POLYGAMIE, PROPHETES ET ESQUIVES
Questions fréquemment et rarement posées au
sujet de l’introduction, de la pratique et de la cessation du mariage
plural dans l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.
par Gregory L. Smith, M.D.
© FAIR
Introduction
Aucune pratique de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours
ne s’est avérée plus explosive et davantage source de controverse que le
mariage plural ou « polygamie ». D'abord révélée à Joseph Smith au début
des années 1830, elle fut mise en application dans au moins quelques cas
dès le milieu des années 1830 et davantage pendant la période de Nauvoo
des années 1840, bien que sa pratique ait toujours été tenue secrète [1].
Publiquement annoncée en 1852, elle a été le point de mire du législateur,
des réformateurs sociaux et des agitateurs antimormons pendant toute la
seconde moitié du dix-neuvième siècle.
En dépit d'une campagne énergique devant les tribunaux, les membres de
l’Église n’ont pas réussi à faire tolérer le mariage plural – il a même
été proscrit et ces lois ont été confirmées comme constitutionnelles. Le
Manifeste de 1890, ainsi que le « second Manifeste » d'avril 1904 ont mis
un terme à la polygamie dans l’Église. Bien qu’elle ne joue actuellement
qu’un rôle mineur dans la plupart des commentaires sur la théologie
mormone et soit interdite à tout membre sous peine d’excommunication, la
polygamie continue à être une question d’actualité pour certains. Comme au
dix-neuvième siècle, « le Principe » continue à susciter la fascination,
l’amusement, le dégoût ou le dédain de la société. Elle sert également de
cible aux ennemis de l'Évangile de Jésus-Christ, de Joseph Smith et de
l’Église qu'il a établie.
Les attaques contre Joseph Smith et l’Église concernant la polygamie
revêtent généralement une ou plusieurs des formes suivantes :
1. Irréligiosité. Populaire parmi les détracteurs religieux, ce type
d’attaque fait appel aux susceptibilités occidentales qui favorisent la
monogamie et prétend que la polygamie est en contradiction avec le
christianisme biblique ou (ironie des choses) avec le Livre de Mormon
lui-même. Même certains historiens profanes sont parfois victimes de cette
tendance [2].
2. Illégalité. Cette critique affirme que l’Église et ses membres ont
pratiqué la polygamie alors même que cette pratique était illégale en
vertu des lois locales ou fédérales. On prétend qu’en agissant ainsi,
l’Église a trahi son engagement de « respecter, honorer et défendre la loi
[3] ».
3. Mensonge. Selon cette critique, Joseph Smith et ses successeurs ont
fait à plusieurs reprises des déclarations publiques dans lesquelles ils
cachaient ou niaient ouvertement et sciemment la pratique de la polygamie.
On affirme que cette « malhonnêteté » est moralement contestable et en
contradiction avec les principes que l’Église prétend embrasser.
4. Lasciveté. C’est l’accusation que Joseph Smith (et probablement ses
successeurs) a pratiqué le mariage plural uniquement pour des raisons
viles. Ce genre d’accusation s’accompagne ordinairement d’appels aux
critiques ci-dessus, pour faire valoir que la conduite de Joseph et de ses
successeurs était contestable pour beaucoup de raisons et que par
conséquent la meilleure explication que l’on peut en donner est leur
appétit sexuel plutôt qu’une conviction religieuse sincère.
5. Application. Cette attaque vient souvent en plus des autres ; on
mentionne certaines des conséquences négatives supposées ou réelles de la
polygamie avec l'argument que ces conséquences sont la preuve que la
pratique n'a pas été commandée par Dieu.
6. Dissimulation des faits. Cette attaque, étroitement liée à la critique
n° 3, porte habituellement sur l’Église moderne et sa direction, que le
détracteur « amical et qui vous veut du bien » ajoute comme coup de grâce.
Puisqu’il a donné des renseignements que le lecteur ignorait, le
détracteur prétend que par conséquent l’Église avait « caché » la vérité
ou qu’elle « ment » à ses membres trop confiants. Ainsi le détracteur peut
ressusciter le passé polygame pour attaquer l’Église dans le présent.
Quelque chose qui n’a pas aidé à la compréhension de la polygamie, c’est
la tendance de certains auteurs mormons à passer sous silence les
problèmes très réels qui se sont posés au cours de cette période de
l'histoire de l’Église, bien que cette tendance ne soit pas aussi exagérée
que certains le pensent.
J’estime, pour ma part, que la découverte et la diffusion de données
historiques qui divergent par rapport à la conception standard ou «
populaire » de la polygamie courante dans l’Église des XXe et XXIe siècles
ne constitue en aucune façon une menace à la conception entretenue par les
croyants que la polygamie fut une pratique exigée par Dieu pendant les
années formatrices de l’Église. En effet, je ne pense pas que ce soient
les « informations supplémentaires » qui causent des problèmes aux saints
des derniers jours fidèles qui sont sincèrement préoccupés par ce que les
documents historiques nous disent. C’est plutôt le besoin persistant – et
souvent insatisfait – de plus d'informations et de plus de contexte, que
certains auteurs ont été incapables ou peu désireux de fournir. Le seul «
danger » que les renseignements historiques posent aux membres ou aux amis
sincères de l'Église n’apparaît que s'ils arrêtent leurs recherches trop
tôt. Les détracteurs de l’Église se font un plaisir de faire faire un bout
de chemin à leurs cibles pour les abandonner juste au moment où l'histoire
se complique.
Le présent article est une tentative modeste d'aborder ces points dans le
contexte des sources historiques disponibles [4]. Je ne procède pas dans
l'ordre historique strict ; j’ai plutôt choisi l'approche thématique
sextuple décrite ci-dessus (les thèmes systématiquement repris dans les
écrits des détracteurs de l’Église), mais je n’examine pas la première
accusation d’ « irréligion » autrement qu’au passage puisque ce sujet a
été traité ailleurs [5].
Je vais d’abord m’efforcer d’examiner les actions de l'Église et de ses
membres dans le contexte de la désobéissance civile, d'un point de vue
historique, théologique et moral. J’étudierai ensuite le point de vue des
membres de l’Église qui se considéraient comme les défenseurs dans une
guerre d’extermination religieuse – et peut-être physique – menée par
leurs ennemis religieux et législatifs. Je passerai en revue les
événements juridiques et politiques qui ont contribué à cette perception
et qui permettent d’expliquer les différents choix faits par les
dirigeants et les membres de l'Église, particulièrement au cours de la
période qui a suivi le Manifeste de 1890.
Je traiterai ensuite des problèmes et des défauts que présente la notion
que la polygamie était motivée par des mobiles sexuels indécents de la
part de Joseph Smith ou de ses successeurs.
Les attaques contre la personnalité des premiers polygames sont souvent
suivies de critiques relatives à la pratique de la polygamie au jour le
jour. J'examinerai donc ces arguments et me concentrerai sur les
prétentions selon lesquelles le statut de Joseph Smith comme prophète «
infaillible » aurait amené d'autres personnes à adopter la polygamie en
dépit de ce que leur disait le bon sens et que la polygamie aurait causé
des dépressions chez les femmes mormones.
Je conclurai en démontrant qu'il est amplement prouvé que l’Église ne fait
rien pour empêcher ses membres d’apprendre « la vérité » au sujet de la
polygamie.
Quelques pensées de conclusion, enfin, proposeront des idées sur le rôle
que le mariage plural a joué – sociologiquement et spirituellement – dans
la maturation de l’Église. Je me suis rendu compte que la polygamie a été
une partie essentielle, voire indispensable, du Rétablissement, pratiquée
à la demande du Seigneur et finalement abandonnée sur autorisation
appropriée de la prêtrise.
La polygamie est non chrétienne
La critique selon laquelle la polygamie serait irréligieuse est un appel
aux susceptibilités occidentales qui favorisent la monogamie et est en
contradiction avec le christianisme biblique ou (ironie des choses) avec
le Livre de Mormon lui-même.
Le moins qu’on en puisse dire, c’est que c'est une attaque peu
convaincante à laquelle il a été répondu sur le plan religieux,
apologétique et technique [6]. Il y a des preuves nombreuses et formelles
que les relations polygames ont été admises dans diverses circonstances
par les prophètes bibliques, aussi mal à l’aise que cela puisse mettre un
chrétien moderne. Orson Pratt a été universellement considéré comme le
vainqueur d'un débat de trois jours sur ce sujet même avec le Révérend
John P. Newman, aumônier du Sénat des États-Unis, en 1870 [7].
N’y eût-il même eu aucun de ces précédents, la théologie mormone n'a aucun
mal à accepter et à mettre en application des commandements nouveaux,
puisque les saints croient en la révélation continue. Je ne vais pas
approfondir la question ici, puisqu’il existe une vaste documentation sur
le sujet.
La polygamie était illégale
Les détracteurs accusent l’Église et ses membres d’avoir pratiqué la
polygamie en violation des lois locales et fédérales. On prétend qu’en
agissant ainsi, l’Église a trahi son engagement de « respecter, honorer et
défendre la loi [8] ». Cependant, les détracteurs avancent ces arguments
sans comprendre pleinement la situation juridique de l’époque et sans
comprendre le rôle que joue la désobéissance civile dans ce contexte.
La désobéissance civile dans son contexte
La polygamie fut certainement déclarée illégale pendant la croisade anti-polygame
à l’époque de l’Utah et sans doute illégale en vertu des statuts de
l'Illinois contre la bigamie. Il n’y a là rien de nouveau et les membres
de l’Église et leurs détracteurs le savaient [9]. Les membres modernes de
l’Église ne comprennent généralement pas l'importance du fait que la
pratique de la polygamie était un cas clair de désobéissance civile.
« La décision de défier [les lois contre la polygamie] fut une exception
douloureuse à un engagement sinon ferme de respecter l'ordre public. Ce
qui est cependant important dans leur décision de défier la loi, c’est que
les saints des derniers jours étaient en fait dans la ligne d’une
tradition américaine de désobéissance civile. Précédemment, en diverses
occasions, notamment pendant les années précédant la guerre d’indépendance,
les Américains avaient estimé que certaines lois allaient à l’encontre de
leurs valeurs fondamentales et avaient décidé ouvertement de les violer…
Même déclarée constitutionnelle, la loi était quand même contraire à
toutes les valeurs [des saints] et ils étaient prêts à affronter le
harcèlement, l'exil ou l'emprisonnement plutôt que de se plier à ses
exigences [10]. »
Les auteurs modernes sont parfois négligents ou excessivement vagues dans
leur terminologie, ce qui amène certains membres de l’Église à associer la
notion de « désobéissance civile » à l'anarchie et au hooliganisme, comme
lors des émeutes de Watts de 1965 mentionnées par Ernest Wilkinson,
président de BYU [11]. Or, pareille association d’idées nous empêche
d’apprécier correctement un outil essentiel pour mener une vie morale sous
un gouvernement, quel qu’il soit, et de comprendre la décision de l’Église
dans son contexte historique.
Le partisan le plus éloquent et le plus impressionnant de la désobéissance
civile a été sans conteste le « Mahatma » Mohandas Gandhi (1869-1948).
Gandhi s’est inspiré de l’ouvrage de 1849 de Henry David Thoreau,
Resistance to Civil Government (parfois intitulé Civil Disobedience), dans
lequel Thoreau développait la base morale de la désobéissance civile :
« Ne peut-il pas y avoir un gouvernement dans lequel ce ne sont pas les
majorités qui décident virtuellement de ce qui est bien et de ce qui est
mal, mais la conscience ? – dans lequel les majorités ne décident que des
questions auxquelles la règle de l’utilité est applicable ? Le citoyen
doit-il jamais, ne serait-ce qu’un instant, ou si peu que ce soit, mettre
sa conscience entre les mains du législateur ? Pourquoi alors chaque homme
a-t-il une conscience ? Je pense que nous devons être tout d’abord des
hommes et en second lieu des sujets. Il n'est pas souhaitable de cultiver
autant le respect de la loi que celui du droit. La seule obligation que
j'ai le droit de m’imposer est de faire à tout moment ce que j’estime être
juste [12]. »
Pour le dire simplement, l'État n'est pas souverain en matière de
conscience. Toute personne doit remplir son devoir vis-à-vis de sa
croyance et de ses aspirations les plus élevées, devoir qui l’emporte sur
tout ce que l'État pourrait exiger. Argumenter ou croire le contraire,
c’est accepter l’erreur fasciste que l’État est souverain en dernier
ressort et de plus grande importance que l'individu, et que les droits
n'existent pas dans le sens « inaliénable » du terme, mais sont simplement
conférés (et peuvent être retirés) par l’État [13].
Un élément fondamental de la philosophie de la désobéissance civile est
que l’on doit être disposé à accepter le châtiment de l’État si on est
condamné. On ne peut pas choisir de violer la loi et exiger également
d’échapper au châtiment final ; ce que l’on fait, c’est préférer suivre
ses convictions en dépit du châtiment potentiel. Selon Gandhi :
« Cette lutte religieuse n'implique pas que l’on touche ne serait-ce qu’à
un cheveu de qui que ce soit. Nous donnerons une leçon au gouvernement en
subissant nous-mêmes des épreuves… Nous violerons… la loi à tel point que
nous serons disposés à subir tout châtiment que nous pourrions avoir à
affronter, que ce soit l'emprisonnement, la flagellation ou toute autre
chose [14]. »
Gandhi fait une distinction claire entre la désobéissance civile, dont il
tient absolument à ce qu’elle reste strictement non violente pour
conserver sa force morale, et la désobéissance criminelle [15], qui
s’accompagne de violence et avec laquelle il ne veut rien savoir. Les
saints auraient probablement été d'accord avec lui quand il a dit :
« La désobéissance civile est le droit inhérent du citoyen. Il ne peut y
renoncer sans cesser d'être un homme. La désobéissance civile n'est jamais
suivie d'anarchie. La désobéissance criminelle peut y mener. Tout État
écrase la désobéissance criminelle par la force. Sinon il périt [16]. »
Les sources historiques montrent bien que c’est exactement comme cela que
la Première Présidence voyait les choses :
« Au cours des six derniers mois, nos ennemis n'ont pas réduit leur
activité dans l’œuvre de persécution. S'il y a eu une différence
quelconque, cela a été de poursuivre avec une plus grande hargne et un
mépris encore plus flagrant de la loi et de la justice que par le passé.
Ceux qui ont été obligés de supporter les châtiments qui leur étaient
infligés se sont soumis, dans presque tous les cas, de bonne grâce avec
une sérénité et une force d’âme qui ont dû leur valoir l'admiration du
ciel et de tous les hommes justes. Ce qui a été accompli ne peut fournir
que peu de causes de satisfaction à ceux qui ont vaqué à la tâche
inhumaine de persécuter un peuple pour la pratique de sa religion. Il n’y
a eu que peu de personnes, dans toutes celles qui ont été jugées et
condamnées, qui ont été suffisamment terrifiées à la perspective de la
punition pour se dire disposées à accepter les décisions du tribunal
plutôt que la loi de Dieu, comme guide de leur conscience [17]. »
Ainsi donc, les membres et les dirigeants étaient bien conscients du fait
que leurs actions violaient la loi civile. Ceux qui violent la loi peuvent
« être obligés de supporter les châtiments », mais cela vaut mieux que «
accepter les décisions du tribunal plutôt que la loi de Dieu, comme guide
de leur conscience ».
Ici, le détracteur ou le membre scrupuleux pourrait objecter que l’Église
se dit opposée à la désobéissance à la loi civile. Il en est bien ainsi,
et avec de bonnes raisons scripturaires :
« 19 Car en vérité, je vous le dis, ma loi sera gardée dans ce pays.
« 20 Que personne ne se pense gouverneur, mais que Dieu gouverne celui qui
juge, selon les conseils de sa propre volonté, ou, en d'autres termes,
celui qui rend des décisions ou est assis sur le siège du jugement.
« 21 Que personne n'enfreigne les lois du pays, car celui qui garde les
lois de Dieu n'a pas besoin d'enfreindre les lois du pays [18]. »
Il ne s’agit pas ici, comme certains l’ont présumé, d’accepter globalement
de soutenir n'importe quelle loi de n'importe quel type. C’est plutôt un
principe général qu’il faut respecter, auquel Dieu seul peut commander une
exception. Les membres de l’Église ne considéraient pas que « les lois du
pays » voulaient dire tous les décrets quels qu’ils soient qui pourraient
être publiés par le gouvernement. Ils considéraient plutôt les « lois du
pays » comme voulant dire les principes constitutionnels, comme le
président John Taylor l’a expliqué :
« Il est dit dans les Doctrine et Alliances que celui qui garde les lois
de Dieu n’a pas besoin d’enfreindre les lois du pays [58:21]. La section
98 explique en outre ce que l’on entend par là… C’est à dire que, en
prenant cette nation comme exemple, toutes les lois qui sont convenables
et correctes et toutes les obligations contractées qui ne violent pas la
Constitution doivent être respectées. Mais si elles violent la
Constitution, le pacte entre les gouvernants et les gouvernés est rompu et
l'obligation ne s’impose plus [19]. »
Qu’on ne s’y trompe pas : la loi de Dieu « sera gardée » par ses
disciples, bien que ceci ne nécessite habituellement pas le recours à des
tactiques extralégales, comme Boyd K. Packer l’a observé :
« Parce que, d’une manière générale, les lois de l'homme ne soulèvent pas
de problèmes de moralité, on nous enseigne à respecter, honorer et
défendre la loi (voir le 12e article de foi), et que « celui qui garde les
lois de Dieu n'a pas besoin d'enfreindre les lois du pays » (D&A 58:21)…
Supposez qu'une loi décrète que tous les enfants seront enlevés à leurs
parents et élevés par l’État. Une telle loi serait mauvaise mais pourrait
probablement être imposée. On a déjà fait ce genre de chose [20]. »
Il est difficile d'imaginer que frère Packer ou l’Église toléreraient que
l’on obéisse à une loi confiant tous les enfants aux soins de l’État, en
dépit du douzième article de foi ! Doctrine et Alliances 98 définit les
détails avec plus de précision, comme le président Taylor le dit :
« 4 Et maintenant, en vérité, je vous dis ceci au sujet des lois du pays:
Ma volonté est que mon peuple veille à faire toutes ces choses que je lui
commande. »
Le premier principe est que l’Église doit faire ce que Dieu lui commande.
