Une chose étrange dans le pays : le retour du livre d’Énoch
Cinquième partie

par Hugh W. Nibley
professeur émérite d’écritures anciennes à l’université Brigham Young
Ensign, avril 1976

Nous devons comprendre que l’Esprit de Dieu dit aux hommes tant ce qu’il faut écrire que quand il faut l’écrire – « Tu ne peux écrire ce qui est sacré que si cela t’est donné de moi » (D&A 9:9, 76:115), les annales qu’il faut traduire – « N’y touche pas afin de traduire ; car cela t’est interdit, sauf plus tard, lorsque Dieu le jugera sage » (Éther 5:1, 1 Néphi 14:28) et l’impératif derrière l’opération : « C'est pourquoi, le Seigneur m'a commandé de faire ces plaques dans un but sage qui lui est propre, but que je ne connais pas » (1 Néphi 9:5). « Et je fais cela dans un but sage; car c'est ce qui m'est chuchoté, selon l'inspiration de l'Esprit du Seigneur qui est en moi » (Paroles de Mormon 1:7). Elles doivent servir à « l'instruction de mon peuple… et aussi pour d'autres buts sages, buts qui sont connus du Seigneur ». (1 Néphi 19:3). Les écrits sont complètement hors de portée des hommes. « Car il dit, en vérité, que nul ne les aura pour obtenir du gain… et quiconque les amènera à la lumière, le Seigneur le bénira. Car nul ne peut avoir le pouvoir de les amener à la lumière, si cela ne lui est donné par Dieu » (Mormon 8:14-15).Pour ce qui est du matériel et des instructions : « Quiconque ces objets est appelé voyant » (Voir Mosiah 28:16) et son pouvoir « C’est un don de Dieu… et nul ne peut y regarder si cela ne lui est commandé, de peur qu'il ne cherche ce qu'il ne devrait pas et qu'il ne périsse » (Mosiah 8:13). Tout ceci n’exempte pas le prophète d’utiliser sa propre intelligence (voir D&A 9:7-8 ; Mosiah 1:2-4) et d’apprendre tout ce qu’il peut de « la langue de ses pères » et « concernant les annales…afin qu’ils devinssent des hommes pleins de jugement » (Mosiah 1:2-3).
L’univers des livres n’est pas un simple jouet avec lequel l’esprit faible des hommes peut jouer. Il suit un processus qui s’étend aux autres mondes. Aux livres que les hommes gardent sur la terre correspondent des livres gardés dans les cieux. Le Livre de Souvenir céleste d’Adam est reproduit sur terre par un Livre de Vie, « le registre qui est tenu dans les cieux… Ou, en d'autres termes… tout ce que vous enregistrerez sur la terre sera enregistré dans les cieux…Certains pourront avoir l'impression que cette doctrine dont nous parlons est très hardie: un pouvoir qui enregistre ou lie sur la terre et lie dans les cieux. Néanmoins, à toutes les époques du monde, toutes les fois que le Seigneur a donné… une dispensation de la prêtrise… ce pouvoir a toujours été donné » (D&A 128:7-9). Ce qui est en haut est projeté et enregistré en bas. « Je te donne le commandement (au secrétaire) d’écrire pour lui ; et les écritures seront données telles qu’elles sont » (D&A 35:20). Ce qui est en bas est projeté en haut et enregistré de la même façon. « Les aumônes de vos prières sont montées aux oreilles du Seigneur des armées et sont inscrites dans le livre des noms des sanctifiés, c'est-à-dire de ceux du monde céleste » (D&A 88:2).

Les annales sont la source de tout le reste et c’est d’elles que proviennent les écrits qui ont toujours été la pierre angulaire de la civilisation, un faible reflet terrestre du sublime. À part leurs fonctions sacrées, « elles ont accru la mémoire de ce peuple » et l’ont préservé des « traditions incorrectes », gardant la civilisation sur la bonne voie (Alma 37:8 -9). Elles bloquent la corruption de la langue et la perte de la religion (Omni 17), et même si un grand dirigeant comme Zarahemla a pu donner « la généalogie de ses pères, selon sa mémoire », « Il n’aurait pas été possible à notre père Léhi de se souvenir de toutes ces choses, pour les enseigner à ses enfants, s’il n’y avait pas eu l’aide de ces plaques » (Mosiah 1:4), sans lesquelles, dit Mosiah, « même nos pères auraient dégénéré dans l’incrédulité… comme… les Lamanites » (Mosiah 1:5).

