant à la parole du Seigneur… Et il arriva qu’il partit dans le désert » (1 Néphi 2:3, 4).

 

Toutefois, ces songes et ces visions ne nous disent pas grand chose sur Sariah. Elle aussi obéit à la parole du Seigneur et part dans le désert. Pourquoi s’en va-t-elle ? Le récit n’en dit rien. Si sa mère a reçu une manifestation spirituelle confirmant celle de son mari, Néphi ne l’écrit pas et, compte tenu de sa culture, nous ne nous y attendrions pas de sa part. Sariah était-elle illettrée, comme c’était typique des femmes de cette époque-là, et par conséquent limitée dans son accès aux Écritures ? Il est certain que le fait qu’elle obéit sans hésiter au commandement du Seigneur donné par l’intermédiaire de Léhi que la famille quitte Jérusalem est révélateur d’une foi et d’une résolution fortes de suivre la volonté du Seigneur, de respecter son mari et d’honorer ses alliances matrimoniales. Oui, Sariah obéit, comme le prophète qu’était son mari, abandonnant une belle maison entretenue par des domestiques, entourée de parents et d’amis, pour vivre dans un monde auquel elle n’était pas habituée. Il n’y a aucune indication que Sariah ait murmuré en quittant Jérusalem. Elle entreprit apparemment le voyage dans le désert parce qu’un prophète avait témoigné que telle était la volonté de Dieu et qu’elle avait l’assurance que son témoignage était vrai.

 

LA CRISE DE SARIAH

 

Comme si le Seigneur la poussait jusqu’à l’extrême limite de sa foi, Sariah ne tarda pas à affronter une autre épreuve bien plus exigeante que d’abandonner sa maison et sa parenté. Devant le risque de perdre ses quatre fils, elle « murmura » (voir 1 Néphi 5:1-3). Quitter un mode de vie confortable était une chose, se voir arracher sa bénédiction la plus précieuse en était une tout autre. Dans l’Israël d’autrefois, les enfants étaient la raison d’être des femmes (voir Psaume 127:3; 128:3). Ce n’est que dans leur rôle de mère que les femmes israélites recevaient honneur et autorité. « Le rôle premier et essentiel de la femme [israélite] au sein de la famille… constitue sa récompense personnelle et sociale la plus élevée[17]. » Plus précisément le fait d’avoir des fils constituait la plus grande source de joie et de consolation pour une femme. Les fils étaient considérés comme une bénédiction particulière non seulement parce qu’ils pouvaient défendre la famille face à l’opposition, mais parce qu’ils garantissaient la continuation du nom de famille[18]. L’amour réciproque des fils pour leur mère était typique. Charles A. Doughty, explorateur britannique du XIXe siècle qui fit le hajj (le pèlerinage islamique à la Mecque) en voyageant à dos de chameau dans les mêmes déserts que la famille de Léhi, observe que parmi les Bédouines « le fils adulte a un respect tendre pour sa mère… avant même l’amour ardent de sa toute jeune épouse » et on pouvait être sûr qu’il accueillerait sa belle-mère comme intendante de sa tente si quelque chose arrivait à son mari[19]. Ces relations peuvent expliquer en partie pourquoi Néphi parle davantage de sa mère que de sa femme.

 

La force de ces liens familiaux faisait que la perte d’un fils était une tragédie particulièrement traumatisante, une catastrophe presque insurmontable si une mère comme Sariah devait perdre tous ses fils à la fois. Des siècles après l’époque de Sariah, mais dans une tradition culturelle du désert du même genre, Doughty rencontra une femme qui essaya de lui offrir une brassée de légumes et de fruits frais tout en le suppliant :

 

J’ai perdu mes enfants les uns après les autres, quatre fils, et pour le dernier j’ai supplié mon Seigneur de me laisser cet enfant, mais il est mort aussi… et il avait presque atteint l’âge adulte. Et il y a des moments où ce chagrin m’envahit tellement que j’en deviens folle; mais dis-moi, ô étranger; n’as-tu rien à dire dans un tel cas ? Quant à moi je fais ce que tu vois – je pourvois aux besoins des autres – dans l’espoir que mon Seigneur aura finalement pitié de moi[20].