C’est le devoir moral le plus élevé. L'État ne peut pas exiger que les
citoyens donnent la priorité à ses exigences plutôt qu’à leur conscience.
« 5 Et cette loi du pays, qui est constitutionnelle et qui soutient le
principe de la liberté en préservant les droits et les garanties,
appartient à toute l'humanité et se justifie devant moi.
« 6 C'est pourquoi, moi, le Seigneur, je vous justifie, vous et vos frères
de mon Église, lorsque vous êtes en faveur de cette loi qui est la loi
constitutionnelle du pays… »
Ainsi, la loi constitutionnelle des États-Unis est approuvée par Dieu
puisque au cœur de cette loi il y a la protection de la conscience et de
la pratique religieuse. Dieu accorde le soutien à la loi ; la loi
n'accorde pas le droit d'obéir à Dieu puisque ce droit est inaliénable et
le bien commun de toute l'humanité.
« 7 Et pour ce qui est de la loi de l'homme, tout ce qui est plus ou moins
que cela vient du mal… »
Les lois qui violent le devoir moral supérieur d'obéir à Dieu sont
mauvaises et ne sont pas approuvées par Dieu. Ceci procède d’un
raisonnement profondément théologique, comme nous le verrons plus loin :
« 77 selon les lois et la constitution du peuple, dont j'ai permis
l'établissement, et qui doivent être maintenues pour les droits et la
protection de toute chair, selon des principes justes et saints,
78 afin que tout homme puisse agir en doctrine et en principe, en ce qui
se rapporte à l'avenir, selon le libre arbitre moral que je lui ai donné,
afin que, le jour du jugement, chacun soit responsable de ses propres
péchés [21]. »
Le but de la loi civile divinement approuvée est de permettre le libre
exercice de la conscience, de sorte que hommes et femmes puissent être
jugés par le plein exercice de leur libre arbitre et l’État ne peut donc
pas ainsi prendre la place de ce sens moral.
Gandhi a souligné que, d’une manière générale, l'obéissance stricte était
nécessaire pour le désobéissant civil potentiel, disant :
« Il n’est rien s’il n’est pas instinctivement respectueux des lois et
c'est sa nature respectueuse des lois qui exige de lui l'obéissance
implicite à la loi la plus élevée, qui est la voix de la conscience, qui
l’emporte sur toutes les autres lois [22]. »
Le président John Taylor a expliqué que les saints avaient l’obligation
morale de défendre ce principe :
« Outre la prédication de l'Évangile, nous avons une autre mission, à
savoir la perpétuation du libre arbitre de l'homme et le maintien de la
liberté et des droits de l'homme. Il y a certains principes qui
appartiennent à l'humanité en dehors de la Constitution, en dehors des
lois, en dehors de tous les décrets et plans de l'homme, parmi lesquels il
y a le droit de vivre ; c’est Dieu qui nous a donné ce droit, pas l'homme
; aucun gouvernement ne nous l'a donné, aucun gouvernement n'a le droit de
nous l’ôter [23]. »
Après avoir cité Doctrine et Alliances 58:21-22 et 98:4-6, James E.
Talmage explique :
« Cette question a été maintes fois posée à l’Église et à ses membres
individuellement : En cas de conflit entre les commandements issus de la
parole révélée de Dieu et ceux imposés par la loi séculière, à laquelle de
ces autorités les membres de l’Église seraient-ils tenus d’obéir ? Pour
répondre à cela, nous pouvons appliquer, les paroles du Christ : le devoir
du peuple est de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu… En attendant la décision suprême de la Providence en faveur de la
liberté religieuse, il est du devoir des saints de se soumettre aux lois
de leur pays [24]. »
Ainsi, Dieu peut clairement approuver, dans les questions de liberté
religieuse, la désobéissance à une autorité profane. Toutefois, le
principe général est que la soumission à cette autorité est commandée
quand la pratique religieuse n'est pas en cause. On ne cherche pas une
occasion de violer la loi, mais on ne peut pas abandonner les principes. «
Que faites-vous ? » a demandé le président Taylor. « Respectez les lois
autant que vous pouvez. Supportez ces outrages autant que vous pouvez
[25]. » C’est exactement en ces termes que le président Woodruff a
présenté les choses aux saints : « Maintenant, à qui allons-nous obéir, à
Dieu ou au Congrès ? Car c’est soit Dieu, soit le Congrès ». D’une voix
forte, l'assemblée répondit : « Nous obéirons à Dieu [26]. »
Doctrine et Alliances 134 et la désobéissance civile
La déclaration canonisée de l’Église sur ses rapports avec le gouvernement
civil, qui se trouve dans Doctrine et Alliances 134, est également tout à
fait compatible avec la désobéissance civile dans certaines circonstances.
« 1 Nous croyons que les gouvernements ont été institués par Dieu pour le
bénéfice de l'homme et qu'il tient les hommes pour responsables de leurs
actes vis-à-vis d'eux, tant pour la promulgation de lois que pour leur
application pour le bien et la sécurité de la société. »
Ainsi, le premier principe est que Dieu nous tiendra pour responsables de
notre comportement envers l'autorité civile. Les membres de l’Église ne
sont pas exemptés de la soumission à la loi civile et doivent répondre de
leur conduite devant la loi civile et devant Dieu. Dans le même esprit,
ceux qui font les lois et les imposent seront jugés de même par Dieu.
« 2 Nous croyons qu'aucun gouvernement ne peut vivre en paix si ne sont
arrêtées et ne demeurent inviolées des lois qui garantissent à chacun la
liberté de conscience, le droit à la propriété et la protection de la vie.
»
Deuxièmement, le gouvernement civil ne doit pas simplement défendre la
liberté de conscience, mais le libre exercice de la conscience doit être
inviolé. Dans la décision Reynolds sur la polygamie, la Cour suprême des
États-Unis a déclaré que toute croyance religieuse était protégée par le
premier Amendement, mais qu'aucune pratique religieuse n'était protégée.
On peut donc croire tout ce qu’on veut, mais on ne pourrait pas agir en
conséquence avec l’aval de la Constitution. (La décision Reynolds est
traitée dans la prochaine section de cet article.)
« 4 Nous croyons que la religion est instituée par Dieu, et que les hommes
sont responsables devant lui, et devant lui seul, de l'exercice de leur
religion, à moins que leurs opinions religieuses ne les portent à empiéter
sur les droits et les libertés d'autrui; mais nous ne croyons pas que les
lois humaines ont le droit de s'immiscer en prescrivant des règles de
culte pour enchaîner la conscience des hommes, ni de dicter des formes de
dévotion publique ou privée. Nous croyons que les magistrats civils
doivent réprimer le crime, mais ne doivent jamais contraindre la
conscience; punir les délits, mais ne jamais supprimer la liberté de l'âme.
»
On ne doit en aucun cas toucher à la croyance ni à la pratique religieuses
; ce ne sont que ceux dont la croyance empiète sur les droits et les
pratiques des autres qui doivent être mis en accusation en vertu de la loi
civile.
« 5 Nous croyons que tous les hommes sont tenus de soutenir et de défendre
les gouvernements respectifs des pays où ils résident, aussi longtemps
qu'ils sont protégés dans leurs droits inhérents et inaliénables, par les
lois de ces gouvernements, et que la sédition et la rébellion sont
indignes de tout citoyen ainsi protégé et doivent être punies en
conséquence; et que tous les gouvernements ont le droit de décréter les
lois qui, selon leur jugement, sont le plus susceptibles de garantir
l'intérêt public tout en tenant pour sacrée la liberté de conscience. »
Tant qu’ils ont cette protection civile de l’exercice de leur conscience,
les citoyens doivent respecter la loi. Une clause de grande importance est
celle qui veut que les croyants soient « protégés dans leurs droits
inhérents et inaliénables ». Si ces lois ne sont rien de plus qu’une
façade ou si elles sont appliquées de manière arbitraire à un peuple donné,
le gouvernement n’a pas droit au soutien dans ces domaines, parce que
c'est précisément dans ce but que le gouvernement est institué.
Ceci annonce le principe de Nuremberg que personne ne peut être moralement
tenu d’abroger sa fidélité au devoir ou à la vérité simplement parce que
la loi civile déclare le contraire, pas plus qu’on ne peut ni ne doit
s’abriter derrière la loi civile pour justifier la violation d’un code
moral.
« 7 Nous croyons que les gouvernants, les États et les gouvernements ont
le droit et le devoir de promulguer des lois pour la protection de tous
les citoyens dans le libre exercice de leurs croyances religieuses; mais
nous ne croyons pas qu'ils aient, en toute justice, le droit de priver les
citoyens de ce droit sacré ou de les proscrire pour leurs opinions, tant
qu'ils font preuve de considération et de respect pour les lois et que ces
opinions religieuses ne justifient pas la sédition ou la conspiration.. »
C'est une répétition de l’idée : d’un point de vue théologique, le
gouvernement existe essentiellement pour protéger le libre exercice de la
croyance religieuse. Le gouvernement n'a pas le droit de limiter de telles
pratiques, à moins qu’elles ne constituent une menace pour le gouvernement
ou pour les droits d'autrui.
Un point-clef est qu’il faut faire « preuve de considération et de respect
pour les lois » : les sociétés religieuses doivent respecter les lois.
Mais le respect de la loi n'a pas la force morale pour imposer un
changement de comportement ou de croyance qui viole les convictions
religieuses de la personne (à moins que ces convictions ne menacent les
droits d'autrui).
« 8 Nous croyons que la perpétration d'un crime doit être punie selon la
nature du délit; que le meurtre, la trahison, le vol, le larcin, les
attentats à l'ordre public, sous quelque forme que ce soit, doivent être
punis selon leur gravité et leur tendance à favoriser le mal parmi les
hommes, par les lois du gouvernement du pays où le délit a été commis; et
dans l'intérêt de la paix et de la tranquillité publiques, tous les hommes
doivent s'impliquer et utiliser leurs capacités pour que ceux qui ont
violé de bonnes lois soient punis. »
Les sociétés religieuses doivent aider à assurer le châtiment de ceux qui
enfreignent « de bonnes lois », ce qui implique naturellement qu’il puisse
exister potentiellement de « mauvaises lois ». Dans le contexte, ces lois
comprennent clairement celles qui limitent ou freinent la pratique
religieuse, que les sociétés religieuses peuvent ne pas être moralement
obligées de contribuer à faire appliquer.
En résumé, comme le fait remarquer un spécialiste du droit :
« Chaque fois que l’État interdit de manière illégale des croyances
religieuses ou une conduite protégée, la théologie mormone parle du droit
moral, religieux et, dans certains cas, constitutionnel de ses membres à
désobéissance civile ou au refus en conscience de se conformer aux lois de
l'homme. La déclaration [dans D&A 134]… n'est pas simplement un énoncé
descriptif de réalités politiques. Les parallèles dans la formulation et
dans les implications avec la Déclaration d’Indépendance ne sont pas une
pure coïncidence [27]. »
Décisions des tribunaux et désobéissance civile
La Cour suprême des États-Unis a finalement décrété que les lois contre
les mormons étaient constitutionnelles. Mais cela ne veut pas dire que
l’Église avait d'une certaine façon « tort » de résister à ces lois. En
premier lieu, les saints insistaient sur le fait que leur désobéissance
civile était basée sur la révélation divine. Le premier devoir de tout
citoyen ayant le sens moral est vis-à-vis de ses convictions et de son
sens moral les plus élevés et non vis-à-vis de l’État. En second lieu, la
décision d’un tribunal ne rend pas une décision moralement correcte, ni «
constitutionnelle » dans le sens où les saints comprenaient le terme, dans
lequel la liberté religieuse avait toujours une grande place.
L'histoire du droit abonde en exemples dans lesquels une action
précédemment déclarée constitutionnelle ou légale a été révoquée plus tard.
Par exemple, l'opinion dans Dred Scott de 1857 déclarait qu'un Noir était
« un être… d'un ordre inférieur et tout à fait inapte à la fréquentation
de la race blanche… et à ce point inférieur qu’il n’avait aucun droit que
l'homme blanc fût tenu de respecter [28]. »
« Constitutionnel », pour les saints, n'est pas une simple disposition
légale selon laquelle quelque chose devient moral et approprié (ou immoral
et inapproprié) simplement parce qu'un organe de l’État le déclare tel.
C’est au contraire un raccourci pour désigner une loi conforme aux
commandements de Dieu concernant le libre arbitre moral. Prétendre le
contraire, c’est accepter le point de vue que l’État est en fin de compte
plus important que Dieu ou que la conscience individuelle.
Ce qui soulève un problème-clef : Si les décisions de la Cour suprême
n'étaient pas « constitutionnelles » dans le sens où l’entendaient les
saints, pourquoi Wilford Woodruff a-t-il publié le Manifeste, qui disait
abandonner la pratique de la polygamie ?
Comme nous l’avons déjà vu, la désobéissance civile présuppose un certain
nombre de principes. Un concept-clef est que l'on peut moralement désobéir
à l'autorité civile, mais que l’on doit être prêt à accepter les
conséquences de la désobéissance si elles se présentent.
D’une manière générale, les mormons étaient au courant des lois qui leur
interdisaient la pratique de la polygamie ou de la cohabitation ; ils
connaissaient aussi les sanctions judiciaires en cas de désobéissance.
Leur décision de désobéir exigeait aussi une décision d'accepter les
conséquences. C'est là un principe important : la désobéissance civile
comporte le risque d'anarchie générale si les autres citoyens voient que
l’on peut désobéir à la loi sans risquer de conséquences [29]. Le pouvoir
moral et politique de la désobéissance civile découle de la volonté de
certains de risquer des châtiments civils plutôt que de violer leur
conscience. Cela peut avoir pour effet de mobiliser l'opinion publique en
leur faveur ; cela assurera que l’État ne peut pas l’emporter sur la
conscience.
Les saints étaient disposés à souffrir considérablement pour leur foi :
les pénalités civiles qu'ils subirent en vertu des décrets contre la
polygamie étaient vraisemblablement moins pénibles que les viols, les
meurtres et les spoliations qu'ils avaient déjà supportés au Missouri et
en Illinois. Mais les saints n’étaient pas disposés à accepter une
nouvelle perte pour leur foi. Comme le dit le Manifeste de 1890 :
« Attendu que le Congrès a passé des lois interdisant les mariages pluraux,
lois qui ont été déclarées constitutionnelles par la Cour suprême, je
déclare par la présente mon intention de me soumettre à ces lois et d'user
de mon influence auprès des membres de l'Église que je préside pour qu'ils
fassent de même. [30]. »
Le Manifeste ne concède nulle part que les lois sont constitutionnelles
dans le sens compris par les saints ; il admet simplement le fait
indiscutable que les tribunaux les ont déclarées telles. Le président
Woodruff s’est simplement déclaré disposé à demander le renoncement à la
pratique de la désobéissance civile en la matière. Il a plus tard expliqué
son raisonnement :
« La question est celle-ci: Quelle est, pour les saints des derniers jours,
la politique la plus sage à adopter: continuer à tenter de pratiquer le
mariage plural, à l'encontre des lois du pays, face à l'opposition de
soixante millions de personnes, et au prix de la confiscation et de la
perte de tous les temples et de l'arrêt de toutes les ordonnances qui s'y
font, tant pour les vivants que pour les morts, et l'emprisonnement de la
Première Présidence et des Douze, et des chefs des familles de l'Église,
et la confiscation des biens privés du peuple (toutes choses qui par
elles-mêmes mettraient fin à la pratique); ou, après avoir souffert comme
nous l'avons fait parce que nous suivions ce principe, cesser la pratique
et nous soumettre à la loi et, ce faisant, laisser les prophètes, les
apôtres et les pères chez eux, pour qu'ils puissent instruire le peuple et
vaquer aux devoirs de l'Église, et aussi laisser les temples entre les
mains des saints, afin qu'ils puissent vaquer aux ordonnances de
l'Évangile, tant pour les vivants que pour les morts? [31]. »
Les saints continuèrent à affirmer que la pratique de la polygamie était
le fait d’un commandement divin et faisait partie de leur religion.
