Un grand événement dans la vie de Léhi
(avant qu’il ne devienne prophète) par Grant Hardy
Vous vous dites peut-être, au cours de cette année d’étude du Livre de
Mormon : « On a déjà vu tout ça ! » Après tout, 1 Néphi est l'un des
livres les plus souvent lus des Écritures. Mais j'ai une suggestion qui
pourrait contribuer à enrichir votre compréhension du Livre de Mormon :
commencez par lire le Deutéronome. Son contenu devait être très présent à
l'esprit de Léhi et de sa famille tandis qu'ils fuyaient Jérusalem et
tentaient ensuite de donner un sens à leur long voyage vers une nouvelle
terre promise. Si vous voulez voir le monde comme les tout premiers
Néphites l'ont vu, lisez le Deutéronome.
Comment savons-nous ce que
pensait Léhi ? Nous devons avoir recours ici à un peu de déduction
historique. La première année du règne de Sédécias (597 av. J.-C.), Léhi
avait quatre fils non mariés et probablement au moins deux filles qui
allaient épouser les fils d'Ismaël (les sœurs de Néphi sont mentionnées
dans 2 Néphi 5:6). Léhi devait être raisonnablement dans la trentaine
lorsque le Seigneur lui a parlé pour la première fois. Cela veut dire
qu’il devait être enfant ou jeune homme en 621 av. J.-C., quand a eu lieu
l’un des événements les plus spectaculaires de l'histoire religieuse de
Juda.
Selon 2 Rois 22-23, le roi Josias ordonna que des ouvriers
réparent et restaurent le temple de Jérusalem. Au cours de la rénovation,
le souverain sacrificateur Hilkija signala qu'il avait trouvé un « livre
de la Loi » perdu depuis longtemps. Lorsque le livre (en fait, un rouleau)
fut lu à haute voix au roi, celui-ci déchira ses vêtements de chagrin
parce qu'il se rendait compte que les malédictions qui s'y trouvaient
allaient tomber sur son peuple pour sa désobéissance. Par conséquent, il
rassembla son peuple pour une cérémonie de renouvellement de l’alliance :
« [Le roi] monta à la maison de l’Éternel, avec tous les hommes de
Juda et tous les habitants de Jérusalem, les sacrificateurs, les
prophètes, et tout le peuple, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Il
lut devant eux toutes les paroles du livre de l’alliance, qu’on avait
trouvé dans la maison de l’Éternel. Le roi se tenait sur l’estrade, et il
traita alliance devant l’Éternel, s’engageant à suivre l’Éternel, et à
observer ses ordonnances, ses préceptes et ses lois, de tout son cœur et
de toute son âme, afin de mettre en pratique les paroles de cette
alliance, écrites dans ce livre. Et tout le peuple entra dans l’alliance »
(2 Rois 23:2-3).
Léhi, qui avait « demeuré toute sa vie à Jérusalem
» (1 Né. 1:4) était-il dans cette foule ? Peut-être bien, peut-être pas,
mais en tout cas, il dut certainement être au courant de ce qui se passa
ensuite. Le roi Josias lança dans tout le pays une réforme massive dans
laquelle il détruisit et profana les sanctuaires non autorisés, destitua
les prêtres idolâtres, expulsa les prostituées du temple (!) et supprima
les statues et la vaisselle païennes qui avaient été introduites dans le
temple par une succession de mauvais rois. Ensuite, Josias convoqua une
fête de la Pâque dans tout le pays, quelque chose qui n'avait pas été fait
depuis le temps des juges.
Les savants ont depuis longtemps
identifié le mystérieux « livre de la loi » ou « livre de l’alliance »
comme étant le Deutéronome, ou du moins sa partie centrale (les versets
1:1-4:43 et les chapitres 31-34 ont sans doute été ajoutés plus tard).
Qu’est-ce que cela a pu signifier pour le jeune Léhi de vivre à une époque
où un texte biblique était redécouvert ? Peut-être la même chose que vous
si l'Église annonçait que les 116 pages perdues ont été retrouvées et
qu’une nouvelle version augmentée du Livre de Mormon est sur le point
d'être publiée. En supposant qu'il ait été porté sur la religion tout au
long de sa vie, Léhi a dû chercher avidement tous les renseignements qu'il
pouvait et a dû passer ces précieux enseignements à ses enfants. En fait,
Deutéronome 4:9 commande expressément aux parents d'en enseigner les
préceptes à leur progéniture. Malheureusement, en ce temps-là, les
Écritures n'étaient pas aussi facilement accessibles qu’aujourd'hui. Vous
pouvez voir, dans 1 Néphi 5, à quel point Léhi est excité de recevoir ces
plaques d’airain ; on a l’impression qu'il n'a encore jamais eu son propre
exemplaire.