 

A cet amour maternel profond venait s’ajouter le fait que Sariah connaissait les dangers qui attendaient ses fils à Jérusalem. Beaucoup d’hommes à Jérusalem, qui détenaient le pouvoir, se livraient à une vendetta contre « les prophètes » qui les mettaient en garde avec véhémence contre toute résistance à l’égard des Babyloniens (voir 1Néphi 7:14-15)[21]. Nous pouvons donc comprendre les appréhensions de Sariah quand elle ne vit pas ses fils revenir de Jérusalem en temps voulu. Nous nous posons donc de nouveau la question : Pourquoi le Seigneur a-t-il inspiré Néphi à noter cet incident dans son récit ? De toute évidence, l’intention de Néphi n’était pas de diminuer sa mère, ni d’inciter les lecteurs à la considérer comme une rouspéteuse dénuée de foi.

 

Je propose une explication différente. Pour installer Léhi et sa famille dans un nouveau pays où ils inspireraient et instruiraient les générations ultérieures à aller au Christ, Dieu avait besoin de quelque chose de plus qu’un père et un fils (comme successeur) pour posséder un témoignage éprouvé sous le feu de l’affliction. Il avait également besoin d’une matriarche aguerrie par les épreuves de sa propre foi et armée de son propre témoignage inébranlable, pour tenir bon avec le prophète qu’était son mari.

 

En ne voyant pas ses fils revenir, Sariah eut peur, ce qui montre que sa foi du moment, quoique admirablement forte, ne l’était pas encore suffisamment pour continuer le difficile voyage, et encore plus pour fonder une famille respectueuse de Dieu dans un nouveau pays. Le contenu de 1 Néphi 5 est par conséquent particulièrement significatif parce qu’il montre à quel point la préparation d’une mère est cruciale pour le Seigneur. Dieu désirait non seulement que la famille possède les plaques d’airain pour le voyage, mais aussi que la mère et le père aient une foi inébranlable avant de continuer.

 

Dans sa crainte, Sariah fait « des reproches » à son mari, le traitant de « visionnaire » et l’accusant d’avoir emmené sa famille périr dans le désert (voir 1 Néphi 5:2). Léhi ne conteste pas l’accusation de Sariah mais confirme la force qui le pousse à agir avec une foi totale. Il répond : « Je sais que je suis un visionnaire : car si je n’avais pas vu les choses de Dieu dans une vision, je n’aurais pas connu la bonté de Dieu, mais serais demeuré à Jérusalem et aurais péri avec mes frères » (1 Néphi 5:4 ; 19:20). Il continue ainsi son témoignage : « Je sais que le Seigneur délivrera mes fils des mains de Laban et les fera redescendre vers nous dans le désert » (1 Néphi 5:5). Néphi raconte que « c’est dans ce genre de langage que mon père, Léhi, consola ma mère, Sariah », ce qui donne à penser que ce genre d’échange se produisit un certain nombre de fois pendant l’absence des fils. Mais le fait que Sariah désirait être constamment rassurée indique que le témoignage puissant de Léhi, bien que consolateur, ne suffisait pas pour compenser le risque de perdre ses fils (voir 1 Néphi 5:1, 3, 6).

 

Sariah a dû commencer à prier avec plus de ferveur que jamais auparavant pendant l’absence de ses fils, non seulement pour leur sécurité mais aussi pour avoir la confirmation que leur voyage avait une grande importance pour le Seigneur. On peut imaginer Sariah scrutant anxieusement l’horizon plusieurs fois par jour, espérant avoir un signe du retour de ses fils, et suppliant Dieu pendant tout ce temps-là.

 

Néphi nous donne un aperçu des retrouvailles pleines d’émotion avec ses parents quand ses frères et lui reviennent de Jérusalem. « Et il arriva qu’après que nous fûmes descendus dans le désert vers notre père, voici, il fut rempli de joie, et ma mère, Sariah, se réjouit extrêmement aussi, car elle s’était vraiment lamentée à cause de nous » (1 Néphi 5:1). Doughty décrit le même genre de retour d’un fils auprès de sa mère :

 

« Une pauvre vieille bédouine, quand elle apprit que son fils était revenu, l’avait suivi jusque là dans le sable chaud; maintenant elle l’attendait, s’appuyant faiblement sur un piquet de la tente… [après avoir fait son rapport aux hommes du camp], il sortit pour saluer sa mère, qui courut et jeta ses faibles bras autour de son cou viril, tremblant de vieillesse et de tendresse, de le voir de nouveau vivant et sain et sauf; elle l’embrassa et ne pouvait parler, mais poussait de petit cris. Certains des hommes rirent grossièrement et se moquèrent de ces démonstrations, mais un des hommes dit : ‘Pourquoi riez-vous ? N’est-ce pas là l’amour d’une mère ?[22]’ »