Cependant, ils ne voulaient pas poursuivre leur politique de désobéissance
civile ouverte et publique et risquer les conséquences plus graves qui
s'ensuivraient en vertu de la loi Edmunds-Tucker et des décrets apparentés.
Ils étaient forcés soit de renoncer à leur pratique publique du mariage
plural, soit d’accepter la saisie des biens de l’Église, l’arrêt de
l’œuvre du temple/du scellement et la pratique publique du mariage plural.
Ils choisirent l'option qui faisait le moins violence à leurs croyances :
pour la plupart, c’était d’abandonner les tentatives de vivre publiquement
le mariage plural.
On a dit que l’Église n’aurait dû utiliser que des moyens légaux plutôt
que la désobéissance civile pour contrer les lois contre la polygamie. Ce
point de vue ne tient pas compte de la croyance des saints que Dieu leur
avait commandé d'instituer la pratique et que par conséquent ils n’avaient
pas besoin de la bénédiction de qui que ce soit d'autre. Le fait
d'attendre aurait de nouveau exigé d’eux qu’ils donnent la préséance à
l’autorité séculière par rapport à leur conscience.
Deuxièmement, certains saints semblaient croire que le gouvernement était
disposé à autoriser une non-application bienveillante de la loi. Selon ce
point de vue, le gouvernement allait décréter des lois pour satisfaire
ceux qui critiquaient la polygamie, mais ne les imposerait pas
énergiquement. Quand il signa la première législation contre la polygamie
en 1862, Abraham Lincoln aurait dit à Thomas B.H. Stenhouse, un messager
mormon de Salt Lake City : « Retournez dire à Brigham Young que s'il me
laisse la paix, je lui laisserai la paix [32]. » Cette politique de
non-intervention donnait aux saints tout ce qu'ils voulaient vraiment : le
droit de pratiquer leur religion, et par conséquent ils étaient
probablement peu disposés à attirer indûment l’attention en protestant
contre une loi qui n'était pas appliquée [33].
Troisièmement, d'un point de vue juridique, il est souvent impossible de
contester une loi injuste tant qu’on n’est pas mis en accusation en vertu
de cette loi. Étant donné qu’il était extrêmement improbable que le
Congrès des États-Unis accepte le moindre appel de la part des mormons sur
ce sujet, les options législatives étaient exclues. La décision de Joseph
Smith de faire campagne pour la présidence des États-Unis, souvent
présentée par les détracteurs comme une preuve de mégalomanie, était en
réalité une façon saine de traiter ce problème et un des rares moyens
légaux restants pour obtenir réparation de diverses injustices. Cela
donnait aux saints une chance légale (bien que petite) d'influencer les
actions de l’exécutif et du législatif.
Les tribunaux étaient donc le seul moyen pour l’Église de l’emporter, mais
il fallait qu’elle soit accusée de violer la loi pour qu’une action en
justice puisse commencer et qu’il soit possible d’aller en appel auprès de
la Cour suprême. Pendant le mouvement américain pour les droits civiques,
le NAACP prit la décision calculée de violer les lois du Sud à propos de
l’attribution des places dans les bus, sachant qu’il était possible de les
contester en vertu des statuts ségrégationnistes. Plainte étant portée,
les Noirs pourraient demander réparation devant les tribunaux.
En dépit de leur décision d’avoir recours à la désobéissance civile, les
saints employèrent également des processus démocratiques plus
traditionnels tels que des pétitions auprès des dirigeants du gouvernement
et l'utilisation des lobbies au Congrès pour argumenter leur point de vue
[34].
Gandhi a donné cet avertissement :
« La désobéissance, pour être civile, doit être sincère, respectueuse,
avoir de la retenue, ne jamais être provocatrice, être basée sur quelque
principe bien compris, ne pas être capricieuse et, surtout, ne pas receler
de la malveillance ou de la haine [35]. »
Il est clair que les saints répondaient à tous ces critères. Seule une
conviction sincère pouvait inciter ces saints de Nouvelle-Angleterre à
mettre la polygamie en vigueur. Le principe sur lequel ils se basaient, la
liberté religieuse, était clairement cher à leur cœur, parce qu’ils
avaient à diverses reprises souffert d'énormes privations pour cette
raison. Et les dirigeants de l’Église exprimèrent encore et encore leur
volonté de négocier avec les États-Unis et de soutenir ses formes
constitutionnelles [36].
Fausse analogie avec le débat sur « le mariage gai »
Certains ont trouvé ironique et même contradictoire le fait que l’Église
actuelle s'oppose à la légalisation du « mariage gai » étant donné sa
lutte pour la polygamie dans le passé. Cependant cette objection confond
deux questions bien distinctes.
Dans le cas de la polygamie, l’Église n'a jamais demandé que ses options
en matière de mariage soient tolérées ou légalement reconnues par l’État.
Elle n’a jamais non plus demandé que d'autres approuvent sa religion ou
son mode de vie. Elle n’a pas demandé d’avantages légaux pour les
conjoints, qui n'étaient pas légalement des « épouses » au sens civil du
terme. Tout ce qu’elle demandait, c’était qu’on la laisse tranquille,
qu’on lui permette d’exercer ses droits en matière de citoyenneté et qu’on
ne lui inflige pas de persécutions illégales. Et il y eut effectivement
une période de détente après l'engagement d'Abraham Lincoln de laisser
Brigham Young et les mormons en paix, s’ils lui laissaient la paix.
L'Église ne conteste pas le droit de ceux qui souhaitent se livrer en
privé à des actes homosexuels de le faire, bien qu'elle considère un tel
comportement comme malavisé et pécheur. Nulle part en Amérique les
homosexuels et les lesbiennes ne se voient systématiquement refuser le
droit de vote ou le droit de posséder des biens et d’en jouir en paix. À
la différence des mormons du XIXe siècle, la communauté homosexuelle du
XXIe siècle est tout à fait libre d’entretenir des relations sexuelles en
privé avec tout autre adulte consentant sans être privée de ses droits
civiques, emprisonnée ou talonnée par des agents du gouvernement. (Les
lois désuètes qui demeurent des exceptions à cette règle semblent
destinées à la corbeille et à ne jamais être appliquées étant donné la
décision récente de la Cour suprême qui a cassé les lois du Texas sur la
sodomie [37]. Chose significative, la décision de la Cour suprême n'a pas
nécessité de redéfinition du mariage pour que réparation soit accordée aux
plaignants homosexuels. Absolument rien n’empêche les homosexuels qui le
souhaitent d’établir des rapports privilégiés entre eux, pas plus que les
couples hétérosexuels qui vivent ensemble sans se marier.
En revanche, « les droits matrimoniaux » demandent que la société approuve
et soutienne ce genre de rapports. La société pourrait en toute légitimité
décider de refuser d'approuver le mariage gai – ou les mariages polygames
– et s'abstenir d’accorder un appui social à de tels rapports. C'est tout
autre chose que d'interdire à d'autres de pratiquer leurs convictions et
leurs goûts personnels et religieux en privé et de les harceler à coups de
lois et de procès. Ceux qui pratiquent l’homosexualité ont déjà les droits
que les mormons ont demandés en vain.
Les adversaires de la polygamie ou les partisans du mariage gai prétendent
parfois qu'au moins les mariages gais sont des rapports consensuels
d'adultes, alors que les pratiques polygames impliquaient souvent la
coercition pour les femmes ou le mariage de personnes trop jeunes. Cette
différence, disent-ils, signifie que la polygamie doit être interdite. Il
faut cependant être conscient du fait que des problèmes tels que la
coercition, l’abus de confiance ou « le détournement de mineure » ne sont
pas des problèmes propres à la polygamie, à l'homosexualité ou à toute
autre forme de rapports intimes. Il existe déjà des options juridiques
pour contrôler ces maux. Quand ils se produisent dans les sociétés
monogames, on n'interdit pas la monogamie, on punit le délit dans chaque
cas.
Ne mourez pas pour rien
La décision d’avoir recours à la désobéissance civile est toujours
complexe. On serait en droit de se demander pourquoi l’Église a voulu
résister avec une telle énergie aux lois des États-Unis au dix-neuvième
siècle, alors que l’Église du vingt et unième siècle ne désobéit pas
ouvertement à la loi dans certaines des nations les plus dictatoriales du
monde. On laisse même entendre que le « droit » de pratiquer la polygamie
est relativement insignifiant, qui ne mérite pas les sacrifices qui ont
été faits pour lui.
La réponse est tout simplement que les saints considéraient le
commandement de pratiquer le mariage plural comme divin et inviolable.
Cependant, comme nous l’avons vu, la désobéissance civile présuppose que
le protestataire est disposé, en principe, à accepter le châtiment civil
s’il est appliqué. Par exemple, si la peine de mort est la sanction d’une
pratique religieuse, on pourrait décider que la désobéissance civile
constitue un coût trop élevé pour le peu qu’il y a à gagner. C'est un
point important, qui sera approfondi dans la prochaine section, mais qui
explique pourquoi la désobéissance civile ouverte n'a été pratiquée comme
politique que lorsque les saints ont été quelque peu protégés par la
distance géographique et l'isolement.
La décision d’obéir à une loi doit reposer sur la conscience. Si une
liberté essentielle est restreinte, peu importe le nombre d'autres
libertés qui existent. Par exemple, le prophète Daniel était conseiller du
roi de Babylone et avait probablement davantage de liberté personnelle que
la grande majorité de l'humanité d’alors [38]. Cependant, une seule loi,
l’interdiction de prier son Dieu pendant un mois, était une violation
suffisante de sa conscience pour qu'il ne soit pas disposé à dire : « Tant
pis, je suis libre de tant d'autres manières. Cet empiètement sur ma
liberté est un prix acceptable à payer [39]. » Je ne suis pas le premier à
voir le parallèle : le président John Taylor a fait la réflexion que « on
a tendu un piège politique à Daniel comme on nous en a tendu un [40]. »
La polygamie mormone était une institution décidément religieuse. La
prochaine section montre à quel point les décrets contre la polygamie
étaient en fait une attaque contre l’Église en tant qu'institution,
démontrant que le problème n’a jamais été porté principalement sur la
polygamie en soi, mais sur la volonté de mainmise de l’État sur la
pratique religieuse d'une minorité.
Mais au-delà de la dimension religieuse, la plupart des gens
contesteraient l’affirmation que le droit de deux adultes consentants
d’avoir des relations sexuelles et/ou familiales sans l’ingérence de
l’État est une affaire « insignifiante » dans les droits de l'homme. Rien
n’est plus crucial ou privé, comme l’a démontré Lawrence contre le Texas :
« Les relations intimes entre adultes consentants… [font] partie de la
liberté protégée par les stipulations du Quatorzième Amendement en matière
de protection dans l’application de la loi [41]. » Voulons-nous vraiment
que l’État s’immisce dans l’alcôve de ses citoyens ? Si deux femmes
veulent partager le même homme et qualifier cela de mariage, pourquoi
irions-nous les poursuivre en justice quand le même homme pourrait choisir
une femme différente chaque soir pendant une semaine, sans que quiconque
au bureau du procureur ne lève le petit doigt ? Ni l'un ni l'autre cas ne
peut exiger le soutien social ou l'approbation de son mode de vie (une
considération que les partisans du « mariage gai » reconnaissent rarement
et prennent grand soin de ne pas mentionner), mais pourquoi harceler et
emprisonner l’un tandis qu’on laisse l'autre strictement en paix ?
John Stuart Mill, dans son ouvrage classique sur la liberté civile,
utilise même les « Mormonites » comme exemple. Mill considérait l’Église
comme étant « le produit d’une imposture flagrante [42] » et pourtant il
fait remarquer :
« On ne demande pas aux autres pays de reconnaître de telles unions [polygames]
ou d’exempter une partie quelconque de leurs habitants de leurs propres
lois à cause des opinions mormonites. Mais quand [les mormons] ont cédé
aux sentiments hostiles des autres bien au-delà de ce que l’on pourrait
exiger d’eux à bon droit [en étant chassés] ; quand ils ont quitté les
pays pour lesquels leurs doctrines étaient inacceptables et se sont
installés dans un coin isolé de la terre, qu'ils ont été les premiers à
rendre habitable pour l’homme, il est difficile de voir en vertu de quels
principes si ce n’est ceux de la tyrannie on peut les empêcher d’y vivre
en vertu des lois qui leur plaisent, à condition qu’ils ne commettent
aucune agression contre d’autres nations et permettent à ceux qui sont
mécontents de leur façon de vivre de s’en aller librement… Tant que les
victimes de la mauvaise loi n'appellent pas les autres collectivités à
l’aide, je ne vois pas pourquoi des personnes qui n’ont absolument rien à
voir avec eux devraient intervenir et exiger qu'il soit mis fin à un état
de choses dont tous ceux qui sont directement concernés semblent être
satisfaits, tout simplement parce que cela scandalise des gens qui vivent
à plusieurs milliers de kilomètres de là et que cela ne regarde pas [43].
»
Polygamie et mensonge
Les détracteurs accusent Joseph Smith et ses successeurs d’avoir fait des
déclarations publiques répétées dans lesquelles ils cachaient ou niaient
carrément et sciemment la pratique de la polygamie. Ils prétendent que
cette malhonnêteté est moralement contestable et en contradiction avec les
principes dont l’Église se revendique.
La notion de « désobéissance civile » est essentielle pour qui veut
comprendre les cas dans lesquels Joseph Smith ou d'autres membres de
l’Église n'ont pas été francs au sujet de la pratique de la polygamie.
Comme l'obéissance à la loi civile, l'honnêteté et l'intégrité sont des
valeurs fondamentales pour l’Église de Jésus-Christ. En effet, le succès
avec lequel les détracteurs ont pu perturber les membres de l’Église avec
des histoires de polygamie et de tromperies est, d'une certaine manière,
un compliment à l’Église. Si l’Église en tant qu’institution avait
l’habitude d’enseigner à ses membres à traiter la vérité avec légèreté, la
découverte que Joseph Smith ait trompé d'autres personnes au sujet de la
polygamie ne perturberait pas grand monde. Mais parce que l’Église,
contrairement à ce qu’essaient de faire croire certains détracteurs,
enseigne véritablement à ses membres à aspirer à mener une vie d’une haute
rectitude morale, la découverte que la polygamie s’est accompagnée de
tromperie peut être passablement choquante. On peut tomber dans la
désillusion si l’on suit les détracteurs en supposant que parce que Joseph
a de temps en temps trompé d'autres personnes dans ce contexte bien
précis, il a donc dû mentir sur tout le reste et avoir été absolument
indigne de confiance.
Mais, comme nous l’avons vu, la pratique de la polygamie doit être
considérée dans son contexte moral en tant qu’acte de dévotion religieuse
au lequel les saints n’étaient pas disposés à renoncer simplement parce
que l’État ou la société le désapprouvait.
Mensonges au sujet de la polygamie pendant l'ère de Nauvoo
Les « mensonges » au sujet de la polygamie qui se sont produits pendant la
période de Nauvoo sont en partie liés à cette même désobéissance civile.
Un exemple tiré de la réalité concrète sera utile. Imaginons un membre de
l’Église vivant en Hollande dans les années 1940. Les lois établies
commandent la déportation de tous les Juifs vers un destin effroyable. Un
membre de l’Église pourrait décider (comme beaucoup de Néerlandais
courageux l’ont fait) qu'une telle loi n'a aucune valeur morale, qu’il
serait même immoral d’y obéir. Le membre de l’Église pourrait en outre
décider qu'il est moralement tenu de cacher une famille de Juifs dans son
grenier. Un jour, une équipe de SS arrive, frappe à la porte, et exige de
savoir si le membre de l’Église sait où il y a des Juifs.
Le membre a plusieurs choix :
1. Il peut décider que « l’honnêteté » est la plus haute des valeurs
morales et révéler l'endroit où se trouvent les Juifs qu’il cache
2. il peut refuser de répondre à la question en se taisant
3. il peut déclarer qu'il n'est pas disposé à obtempérer et qu’il ne
répondra pas à la question
4. il peut mentir aux SS allemands et peut aussi devoir mentir à ses amis
et à ses voisins pour les empêcher de révéler le secret.
Quel est le bon choix sur le plan moral ? Il est inconcevable que
l'honnêteté puisse l’emporter sur la vie des Juifs. Aussi, l'option 1 est
exclue. Il n’y a aucune chance pour que l’officier SS passe paisiblement
son chemin si l’homme se tait ou refuse de répondre. Par conséquent, si
l’on choisit l’option 2 ou la 3, cela aura simplement comme conséquence
que les Juifs seront découverts et que le membre de l’Église et sa famille
subiront les conséquences de leur désobéissance à la loi civile. Il me
semble que l'option la plus morale – que le membre fasse son devoir
vis-à-vis de ses protégés juifs, de sa conscience et de sa famille – exige
de lui qu’il mente aux SS.
Ne l’oubliez pas : quelqu'un qui opte pour la désobéissance civile doit
accepter le risque d’être châtié. Les Hollandais qui ont été pris à
héberger des Juifs ont souffert considérablement pour leur intégrité, mais
ils ont apparemment considéré que ce risque en valait la peine pour
maintenir cette intégrité. On ne peut pas se plaindre si la tromperie à
l’égard des autorités civiles est découverte et punie : c’est le prix de
la désobéissance civile pour des raisons morales. Mais on n'est pas
moralement tenu de participer aux poursuites judiciaires contre soi-même
ou d'autres pour avoir enfreint des lois que l’on considère comme
immorales.