Les rois et les dirigeants du peuple, en tant que dépositaires de l’héritage culturel et de la souveraineté, sont les gardiens officiels des annales. Elles « sont détenues par les rois, selon les générations » (Omni 11), transmises de père en fils avec une préparation et des instructions spéciales (Omni 1, 4, 9) en même temps que les trésors nationaux dont elles font partie : le Liahona, les pierres de voyant et l’épée de Laban ; le tout est résumé dans Alma 37:2-3 et descend jusqu’à notre époque où il est promis aux Whitmer qu’ils les verront (D&A 17:1). D’autres personnes en plus du prophète furent encouragées à demander le don de regarder dans « toutes ces annales anciennes qui ont été cachées et qui sont sacrées » (Voir D&A 8:11) et à « obtenir la connaissance de l’histoire, des pays, des royaumes » (D&A 93:53), comme le prophète fut invité à se familiariser « avec tous les bons livres, et avec les langues, les langages et les peuples » (D&A 90:15) afin qu’ils n’abordent pas le dépôt sacré l’esprit vide.

Si quelqu’un suppose à la légère que Joseph Smith a tiré ces idées de la Bible, où elles sont effectivement de manière implicite mais certainement pas évidente, il ne faut pas oublier que ses contemporains se sont moqués de lui quand ils l’ont entendu ; et ce qui les scandalisait le plus, c’était l’idée d’associer à la Bible un deuxième ou un troisième témoin en dépit de « la loi divine des témoins ». Mais le jeune prophète, loin de simplement continuer sur le thème de plaques et de parchemins antiques, d’anges et de pierres de voyant, (les élucubrations d’un jeune cinglé, comme l’écrit un professeur de Harvard), est en fait allé de l’avant et a publié les volumes merveilleux dont il parlait, de longs textes, de vastes trames avec une immensité de détails, suffisamment de corde pour pendre mille fois n’importe quel imposteur. Si l’hypothétique maison des livres est une merveilleuse création, avec quel étonnement ne devons-nous pas contempler la structure réelle et solide érigée sans aucune aide par le jeune prophète au milieu d’innombrables obstacles et afflictions ?

Selon les dernières nouvelles

Le bref passage en revue qui précède, thème connu depuis longtemps des saints des derniers jours, odieux pour d’autres, a pour but de préparer le lecteur patient à la visite de l’étrange et merveilleux édifice qui abrite la littérature énochienne que l’on est en train de mettre au jour, car il est construit sur précisément le même plan que celui exposé par le prophète Joseph pour expliquer les livres sacrés qu’il nous a donnés.

Nous commençons par Énoch, qui tenait les livres d’Adam, rappelant que les paroles et les prophéties d’Adam étaient « toutes… écrites dans le livre d’Énoch » (D&A 107:57) qui rappelait à son peuple : « nous connaissons même le premier de tous, Adam. Car nous avons écrit un livre de souvenir parmi nous ». (Moïse 6:45-46). Maintenant, selon le Zohar, « Énoch avait aussi un livre qui venait du même endroit que le livre des Générations d’Adam » [204]. Rabbi Eleaser disait qu’Adam avait caché le livre que l’ange Raziel, le pourvoyeur des secrets célestes, lui avait donné et qu’Énoch le découvrit plus tard et le remit ensuite à Noé par Raphaël et il passa ainsi à Sem, puis d’une génération à la suivante [205]. Il est sous-entendu dans Genèse 5:1-2 que le genre humain fut définitivement lancé quand le livre des Générations d’Adam fut inauguré, puisque Adam et Ève furent mis à part (bara), et reçurent un nom et une bénédiction. Une très ancienne tradition relie la véritable humanité à Énoch, le gardien des annales, un homme plus complet qu’Adam lui-même [206]. Les premiers chrétiens, selon Épiphane, aimaient le livre d’Adam, et A. Vaillant, l’autorité en ce qui concerne l’Énoch slave, soutenait que le livre chrétien d’Énoch n’était pas tiré de sources juives, mais d’un vieux livre perdu d’Adam et Seth [208].