 

Les retrouvailles de Sariah avec ses fils étaient en outre chargées du témoignage spirituel et de la foi plus forte qu’elle reçut à la suite de son épreuve. A ce moment, elle acquit un témoignage plus profond que ce qu’elle avait précédemment connu. Remarquez la force et l’assurance qui se dégagent d’elle quand elle rend témoignage à sa famille réunie : « Maintenant je sais avec certitude que le Seigneur a commandé à mon mari de fuir dans le désert; oui, et je sais aussi avec certitude que le Seigneur a protégé mes fils, et les a délivrés des mains de Laban, et leur a donné du pouvoir pour leur permettre d’accomplir ce que le Seigneur leur a commandé » (1 Néphi 5:8). Sariah a dû continuer à exprimer sa foi, car Néphi ajoute : « C’est dans ce genre de langage qu’elle parla » (1 Néphi 5:8). A un moment donné, soit à ce moment-là ou plus tard, elle ou Léhi a dû rendre compte de sa crise, notamment ses craintes pendant que ses fils étaient partis et les plaintes qu’elle avait adressées à leur père. Néphi n’était pas personnellement présent pour être témoin des craintes de Sariah, mais il note l’expérience parmi « ce qui plait à Dieu » (1 Néphi 6:5). Il est évident que le témoignage de Sariah a communiqué une vérité importante à Néphi, une vérité qui contenait un message pour les générations à venir. De plus, le témoignage personnel maintenant ferme de Sariah allait être une bénédiction pour Léhi. Lorsque des moments périodiques de découragement grignotaient sa foi, Sariah pouvait réaffirmer les promesses que Dieu lui avait faites comme Léhi l’avait fait pour elle pendant sa crise.

 

Quand on apprécie l’épiphanie de Sariah, on trouve aussi une signification plus grande au sacrifice qu’elle a offert ensuite. « Et il arriva qu’ils se réjouirent extrêmement et offrirent des sacrifices et des holocaustes au Seigneur ; et ils rendirent grâce au Dieu d’Israël » (1 Néphi 5:9). Notez que Néphi signale qu’« ils » offrirent le sacrifice. Étant donné que Néphi écrivait à la première personne, il dit ici qu’il n’était pas inclus comme participant principal à l’ordonnance. Le contexte laisse entendre que c’est Léhi et Sariah ensemble qui ont accompli cet acte sacré d’adoration. On peut sentir l’engagement personnel renouvelé que Sariah a déposé respectueusement sur l’autel en même temps que le sacrifice de l’animal. Et – chose extrêmement importante – il n’y a aucune indication que Sariah ait jamais murmuré de nouveau.

 

L’ARRIVEE DE LA FAMILLE D'ISMAEL

 

Sariah reçut le témoignage qui la confirma dans sa foi en Dieu avant que ses fils ne retournent à Jérusalem chercher la famille d’Ismaël. La conversion de Sariah allait influencer les autres femmes qui allaient se joindre à leur camp. Il est clair que beaucoup dans la famille avaient connu un accroissement spectaculaire de leur foi du fait qu’ils s’étaient acquittés du commandement de Dieu de se procurer les plaques d’airain. Lors du deuxième voyage de retour, les fils ne rencontrèrent pas d’opposition au pays de Jérusalem et Sariah n’exprima aucune crainte au sujet de leur absence.

 

Le texte est silencieux sur la raison pour laquelle les filles d’Ismaël furent choisies pour être les épouses des fils de Léhi et de Sariah. La tradition parmi les peuples du désert était qu’une femme devait épouser le fils de son oncle paternel[23]. Par conséquent, il se peut qu’il y ait eu des liens familiaux entre Ismaël (ou sa femme) et Léhi ou sa femme. Erastus Snow dit avoir appris de Joseph Smith que les filles de Léhi étaient déjà entrées dans la famille d’Ismaël par le mariage, ce qui reliait les deux familles avant même leur départ de Jérusalem[24]. En outre le fait fortuit qu’un nombre précis d’hommes éligibles était disponible pour épouser les cinq filles célibataires d’Ismaël a pu jouer un rôle important dans la décision d’Ismaël de rejoindre la famille de Léhi dans le désert[25]. Finalement, Néphi nous dit que le Seigneur adoucit le cœur d'Ismaël et aussi celui des membres de sa « maison » pour les aider dans leur décision de partir (voir 1 Néphi 7:5).