Une analogie avec la pratique moderne de l’Église peut illustrer certaines
des difficultés. Supposons que les membres actuels de l’Église ont fait
des alliances dans le temple, mais non seulement ils font alliance ne pas
révéler certains concepts, mais ils promettent de ne même pas révéler
l'existence de la dotation du temple elle-même. Que ferait un membre de
l’Église si un apostat l’abordait publiquement en lui posant des questions
sur des sujets sur lesquels il a promis de garder le secret ? Garder le
silence ou décider d’en « appeler au Cinquième Amendement », ce serait
faire le jeu de ses ennemis parce que cela reviendrait à confirmer
efficacement l'histoire que le membre ne veut pas nier. Il ne peut pas
rester fidèle à ses alliances s'il répond par l'affirmative ; nier ce que
l'apostat dit, c’est tromper.
C'est précisément dans cette situation que certains membres de l’Église de
l’époque de Nauvoo se sont trouvés. Ils n'avaient pas de choix idéal et
ont donc fait de leur mieux pour suivre Dieu en dépit de circonstances
indépendantes de leur volonté.
Joseph n'a-t-il pas trompé les membres de l’Église ?
Certains sont prompts à faire remarquer que ce n’est pas seulement au
gouvernement ou aux non-membres que Joseph Smith a menti, mais aussi aux
membres de l’Église. C’est naturellement oublier que faire l'annonce
publiquement à l’Église revient à la même choser que mettre tout le monde
au courant.
Cette accusation passe aussi sous silence certaines données essentielles.
Joseph n'essayait pas simplement de faire ce qui lui plaisait en laissant
les autres dans l’ignorance. Il voulait absolument enseigner le principe
du mariage plural à qui l'accepterait ; des dirigeants de l’Église tels
que Hyrum Smith et les Douze y furent initiés. C'est un comportement
étrange pour un imposteur, puisque chacun de ces hauts dirigeants de
l’Église était en mesure de le dénoncer et de causer sa perte. (Joseph
avait eu une grande expérience de tels scénarios, étant donné le départ
précédent de personnalités clefs telles que les trois témoins et de
plusieurs des douze apôtres originels pendant l'apostasie de l’époque de
Kirtland.) Selon une source, la doctrine fut enseignée à plus de cent
adultes à Nauvoo avant l’assassinat de Joseph [44].
N’aurait-il pas mieux valu simplement se taire au sujet de la polygamie si
Joseph n’était qu’un dirigeant libidineux ? Or Joseph persista à essayer
de présenter « le Principe » à d’autres. Il fit même quelques efforts pour
enseigner le mariage plural publiquement ; il semblait disposé à accepter
le risque de la part des non-membres si l’Église le soutenait. Heber C.
Kimball a écrit en 1882 :
« Un matin de sabbat de 1841, avant que les apôtres ne rentrent d’Europe,
[Joseph] étonna ses auditeurs en prêchant sur le rétablissement de toutes
choses et dit qu’il en serait de nouveau comme il en avait été
anciennement pour Abraham, Isaac et Jacob, etc. [45]. »
Un journal intime contemporain décrit la réaction :
« Quand le prophète ‘est allé manger’, écrit [Joseph Lee] Robinson, comme
il fallait s’y attendre, plusieurs des principales femmes de l’Église se
sont réunies chez le Prophète avec sa femme [et] ont dit au Prophète
Joseph : ‘Ô Monsieur Smith, vous y êtes allé trop fort, cela n’ira jamais,
tout cela n’est que du blasphème, vous devez retirer ce que vous avez dit
c’est scandaleux cela va causer la perte de notre peuple.’ Alors, au cours
de la session de l’après-midi, Smith a repris la parole, selon Robinson,
et a dit : « Frères et sœurs, je retire ce que nous avons dit ce matin et
laissons les choses comme si rien n’avait été dit [46]. »
Robinson estime que cette réaction n'était pas inattendue ; et pourtant,
Joseph quand même essayé. Notez que Joseph ne revient pas l'après-midi
pour nier la doctrine ; il la soustrait simplement au débat public. Une
fois les Douze revenus, il allait se mettre à la leur enseigner. Heber
rapporte aussi la réaction négative d'Emma et d'autres :
« Il a parlé si clairement que sa femme, Emma, ainsi que d'autres en ont
été tout en émoi. Voyant l'effet que son sermon leur faisait, il les a
consolées l'après-midi en disant que le temps dont il avait parlé pourrait
être plus éloigné qu'il ne le pensait [47]. »
George A. Smith fait une allusion au même épisode ou à un épisode
semblable basée sur les écrits des personnes présentes :
« Le Prophète monte sur l’estrade et après avoir prêché sur tous les
autres sujets possibles et imaginables, fait finalement allusion à l'idée
de la loi de la rédemption, fait une allusion simple à la loi du
scellement et cela produit une excitation si énorme que, dès qu'il a mangé
la moitié de son dîner, il a dû retourner en chaire et revenir sur tout ce
qu'il avait prêché et a laissé le peuple deviner ce qu’il avait voulu
dire. Tandis qu'il prêchait ainsi, il s'est tourné vers les hommes qui
étaient assis sur l’estrade et qui étaient les hommes qui auraient dû le
soutenir, par exemple vers notre bon vieux président Marks, William et
Wilson Law et frère Cowles, et un certain nombre d'autres personnalités de
Nauvoo, car ceci s’était produit quand les Douze étaient dans l’Est des
États-Unis, et a dit : « Si je devais révéler les choses que Dieu m’a
révélées, si je devais révéler à ce peuple les points de doctrine que je
sais être pour son exaltation, ces hommes verseraient mon sang [48]. »
Joseph considérait que la doctrine était essentielle pour l’Église [49] et
il semblerait qu’il ait donné aux membres de l’Église au moins une
occasion publique d'entendre parler du mariage plural, mais ils l'ont
refusé. Alors Joseph a continué à enseigner la doctrine, mais en privé.
D'autres membres plus fidèles doivent-ils se voir interdire la
connaissance que certains ont refusé de recevoir ?
Dans les dernières années de sa vie, Joseph a à plusieurs reprises déploré
le fait que tous les membres n'accepteraient pas ce qu'il voulait
enseigner. En 1839, il lançait, depuis Liberty, l’avertissement : « Où est
l'homme qui est autorisé à mettre son doigt sur l’endroit sensible et dire
: Tu iras jusqu'ici et pas plus loin : il n'y en a pas. Recevons donc le
tout ou rien du tout [50]. » Wilford Woodruff a cité Joseph en 1841 :
« Certains disent que Joseph est un prophète déchu parce qu'il ne
communique pas davantage de la parole du Seigneur », reconnut-il lors
d'une réunion en décembre 1841 avec les Douze. « Pourquoi n’en
communique-t-il pas ? » demanda-t-il alors. « Sommes-nous capables de la
recevoir ? Non (dit-il), pas un seul dans cette pièce [51]. »
Joseph remarqua en 1843 que « beaucoup scellent la porte du ciel en disant
Dieu peut révéler jusqu’ici et je croirai mais pas davantage [52] ».
Ces facteurs ajoutent une complication morale supplémentaire à la question
: Que doit faire un prophète si la majorité du peuple n’est pas encore
prête à accepter un enseignement ? Doit-il malgré tout l'annoncer
publiquement et risquer la colère d’adversaires violents qui chercheront à
l'empêcher d'enseigner quoi que ce soit ? Doit-il ne rien enseigner et
permettre aux moins fidèles de décider que les plus fidèles ne peuvent pas
jouir de la révélation de Dieu ? Ou doit-il opter pour la méthode de
Joseph : garder la doctrine privée et l’introduire à mesure que le peuple
l'accepte ?
Les détracteurs, qui refusent de croire aux prophètes modernes, trouveront
pareille question oiseuse. Mais si nous laissons à Joseph le bénéfice du
doute avant de le condamner, c'est un problème que nous devons traiter.
Comme George A. Smith l’a dit, c’est un problème qui n’a pas de solution
claire et nette, toute trouvée. Il dit à propos de la période du temple de
Kirtland, qu'il applique ensuite par analogie à l’apostat William Law et à
la polygamie :
« Je crois que si le Seigneur avait à cette occasion révélé un seul
sentiment de plus ou franchi une seule étape de plus pour révéler plus
complètement la loi de la rédemption, il nous aurait tous irrités. Le fait
était qu’il n’aurait pas osé, pour cette raison, nous révéler un seul
principe de plus que ce qu’il avait révélé, parce qu’il avait essayé, à
maintes et maintes reprises de le faire… Il était décidé cette fois d'être
si prudent et d’avancer l'idée si lentement, de la communiquer aux enfants
des hommes avec une telle prudence que, à tout hasard, quelques-uns
d’entre eux pourraient comprendre et obéir [53]. »
Secret, polygamie et menaces de violence contre les saints
Une source éminente sur la polygamie mormone dit que le secret était la
seule tactique possible pour établir la polygamie dans l'Ouest américain
du XIXe siècle. Richard Van Wagoner relève à la fois l'illégalité du
mariage polygame et l'opposition sociale qu’elle suscitait :
« La polygamie, acte délictueux en vertu des lois contre la bigamie
proclamées en 1833 par l'Illinois, était si inacceptable pour la société
américaine monogame du XIXe siècle que Joseph ne pouvait l’introduire que
sous le secret absolu [54]. »
Le point de vue de la désobéissance civile est encore important, mais le
tabou extrême que les contemporains de Joseph imposaient à la polygamie –
compréhensible étant donné la susceptibilité victorienne de l'Amérique du
XIXe siècle – soulève une autre difficulté que nous n'avons pas encore
abordée.
Emma Smith (qui n’était pas une fervente de la polygamie) prétendait que
l’assassinat de Joseph et de Hyrum était dû à la polygamie [55]. Néanmoins,
l'affirmation d'Emma doit être prise avec un grain de sel : son opposition
à la polygamie allait plus tard l'amener à nier que son mari l'ait jamais
pratiquée, ce qui fait que le mariage plural pourrait difficilement être
la cause de son assassinat, comme elle le prétendait au départ [56].
Cependant, il ne peut y avoir aucun doute quant au fait que Joseph savait
qu'il risquait sa vie et celle de ses disciples en prêchant ou en
pratiquant la polygamie. Sarah M. Kimball décrit l'attitude de Joseph en
1842 :
« Il [Joseph] dit en enseignant ceci [la polygamie] qu’il se rendait
compte qu'il mettait sa vie en danger ; mais Dieu la lui avait révélée des
années auparavant comme un privilège avec une bénédiction, Dieu l'avait
maintenant révélée de nouveau et lui avait dit de l'enseigner par
commandement car l’Église ne pourrait pas voyager (progresser) davantage
sans l’introduction de ce principe [57]. »
Louisa Beaman écrit de même que Joseph a dit : « En vous révélant ceci, je
mets ma vie entre vos mains, ne me livrez donc pas dans un mauvais moment
à mes ennemis [58]. » Jane Richards se rappelle que la révélation de
Joseph sur le mariage plural « ne devait pas être rendue publique pour le
moment », parce que « l’esprit d'émeute était déjà tout excité [59] ».
La polygamie n'a certainement pas causé toutes les persécutions que les
saints ont supportées à Nauvoo. Comme Wilford Woodruff l’a observé, ils
avaient subi des persécutions avant que la polygamie ne pose un problème :
« ‘Mais, dit le monde, vous professez croire à la polygamie, c'est pour
cela que vous êtes persécutés.’ Non, vous êtes dans l’erreur à ce propos.
Les pires persécutions que l’Église ait jamais connues se sont produites
avant que la polygamie ne lui soit révélée. Nous avons eu plus de
prospérité depuis que nous appliquons cette loi et que nous nous efforçons
de l'accomplir selon le commandement de Dieu, que nous n’en avons jamais
eu précédemment [60]. »
Ce n'était pas là un simple vœu pieux de la part de Wilford Woodruff. En
1877, J.H. Beadle, qui a participé à la publication de beaucoup de
littérature antimormone pendant la période d’Utah [61], écrivait :
« Les mormons ont eu plus d'ennuis avec le monde avant l’adoption de la
polygamie que depuis… la polygamie suffit comme bouc émissaire, mais le
problème est bien plus radical que cela [62]. »
Malgré tout, la polygamie a certainement contribué à faire sauter le baril
de poudre qu’était Nauvoo. Quand Hyrum Smith lut la révélation sur le
mariage plural à la présidence du pieu de Nauvoo et au grand conseil,
William Marks, Austin Cowles et Leonard Soby refusèrent de la soutenir
[63]. William Law, son frère Wilson et d'autres utilisèrent le numéro du 7
juin 1844 du Nauvoo Expositor pour détailler les pratiques polygames de
Joseph et pour l’accuser de divers crimes, le qualifiant de « démon
sanguinaire et meurtrier… sous forme humaine [64] » et de « sycophante,
dont les tentatives d’obtenir le pouvoir n’ont pas de parallèle dans
l'histoire… une des canailles les plus noires et les plus viles qui soient
apparues sur la scène de l'existence humaine depuis l’époque de Néron et
de Caligula [65]. »
La décision du conseil municipal de Nauvoo de supprimer l'Expositor, tout
en étant légale à l’époque [66], aggrava une situation déjà tendue et fut
directement à l’origine de la reddition, de l'incarcération et du meurtre
de Joseph [67]. Orson Hyde se remémore l’époque de Nauvoo et explique ce
que pouvaient être les conséquences d’une information publique :
« Dans le passé, ils seraient passés par les mêmes circonstances que
certains des saints des derniers jours en Illinois. Quel effet cela
aurait-il eu sur nous s’ils avaient su que bon nombre d'entre nous avaient
plus d'une femme quand nous vivions en Illinois ? Je suis sûr qu’ils nous
auraient démolis encore plus violemment qu’ils ne l’ont fait [68]. »
Il est donc important de se rendre compte que prêcher publiquement la
polygamie – ou l'annoncer à l'ensemble des membres de l’Église, informant
de ce fait indirectement le grand public – n'était tout simplement pas
faisable. Il y a une obligation morale d'éviter la mort et la souffrance
et la décision de Joseph de cacher la polygamie au public ont probablement
évité un déchaînement de violence qui aurait coûté la vie à certains de
ses disciples et à des non-membres en Illinois.
Le mensonge et les prophètes bibliques
Dans tout traitement de la polygamie pendant la période de Nauvoo, en
particulier en rapport avec le caractère secret et les prétendus mensonges
qui entourent son introduction, les questions en reviennent inévitablement
aux textes bibliques.
Les détracteurs affirment souvent que les prophètes bibliques n'ont été
jamais appelés à se livrer au mensonge ou à faire des déclarations
publiques qui ne concordaient pas avec le comportement en privé.
Les auteurs membres de l’Église citent souvent l’exemple d'Abraham [69] et
d'Isaac [70], qui tous deux ont trompé d'autres personnes au sujet de leur
état civil pour garantir leur propre protection, à titre de précédent
biblique pour la polygamie et ses tromperies. Il y a, cependant, des
exemples donnés dans l’Exode qui sont plus dans le sujet par rapport à la
situation à Nauvoo.
Le premier est un exemple de désobéissance civile sanctionné par Dieu. Il
concerne les ordres meurtriers donnés par le pharaon aux sages-femmes
égyptiennes :
« 16 Il leur dit: Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux et que
vous les verrez sur les sièges, si c'est un garçon, faites-le mourir; si
c'est une fille, laissez-la vivre.
« 17 Mais les sages-femmes craignirent Dieu, et ne firent point ce que
leur avait dit le roi d'Égypte; elles laissèrent vivre les enfants.
« 18 Le roi d'Égypte appela les sages-femmes, et leur dit: Pourquoi
avez-vous agi ainsi, et avez-vous laissé vivre les enfants?
« 19 Les sages-femmes répondirent à Pharaon: C'est que les femmes des
Hébreux ne sont pas comme les Égyptiennes; elles sont vigoureuses et elles
accouchent avant l'arrivée de la sage-femme [71]. »
Les sages-femmes se trouvent devant un ordre du chef de l'État qui heurte
leur moralité personnelle/professionnelle. Elles refusent de participer et
trompent activement le pharaon. Elles vont jusqu’à lui mentir, à lui ou à
ses représentants, pour que la tromperie continue ainsi que pour
(suppose-t-on) s’éviter son châtiment. Les versets suivants montrent que
Dieu approuvait leur action. Ce n’est pas l’honnêteté qui est la valeur
morale première, c’est l'obéissance à la volonté de Dieu.
Le deuxième exemple vient de l'appel prophétique de Moïse. Le Seigneur
parle à Moïse et dit :
« 17 et j'ai dit: Je vous ferai monter de l'Égypte, où vous souffrez, dans
le pays des Cananéens, des Héthiens, des Amoréens, des Phéréziens, des
Héviens et des Jébusiens, dans un pays où coulent le lait et le miel.
[72]. »
Le Seigneur annonce son intention de libérer les Israélites de l'esclavage.