Mais partout Énoch est considéré comme étant l’auteur et le transmetteur par excellence, « le Scribe juste, l’Instructeur des cieux et de la terre, le Scribe de Justice » [209]. L’Énoch de Joseph Smith fait paraître les livres, y compris celui d’Adam, comme témoignage auprès de sa génération (voir Moïse 6:46) ; même ainsi, selon les Jubilés, « Énoch fut le premier à écrire un témoignage et il témoigna parmi les générations de la terre… il comprenait tout » (cf. Moïse 6:37, 7:67) et il écrivit son témoignage (Jub 4:18 et suiv.) et le testament d’Abraham rapporte que « Dieu lui donna [à Énoch], la tâche d’écrire toutes les bonnes et les mauvaises actions que l’âme des hommes commettait » [210].

Dans le domaine du secrétariat, la prééminence revient à Énoch, « à qui les anges montrèrent et enseignèrent toutes choses tant dans les cieux que sur la terre… et il écrivit tout ». (Jub 4:21). « L’homme intelligent, le grand auteur, auquel le Seigneur donna d’être un voyant de la vie en haut….» (2 Énoch, Intro.) qui reçut de Dieu le commandement : « Rapporte sur terre à tes enfants les livres dans lesquels j’ai écrit… afin qu’ils les lisent et me reconnaissent comme le Créateur de tous ; et distribue les livres d’enfants à enfants, de génération à génération, de nation à nation ». (2 Énoch 88:6-9). Inévitablement, le bruit courut dans le pays que c’était cet homme qui « fut le premier à apprendre et à enseigner l’écriture et qui fut jugé digne de révéler les mystères divins » [211].

Qu’y a-t-il derrière ces traditions juives et chrétiennes ? L’idée qu’il y eut un homme tel qu’Énoch, « la figure d’Énoch », que nous allons avoir l’occasion de mieux connaître, est aussi ancienne que les annales humaines les plus anciennes. Nous revenons à la proposition, clairement exposée dans le livre de Moïse (Moïse 6:5, 46 ; D&A 128:5), que, pour employer les termes de N. Tur Sinai : « Le miracle de l’écriture était un miracle que les anciens considéraient comme un don des cieux » [212]. Il ressort des documents sumériens les plus anciens « qu’ils n’étaient pas ignorants du concept du ‘livres sacré’, c’est-à-dire d’un texte divinement inspiré et même dicté, qui contient le seul récit correct et valable de ‘l’histoire’ de la divinité », selon A. L. Oppenheim, qui observe en outre que le transmetteur du livre, selon l’ancienne doctrine, n’en était pas l’auteur mais seulement « a kâsir kâmé, ‘quelqu’un qui collecte, arrange, prépare les tablettes’, sans se mêler de la formulation ». Il ne fait que transmettre les paroles divines ; néanmoins, pour fonctionner comme tel, il doit lui-même être inspiré. Il est « le collecteur des tablettes, mais son information lui est donnée dans une vision nocturne », qu’il met fidèlement par écrit le matin suivant [213]. Tel est l’office d’Énoch : « Sortez les livres de mon magasin », dit Dieu à ses anges dans l’Énoch slave » et un roseau d’écriture rapide [sténographie] et donnez-le à Énoch et remettez-lui les livres de choix de ma main » (2 Énoch 22:8). Ayant reçu ces instructions, le voyant écrivit « les gloires du trône céleste d’une part et les combinaisons sans fin des éléments d’autre part » (2 Énoch introd.) [214].

Ceci introduit l’élément cosmologique qui est si visible dans la littérature énochienne, Énoch étant « le premier parmi les hommes qui sont nés sur terre à apprendre l’écriture, la connaissance et la sagesse et qui écrivit les signes du ciel » (Jubilés 4:17). Dieu lui montre « Le Livre de la course des luminaires dans les Cieux » (1 Énoch 72:1). L’accent mis sur la cosmologie, très manifeste dans « l’Énoch de Joseph Smith », déplut fortement aux docteurs aussi bien des Juifs que des chrétiens et constitua leur argument le plus fort pour le rejeter [215] ; mais la grande affinité entre les écrits les plus anciens et les signes des cieux est indéniable [216]. Tant chez les Égyptiens que les Chaldéens, rapporte Clément d’Alexandrie, « l’écriture et la connaissance des cieux » vont main dans la main [217] ; l’étude de ces écrits apocalyptiques si dédaignée par les docteurs des écoles était, comme le résume H. Gunkel, l’eschatologie, l’angélologie, la cosmologie et la préhistoire, tous sujets bien tangibles. Il n’y a pas d’endroit où la pratique de transmettre de telles annales soit exprimée plus clairement que dans le livre d’Abraham 1:31 : « Mais les annales des pères, des patriarches…, le Seigneur, mon Dieu, les conserva entre mes mains; c'est pourquoi j'ai gardé jusqu'à ce jour la connaissance du commencement de la création et aussi des planètes et des étoiles, telles qu'elles furent révélées aux pères… au profit de ma postérité qui viendra après moi ».