 

Tout en nous émerveillant devant l’assurance avec laquelle une famille a pu quitter son mode de vie citadin confortable pour résider dans le désert à la recherche d’une nouvelle patrie, nous notons que tous les membres de la famille d’Ismaël n’étaient pas spirituellement prêts pour la mission que Dieu les avait appelés à remplir. Pendant le voyage de retour, un conflit grave éclata. Deux groupes opposés en sortirent avec des femmes de part et d’autre. Quatre femmes (deux filles célibataires d’Ismaël et ses deux belles-filles) prirent le parti de Laman et de Lémuel et des deux fils mariés d’Ismaël. Les quatre autres femmes de la famille d’Ismaël (sa femme et les trois filles célibataires restantes) prirent le parti de Néphi, de Sam, et d’Ismaël (voir 1 Néphi 7:6).

 

Lorsque leur colère atteignit son paroxysme, Laman et Lémuel ligotèrent Néphi et le menacèrent de mort. La force physique de Néphi et ses prières ferventes détachèrent ses liens mais ne purent calmer la colère de ses frères. Ce furent plutôt les femmes du groupe qui réussirent à adoucir les frères querelleurs. Néphi raconte que ce fut d’abord une fille d’Ismaël, puis la femme d’Ismaël et enfin un des fils d’Ismaël qui calmèrent la colère de Laman et de Lémuel. L’ordre des personnes citées implique que ce sont les deux femmes qui jouèrent le rôle le plus efficace dans le rétablissement de la paix et de l’entente (voir 1 Néphi 7:19).

 

Un érudit avance la théorie que les femmes ont réussi dans cet incident parce que la culture sémitique permettait aux hommes de sauver la face en cédant aux supplications d’une femme[26]. Bien qu’il ait pu en être ainsi, c’est sous-estimer la force de l’influence d’une femme. Il se peut que le fait qu’elles aient réussi à calmer Laman et Lémuel avait plus à voir avec la capacité qu’ont les femmes de remplacer les querelles et la désunion par le respect et le calme entre hommes qui s’affrontent. En outre, nous remarquons que la femme et la fille d’Ismaël avaient leur mot à dire dans les affaires des voyageurs et que cette voix avait du poids. C’est une observation importante parce que cela contredit la plupart des choses que l’on dit concernant le rôle traditionnel des femmes dans les civilisations apparentées. Par exemple, Doughty constate que les femmes gardaient la plupart du temps le silence dans les clans familiaux du désert. Il fait cette réflexion : « Les femmes… vivent sous la tyrannie jalouse des maris… elles ont peur de s’exprimer, craignant les reproches prompts des hommes[27]. »

 

Étant donné que les deux familles venaient de la même culture israélite, on suppose que Sariah était considérée comme la « maîtresse de maison », supervisant ses nouvelles belles-filles et exerçant une influence importante sur l’ensemble des femmes. Cette influence est particulièrement importante quand nous nous souvenons de la foi nouvellement renforcée de Sariah. Son témoignage a dû se faire entendre en même temps que celui de Léhi et de Néphi et a dû renforcer les convictions et l’assurance que le voyage avait un but divin (tant chez les hommes que chez les femmes). Une voix aussi importante ne serait pas réduite au silence dans le camp, bien que Sariah ne soit plus citée dans le texte.

 

LA VIE DANS LE DESERT

 

La présence de chefs de famille convertis et craignant Dieu ne gommait pas les vicissitudes physiques de la vie du groupe en général et les difficultés du désert en particulier. « Les souffrances » et les « afflictions » sont souvent mentionnées dans le récit de Néphi. Les moments de faim et de soif intenses ont joué un rôle essentiel dans leur lutte pour la survie (voir 1 Néphi 16:19,21,35). Doughty fait observer que « les Arabes habitent un pays de disette et de faim » et que « bien des fois entre leurs points d’eau, il ne reste pas la moindre pinte d’eau dans les tentes des plus grands cheiks. » Il note aussi que quand ils avaient accès à un peu d’eau, elle était souvent « de l’eau de surface tiède » et malsaine ou infectée d’urine de chameau[28].

 

Une nourriture de base dans le régime du voyageur du désert était la datte, décrite comme « trop de sucre écœurant et pas suffisamment nourrissant[29]. » Le menu n’était guère varié et dépendait du lait de chèvre, des mammifères du désert et des sauterelles grillées sur les braises chaudes et mangées sans la tête[30]. Doughty remarque l’état de famine particulièrement généralisé chez les femmes : « Depuis les mois de printemps jusqu’aux mois de printemps, neuf mois de l’année… la plupart des femmes nomades languissent de faim[31]. 