Mais, l’instant d’après, il dit à Moïse ce qu’il doit dire au pharaon, ce
que doit être « l'histoire officielle », si vous voulez :
« 18 Ils écouteront ta voix; et tu iras, toi et les anciens d'Israël,
auprès du roi d'Égypte, et vous lui direz: L'Éternel, le Dieu des Hébreux,
nous est apparu. Permets-nous de faire trois journées de marche dans le
désert, pour offrir des sacrifices à l'Éternel, notre Dieu [73]. »
« La version officielle » de Moïse et des dirigeants israélites doit être
qu'ils veulent seulement faire un voyage de trois jours pour offrir des
sacrifices. Le Seigneur préconise donc ici une certaine tromperie. Cela va
même jusqu’à tromper leurs voisins égyptiens :
« 21 Je ferai même trouver grâce à ce peuple aux yeux des Égyptiens, et
quand vous partirez, vous ne partirez point à vide.
« 22 Chaque femme demandera à sa voisine et à celle qui demeure dans sa
maison des vases d'argent, des vases d'or, et des vêtements, que vous
mettrez sur vos fils et vos filles. Et vous dépouillerez les Égyptiens
[74]. »
Puisqu'ils vont simplement faire des sacrifices, selon la version publique,
les Israélites doivent « emprunter » des objets précieux aux Égyptiens.
Mais l'intention réelle est clairement définie : ils doivent « dépouiller
» (c.-à-d. « piller ») les Égyptiens [75].
Le pharaon n’est bien entendu pas dupe. Il semble bien se douter qu'il y a
autre chose et que Moïse ne dit pas tout à son public. Il propose toutes
les sortes de compromis, apparemment dans le but de s'assurer que les
esclaves reviendront après avoir accompli leur devoir [76].
Les choses évoluent au point que le pharaon menace la vie de Moïse en
dépit des plaies et des signes [77]. Le peuple est finalement libéré, mais
une fois qu'il est parti, le pharaon et ses conseillers décident de
recourir à la violence et au massacre :
« 5 On annonça au roi d'Égypte que le peuple avait pris la fuite. Alors le
cœur de Pharaon et celui de ses serviteurs furent changés à l'égard du
peuple. Ils dirent: Qu'avons-nous fait, en laissant aller Israël, dont
nous n'aurons plus les services?
« 6 Et Pharaon attela son char, et il prit son peuple avec lui.
« 7 Il prit six cents chars d'élite, et tous les chars de l'Égypte; il y
avait sur tous des combattants.
« 8 L'Éternel endurcit le cœur de Pharaon, roi d'Égypte, et Pharaon
poursuivit les enfants d'Israël. Les enfants d'Israël étaient sortis la
main levée [78]. »
On ne nous dit pas pourquoi le Seigneur a dit à Moïse de traiter avec les
Égyptiens comme il l’a fait. Il est significatif que ce n’est pas à son
initiative personnelle que Moïse a adopté cette approche ; seul un
commandement direct motive son comportement pas très franc.
On peut toutefois faire des supputations : il est certainement raisonnable
de penser que les Égyptiens auraient des intentions meurtrières à l’égard
de leurs esclaves qui voulaient partir. Ils sont prêts à agir en ce sens,
en dépit des fléaux, quand il devient incontestable qu'Israël est parti
pour de bon. Si Moïse avait annoncé qu'Israël partait, qu’aurait été la
réaction de la cour du pharaon ? Il est très possible que le fait que
Moïse n’a pas tout dit ait sauvé la vie à des Égyptiens aussi bien qu’à
des Israélites. Il est certain que Dieu aurait pu employer un autre moyen.
Mais, dans ce cas, la tromperie a été la tactique spécifique qu'il a
commandée.
Des auteurs hostiles à Moïse pourraient sans aucun doute exploiter cette
situation avec de grands effets rhétoriques : ils pourraient se moquer de
l’entorse faite ici par Moïse à la morale et insister sur le fait que tout
cela il l’a fait dans un but financier. Ils pourraient contraster son
comportement dans ce cas avec les commandements « tu ne convoiteras point
», « tu ne porteras point de faux témoignage » et « tu ne déroberas point
» donnés plus tard au Sinaï et faire observer que « emprunter » quand on
n’a pas l'intention de jamais revenir ressemble beaucoup à du « vol ».
Mais toutes ces attaques – comme les attaques contre Joseph – présument la
question résolue. Elles partent du point de vue que Moïse n'est pas un
prophète. Le devoir le plus grand d’un prophète, ou de qui que ce soit
d’autre, est d'obéir à la parole du Seigneur.
Mentir pour le Seigneur ?
Les détracteurs accusent depuis longtemps les saints des derniers jours de
mentir administrativement et systématiquement pour le Seigneur, ce qui
reviendrait à appliquer l’adage : la (bonne) fin justifie les moyens. Je
ne crois pas que les textes bibliques préconisent une telle politique,
mais ils préconisent l’obéissance au Seigneur. On n'utilise pas une
tactique moralement contestable parce qu'on croit que la fin justifie les
moyens. Dallin H. Oaks exclut toute doctrine de ce genre dans l’Église,
tout particulièrement dans le contexte de la polygamie :
« Certains ont avancé qu'il est moralement permis de mentir pour favoriser
une bonne cause. Par exemple, certains mormons ont enseigné ou laissé
entendre que le mensonge est acceptable si l’on ment pour le Seigneur…
Pour ce qui est de notre Église et de notre culture, les accusations les
plus courantes de mensonge pour le Seigneur tournent autour de
l’introduction, de la pratique et de la cessation de la polygamie. Toute
cette question de polygamie a été un terrain fertile pour la tromperie.
Les historiens n’ont aucun mal à citer des dirigeants et des membres de
l’Église dans des déclarations qui justifient, nient ou déplorent
l’existence de tromperie dans l’application de cette pratique religieuse
[79]. »
Frère Oaks en arrive alors au point crucial : il y a des moments où les
impératifs moraux s'opposent. Sauve-t-on sa famille et les Juifs que l’on
cache ou dit-on la vérité aux nazis ? Démembre-t-on les familles
polygames, abandonne-t-on les épouses sans soutien ou dit-on toute la
vérité ? On ne peut pas faire les deux : cela ne se discute pas. Frère
Oaks note :
« Cela me fend le cœur quand je lis des situations dans lesquelles épouses
et enfants se voient mis devant le choix terrible entre mentir au sujet du
lieu ou de l'existence d'un mari ou d'un père d'une part ou dire la vérité
et le voir emprisonné de l'autre. Ce n'étaient pas là des dilemmes
théoriques. Un père en prison, cela voulait dire pas de nourriture sur la
table ni de combustible dans l’âtre. Ces choix difficiles impliquaient un
affrontement entre des émotions et des besoins fondamentaux tels que le
respect de la vérité contre le besoin d'une présence aimante et d’une
protection contre le froid et la faim.
« J’ai également compassion pour les dirigeants de l’Église qui étaient
pris en étau entre leur dévouement envers la vérité et leur dévouement
pour leurs épouses et leurs enfants et les uns pour les autres. Dire la
vérité, cela pouvait signifier trahir une confiance ou une cause ou
envoyer un frère en prison. Pareil choix n’est pas un cas d’école ! [80].
»
Les actes de gens mauvais peuvent mettre les saints dans des situations
dans lesquelles ils ne peuvent pas s’acquitter de tout ce qui est
moralement exigé d’eux. Dans des circonstances aussi difficiles, seule la
révélation – donnée à l’Église collectivement et aux personnes – peut
espérer nous montrer ce que Dieu voudrait que nous fassions. Il est
extrêmement difficile de juger de tels cas ; il est également hypocrite de
la part des détracteurs de l’Église d’attirer l’attention sur de telles
situations sans fournir le contexte qui était à la base de leurs choix et
qui les rendait si déchirants. Comme le dit frère Oaks :
« Je ne sais que penser de tout ceci, si ce n’est que je suis heureux de
ne pas devoir affronter les pressions que ces braves gens ont dû
affronter. Ils ont toute ma sympathie pour leur courage et leurs
sacrifices dont je suis le bénéficiaire direct. Je ne les jugerai pas. Ce
jugement-là appartient au Seigneur, qui connaît toutes les circonstances
et le cœur des acteurs, ce qui est un niveau de compréhension et de
sagesse que ne maîtrisent pas même les historiens les mieux informés [81].
»
Chaque cas doit être jugé selon ses mérites. Certains membres ou
dirigeants de l’Église ont-ils fait de mauvais choix ? Probablement – ni
eux ni nous ne prétendons à l’infaillibilité. Je pense cependant que,
d’une manière générale, il est clair que les membres de l’Église n’ont pas
« menti » ou « trompé » parce que c’était commode ou parce que cela
favoriserait « la cause ». Ils ont menti parce qu’il y avait conflit entre
des obligations morales et qu’ils ont choisi l'option qui faisait le moins
de tort à leur sens moral. Ils avaient heureusement la révélation
personnelle pour les guider. Frère Oaks conclut :
« Je me pose la question : Si certains de ces dirigeants ou membres
mormons ont menti, que faut-il en conclure ? Je rejette une conclusion qui
affirme ou implique que cet exemple prouve que le mensonge est moralement
permis ou que le mensonge est une tradition ou même un état de choses
toléré dans la communauté mormone ou parmi les dirigeants de notre Église.
Ce n'est pas le cas [82]. »
Étant donné le fait que certains dirigeants de l’Église ont trompé
d'autres personnes au sujet de la polygamie, il est raisonnable de se
demander si ces dirigeants ont également menti sur d'autres sujets.
Heureusement, une doctrine-clef de l’Église est que personne n’est tenu de
croire quelqu’un d’autre sur parole – « que l'homme ne conseille pas son
semblable et ne place pas sa confiance dans le bras de la chair, mais… que
chacun parle au nom de Dieu, le Seigneur, le Sauveur du monde [83]. » Ceci
ne s'applique pas seulement à la polygamie ; cela concerne tout
commentaire sur un témoignage. Joseph a affirmé beaucoup d’autres choses
qui pourraient nous rendre sceptiques : apparitions de Dieu et de Jésus,
anges, plaques d'or, et tout le reste. Il a dit :
« Sondez les Écritures: sondez les révélations que nous publions et
demandez à votre Père céleste, au nom de Jésus-Christ, de vous manifester
la vérité, et si vous le faites en n’ayant en vue que sa gloire, sans
douter, il vous répondra par le pouvoir de son Saint-Esprit. Vous saurez
alors par vous-même et non par quelqu’un d’autre. Alors la connaissance
que vous aurez de Dieu ne dépendra pas de l’homme; il n’y aura pas non
plus de place pour les supputations. [84]. »
Aucun membre de l’Église n'est obligé de croire aveuglément les dirigeants
passés ou présents, mais nous devons au moins examiner leurs décisions
avec un minimum de charité et être conscients des nombreux facteurs qui
ont pu contribuer à leurs choix, particulièrement quand nous en savons
tellement peu sur certains d'entre eux.
Mensonges sur la polygamie en Utah, avant 1890
Gandhi a fait observer qu'une campagne morale de désobéissance civile
requiert une atmosphère de sécurité relative :
« Il devrait être évident que la résistance civile ne peut pas s'épanouir
dans une atmosphère de violence. Cela ne signifie pas que les ressources
de [résistance] sont épuisées. Il faut découvrir d’autres moyens que la
désobéissance civile [85]. »
L'Illinois correspond certainement à cette description : les menaces de
violence étaient toujours présentes et finirent par se concrétiser.
Cependant, une fois que l’Église se fut installée en Utah, les saints
pouvaient être plus ouverts au sujet de la pratique de la polygamie sans
que des menaces aussi graves ne pèsent sur les innocents. Le journal de
Lorenzo Snow, qui donne des détails sur l'exode d'Illinois, observe :
« Nous ressentions une grande joie d’avoir fait ce que nous avions déjà
fait pour nous libérer du pays de l’oppression gentile et nous avions
l’impression de pouvoir respirer plus librement et parler entre nous avec
moins de circonspection que jusqu’à présent des choses dans lesquelles
Dieu nous avait rendus libres [86]. »
La première annonce officielle eut lieu en 1852, pourtant Brigham Young
dit en 1851 au gouvernement territorial : « J'ai beaucoup [d’épouses] et
je n'ai pas honte que cela se sache [87]. » Toutes les craintes que Joseph
ou d'autres avaient pu avoir pour la sécurité des saints si la polygamie
était annoncée étaient manifestement bien fondées. B.H. Roberts écrit :
« Il ne fait aucun doute qu'au début [l'annonce officielle du mariage
plural] ait donné aux adversaires de l’œuvre un grand avantage ; car de
toutes les missions étrangères sont venus des rapports d'opposition accrue
ayant pour résultat, dans beaucoup de cas, des violences de la part
d'émeutiers [88]. »
Dans toute la dernière moitié du dix-neuvième siècle, l’Église fut célèbre
pour ses pratiques polygames. En dépit des pressions accrues de la part de
la justice, les membres continuèrent leur pratique de désobéissance
civile. L'annonce du Manifeste de 1890 donna lieu à un nouvel ensemble de
problèmes. Comme le remarque Dallin H. Oaks :
« Il ressort clairement du témoignage de l’histoire que Joseph Smith
introduisit la doctrine et la pratique de la polygamie auprès d’un petit
nombre de personnes choisies dans les années 1830 et 1840, mais l’Église
ne l’annonça publiquement que lorsque la révélation fut lue à haute voix
en 1852 à une conférence de l’Église à Salt Lake City. Il est également
clair que pendant les poursuites fédérales des années 1880, de nombreux
dirigeants de l’Église et membres fidèles furent pourchassés, arrêtés,
poursuivis en justice et emprisonnés pour des violations de diverses lois
interdisant la polygamie ou la cohabitation. Certaines épouses furent même
envoyées en prison pour avoir refusé de témoigner contre leur mari, la
sœur aînée de mon grand-père étant l'une d'elles.
« Il est également clair que la polygamie n'a pas soudainement pris fin
avec le Manifeste de 1890. Les unions polygames scellées avant que la
révélation ne soit annoncée continuèrent pendant une génération.
L'accomplissement de mariages polygames continua aussi pendant un certain
temps en dehors des États-Unis, où l'application du Manifeste fut
incertaine pendant un certain temps. Il apparaît que des mariages
polygames continuèrent aussi pendant une décennie environ dans certaines
autres régions parmi les dirigeants et les membres qui trouvèrent une
justification dans les ambiguïtés et les pressions créées par cette
collision de haut niveau entre des lois mal perçues et des doctrines
révérées [89]. »
Il ne faut pas non plus y voir une période avec rien que des « bons » (les
mormons) d'un côté et rien que des « mauvais » (les politiciens, les juges
et les non-mormons) de l'autre. Comme un auteur nous le rappelle :
« Tous les antagonistes fédéraux n'étaient pas du même acabit et tous
n'étaient pas animés d’un ressentiment général contre la religion mormone…
Parmi les participants fédéraux qui appliquèrent les lois contre la
polygamie de la manière la plus stricte il y a avait des hommes honorables
et tenus en haute estime dans leur collectivité… mais qui n'avaient pas
pour objectif secret de vouloir abaisser ou détruire la religion mormone…
les uns étaient des hommes de bien les autres étaient très mauvais [90]. »
Il n’était naturellement pas rare non plus qu’il y ait une opposition
déplacée à l’égard de l’Église. Daniel Dunklin, gouverneur du Missouri se
demandait « pourquoi, à une époque pleine d’imposteurs et de fanatiques,
les mormons étaient les seuls à être privés de leurs droits [91]. » Et
Scribner’s Monthly parle du traitement « anormal » infligé aux mormons : «
Les Américains n’ont qu’une seule religion indigène [le mormonisme] et
c’est justement celle-là qui est manifestement l'exception unique à la
règle américaine de la tolérance universelle [92]. »
Situation précédant le Manifeste de 1890
Les décennies précédant le Manifeste virent la mise en œuvre d’efforts
juridiques de plus en plus rigoureux pour punir les saints pour la
pratique du mariage plural. Cette violation de ce qu'ils percevaient comme
étant leur droit au culte ne fit que renforcer l'idée des mormons que le
gouvernement des États-Unis et beaucoup de non-membres se livraient à une
guerre à outrance contre l’Église. Les saints ne l’entendaient pas
simplement comme une vue de l’esprit, mais se considéraient comme étant
les victimes d'une guerre d'agression parfois menée par les gouvernements
et les tribunaux au lieu des baïonnettes et des canons. Parfois, c'était
également une guerre d’armées et d’armes, comme lors de la « guerre d'Utah
» de 1852 ou de l'expulsion du Missouri. Mais du point de vue des saints,
les efforts législatifs étaient simplement une arme différente choisie par
leurs ennemis pour atteindre le même but : la destruction de l’Église.