Cependant, avant que vous n’ouvriez le Deutéronome, je
dois vous avertir qu’il ne contient pas grand-chose en fait de récit. Le
livre est organisé sous la forme d’un ensemble de trois discours d'adieu
adressés par Moïse aux Israélites à la veille de sa mort et de leur entrée
dans la terre promise. Dans le premier discours (1:1-4:43), Moïse rappelle
au peuple l'exode et ses errances dans le désert et puis l’exhorte à obéir
à ses paroles. Le deuxième discours (4:44-26:28) est une longue répétition
de la Loi de Moïse exposée dans l’Exode, le Lévitique et les Nombres (avec
quelques changements importants). C'est pour cela que le livre est appelé
Deutéronome, qui signifie « deuxième loi ». Et le troisième discours
(29:1-30:20) est une cérémonie de renouvellement de l’alliance dans les
plaines de Moab, qui énonce les bénédictions de l'obéissance avec la liste
beaucoup plus longue des malédictions en cas de désobéissance.
En
lisant ou en entendant le « livre de la loi » au temple, le jeune Léhi a
dû réfléchir à ses enseignements concernant l'idolâtrie, les aliments purs
et impurs, la dîme, les dettes, l'esclavage, les diverses fêtes, les
sacrifices, les procédures judiciaires correctes, les règles pour les
rois, les droits des sacrificateurs, les villes de refuge, la conduite en
cas de guerre, le meurtre, les héritages, les relations sexuelles, le
mariage et le divorce, ainsi que les dix commandements.
C’étaient
là les règles de base pour l'organisation d'une société qui serait
consacrée à l'Éternel, et Léhi a dû ressentir une grande détresse en
comparant les commandements deutéronomiques avec le comportement de ses
concitoyens au cours des années qui finirent par l’amener à prier en leur
faveur, prière à laquelle il fut répondu par une « colonne de feu » (1 Né.
1:6). Lorsque ses propres prophéties furent rejetées et que sa fuite dans
le désert prit la tournure d’un voyage vers une nouvelle terre promise,
Léhi, comme les Israélites antiques dans les plaines de Moab, a dû vouloir
disposer d’un guide pour fonder une société en partant quasiment de zéro
dans une nouvelle patrie. Il ne faut donc pas s’étonner qu'il ait été
tellement impatient que ses fils acquièrent un exemplaire des plaques
d’airain.
Les chercheurs ont relevé un style d'écriture distinctif
dans le Deutéronome, que Michael Coogan, dans son Old Testament : A
Historical and Literary Introduction (Oxford University Press, 2006),
décrit de cette façon :
« Il vise à persuader et il le fait par
l'utilisation répétée des mêmes expressions et des mêmes notions, qui sont
en italiques dans le résumé suivant : la loi que Moïse proclame se compose
de commandements, lois, ordonnances, prescriptions, décrets, et les
Israélites y sont exhortés à aimer Dieu de tout leur cœur et de toute leur
âme. Il les a choisis d’entre toutes les nations, les a sauvés de l’Égypte
à main forte et à bras étendu, parce qu'il les aimait. Par conséquent, les
Israélites doivent l’adorer, lui seul et non d’autres dieux, afin qu'il
les bénisse et que leurs jours se prolongent dans le pays qu’il leur
donne, dont ils vont prendre possession. Car c'est dans ce pays qu'il va
également choisir un endroit où son nom demeurera, et c'est là qu'ils
doivent s’assembler régulièrement pour des fêtes bien déterminées au cours
desquelles cette loi sera lue. (p. 174, italiques dans l'original)
Y a-t-il des échos de cela dans le Livre de Mormon ? Néphi et ses
successeurs étaient très conscients de leur identité comme branche
d'Israël et de leur responsabilité d'être fidèles à l'alliance et de vivre
la loi mosaïque (résumée de manière pratique dans le Deutéronome), pour
les générations à venir.
Tout au long de 1 et 2 Néphi, nous
pouvons voir la famille de Léhi revenir sur les thèmes principaux du
Deutéronome. Certains des avertissements de ce livre ont dû nécessiter des
réévaluations ou des adaptations difficiles. Par exemple, l'un des points
principaux du livre est la centralisation de tout le culte sacrificiel
dans le temple de Jérusalem — un temple que Léhi avait laissé derrière
lui. De même, le Deutéronome met l’accent sur le rôle des sacrificateurs
et des Lévites, et les Néphites n'avaient pas de Lévites avec eux. Une
autre notion cruciale enseignait un monothéisme strict, et Néphi et son
père allaient devoir entreprendre des recherches théologiques importantes
pour expliquer le lien que le Messie à venir, qui avait été révélé à Léhi
et que Néphi appelle « le Fils de Dieu » (1 Né. 10:17), pouvait avoir avec
le Dieu traditionnel d'Israël. Et dans 2 Néphi 25, Néphi traite
directement de la question de savoir si la Loi de Moïse est éternellement
d’application et du rapport qu’elle a avec le salut chrétien.