Cette préoccupation prosaïque au sujet des étoiles dans leur cours est une marque d’antiquité et d’authenticité dans la littérature énochienne, comme la mention répétée des tablettes célestes. « Observe, Énoch, ces tablettes célestes, dit l’ange, et lis ce qui est écrit dessus… Et j’observai les tablettes célestes et lus tout… et je compris tout… et je lus le livre de tous les actes de l’humanité …jusqu’aux générations les plus lointaines » (1 Énoch 81:1, voir Moïse 7:67). Ici nous rencontrons la fusion des livres célestes et des livres terrestres – sont-ils une seule et même chose ? – comme dans les écrits de Joseph Smith. « Je connais un mystère et j’ai lu les tablettes célestes et j’ai vu les saints livres et j’y ai trouvé écrit et inscrit à leur sujet… ». (1 Énoch 103:2). « Et après cela Énoch commença à raconter [ou lire] dans les livres … ‘ce que j’ai appris grâce aux tablettes celéestes’ » (1 Énoch 93:1). On a l’impression que les livres étaient les copies terrestres des tablettes célestes : « Le Seigneur a montré et a fait connaître, et je les ai lus dans les tablettes du ciel [219] ». Dans Moïse 7:67 : « Le Seigneur montra toutes choses à Énoch », et après une vision du ciel et de la terre, il plaça devant le peuple « un livre de souvenir… écrit parmi nous, selon le modèle que le doigt de Dieu nous a donné » (Moïse 6:46). En cela, ils rappellent les tables de la Loi (Exode 31:18) dont M. Lambert fait remonter la forme aux Tables du Jugement babyloniennes [220].

Vraiment, « peu d’idées religieuses dans le Proche-Orient antique ont joué un rôle plus important que la notion des tables célestes ou du livre céleste » [221]. « Dans la littérature du judaïsme antique », en particulier, elles « jouent un rôle considérable [222] ». L’idée est connue dans la littérature classique et on suppose que c’est de là qu’elle a été reprise par les premiers chrétiens avec leur livre de vie [223]. Dans la tradition rabbinique, Abraham « ayant été trouvé fidèle, est déclaré ami de Dieu sur les tablettes célestes, et quiconque garde l’alliance dans la justice est enregistré dans le même livre de vie » [224]. L’antiquité en est confirmée par le manuel de la Guerre des manuscrits de la mer Morte : « Et l’alliance de ta paix, tu l’as gravée pour eux avec un stylet de vie, pour régner sur eux dans tous les temps désignés de l’éternité » [225] où la situation ressemble de près à une situation décrite dans le Livre de Mormon, Mosiah chapitre 5 [226].

Noé, après Énoch, rapporte : « Le Seigneur m’a montré et m’a informé, et j’ai lu dans les tablettes célestes, et j’y ai vu écrit que génération après génération transgressera… » (Énoch 106:19 ; 107:1) ; et après lui, Jacob, quand « un ange descendit du ciel avec sept tablettes dans les mains… les lut et sut tout ce qui allait lui arriver ainsi qu’à ses fils… et il leur montra tout ce qui était écrit sur les tablettes » (Jubilés 32:21). Ensuite, « Moïse remit à un ange les Tables de la Division des années… depuis le jour de la création jusqu’au temps où les cieux et la terre seront renouvelés » (Jubilés 1:29). Ainsi, les mêmes tablettes sont transmises.

Les livres d’Énoch contiennent des informations issues de toutes les sources sacrées : « Moi, Énoch, vous déclarerai, mes fils, selon ce qui m’est apparu dans la vision céleste et que j’ai su par la parole des saints anges et que j’ai appris dans les tablettes célestes. Et Énoch commença à lire dans les livres… » (1 Énoch 93:1-2). Dans la version slave, Énoch, accompagné de deux anges pour le guider, apporte sur la terre « les livres manuscrits » qui doivent être transmis « de génération en génération » (2 Énoch 88:6-9).