John Taylor dit en 1857 :
« Ils sont à tous points de vue dans la tourmente aux États-Unis, et ici
nous avons la paix la plus parfaite et de très loin la meilleure moralité
que l’on puisse trouver dans le monde : oui, c’est mille fois mieux que ce
que j'ai vu dans tous les endroits de la terre où je suis allé. Il n'y a
pas un seul endroit qui puisse s’y comparer ; et seul le diable lui-même
pourrait inspirer le cœur des enfants des hommes à faire la guerre contre
un peuple comme celui-ci [93]. »
Ainsi, pour les mormons, il y avait bel et bien une guerre en cours et
elle était animée par des influences mauvaises. Cette vision des choses
n’était pas isolée et elle persista tout au long des décennies qui
précédèrent le Manifeste. Lisez les citations suivantes datant des années
indiquées :
1863 : La lumière de l'Esprit de Dieu est retirée [des dirigeants
politiques du monde] et ils ne peuvent pas voir leur chemin. Ils sont
tremblants à cause des complications politiques actuelles ; ils ne
connaissent pas Dieu, mais « leur cœur est dans la crainte à cause de ce
qui arrive sur la terre ». Sans révélation, ils ne peuvent que voir les
choses selon les principes naturels et redouter le résultat. Nous savons
ce qui sera l'ultimatum final de l’œuvre dans laquelle nous sommes engagés
et aussi ce que sera le destin de ceux qui lui font la guerre et des
nations qui rejettent l'Évangile quand il leur est envoyé [94].
1865 : L’œuvre des derniers jours que nous représentons liera le pouvoir
du diable qui a régné parmi les enfants des hommes pendant 180
générations. Il n'est donc pas étrange que le diable devienne furieux et
excite les méchants pour qu’ils lui fassent la guerre. [95].
1873 : Le diable… a inspiré le cœur d'un grand nombre d'hommes depuis que
l'Évangile est rétabli sur la terre, pour nous faire la guerre [96].
1880 : Ainsi dit le Seigneur à mon serviteur Wilford Woodruff, j'ai
entendu ta prière et je répondrai à ta demande. Je te ferai connaître ma
volonté concernant les nations qui encombrent la terre de promission et
aussi concernant Sion et ses habitants… le diable règne sur son royaume et
mon Esprit n'a aucune place dans le cœur de ceux qui gouvernent cette
nation, et le diable les excite pour qu’ils défient mon pouvoir et pour
qu’ils fassent la guerre à mes saints [97].
1884 : Je veux que le monde, je veux que le monde chrétien, je veux que
les prêtres d’aujourd’hui qui réclament, à cor et à cri, que le sang de
l'innocence soit versé pour satisfaire leur désir – je veux que ces
prêtres et tous ceux qui travaillent à renverser le « mormonisme »
s'enquièrent soigneusement si ces prophètes étaient inspirés de Dieu. Et
s'ils étaient inspirés de Dieu, s'il est juste de leur part de faire la
guerre à l’œuvre de Dieu sur la terre ?… La question est, si cette guerre
contre Dieu et contre son œuvre va l’emporter ?… Ce sont là des vérités
éternelles, comme le Dieu du ciel vit, et elles l’emporteront, que les
hommes les croient ou pas, ou que les méchants leur fassent la guerre ou
pas [98].
1886 : Les circonstances qui nous entourent, bien qu'elles soient à bien
des égards douloureuses et éprouvantes, ne sont pas de nature à décourager
le saint fidèle. On nous a enseigné que nous devons justement nous
attendre à des situations telles que celles par lesquelles nous passons,
ou, tout au moins, au genre d’opposition à la laquelle nous devons
maintenant faire face… Non seulement les prophètes de notre époque ont
parlé des événements qui allaient avoir lieu en rapport avec l’œuvre des
derniers jours et l'opposition qu'elle devrait affronter, mais les
prophètes d’autrefois ont prédit avec exactitude et minutie que le peuple
de Dieu serait peu nombreux et que ses possessions seraient petites à
cause de la méchanceté de « la grande prostituée » qui lui ferait la
guerre. Mais en dépit du fait que les multitudes de la terre combattraient
l’Église de l'Agneau de Dieu, le pouvoir de Dieu descendrait sur les
saints et sur son peuple de l'alliance ; et ils seraient armés de justice
et du pouvoir de Dieu et d’une grande gloire… Par conséquent, dans ce
conflit qui nous est imposé, nous ne menons pas une défense désespérée
[99].
Et, écrit Wilford Woodruff dans son journal la veille du Nouvel An 1889 :
« Ainsi finit l'année 1889 et la parole du prophète Joseph Smith commence
à s’accomplir, qui dit que toute la nation se tournerait contre Sion et
ferait la guerre aux saints. La nation n'a jamais été à ce point remplie
de mensonges contre les saints qu’aujourd’hui, 1890 sera une année
importante pour les saints des derniers jours et pour la nation américaine
[100]. »
Cette perspective ne se limitait pas non plus aux échelons supérieurs de
la direction de l’Église. Warren Foote, un polygame d'Utah, écrit dans son
journal intime :
« Cette guerre a été menée contre les saints des derniers jours, parce
qu'ils croyaient en des prophètes et professaient avoir la révélation de
Dieu. C'est ce que le général Clark dit dans son allocution aux saints de
Far West après la reddition… [Avec l'annonce du Manifeste] je suppose
qu'ils trouveront autre chose pour pouvoir entretenir leur guerre [101]. »
Il est clair que les saints se considéraient comme les agressés dans une
guerre implacable que leur faisaient leurs ennemis, dont ils étaient
convaincus qu’ils étaient motivés principalement par l’intolérance
religieuse. De plus, il leur semblait clair que leurs ennemis
utiliseraient la force armée ou le gouvernement pour atteindre leurs buts.
Et les batailles anti-polygames de la deuxième moitié du dix-neuvième
siècle furent la poursuite, par différents moyens, de la même guerre qui
avait été menée au Missouri et en Illinois pendant la première moitié.
Comment les détracteurs considéraient les mormons avant le Manifeste de
1890
Beaucoup des politiciens ou des juges auxquels les saints eurent affaire
dans les périodes d’avant et d’après le Manifeste avaient pratiqué un
activisme antimormon. Comme le fait remarquer un critique littéraire :
« En passant fréquemment, dans ces volumes, des textes aux registres
biographiques, j'ai… remarqué le nombre d’ennemis de Joseph Smith et de
l’Église qui furent, après 1844, fonctionnaires du gouvernement, avocats
et juges [102]. »
On Liberty, de John Stuart Mill rend abondamment témoignage du but du
sentiment anti-polygame :
« Ce qui ici nous préoccupe ici c’est que… son prophète et fondateur fut,
pour son enseignement, mis à mort par des émeutiers ; que d'autres de ses
adhérents perdirent la vie par la même violence anarchique ; qu'ils furent
expulsés de force, en bloc, du pays dans lequel ils avaient grandi ;
tandis que, maintenant qu'ils ont été chassés dans un recoin solitaire au
milieu du désert, beaucoup dans ce pays déclarent qu'il serait juste
(seulement que ce n'est pas commode) d'envoyer une expédition contre eux
et de les contraindre par la force à se conformer aux opinions d'autres
personnes. Le point de doctrine des Mormonites qui est la source
principale de l'antipathie qui renverse ainsi les barrières ordinaires de
la tolérance religieuse, est son acceptation de la polygamie ; laquelle,
quoique permise aux Mahométans, aux Hindous et aux Chinois, semble exciter
une animosité inextinguible une fois qu’elle est pratiquée par des
personnes qui parlent anglais et professent être une sorte de chrétiens
[103]. »
Il semble clair que la croyance que le Congrès était bien décidé à « avoir
» les mormons n'était pas une perception entièrement unilatérale basée sur
rien d’autre que le fanatisme mormon. Mill avait parfaitement compris que
l'intention sous-jacente était de les contraindre à se conformer aux
conventions religieuses.
Certains des ennemis des mormons voyaient les choses dans les mêmes
termes. En 1880, par exemple, le pasteur protestant Thomas DeWitt Talmage
disait au Congrès des États-Unis :
« Le mormonisme ne sera jamais détruit tant qu’il ne l’aura pas été par
les canons du gouvernement des États-Unis… Si les mormons se soumettent à
la loi, très bien. Sinon, alors qu’on envoie des troupes… et qu’elles
fassent du tabernacle mormon leur quartier général et, avec les canons les
plus gros, fassent pénétrer en eux le septième commandement [104]. »
Le révérend Talmage n'hésitait pas non plus à associer les mormons à
d'autres crimes que l'adultère. Après l'assassinat du président Garfield,
Talmage fit un sermon à Brooklyn et dit :
« Si la mort de Garfield incite la nation à plus de haine à l’égard de
cette institution du mormonisme… il ne sera pas mort en vain [On ne savait
pas qui était l’assassin, mais pour Talmage, il]… avait la laideur d'un
mormon, le caractère licencieux d'un mormon, la cruauté d'un mormon,
l'esprit meurtrier d'un mormon [105]. »
Et le révérend George Whitfield Phillips de l’Église de Plymouth, dans le
Massachusetts, était d'avis que la nation devait traiter la polygamie
aussi vigoureusement qu'elle avait traité l'esclavage : « Je ne la pense
pas que c’est étrange, quand on se rappelle la méthode divine de traiter
les grands maux sociaux, que ce problème mormon soit imputé au peuple
américain [106]. »
De toute évidence les saints ne faisaient pas de la paranoïa : il y avait
vraiment des dirigeants religieusement motivés détenant le pouvoir
politique qui voulaient attaquer les saints militairement ou
législativement si besoin était pour détruire le mormonisme.
L’étude de certains des débats du Congrès concernant la polygamie est
révélatrice ; il en ressort clairement que l'intention du législateur
allait bien au-delà de la volonté de refréner les pratiques des saints en
matière de mariage [107].
L'arrivée de l'armée de Johnston en 1858 n'améliora pas l'opinion que les
saints avaient des États-Unis. Les membres de l’Église se sentaient
clairement menacés par le recours contre eux à la force militaire qu'ils
avaient déjà connu au Missouri et en Illinois. À leurs yeux, même
géographiquement isolés comme ils l’étaient, leurs ennemis semblaient bien
décidés à les poursuivre.
Les juges fédéraux désignés entre 1852 et 1856 furent mal choisis,
puisqu'ils ne semblent pas avoir été des hommes d’une haute moralité :
« S'il était vrai que les magistrats désignés par les États-Unis furent
méprisés, les provocations ne manquaient pas. Deux d'entre eux…
abandonnèrent leur poste, un troisième était probablement opiomane, un
quatrième, ivrogne, un cinquième, joueur et libertin [108]. »
Terryl Givens écrit à propos de William Wormer Drummond, le pire des juges
fédéraux :
« C’était un libertin avec un flair pour l’exhibitionnisme. Ayant amené
dans son sillage une prostituée de Washington, qui partageait son lit
aussi bien que son tribunal (il avait abandonné sa famille en Illinois),
Drummond faisait fi des mœurs mormones tout en s’efforçant d'imposer
l'autorité judiciaire fédérale. Après deux ans de controverse [lui et
d'autres juges] retournèrent à Washington, furieux et bien décidés à se
venger [109]. »
Étant donné que beaucoup de leurs ennemis toléraient ou se servaient de
maîtresses ou de prostituées, on pourrait pardonner aux mormons le
sentiment d’être injustement harcelés [110]. Le fait que l’on se servait
de la polygamie comme prétexte était perçu par certains membres comme de
l’hypocrisie, particulièrement du fait que le président Buchanan « caresse
ou entretient six ‘Cypriennes’ [prostituées] ou davantage » [111] comme
Brigham Young l’écrit à John Taylor, espérant que ceci inciterait Buchanan
à traiter les polygames mormons avec une certaine clémence. Cela n’allait
pas être le cas puisque Buchanan considérait les mormons comme des
illuminés dont « le fanatisme frénétique » était évident dans leurs
doctrines qui étaient « déplorables… et révoltantes pour les sentiments
moraux et religieux de toute la chrétienté [112]. »
Il est clair que dès le départ il y avait des motivations religieuses
derrière les attaques contre la polygamie :
« En 1854, un législateur implorait le Congrès : « Nous, les chrétiens,
suivons et légiférons la doctrine du Christ, pas de Joe Smith ; prenons le
saint Évangile, pas le Livre de Mormon… Écrasons ce mal dans l’œuf, dans
l'intérêt de la moralité, de la religion et du christianisme [113]. »
Il apparaît que dans l’esprit au moins de certaines personnes de l'Est,
les mormons avaient dépassé les bornes : ils n'adoraient pas le Christ et
n'étaient pas chrétiens, ne suivaient pas « le saint Évangile » et étaient
une insulte à la religion elle-même. Ce genre de personnes ne voyaient
aucun problème à imposer leurs conceptions religieuses par la puissance de
l’État.
En 1856, le nouveau parti républicain lança sa première campagne pour le
Congrès sur un programme d'abolition de « ces reliques jumelles de la
barbarie, la polygamie et l'esclavage [114]. »
« Incapable de s'aliéner sa base sudiste en s'opposant à l'esclavage, le
président Buchanan [démocrate] commença à comprendre le potentiel
politique du mouvement contre la polygamie. En 1857, un organisateur
démocrate du Sud écrit au président : « Je crois que nous pouvons
remplacer la négromanie par l’excitation presque universelle d'une
croisade antimormone… La voix de fausset de l’abolitionnisme sera
inaudible au milieu du grondement du tonnerre de la tempête que nous
allons soulever [115]. »
C’était bien simple, les mormons étaient moins populaires que les
esclavagistes et donc des cibles toutes trouvées. C'était particulièrement
vrai parce que les politiciens de l’époque ne considéraient pas que le
premier Amendement s'appliquait aux mormons. Seuls les cultes chrétiens
traditionnels devaient être protégés, comme le montre un rapport de 1860
de la Chambre des Représentants : même les « Hindous » et les « Hottentots
» ne méritaient pas le nom de « religion » :
« Le sens moral de notre peuple, aussi bien que celui de toute communauté
raffinée et intelligente sur la terre habitable, a été choqué par la
licence ouverte et provocatrice qui, sous le nom de religion et d'une
interprétation laxiste de notre Constitution, a été donnée à ce crime dans
un de nos Territoires … Les citoyens d’Utah, « la main levée et le bras
étendu », méprisent le caractère sacré de la Bible et la majesté de nos
lois… Il ne faudrait sans doute pas de déclaration compliquée pour
démontrer que les auteurs de la Constitution… quand ils ont déclaré « le
Congrès ne fera aucune loi relative à l'établissement de la religion ou au
libre exercice de celle-ci », ne voulaient pas honorer du nom de religion
une tribu de saints des derniers jours qui déshonorent ce saint nom et qui
profitent avec perversité de la crédulité du genre humain… Il est plus que
probable que par le terme religion ils voulaient simplement exprimer
l'idée d'une croyance fondée sur les préceptes de la Bible ; et
considérant que c’était un principe de foi commun et établi, ils ne
voulaient pas qu’il y ait discrimination en faveur d'une confession
chrétienne par rapport à une autre, mais il est certain qu’ils n'ont
jamais prévu que les divagations de l’Hindou ou les momeries ridicules du
Hottentot soient anoblies par un nom aussi honoré et sacré [116]. »
Le gouvernement refusa de croire le rapport des mormons au sujet de leur
religion et de leurs croyances. En outre, il affirma que la Constitution
ne visait qu’à protéger les « chrétiens », ce qui devrait donner à
réfléchir aux musulmans, aux Juifs et aux laïcs au moment où les mormons
sont éjectés de la chrétienté.
Les gouvernements utilisèrent abondamment le journalisme à sensation et
les accusations absurdes pour diaboliser l'ennemi mormon : le député
Thomas A.R. Nelson du Tennessee cita un article du Nashville Daily News
(25 mars 1860) qui citait John Cradlebaugh, juge à la Cour suprême du
Territoire d’Utah :
« L’inceste est courant. Il arrive que le même homme ait à la fois la
fille et sa mère pour épouses… la première chose qu’ils [les enfants issus
de la polygamie] font, après avoir appris la vulgarité, est de porter une
ceinture en cuir avec un couteau de boucher passé dedans ; et la chose
suivante, c’est de voler les Gentils… [puis] ils sont prêts à voler,
piller et assassiner les émigrants. Les femmes et les filles sont
grossières, masculines et incultes et sont la plupart du temps recrutées
dans les couches les plus basses de la société [117]. »
La polygamie continua à servir de souffre-douleur commode à ceux dont la
cible véritable était l’Église elle-même, comme l’un d’eux le reconnut
franchement :
« Certains non-mormons… reconnurent que ce n’était pas la polygamie qui
était le problème le plus important. Fred T. Dubois, activiste de longue
date contre la polygamie et contre l’accession de l’Utah au rang d’État,
écrivit plus tard que « ceux de nous qui comprenaient la situation étaient
bien moins opposés à la polygamie qu’à la domination politique de
l’Église. Mais nous nous rendions compte que nous ne pourrions pas amener
ceux qui n’étaient pas réellement en contact avec elle à comprendre ce que
signifiait cette domination politique. Nous nous sommes donc servis de la
polygamie comme grande arme offensive et pour rallier des recrues à notre
cause [118]. »
Ralph Waldo Emerson comprenait clairement l'hypocrisie qui était souvent à
l’œuvre dans la croisade contre la polygamie :
« Rien n'est aussi hypocrite que les insultes dans tous les journaux –
ceux du Sud en particulier – à l’égard du mormonisme… Ces hommes qui
écrivent les paragraphes dans le « Herald » et dans l’ « Observer »,
reviennent tout juste de leur bordel, ou, en Caroline, de leurs
mulâtresses [sic] [119]. »
Le tollé contre les mormons et la polygamie fut à l’origine d’une série de
lois et les lois entretinrent la fièvre. L’examen des mesures juridiques
prises contre les saints est instructif [120].