 

Si « les bêtes sauvages » menaçaient la sécurité du groupe de Léhi (voir 1 Néphi 7:16), elles constituaient aussi une source de nourriture substantielle (voir 1 Néphi 16:31). Décrite comme une bénédiction du Seigneur, la viande du désert se mangeait crue parce que le Seigneur la rendait tendre pour eux (voir 1 Néphi 17:2,12). Citant un explorateur du dix-neuvième siècle en Arabie, Nibley suggère que la raison pour laquelle ils devaient manger de la viande non cuite était pour diminuer la nécessité de faire des feux qui attireraient « les rôdeurs à l’affût » vers la colonne de fumée[32]. Le Seigneur explique aussi que le fait de réduire la nécessité des feux devait aussi enseigner au groupe de Léhi qu’il serait sa « lumière dans le désert » (1 Néphi 17:13). Cependant quand on regarde l’aventure par les yeux des femmes, une autre raison de qualifier la viande crue de bénédiction devient évidente. Sans la nécessité de cuisiner, les femmes devaient voir leur charge de travail manifestement réduite. Si ce n’est que pour cette raison-là, le fait de pouvoir manger de la viande crue montre la compassion du Seigneur pour ces femmes dont les lourdes tâches étaient soulagées par l’élimination de l’obligation de faire la cuisine.

 

La vitesse et le mode de transport de la famille jettent aussi une lumière sur la vie des femmes dans le désert. Le groupe de Léhi utilisa probablement des chameaux pour transporter son matériel encombrant et ses biens essentiels ainsi que lui-même. En faisant trente à quarante kilomètres par jour, la vitesse maximale pour les chameaux chargés, Léhi pouvait couvrir la distance entre Jérusalem et les endroits proposés pour Abondance en quelques semaines plutôt qu’en huit ans[33]. Le groupe a dû camper pendant des périodes prolongées ou a été retardé pour d’autres raisons en cours de voyage. Pour expliquer certaines des années de séjour supplémentaires, S. Kent Brown a émis la supposition que la famille de Léhi a connu des périodes de servitude ou d’esclavage parmi des clans plus importants du désert et que la famille a pu échanger sa liberté contre de la nourriture et de l’eau[34]. Alma attribue le temps perdu par Léhi au cours du voyage à de la « paresse » de la part de certains membres du groupe qui « oubliaient d’exercer leur foi et leur diligence » (Alma 37:41-42).

 

Ils ont peut-être campé et se sont reposé plus longtemps lorsque les femmes étaient avancées dans leur grossesse et après leurs enfantements. Néphi écrit que les femmes, y compris Sariah, donnèrent le jour à un ou plusieurs enfants pendant les huit années qu’elles passèrent dans le désert (voir 1 Néphi 17:1; 18:7)[35]. Doughty décrit le lit d’accouchement dans le désert comme « un manteau ou une toile de tente étendue sur la terre ». Habituellement les femmes âgées du clan aidaient la mère en l’éloignant du clan « à part dans le désert » pour être délivrée[36].

 

Outre leur devoir de porter, enfanter et nourrir les enfants, les femmes du désert s’acquittaient d’une liste impressionnante d’autres responsabilités. Elles allaient chercher l’eau, rassemblaient le bois pour le feu, battaient le beurre, gardaient les troupeaux, préparaient les repas, filaient le fil avec lequel on tissait les manteaux pour que la famille ait chaud, tissaient les nattes de palmier qui couvraient les sols des tentes et tissaient et réparaient les cordes utilisées pour fixer les tentes[37]. Ce qui est le plus remarquable, c’est que l’on considérait que c’était le travail des femmes de démonter les tentes, de charger les tentes et le matériel sur les chameaux, d’assurer la sécurité des enfants et du matériel pendant le transport et de dresser de nouveau la tente lorsque l’on atteignait un nouveau campement[38]. La plupart des tentes étaient faites de peaux de chèvres noires, ce qui les rendait particulièrement lourdes[39]. Doughty décrit comment un clan bédouin s’installe dans un nouveau camp :

 

Les ménagères étalent les toiles de tentes, en sortent les cordes de coin et de côté et, après avoir trouvé une pierre à utiliser comme marteau, elles enfoncent les piquets de tente dans le sol et plaçent en dessous les poteaux ou « piliers » (am’dàn) elles soulèvent et étirent la toile de tente : et maintenant leurs tabernacles sont debout. L’épouse entre, et quand elle a déchargé tout le matériel, elle apporte le petit déjeuner à l’homme… après quoi elle s’assied à l’intérieur, balançant sur ses genoux la semîla ou outre à lait caillé, pour faire le beurre du jour[40].