Les tablettes célestes peuvent remonter jusqu’aux « Tablettes de la Destinée » babyloniennes : « Ces tablettes expriment la loi du monde entier… et elles sont véritablement le mystère du ciel et de la terre » [227]. Lors du couronnement, où l’on répétait le grand rite de la création du Nouvel An, le roi était censé être enlevé jusqu’au ciel pour y recevoir son exemplaire des tablettes, avec lequel il revenait sur terre et qui constituait son insigne d’autorité divine » [228]. Lors d’une occasion de ce genre, en Égypte, le roi, selon les livres des plus anciens, les Textes des Pyramides, est salué comme « le roi qui est au-dessus des esprits, qui unit les cœurs – ainsi dit celui qui est chargé de la sagesse… qui porte le livre du dieu, à savoir Sia, qui est à la droite de Ré ».

Revenons un instant aux livres d’Adam. Une source chrétienne très ancienne rapporte que tandis que Dieu « envisageait de mettre le souffle de vie en Adam, il prit un livre et y écrivit le nom de ceux qui allaient sortir de lui et entrer dans le royaume qui est dans les cieux… ‘Ce sont ceux dont les noms sont inscrits dans le Livre de Vie depuis la fondation du monde’ » [230]. Ceci est certainement proche de l’idée que les saints, dont les noms sont dans le Livre de Vie, sont « comptés parmi le peuple de la première alliance » (Mormon 7:10). Les membres de la communauté de Qumran sont ceux dont l’alliance est gravée « avec un stylet de vie ». Après son arrivée sur terre, Adam reçut d’un ange envoyé pour lui donner des instructions, un Livre de la Connaissance lui apportant la connaissance des mystères – des ordonnances – surpassant celle des anges [232]. Selon le Zohar, « Adam perdit un tel livre en quittant l’Éden » et quand « il supplia Dieu dans les larmes de le lui rendre… il lui fut rendu pour que la sagesse ne soit pas perdue parmi les hommes » [233]. Selon une autre version, un livre saint composé de soixante-douze lettres fut donné à Michel, qui le donna à Adam (les deux personnages sont constamment confondus dans les écrits anciens), lequel l’utilisa comme base de toutes ses connaissances [234]. Quand Dieu lui commanda d’enregistrer tous les animaux, il « inspira Adam de manière invisible afin qu’il pût lire à haute voix, et sur les premières tablettes, il lut le nom des animaux à mesure qu’ils passaient devant lui ». Après qu’Adam et Ève eurent été ainsi formés à la lecture, « Dieu transporta son école dans le jardin d’Éden » [235].

Abraham, quand il créa son jardin d’Éden modèle à Hébron, y installa aussi une école au milieu [236]. Dans la préexistence, Abraham avait déjà appris l’art de l’écriture et avait reçu le Livre de la Création, mais sur la terre, il fut incapable de le lire sans aide ; aussi, Sem, son instructeur, l’y aida-t-il. Quand on se souvient qu’Abraham possédait « les annales des pères » contenant « la connaissance des débuts de la création » selon le livre d’Abraham 1:31, il est intéressant d’apprendre que « les écrits de Seth et d’Idrisi furent transmis jusqu’à l’époque de Noé et d’Abraham », Idrisi était habituellement identifié à Énoch lui-même, mais est appelé, dans cette source mandéenne, « le premier après Énoch, fils de Seth, fils d’Adam, à écrire avec un roseau » [238].

La précieuse Apocalypse d’Adam prétend être tirée d’un livre transmis depuis Adam lui-même, contenant un exposé de l’Évangile de salut mais s’attardant tout particulièrement sur le baptême d’Adam [239] ; ceci nous intrigue particulièrement étant donné que la présentation merveilleusement condensée et puissante du plan de l’Évangile dans le livre d’Énoch de Joseph Smith consacre une page complète au baptême d’Adam (Moïse 6:51-68). En commençant par le rappel que Dieu « appela notre père Adam… de sa propre voix » (Moïse 6:51), tous les mots du grand sermon d’Énoch dans l’Énoch de Joseph Smith sont des citations directes d’Adam et du Seigneur, l’appel d’Énoch étant de transmettre « les commandements que j’ai donnés à son père, Adam » (Moïse 6:28).