La loi Morrill
Le républicain du Vermont, Justin S. Morrill, explique la raison de
l'assaut contre la polygamie en 1856 :
« Si grande est la nécessité d’une législation décisive que, s'il y en a
qui hésitent, je leur dirais, comme Jefferson au moment de l’acquisition
de la Louisiane, qu'ils devraient « se jeter sur leur pays » « chassant
derrière eux les subtilités métaphysiques et se risquant comme des
serviteurs fidèles ».
« Le but n’est pas de s’ingérer dans la liberté religieuse la plus
absolue, ni de se mêler des droits de la conscience ; le seul but est de
punir les infractions grossières, qu’elles soient de type profane ou
ecclésiastique ; d’empêcher des pratiques qui insultent le sens moral du
monde civilisé et d’atteindre même ceux ‘qui volent la livrée de la cour
du ciel pour servir le diable en s’en revêtant’ [121]. »
Pour Morrill, il y a clairement une dimension religieuse, et il écarte
d’avance toute tentative que l’on pourrait faire pour discuter des «
subtilités métaphysiques » concernant le libre exercice de la religion qui
motivait les mormons. Malheureusement, pour Morrill, « La prise de
conscience [moderne] croissante que la loi n'est pas autonome par rapport
à la politique ou à la morale et que le raisonnement juridique est
essentiellement identique au raisonnement politique ou au raisonnement
moral veut dire aussi que les choix juridiques impliquent nécessairement
des engagements politiques et moraux. Quand nous refusons de considérer la
substance qui se trouve derrière les prétentions morales de ceux qui se
livrent à la désobéissance civile, nous faisons un choix politique et
moral important, un choix qui favorise habituellement ceux qui ont le
pouvoir [122]. »
Plutôt que de considérer que les gens conservent les droits qui ne sont
pas interdits ou circonscrits par la Constitution, cette déclaration est
inquiétante dans son affirmation qu'il n'y a pas d’actes qui ne puissent
être criminels s’ils ne sont pas « sanctionnés ou autorisés par… la
Constitution ». Et la législation était spécifiquement conçue de manière à
ne s'appliquer qu’aux mormons :
« La Loi Morrill interdisait aussi aux sociétés religieuses de détenir,
dans les Territoires, de l’immobilier dont la valeur dépassait $50.000.
Les annales législatives montrent bien que cette disposition visait
l’Église et aucune autre organisation. Quelques jours seulement avant que
la proposition de loi ne soit soumise au vote de la Chambre, un membre,
pris de panique, dit que la section 3 affecterait les sociétés autres que
l’Église mormone, du fait qu’il « ne serait pas du tout étonné que l’on
constate que l’Église catholique dans la ville de Santa Fé [sic] possède
de l’immobilier pour un montant de plus de cinquante mille dollars ».
Cependant, une fois qu'il eut été décidé que pour des raisons techniques
la Loi ne s'appliquerait pas aux biens de l’Église catholique, les
préoccupations concernant cette disposition s'évaporèrent [124]. »
Et les législateurs ne rechignaient pas à reconnaître que leur but n'était
pas l'élimination de la polygamie ou de la bigamie en soi, mais seulement
d’empêcher les mormons de la pratiquer :
« Cette proposition de loi [la loi Morrill] propose, en apparence, de
prescrire des pénalités pour le châtiment du crime de polygamie ou de
bigamie dans les Territoires des États-Unis. Son vrai but est d'atteindre
cette offense dans le Territoire d'Utah, où elle est pratiquée, en ce
qu’elle est une abomination aux yeux de Dieu et de l’homme [125]. »
Le Congrès refusa de croire que c’était une affaire de croyance religieuse
:
« Il n'est pas vrai que la polygamie prétende à une sanction religieuse.
Il n'est pas vrai que les mormons la pratiquent en tant qu’observance
pieuse [126]. »
Et pour que le lecteur n’aille pas s’imaginer que les mesures contre la
polygamie étaient animées uniquement par l’indignation morale vis-à-vis
des pratiques des saints en matière matrimoniale, Emerson Etheridge,
député du Tennessee, annonça le but fondamental de la législation :
« Le sens moral de mes électeurs de tous les partis l'exige [l’adoption de
la législation contre la polygamie et] la postérité est intéressée par
l'extirpation du mormonisme en Utah [127]. »
Le but final était clair et exprimé sans ambages : détruire l’Église.
« Même dans cette première législation [la loi Morrill de 1862], tandis
que la rhétorique la plus enflammée visait la polygamie, la cible du
Congrès était tout autant le pouvoir social de l’Église mormone que ses
pratiques. Deux des trois sections de la loi Morrill visaient non pas la
polygamie, mais la structure sociale et le pouvoir économique de l’Église.
Ce n'était pas étonnant étant donné la perception déformée que le Congrès
avait des mormons. Les débats de 1860 au Congrès, la seule période
d'examen intensif, contenaient une mise en accusation tous azimuts de
toutes sortes de prétendues pratiques et croyances mormones… En fait, le
Congrès consacrait peu d’attention à équilibrer les droits des mormons par
rapport à la législation proposée, se servant plutôt des articles de la
presse à sensation pour déshumaniser les mormons et pour décrire l’Église
comme pas grand chose d’autre qu'une troupe de bandits [128]. »
Le fait de se rendre compte que la guerre contre la polygamie était en
réalité une guerre qui visait à « extirper le mormonisme » constitue la
pièce principale du puzzle pour comprendre le comportement des saints et
de leurs dirigeants avant et après le Manifeste. Comme nous l’avons déjà
vu, dire la vérité est un devoir moral supérieur, mais il n'est pas
absolu. La guerre est généralement reconnue comme étant une situation dans
laquelle l'honnêteté n’est pas forcément une vertu, mais peut même être
immorale.
Nous aurions une piètre estime pour un soldat qui, dans une conversation
avec l'ennemi, révélerait l'emplacement des dépôts de munitions, les
mouvements de troupes et les plans stratégiques. Nous honorerions, plutôt
que de l’éviter, l'homme qui mentirait sous la contrainte ou la torture
quand on voudrait lui extorquer des renseignements utiles pour la guerre
contre son pays.
Les saints se considéraient comme étant en guerre – une guerre qu'ils
n'avaient pas déclenchée, qu’ils ne voulaient pas et qu’ils ne méritaient
pas. Ils se considéraient comme inférieurs en nombre et en armes, aussi
bien sur le plan militaire que sur le plan législatif. Leur seule
consolation était qu'ils avaient l'appui du ciel, combattaient pour des
droits civiques qu'ils considéraient comme étant l'héritage commun de tous
les Américains et n'étaient pas les agresseurs.
Il ne faut donc pas s'étonner que certains n'aient pas estimé que le fait
de faire de fausses déclarations aux autorités judiciaires ou
gouvernementales était moralement répréhensible. Ils ne se considéraient
pas comme représentés au sein du système ni qu’ils avaient une chance
équitable face au système. Le système était, aux yeux des mormons, tout à
fait corrompu dans l’usage que l’on en faisait, à savoir de leur refuser
des droits religieux plus précieux que tout. Le pouvoir du gouvernement
n'était rien d’autre qu’un instrument de guerre, auquel ils étaient
moralement autorisés, et même tenus, de résister.
Un soldat peut ne pas avoir de plaisir à tuer et pourrait souhaiter ne pas
avoir à le faire. Mais nous ne faisons pas du soldat un meurtrier parce
qu'il tue en temps de guerre et nous ne le jugeons pas durement. Nous
comprendrions au contraire que ce sont des circonstances cruelles et
immorales indépendantes de sa volonté qui l'ont placé dans une situation
dans laquelle il est obligé de violer son éthique et de tuer.
De même, la plupart des membres de l’Église qui cachèrent la vérité ou
lancèrent activement des mensonges de temps de guerre devraient mériter la
compréhension, pas la condamnation.
Même certains membres du Congrès se rendirent compte de la direction que
les choses pourraient finalement prendre. Le représentant Lawrence M.
Keitt, de la Caroline du Sud, lança cet avertissement : « S’ils sont les
fanatiques religieux qu’on nous décrit, alors votre guerre est contre
l'opinion et seule l'extermination y mettra fin [129]. »
Pour le Congrès, qui n’avait apparemment pas peur de se contredire, les
saints étaient à la fois des fanatiques religieux qui se laisseraient
exterminer plutôt que de changer d'avis et des polygames qui n'avaient
aucune motivation religieuse justifiant leur pratique matrimoniale !
Mesures postérieures à la guerre de Sécession : L’affaire Reynolds
La guerre de Sécession détourna l’attention des États-Unis de « la
question mormone » pendant un certain temps, bien que la première
législation (la Loi Morrill) fût officialisée en 1862. La Loi Morrill
était symboliquement importante, elle était un signe avant-coureur de ce
qui allait arriver, mais peu de mormons furent poursuivis avec succès sous
cette loi [130].
Dans les années 1870, James B. McKean, fils de pasteur, juge suprême
d’Utah désigné par le président des États-Unis, comprit son rôle en termes
religieux, et n'hésita pas à exprimer son dédain pour les lois qui
pourraient l’empêcher d'imposer sa conception de la volonté divine à
l'Utah et à sa population :
« La mission que Dieu m'a appelé à accomplir en Utah est autant au-dessus
des devoirs des autres tribunaux et juges que les cieux sont au-dessus de
la terre, et dans tous les cas où je constaterai que les lois locales ou
fédérales s’y opposent ou la gênent, par la bénédiction de Dieu, je les
foulerai aux pieds [131]. »
Les débats au Congrès étaient parfois hystériques et procédaient d’un
manque de renseignements presque absurde. Le sénateur Aaron Harrison
Cragin lança, le 18 mai 1870, de la tribune du sénat : « On dit qu'on a
été jusqu’à construire un autel des sacrifices… dans le quartier du
temple, sur lequel des sacrifices humains devaient être faits [132]. »
Cragin prévint aussi que les mormons étaient coupables de « centaines et
de milliers de meurtres [133] ». Pareille confiance en l’ouï-dire, en la
rumeur et en l'hystérie serait amusante si ces militants n’étaient pas
aussi sérieux dans ce qu’ils disaient.
Les condamnations en vertu de la Loi Morrill furent rendues plus faciles
grâce à la Loi Poland de 1874, et George Reynolds (secrétaire de Brigham
Young) fut jugé dans ce que l’Église considérait comme une affaire devant
tester le caractère constitutionnel de la Loi Morrill. Le fait que la
condamnation de Reynolds fut confirmée en 1879 fut un coup dur. Elle a la
triste distinction d'être la première décision de la Cour suprême sur la
clause du libre exercice du premier Amendement, et les choses commençaient
mal : « Le tribunal adopta une dichotomie étriquée en matière de croyance
et de conduite qui, depuis lors, perturbe les spécialistes du droit,
concluant que la pratique de la polygamie pouvait être rendue illégale
[134]. »
Sur quelles bases l’affaire Reynolds fut-elle tranchée ?
« Le processus du raisonnement du tribunal suivit une analyse
syllogistique superficielle : contrairement aux croyances, aucune conduite
religieuse ne peut échapper au contrôle civil (les sacrifices humains
doivent être de toute manière interdits) ; la pratique de la polygamie
représente une conduite plutôt qu’une croyance ; donc, l’État peut
légitimement proscrire la pratique de la polygamie, même s’il ne peut pas
en proscrire la croyance. L’interprétation « étrange » que le tribunal
donnait au premier Amendement éviscère en grande partie l'essence du «
libre exercice [135] ».
Le tribunal décida donc que puisque certains actes en apparence religieux
étaient en contradiction avec une société libre, aucun acte religieux ne
pouvait être protégé par la Constitution. Ce que cela veut dire,
naturellement, c‘est qu'on peut penser ce qu'on veut, mais que dès qu'on
commence à agir publiquement en vertu d’une croyance quelconque, on n'a
absolument aucune garantie d’une protection constitutionnelle ! Comme l’a
fait remarquer un spécialiste du droit : « On trouvera peu de décisions
qui illustrent mieux comment des buts amorphes peuvent servir à masquer la
persécution religieuse [136]. »
La décision Reynolds est une caricature étrange de la liberté religieuse,
et elle ne pouvait que convaincre les saints que l’on ferait toute la
violence qu’il faudrait à la Constitution pour satisfaire leurs ennemis
[137]. En 1972, la décision de la Cour suprême des États-Unis dans Yoder
semble avoir modéré l’héritage de Reynolds :
« Presque un siècle plus tard, la Cour reconnut qu'elle s'était mise dans
une impasse avec cette dichotomie entre la croyance et la conduite : «
Convenir qu’une conduite religieusement fondée doit souvent être soumise à
l’autorité judiciaire générale de l’État ce n'est pas nier qu'il y ait des
domaines de conduite… qui échappent au pouvoir qu’a l’État de contrôler…
Dans ce contexte, on ne peut enfermer confortablement croyance et action
dans des compartiments strictement logiques [138]. »
Malheureusement pour les partisans de la liberté religieuse, l'effet de ce
point de vue potentiellement modéré fut considérablement tempéré par
l'opinion de la majorité dans Employment Division v. Smith, écrite par le
juge Antonin Scalia :
« Les seules décisions dans lesquelles nous avons soutenu que le premier
Amendement exclut l'application d'une loi neutre et généralement
applicable à une action religieusement motivée concernaient non pas la
clause du libre exercice seulement, mais la clause du libre exercice en
même temps que d'autres protections constitutionnelles… Les défendeurs
nous exhortent à opiner, tout simplement, que quand une conduite autrement
condamnable s’accompagne de convictions religieuses, ce ne sont pas
seulement les convictions mais la conduite elle-même qui doivent être à
l’abri de la réglementation gouvernementale. Nous n'avons jamais entretenu
ce point de vue et refusons de le faire maintenant. Comme personne ne
prétend que la loi de l'Oregon sur la drogue constitue une tentative de
réglementer les croyances religieuses, la diffusion des croyances
religieuses ou l’éducation des enfants dans ces croyances, il est clair
que la règle que nous suivons depuis Reynolds nous régit tout simplement
[139]. »
En tout cas, Reynolds continue à mettre les spécialistes du droit mal à
l’aise même aujourd'hui : « Les raisons de maintenir des décisions dont le
but principal était de refuser aux mormons leurs droits et leurs libertés
sont obscures [140]. » Pour le moins, le tribunal qui a jugé l’affaire
Reynolds
« a ignoré l'autre aspect du dilemme. La religion existe autant par la
conduite d'un individu que par sa croyance et il y aura conflit concernant
la liberté de religion quand la majorité d’une communauté quelconque est
offensée par les pratiques spécifiques d'une minorité. La clause relative
à la parole dans le premier Amendement protège entièrement la liberté de
croyance ou de conscience. Ainsi, à moins qu'au moins certaines pratiques
offensantes pour la majorité soient protégées par le premier Amendement,
la clause du libre exercice est superflue et vide de contenu pratique
[141]. »
La Loi Edmunds
Après Reynolds, plus de vingt projets de loi et amendements concernant la
polygamie furent proposés au Congrès. Le résultat fut la Loi Edmunds,
signée le 22 mars 1882. Elle introduisait un nouveau délit, « la
cohabitation avec plus d'une femme [142]. » Pour les saints, qui voyaient
une société gentile avec ses maîtresses et ses prostituées, cette clause
devait apparaître comme le comble de l'hypocrisie [143]. La Loi Edmunds
fut proposée au Congrès comme moyen de punir les mormons. Comme telle,
elle était un décret de confiscation des biens et de mort civile et elle
violait une disposition constitutionnelle interdisant expressément ce
genre de décret [144]. »
C’était la polygamie qui était ouvertement la cible de la loi, mais comme
le fit remarquer, sous les applaudissements, Dudley C. Haskell, membre du
Congrès du Kansas, le but était en réalité « d’exclure légalement de toute
fonction chacun des membres de cette infâme prêtrise mormone [145]. »
La Loi Edmunds contenait d'autres éléments visant à rendre plus faciles
les poursuites contre les polygames. Entre autres, elle rendait ceux qui
croyaient en la polygamie inéligibles pour faire partie d’un jury dans de
tels cas et « interdisait aux polygames et à leurs conjoints de voter ou
de détenir des postes de sélection ou de nomination dans un Territoire
quelconque, sans que soit exigée une condamnation pour violation d’une loi
[146]. »
Formulée à l’époque qui suivit la Reconstruction, la Loi Edmunds fut
contestée par certains législateurs sudistes [147]. George G. Vest, du
Missouri, méprisait la polygamie, mais croyait que la loi était une
attaque contre « les droits les plus élevés et les plus chers de tout
citoyen américain [148]. »
L’interdiction faite aux polygames de voter se trouvait à la section 8 de
la Loi Edmunds. Dans l’affaire Murphy c. Ramsey en 1885 [149], la Cour
suprême des États-Unis abolit
« une réglementation… [créée par la Commission d'Utah qui] exigeait d'un
électeur qu’il signe une déclaration sous serment lors de son
enregistrement par laquelle il jurait qu’il n'était pas polygame ou
qu’elle n’était pas mariée avec un polygame. La Cour décréta que la
Commission n'avait pas le pouvoir d'exiger un tel serment. Mais elle
n'abolit pas la section 8 de la Loi Edmunds. En fait, la Cour détermina
qu'un certain nombre de plaignants impliqués dans le procès étaient en
fait des polygames et que par conséquent ils ne s’étaient pas vu interdire
illégalement leur droit de vote. D'autres plaignants, qui avaient refusé
de signer la déclaration sous serment, gagnèrent le procès : la Cour
constata que le droit de vote leur avait été illégalement refusé et qu'il
y avait insuffisamment de preuves de ce qu'ils étaient polygames. (En
d'autres termes, puisqu'ils n'étaient pas polygames, ils auraient dû être
autorisés à voter et la seule raison pour laquelle le vote leur avait été
interdit était qu'ils ne voulaient pas prêter serment, ce que la
Commission n’avait pas le pouvoir d'exiger.) [150]. »
La Cour suprême ne fit rien pour contester le caractère constitutionnel
inhérent à l'interdiction du droit de vote aux polygames, déclarant que
pareille interdiction ne posait « aucune difficulté » [151]. Au cours de
cette période, pas moins de 12.000 polygames, leurs épouses, et des
personnes accusées de polygamie furent privés des droits civiques [152].