 

Pas étonnant que George Reynolds et Janne Sjodahl observent dans leurs commentaires sur le séjour de Léhi dans le désert que « les épouses n’étaient pas un fardeau sur la route mais la plus grande aide [du groupe][41]. »

 

Plus on réfléchit aux rigueurs de la vie dans le désert, mieux on comprend pourquoi il y a eu des murmures et même des plaintes ouvertes dans le groupe de Léhi. Ils avaient après tout des goûts essentiellement urbains. Néphi signale que la plupart des hommes murmuraient extrêmement à cause de leurs afflictions, en particulier Laman, Lémuel et les deux fils d’Ismaël; « et mon père aussi commença à murmurer contre le Seigneur, son Dieu » (1 Néphi 16:20). Les filles d’Ismaël se mirent aussi à murmurer après la mort de leur père dans le désert : « Notre père est mort; oui et nous avons beaucoup erré dans le désert, et nous avons souffert beaucoup d’afflictions, la faim, la soif et la fatigue » (1 Néphi 16:35). Sariah est visiblement absente de cette liste de rouspéteurs. Plus ferme que la vallée de Lémuel ou que les piquets qui soutenaient les tentes du désert, la foi de Sariah était une ancre importante.

 

C’est peut-être le témoignage inébranlable de Sariah aidé des enseignements de Néphi qui amena chacune de ces femmes, comme Néphi, à désirer « voir, et entendre, et connaître également ces choses par le pouvoir du Saint-Esprit, qui est le don de Dieu à tout ceux qui le recherchent diligemment » (1 Néphi 10:17). Car après la mise à l’épreuve de leur foi, Néphi fit à ces femmes le plus beau des compliments d’un point de vue masculin : « Nos femmes… étaient fortes, oui, comme les hommes, et elles commencèrent à supporter leurs voyages sans murmures » (1 Néphi 17:2). Par la suite, lorsqu’il y eu des plaintes, elles venaient des frères de Néphi et encore, pas pour leurs propres afflictions, mais pour les épreuves que subissaient les femmes : « Nos femmes ont peiné, étant dans leur grossesse avancée, elles ont donné le jour à des enfants dans le désert et ont tout souffert sauf la mort, et il aurait mieux valu qu’elles fussent mortes avant de sortir de Jérusalem que d’avoir souffert ces afflictions » (1 Néphi 17:20). Cette déclaration implique que les femmes souffraient davantage que les hommes, mais geignaient moins après que leur foi ait été fortifiée.

 

En outre, Néphi prend note des plaintes des hommes en faveur des femmes. Le message qui en découle est que si ces femmes, qui avaient été arrachées à une vie urbaine relativement confortable, pouvaient devenir suffisamment fortes au milieu de leurs afflictions extrêmes, cela doit être possible aussi pour vous et moi. Paul a enseigné la même relation entre les épreuves et l’acquisition de la foi : « Dieu ayant en vue quelque chose de meilleur pour eux, par leurs souffrances, car sans souffrances, ils n’auraient pas pu parvenir à la perfection » (Hébreux 11:40 TJS). Et Néphi ajoute en écho : « Et ainsi, nous voyons que… si les enfants des hommes gardent les commandement de Dieu, il les nourrit et les fortifie, et fournit les moyens par lesquels ils peuvent accomplir ce qu’il leur a commandé » (1Néphi 17:3). Néphi utilise l’exemple de la foi des femmes pour nous donner cette leçon.

 

CONCLUSION

 

Ce que Néphi nous dit des femmes dans 1 Néphi nous en dit long sur la nécessité de rechercher et de recevoir notre propre témoignage de la vérité. En outre, le vécu des femmes léhites met en évidence le rôle joué par l’adversité pour parvenir à un tel témoignage. A bien des égards, les femmes du groupe de Léhi sont en parallèle avec les femmes pionnières héroïques et pleines de foi qui quittèrent des maisons confortables tant à Nauvoo que dans des pays lointains pour « se rassembler en Sion ». Pendant le 19e siècle, des dizaines de ces femmes traversèrent un désert hostile et dangereux, dans le but de fonder une patrie où un peuple pourrait s’engager à suivre Dieu quoi qu’il advienne. Une fois qu’elles arrivèrent dans la vallée du lac Salé, elles continuèrent à jouer un rôle actif tant dans le domaine public que dans le domaine privé. Leurs voix, combinées à celles de leurs frères, ont forgé une société qui a influencé de plus en plus ceux qui désirent connaître Dieu.