La Pistis Sophia se dit être un dérivé des deux livres de Jeu, « qu’Énoch écrivit pendant que je lui parlais du milieu de l’arbre de la connaissance et de l’arbre de vie dans le Paradis d’Adam » [240]. Comme il était en train de prier, « un ange apparut à Adam, disant : ‘Le Seigneur a entendu ta prière et m’envoie te porter des paroles de pureté et de grande sagesse. Je vais te rendre sage par les mots de ce livre sacré, qui t’apprendra tout ce qui va arriver… Quiconque, même jusqu’à la dernière génération, veut utiliser ce livre devra être pur et observer fidèlement ce qui y est écrit’ », etc… (Voir Moïse 1:35). Alors Adam tomba sur sa face devant l’ange, qui lui commanda de se relever, de se mettre debout, d’être fort et de recevoir le livre de sa main et d’en cacher le contenu à ceux qui n’étaient pas dignes. Puis l’ange partit dans un rugissement de flammes [241]. La prostration d’Adam nous rappelle la version de Joseph Smith, quand Énoch présente le livre d’Adam « écrit… selon le modèle que le doigt de Dieu nous a donné… » devant le peuple et « le peuple trembla et ne put demeurer en sa présence » (Moïse 6:46-47).

Ce livre de l’histoire d’Adam est aussi raconté dans le vieux livre de Noé, qui fait l’histoire depuis Adam et Énoch jusqu’à Noé. Il commence avec la prière d’Adam après la chute, quand l’ange vient l’instruire et lui donner le livre, qu’Adam cache dans la terre et qui sera plus tard déterré par Énoch [242]. Un autre récit raconte le rêve d’Énoch, qui lui montre l’endroit où le livre d’Adam est enterré et comment il peut l’obtenir ; il s’y rend le lendemain matin et traîne dans les parages jusqu’à midi de crainte d’éveiller les soupçons des gens qui sont dans les champs. Alors, il déterre le livre, dont les caractères lui sont interprétés par révélation divine, y apprend la plénitude de l’Évangile et est tellement mis à part par sa connaissance qu’il se retire de la société des hommes [243]. C. J. Van Andel trouve significatif que les écrits des Juifs sur Énoch ne sont pas basés sur la Torah, mais remontent à des ouvrages inconnus de grande antiquité traitant de tablettes célestes [244].

Notes

*Dorénavant 1 En. désignera la traduction par R. H. Charles de l’Énoch éthiopien (1912–1913) ; 2 En. les textes slaves édités par A. Vaillant (1952, ci-dessus, n. 208); 3 En. les textes grecs d’Énoch contenus dans C. Bonner, les Derniers chapitres d’Énoch en grec (1968) et M. Black, Apocalypsis Henochi Graece (1970). Le texte du Fragment de Gizeh (grec) se trouve dans l’annexe du Livre d’Énoch de R. H. Charles (Oxford, 1912). BHM désigne les textes énochiens hébreu et araméen dans A. Jellinek, Bait ha-Midrasch (Jerusalem, 1967).