Il y
avait aussi des passages que les Léhites ont dû trouver particulièrement
d’actualité. Deutéronome 18 donne les signes par lesquels on peut
distinguer les vrais prophètes des faux (les prophètes autorisés ne disent
que ce que le Seigneur leur a commandé et leurs prédictions se réalisent —
et c’est peut-être pour cela que Léhi tient à confirmer dans 2 Né. 1:4 que
Jérusalem a bien été détruite). Ce même chapitre contient également une
prophétie messianique que Néphi cite à ses frères : « Et le Seigneur
préparera assurément la voie pour son peuple pour que s'accomplissent les
paroles de Moïse, paroles qu'il a prononcées, disant: Le Seigneur, votre
Dieu, vous suscitera un prophète comme moi; vous l'écouterez dans toutes
les choses qu'il vous dira. Et il arrivera que quiconque n'écoutera pas ce
prophète sera retranché du milieu du peuple » (1 Né. 22:20 = Deutéronome
18:15, 18-19, bien que la formulation suive la version mieux connue
d’Actes 3:22-23).
De même, l'accent que met continuellement le
Deutéronome sur l'importance des Écritures et de la fidélité à l’alliance
a dû hanter Léhi tandis qu'il emmenait sa famille à travers le désert et
vers une nouvelle terre promise. En effet, lorsqu'il a entendu la fameuse
injonction : « Si vous gardez mes commandements, vous prospérerez dans le
pays ; mais si vous ne gardez pas mes commandements, vous serez retranchés
de ma présence » (2 Né. 1:20), cela a dû lui rappeler les longs passages
de bénédictions et de malédictions spécifiques qu’il a entendus au cours
des années impressionnables de sa jeunesse (voir Deutéronome 28:1-14 pour
les bénédictions et 28:15-68 pour des malédictions épouvantables telles
que « l’Éternel te frappera de consomption, de fièvre, d’inflammation, de
chaleur brûlante, de desséchement, de jaunisse et de gangrène, qui te
poursuivront jusqu’à ce que tu périsses » [v. 22]). Le fait que la
promesse de Léhi (obéissance = prospérer dans le pays) est répétée une
vingtaine de fois dans le Livre de Mormon montre à quel point les annales
néphites sont deutéronomistes.
Après avoir conduit sa famille à
travers le désert pendant de nombreuses années, Léhi, contrairement à
Moïse, a pu l’amener lui-même à la terre promise. Mais il ne semble pas
avoir vécu beaucoup plus longtemps et, peu de temps avant sa mort, lui
aussi fait un discours d'adieu. En exhortant ses enfants et ses
petits-enfants à rester fidèles à l’alliance dans le pays que le Seigneur
leur avait donné, Léhi s’est certainement rendu compte qu’il reproduisait
l'histoire sacrée. Pourtant, plutôt que de réciter une longue liste de
lois ou d’énumérer des bénédictions et des malédictions spécifiques, comme
Moïse dans les plaines de Moab, il fait plutôt clairement allusion au
plaidoyer final de Moïse.
Le point culminant du dernier discours de
Moïse est une offre de vie ou de mort :
« Vois, je mets aujourd’hui
devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. Car je te prescris
aujourd’hui d’aimer l’Eternel, ton Dieu, de marcher dans ses voies, et
d’observer ses commandements, ses lois et ses ordonnances, afin que tu
vives et que tu multiplies, et que l’Eternel, ton Dieu, te bénisse dans le
pays dont tu vas entrer en possession… J’en prends aujourd’hui à témoin
contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort,
la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi
et ta postérité » (De. 30:15-16, 19). Voici la version de Léhi :
C'est pourquoi, les hommes sont libres selon la chair, et tout ce qui
est nécessaire à l'homme leur est donné. Et ils sont libres de choisir la
liberté et la vie éternelle, par l'intermédiaire du grand Médiateur de
tous les hommes, ou de choisir la captivité et la mort, selon la captivité
et le pouvoir du diable; car il cherche à rendre tous les hommes
malheureux comme lui. Et maintenant, mes fils, je voudrais que vous vous
tourniez vers le grand Médiateur, et écoutiez ses grands commandements, et
soyez fidèles à ses paroles, et choisissiez la vie éternelle, selon la
volonté de son Esprit-Saint; et ne choisissiez pas la mort éternelle,
selon la volonté de la chair et le mal qui est en elle » (2 Né. 2:27-28).
Combien de fois n’avons-nous pas cité le passage qui dit que Satan
veut que tous les hommes soient malheureux comme lui, sans nous souvenir
qu’il provient du Deutéronome, avec son vibrant appel à « choisir la vie
». Lorsqu’il exhorte ses fils à « choisir la vie éternelle », Léhi entre
en fait dans les détails d’enseignements précieux qui ont dû émouvoir son
âme plusieurs dizaines d'années plus tôt, lorsque, jeune homme, il a
entendu parler de la découverte d'un livre d’Écritures perdu.
Grant Hardy est professeur d'histoire et de sciences des religions à
l'Université de Caroline du Nord — Asheville. |