 

Bryant S. Hinckley, père de Gordon B. Hinckley, a reconnu l’influence essentielle des femmes dans tous les aspects de la société. Bien que c’était des pionnières qu’il parlait, on pourrait dire la même chose des femmes de 1 Néphi :

 

« Nos mères pionnières ont amené avec elles dans les coins les plus perdus de cette république l’esprit du foyer et la culture de l’espèce. Il n’est pas de rôle dans la vie où les femmes n’aient pas leur place et ne jouent pas leur rôle avec héroïsme et courage. Il n’est pas d’endroit où l’homme se rend, aussi difficile que cela soit, aussi loin que cela soit, sans qu’elle suive et cela pour être une bénédiction et une réjouissance pour sa demeure… Dans les conseils et dans les assemblées, elle est là pour réfléchir au bien-être de l’humanité et pour le promouvoir avec un instinct et une inspiration supérieurs à la raison de l’homme. Mais il n’est pas d’autre endroit où elle soit à sa place de manière plus parfaite et contribue d’une manière plus complète que dans ce havre que nous appelons le foyer[42]. »

 

Une chose que reconnaît aussi l’aventure du désert de 1 Néphi, c’est l’égalité des sexes sans que l’un des deux n’exerce les responsabilités de l’autre. Les femmes n’étaient ni supérieures ni inférieures aux hommes, mais apportaient leur force de femmes qui complétait le talent des hommes, rendant tout le monde plus fort. Dans le contexte, nous voyons que les capacités, tant physiques que spirituelles, données aux femmes par Dieu, leur permettaient d’accomplir tout ce que le Seigneur demandait. Néphi donne la même assurance à quiconque désire une force semblable : « Celui qui cherche diligemment [le Seigneur] trouve; et les mystères de Dieu lui seront dévoilés par le pouvoir du Saint-Esprit, aussi bien en ces temps-ci que dans les temps anciens, et aussi bien dans les temps anciens que dans les temps à venir » (1 Néphi 10:19 ; voir aussi Alma 32:23). S’il est vrai que les lentilles propres à une culture obscurcissent la clarté et cachent le sens profond de la vérité, Dieu parle à ceux qui sont disposés à écouter, par des prophètes qui proclament hardiment que « il ne repousse aucun de ceux qui vienne à lui, noirs et blancs, esclaves et libres, hommes et femmes… tous sont pareils pour Dieu » (2 Néphi 26:33).

 

 

 


[1] Phyllis A. Bird, «Women», dans The Anchor Bible Dictionary, dir. de publ. David Noel Freedman, New York, Doubleday, 1992, 6:952.

[2] Deux mois après que la révélation de 1978 sur la prêtrise ait été donnée, Bruce R. McConkie cita 2 Néphi 26:33 et fit le commentaire suivant: «Ces mots ont maintenant pris un sens nouveau. Nous avons acquis une vision nouvelle de leur vraie signification… Depuis que le Seigneur a donné cette révélation sur la prêtrise, notre compréhension de beaucoup de passages s’est étendue. Beaucoup parmi nous ne se figuraient absolument pas qu’ils avaient la signification étendue ou large qu’ils ont», «Tous sont pareils pour Dieu», dans Charge to Religious Educators, 2e éd.,Salt Lake City, Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, 1982, p. 152.

[3] Francine Bennion, «Women and the Book of Mormon», dans Women of Wisdom and Knowledge, Salt Lake City, Deseret Book, 1990, p. 177.

[4] John L. Sorenson, «The Composition of Lehi’s Family», dans By Study and Also by Faith: Essays in Honor of Hugh W. Nibley, dir. de publ. John M. Lundquist et Stephen D. Ricks, Salt Lake City, Desert Book et FARMS, 1990, 2:190.

[5] Jeffrey R. Chadwick, «Sariah in the Elephantine Papyri», Journal of Book of Mormon Studies 2/2, 1993: 196-98; voir aussi une série d’articles sur ce sujet dans «Seeking Agreement on the Meaning of Book of Mormon Names», Journal or Book of Mormon Studies 9/1, 2000, pp. 28-39.

[6] George Reynolds et Janne Sjodahl, Commentary on the Book of Mormon, Salt Lake City, Deseret News Press, 1955, 1:14; Chadwick, «Sariah», 198; Paul Y. Hoskisson, «Lehi and Sariah», Journal of Book of Mormon Studies 9/1, 2000, pp. 30-31.