204. Zohar, dir. de publ. H. Sperling, et. al. , N.Y., R. Bennet, 1:139, Pt. I, 37b.
205. A. Jellinek, Bait ha-Midrasch, Jérusalem, Wahrmann Books, 1967, 3:xxxii.
206. Eusèbe, Praeparatio evangelica, 7:viii and 11:vi, dans Migne, Patrol. Graec. 21:520 et suiv, 856.
207. Epiphane, Adversus haereses, I:ii, 26, 8, dans Patrol. Graec. 41:341 et suiv.
208. Andre Vaillant, Le Livre des secrets d’Hénoch, Paris, Inst. d’Études Slaves, 1952, p. x.
209. H. Gunkel dans Archiv für Religionswissenschaft, 1, 1898:299.
210. W. Leslau, Falasha Anthology, New Haven, Yale Univ., 1951, p. 100.
211. Georgius Cedrenus, Historiarum Compendium, dir. de publ. I. Bekker, Bonn, 1838, p. 17.
212. N. H. Tur Sinai, “Shitir Shame, die Himmelsschrift,” dans Archiv Orientalni 17, 1949: 433.
213. A. L. Oppenheim. “Mesopotamian Mythology II,” Orientalia 19, 1950: 155–156.
214. M. J. Bin Gorion, Die Sagen der Juden, I, Frankfurt, 1913, p. 100.
215. I. Henderson, Myth in the N.T., p. 16, félicite la théologie contemporaine d’avoir dépassé, par la démythologisation les idées quasi-physiques de Paul. Selon Origène, l’Église rejette toute participation à un univers physique quel qu’il soit, rien dans ses enseignements n’étant kata physin ; l’ennui avec les mythes, c’est qu’ils sont teintés de physique. Patrol. Graec. 6:1260. Arnobius dit que des questions telles que “Qu’est-ce que l’homme? Quelle est l’origine de l’âme? D’où vient le mal? Quelle est la taille de la terre?”, etc., sont tout à fait hors de propos : “Laissez cela à Dieu et prenez soin de votre âme !”, Arnob. adv. nat. 2:61. Selon un manuel catholique romain officiel, quiconque dit ou croit que les cieux physiques ont un rapport quelconque avec Dieu et les ordres divins des chérubins et des séraphins est anathème, H. J. K. Denzinger, Enchiridion Symbolorum, Rome, Herder, 1957, no. 206. Quiconque étudie la Création, le Chariot, ou demande ce qui est au-dessus, en-dessous ou au-delà ou ce qui sera dans les éternités, “il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas venu au monde !”, Mishna, Hag. 2:1.
216. Voir notre traitement dans le New Era, sept. 1973, p. 42–43.
217. Clement d’Alexandrie, Stromata, 1:23, 153, dans Th. Hopfner, Fontes Hist. Relig. Aegyptiacae, Bonn, 1922, p. 370.
218. H. Gunkel Zum Verständnis des Neuen Testaments, Goettingen, Van der Hoeck, & Ruprecht, 1910, p. 29.
219. En. 106:19; C. Bonner, The Last Chapters of Enoch in Greek, Darmstadt, Wissenschaftl. Buchgesellschaft, 1968, pp. 84–85. Le chapter 106 n’est pas inclus dans les traductions de Laurence, étant un fragment du livre de Noé. Du fait que l’Énoch éthiopien est le premier à avoir été connu, ses numéros de chapitres et de versets sont standard pour tous les textes énochiens ; ainsi, En. 106 désigne la même section quelle que soit la langue dans laquelle on le trouve.
220. M. Lambert, “Que portaient les tables de pierre?” Revue des Études juives 82, 1926, 45–48.
221. G. Widengren, The Ascension of the Apostle and the Heavenly Book, Uppsala Univ. Aarskrift, 1950, p. 7.
222. id., p. 28.
223. E. R. Bevan, Sibyls and Seers, Cambridge, Harvard Univ. Press, 1920, p. 111. Ceux qui sont initiés dans les mystères grecs doivent mettre leurs visions inspirées par écrit sur des tablettes et les déposer dans les archives du temple, Pausanias 9:39.
224. A. von Gall, Basileia tou Theou, Heidelberg, univ. d’Heidelberg, 1926, p. 313.
225. IQM, Scroll of the War of the Sons of Light, etc. 12:3, dans Y. Yadin, Scroll of the War of the Sons of Light, Oxford, Oxford University Press, 1962, pp. 314–315.
226. Mosiah 5:5–15, où l’acceptation de l’Alliance va de pair avec l’inscription et le scellement des noms.
227. Widengren, pp. 11–12.
228. id., pp. 7, 10–11.
229. Pyramid Texts, No. 250, 267.
230. Timothée, archevêque d’Alexandrie, “Discours sur l’Abbaton”, dans E. A. W. Budge, Coptic Martyrdoms, British Mus., 1914, p. 482–483.
231. Yadin, 314–315.
232. Bin Gorion, 1:264, 266.
233. Zohar, 1:138.
234. Bin Gorion, 1:263.
235. Barhadbshabba, “On the Founding of the Schools,” T315a, dans Patrologia Orientalis 4:352.
236. Improvement Era, nov. 1969, p. 120.
237. Bin Gorion, 2:143.
238. D. A. Khvol’son, Die Ssabier und der Ssabismus, St. Petersbourg, 1856, 2:502–503.
239. Apocalypse d’Adam 85, 79, fin.
240. Pistis Sophia, 245f.
241. Bin Gorion, 1:261–62.
242. Jellinek, BHM 3. 14. xxxii.
243. Bin Gorion, 1:269.
244. C. P. Van Andel, De Structuur van de Henoch-traditie en het Nieuwe Testament, Utrecht, Kemink & Zoon, 1955, p. 19.