[7] Voir Sorenson, «Composition of Lehi’s Family», p. 182.

[8] Voir Alfred J. Hoerth, Archaeology and the Old Testament, Grand Rapids, Mich., Baker Books, 1998, p. 366.

[9] Voir Roberta L. Harris, The World of the Bible, Londres, Thames and Hudson, 1995, p. 96.

[10 Voir Mayer I. Gruber, «Private Life in Ancient Israel», dans Civilizations of the Ancient Near East, dir. de publ. Jack M. Sasson, New York, Simon & Schuster Macmillan, 1995, 1:633; Martin Noth, The Old Testament World, trad. Victor I. Gruhn, Londres, Adam & Charles Black, 1966, pp. 158-63.

[11] Bird, «Women», p. 954.

[12] Voir Lynn M. Hilton et Hope A. Hilton, «In Search of Lehi’s Trail; Part 2: The Journey», Ensign, octobre 1976, p. 38.

[13] Voir Charles M. Doughty, Travels in Arabia Deserta, New York, Random House, 1936, p. 268.

[14] Hugh Nibley, Lehi in the Desert, Salt Lake City, Deseret Book, 1988, p. 36. John A. Tvedtnes a avancé que Léhi était un expert en agriculture et en métallurgie. Voir Tvedtnes, «Was Lehi a Caravaneer?», Provo, Utah, FARMS, 1984.

[15] Voir Nibley, Lehi in the Desert, pp. 36-37.

[16] Voir Camille S. Williams et Donna Lee Bowen, «Ordinary People in the Book of Mormon», Ensign, janvier 1992, pp. 36-39.

[17] Bird, «Women», 952.

[18] Voir K. Roubos, «Biblical Institutions», dans The World of the Bible, dir. de publ. A. S. Van der Woude, Grand Rapids, Mich, Eerdman’s, 1986, 1:353.

[19] Doughty, Travels, 278, 280; Voir Wendell Phillips, Unknown Oman, New York, David McKay Co., 1966, p. 141.

[20] Doughty, Travels, p. 570.

[21] Voir Hugh W. Nibley, Teachings of the Book of Mormon: Semester 1, Provo, Utah, FARMS, 1993, pp. 58-105.

[22] Doughty, Travels, p. 398.

[23] Voir Phillips, Unknown Oman, p. 218; Nibley, Lehi in the Desert, p. 40.

[24] Voir Erastus Snow, dans Journal of Discourses, 23:184.

[25] Voir Sorenson, «Composition of Lehi’s Family», p. 186.

[26] Voir Nibley, Lehi in the Desert, p. 70.

[27] Doughty, Travels, pp. 190-91.

[28] Id., pp. 190, 259.

[29] Id., p. 190.

[30] Voir Id., p. 381; Nibley, Lehi in the Desert, p. 53.

[31] Doughty, Travels, pp. 278-79.

[32] Nibley, Lehi in the Desert, p. 53; voir William G. Palgrave, Narrative of a Year’s Journey through Central and Eastern Arabia, Londres, Macmillan, 1865, 1:12-13.

[33] Nibley, Lehi in the Desert, pp. 53-58; Hilton et Hilton, Lehi’s Trail, p. 39; S. Kent Brown, «A Case for Lehi’s Bondage in Arabia», Journal of Book of Mormon Studies 6/2, 1997, pp. 205-6; S. Kent Brown, From Jerusalem to Zarahemla: Literary and Historical Studies of the Book of Mormon, BYU Religious Studies Center, 1998, p. 58.

[34] Brown, «Lehi’s Bondage», pp. 205-217; Brown, From Jerusalem to Zarahemla, pp. 55-67.

[35] Voir Sorenson, «Composition of Lehi’s Family», p. 181, pour un traitement des problèmes de santé lors de l’accouchement qui accompagnaient le désir d’enfant dans les sociétés antiques.

[36] Doughty, Travels, p. 281.

[37] Voir Gruber, Ancient Israel, p. 644; Doughty, Travels, pp. 189-90, 266.

[38] Doughty, Travels, pp. 257, 262.

[39] Roubos, «Biblical Institutions», p. 350.

[40] Doughty, Travels, p. 262.

[41] Reynolds et Sjodahl, Commentary, p. 165.

[42] Bryant S. Hinckley, Not by Bread Alone, Salt Lake City, Bookcraft, 1955, p. 54.