D’autres lois étaient en gestation et en 1883, le président Arthur menaça
de dissoudre le Territoire d'Utah et de mettre les mormons sous contrôle
direct du Congrès, une décision qui aurait presque certainement exigé une
occupation militaire [153]. En 1884, la campagne républicaine préconisa
l’usage de la force militaire pour soumettre l'Utah et pour écraser la
polygamie [154].
« Il est du devoir du Congrès de décréter les lois qui supprimeront
promptement et efficacement le système de la polygamie dans nos
Territoires et divorceront le pouvoir politique du pouvoir ecclésiastique
de la prétendue Église mormone ; et que les lois ainsi décrétées soient
rigoureusement appliquées par les autorités civiles, si c’est possible, et
par les autorités militaires, si besoin est [155]. »
Ceci ne pouvait manquer de rappeler aux mormons que cette guerre
législative était, à la base, une guerre menée par d'autres moyens, et que
leurs ennemis ne les considéraient pas comme une religion légitime.
Attaque contre l’état de droit
La Loi Edmunds commença à abandonner même un semblant d’état de droit, une
tendance qui allait se renforcer dans les décrets futurs contre la
polygamie : « prouver qu’il y avait cohabitation devint ridiculement
facile pour les procureurs fédéraux. Comme un savant l’a conclu : ‘Être
jugé revenait à être condamné’. [156]. »
Un coup d’œil sur les cas criminels dans le Territoire d'Utah permet
d’apprécier l'ampleur et l'hypocrisie de cette persécution religieuse
légalisée :
« Il y a approximativement 2.500 cas délictueux dans les registres des
tribunaux [du Territoire d’Utah] de 1871 à 1896…. Plus de 95 pour cent
sont pour des délits sexuels, allant de la fornication à la bigamie. Ce
niveau d'application des peines dépasse de loin tout ce que les historiens
ont trouvé ailleurs dans le pays. C’est, littéralement, unique dans
l'histoire judiciaire américaine, dépassant de loin, par exemple, celui du
Massachusetts du dix-septième siècle. Presque tous les délits sexuels et
beaucoup de poursuites pour des délits non sexuels tels que « vote illégal
» et « parjure », étaient liés, d'une manière ou d'une autre, au mariage
plural. L’ampleur du Raid fut étonnante et sans précédent… Les
fonctionnaires fédéraux lancèrent près de 900 actes d'accusation rien que
pour la cohabitation illégale (c'est-à-dire, sans compter les accusations
de polygamie, d'adultère, de fornication et de délits divers tels que
parjure et votes illégaux) entre 1886 et 1888 [157].
« Le Raid », comme on se mit à l’appeler, était un exercice extraordinaire
de pouvoir fédéral. Prenant pour cible les polygames et les «
cohabitationnistes », des dizaines de « federal marshals » descendirent
sur l'Utah et l'Idaho. Ils s’introduisirent dans les maisons au milieu de
la nuit, interrogèrent les enfants sur la vie matrimoniale de leurs
parents et payèrent des pots-de-vin à un réseau d’informateurs. Pour
éviter d’être pris, les hommes vécurent sous des noms d’emprunt et
s’éloignèrent de leurs familles. Les femmes furent soit emprisonnées si
elles ne voulaient pas témoigner ou devaient partir en exil ailleurs que
leurs maris. En 1886, le Raid avait envahi presque chaque colonie mormone,
envoyé des centaines de personnes au Mexique ou au Canada et fait prendre
le maquis à la majeure partie des dirigeants de l’Église. Un membre au
moins, Edward M. Dalton, fut tué par les policiers lancés à sa poursuite
[158].
Quels qu’aient été leurs délits, les mormons n’étaient pas les gens les
plus lascifs qui aient jamais existé aux États-Unis. Des attaques aussi
agressives et aussi sélectives de la part des autorités judiciaires ne
pouvaient qu’être perçues comme des persécutions de fanatiques par les
saints.
Les polygames connus ou suspectés ou leurs épouses furent exclus des jurys
choisis pour juger les délits de cohabitation. Il y eut aussi un assaut
frontal contre les règles d’évaluation des preuves :
« En assouplissant les règles d’évaluation des preuves pour servir la
politique du Congrès d'assurer la punition de la polygamie, les tribunaux
sapèrent les bases élémentaires de la procédure judiciaire et de l’état de
droit. Le principe le plus fondamental qui veut que l'accusé soit présumé
innocent et doit être trouvé coupable au-delà de tout doute raisonnable
par des preuves recevables était dépouillé de toute force [159]. »
Comment les choses se sont-elles passées ?
« Les tribunaux étaient en effet précis quand ils disaient que la
cohabitation était un délit d'apparence ou de réputation, parce qu’avec de
telles normes de preuves la conduite réelle de l’accusé n’avait pas de
rapport réel avec l’affaire. Les mormons, avec une grande réputation de
polygamie, par l'utilisation de faisceaux de présomptions et du témoignage
de ce que les gens pensaient qu’étaient leurs relations matrimoniales,
pouvaient être rapidement condamnés quoi qu'ils essayent de faire [160]. »
On obtenait des condamnations presque garanties en utilisant des
présomptions et des preuves indirectes :
« Finalement, en 1888, la Cour suprême d’Utah dilua à ce point la quantité
des preuves exigées pour rendre concluante la présomption de cohabitation
avec une épouse légitime, que la présomption devint effectivement une
présomption légalement concluante. Dans États-Unis contre Harris, le
tribunal approuva des instructions données au jury stipulant que si «
l'épouse légitime du défendeur vit dans le même voisinage que lui, portant
son nom, dans un ménage entretenu en partie par lui, c'est… de manière
absolue et concluante de la cohabitation avec son épouse légitime ». En
vertu d’une telle norme, il était peu probable qu’un polygame puisse
s'isoler suffisamment de tout contact avec son épouse légitime pour éviter
que cela soit qualifié de cohabitation. Il est certain que la présomption
de cohabitation créait une forte démotivation chez les polygames d’essayer
d’entretenir les femmes qu'ils avaient épousées et de s’en occuper… La
présomption de cohabitation déplaçait efficacement la charge de la preuve
dans les procès criminels. En fait, le polygame était présumé coupable de
cohabitation à moins qu'il ne prouve son innocence [161]. »
L’ambiance vire même au maccarthysme de sinistre mémoire :
« Des preuves indirectes, telles que ‘le langage, la conduite, l’aspect et
les expressions’, pouvaient constituer des preuves de cohabitation. Le
fait de voir un homme abreuver ses chevaux dans le puits d'une épouse
plurale ou de prendre ses provisions constituait un indice de cohabitation
illégale. Une fête d'anniversaire donnée pour un polygame âgé en présence
de ses familles plurales était pareillement signe de cohabitation. Le
réseau des preuves indirectes s’étendait encore plus loin pour inclure les
preuves de réputation [bien que les Cours suprêmes de l'Arizona et de
l'Idaho n'aient pas adopté les preuves de réputation isolément.] [162]. »
Faut-il s’étonner que, dépouillés de beaucoup des sauvegardes légales qui
leur étaient chères, beaucoup de mormons aient eu recours au mensonge pour
se protéger et, dans beaucoup de cas, pour leur permettre d’entretenir
leurs épouses et leurs enfants ?
La raison invoquée était, bien entendu, que tout cet effort législatif
visait simplement à empêcher les mormons de mener un mode de vie que leur
société ne voulait pas admettre. Cependant, même ce faux-semblant avait
disparu au moment où la Loi Edmunds fut décrétée. Les tribunaux ne se
gênaient même pas pour dire ce qu’ils pensaient de la Loi : « La Cour
suprême d’Utah laissa entendre que, en adoptant la Loi Edmunds, le Congrès
avait le but moins que noble de décréter des lois pour punir les
dirigeants supérieurs de l’Église qui avaient sinon mis leur conduite en
conformité avec la loi [163]. »
Le Congrès abonda en discours délirants sur les mauvais traitements que la
polygamie infligeait aux femmes et aux enfants, mais ce fut surtout de la
part du Congrès lui-même que les membres des familles polygames eurent à
souffrir du fait de la Loi Edmunds :
« L’ordre intimé par la loi [Edmunds] aux hommes mormons de cesser toute
cohabitation signifiait donc qu'ils devaient abandonner leurs épouses
plurales. Des femmes qui avaient été épousées des décennies auparavant et
qui étaient maintenant âgées et infirmes devaient être abandonnées. Les
épouses plus jeunes devaient souvent en être réduites à entretenir et à
élever seules des familles nombreuses. C’est ainsi que la position morale
des tribunaux imposant l’application de la Loi Edmunds changea
radicalement. Ils ne commandaient plus aux mormons d’abandonner une vie de
débauche présumée, puisque les activités sexuelles des polygames
n’entraient légalement plus en ligne de compte. Au lieu de cela, au nom
d’une politique sociale indifférente, les mormons étaient invités à
ignorer l’obligation morale d’entretenir des épouses vieillissantes et
d'élever des enfants innocents [164].
Ainsi donc, le fait même d’éviter un comportement sexuel « illicite » tout
en assurant l’entretien du conjoint et des enfants était également puni.
Ceci fait mentir l’affirmation qu’il suffisait que les mormons obéissent à
la loi pour que les persécutions prennent fin. À ce stade, même ce qui
constituait « l’obéissance » n'était pas toujours clair :
« L'interprétation judiciaire de la Loi Edmunds ne fournissait tout
simplement pas de guide aux mormons sur le point de savoir jusqu’où ils
pouvaient honorer leurs obligations envers les épouses et les enfants
pluraux sans violer la loi. Les mormons polygames se retrouvaient ainsi
devant une décision difficile : moralement parlant, ils étaient tenus de
fréquenter suffisamment leurs familles polygames pour pourvoir à leur
bien-être, mais parce que les limites de ce qui pouvait être une conduite
légalement permise n’avaient pas été définies, tout contact exposait
potentiellement les polygames aux poursuites judiciaires. Les faits de
Cannon [une affaire test] indiquent que Cannon avait véritablement essayé
de se conformer à la loi. Pourtant après les décisions du tribunal, il
restait impossible de savoir ce qu'il aurait pu faire d’autre pour éviter
de violer la loi. C'est une maxime constitutionnelle que les limites de la
loi doivent être suffisamment claires pour que les citoyens puissent y
conformer leur conduite. Comme l’interprétaient les tribunaux, le délit de
cohabitation n'était pas tant une affaire de conduite qu’une affaire
d’apparences. Il est évident que les mormons ne pouvaient pas se conformer
à un décret qui ne tenait essentiellement aucun compte de leur conduite et
ne tenait compte que de ce qu'ils semblaient être ou étaient réputés être
en train de faire. Pire encore, en vertu de décisions ultérieures, les
mormons ne pouvaient même pas éviter les poursuites en restant discrets
dans leurs contacts avec leurs familles plurales. Un polygame était tenu
de « se séparer entièrement de ses femmes polygames [165] ».
Si le législateur avait vraiment voulu résoudre le « problème » de la
polygamie, il aurait tenu compte de facteurs tels que l'entretien des
épouses et des enfants. En fait, « Le sénateur Eli Saulsbury du Delaware,
un partisan de la Loi Edmunds, fit remarquer que le fait de ne pas
accorder aux hommes mormons une certaine période pour pourvoir aux besoins
de leurs familles illégales forcerait des mormons à choisir entre violer
la loi et laisser leurs proches dans le dénuement [166]. »
Mais ceci ne dérangeait pas le Congrès : ils étaient trop nombreux à
vouloir écraser la pratique, les mormons et leur religion et par
conséquent les femmes, les enfants et les familles étaient la proie
idéale.
Il est évident que l'obéissance à de telles lois ou la dénonciation
honnête des violations de telles lois ne sont pas une obligation morale
certaine. On pourrait plaider de manière tout à fait convaincante que la
désobéissance civile était la seule réponse morale à de tels outrages. Si
les Américains d’avant la Guerre d’Indépendance considéraient qu’ils
étaient justifiés dans leur rébellion armée à propos de la taxation sans
représentation, leurs descendants auraient dû être impressionnés de la
patience des mormons. Comme le fait remarquer Hardy : « Il faut dire à la
décharge des mormons que malgré tout le mal qu’on leur faisait, aucun
fonctionnaire fédéral n'a été sérieusement atteint pendant toute la durée
du conflit [167]. »
Châtiment indéfini
Même l'ampleur du châtiment autorisé par la loi fut accrue par des moyens
douteux :
« Avec l’accélération du rythme des poursuites contre la polygamie, la
pensée vint à l’esprit d’un certain procureur zélé que le décret contre la
cohabitation serait plus effrayant si chaque défendeur affrontait non pas
une accusation de cohabitation mais plusieurs. Ce serait le cas si chaque
année, chaque mois, chaque jour qu'un homme cohabitait illégalement
pouvait être considéré comme un délit distinct. Les périodes de
cohabitation pourraient ainsi être divisées en unités aussi petites que le
voulait le procureur, lui permettant d’adapter à sa seule discrétion la
sanction potentielle à infliger à tel ou tel défendeur… La décision de la
Cour suprême d’Utah [de cautionner cette tactique] fit monter
spectaculairement les enchères dans les poursuites judiciaires pour
polygamie en rendant les pénalités pour cohabitation beaucoup plus
sévères. De plus, personne ne savait jusqu’où le principe serait étendu.
Comme la base du découpage était arbitraire, c’était en théorie un
découpage illimité qui était possible. Avec un découpage suffisant, la
cohabitation pouvait devenir passible d'emprisonnement à vie [168]. »
Ainsi, puisqu’une cohabitation pouvait être arbitrairement divisée à
discrétion en un nombre infini d’ « épisodes », les procureurs pouvaient
en théorie imposer la peine qu'ils voulaient. La Cour suprême des
États-Unis finit par casser la décision de la cour d’Utah, mais, une fois
de plus, cela ne pouvait ressembler qu’à une étape capricieuse et
calculatrice dans la guerre contre les mormons [169].
La théorie de la légitimation permet de mieux comprendre encore pourquoi
les mormons s’estimaient dans leur droit d’éluder le châtiment pour
violation de la loi. La « théorie de la légitimation » est la branche de
la philosophie du droit qui explique comment « les lois et la coercition
exercée en leur nom en viennent à sembler justes [170] ». Souvent, des
pratiques juridiquement irrégulières peuvent contribuer à donner
l'impression – ou la réalité – d'un système général « plus juste ». Par
exemple, les juges anglais refusaient souvent d'appliquer la peine de mort
pour vol mineur exigée par le Parlement [171]. La « miséricorde » des
juges rendait un système juridique dur plus juste dans la pratique.
C'est pour cette raison qu'accepter passivement la sanction en cas de
violation de la loi peut en soi violer la loi morale. Par exemple, le fait
pour un mormon de rester et d’accéder à l'emprisonnement pour avoir essayé
d’entretenir ses enfants par la polygamie revient, dans un sens, à
légitimer le droit de l’État d'imposer des sanctions légales à ceux qui
s’efforcent de s’acquitter du devoir moral d’entretenir les personnes à
charge et de respecter les alliances. David Daube argue du fait que
l'effort pour « limiter… le terme [désobéissance civile] à ceux qui en
subissent les conséquences est en rapport avec la connotation honorable
qui s’y rattache de nos jours dans une grande partie du public. Ceux qui
évitent ou éludent la punition doivent être exclus de cette catégorie
honorable, avec les effets qui sont évidemment bienvenus pour les
autorités. Si vous acceptez joyeusement ou du moins avec résignation le
châtiment légal, vous montrez que vous reconnaissez fondamentalement le
régime au pouvoir [172]. »
Ceci concerne directement les préoccupations des saints : ils ne
reconnaissaient pas que l’État avait le droit de restreindre leur pratique
religieuse, de les contraindre à abandonner ceux auxquels ils étaient liés
par des alliances solennelles ou de les obliger à désobéir à Dieu. Ils se
considéraient donc comme pleinement justifiés d’essayer d'éviter les
conséquences civiles de leur désobéissance, confiants que Dieu
justifierait leur conduite.
Extension des problèmes légaux en dehors de l’Utah
D'autres États finirent par se jeter dans la mêlée, signe inquiétant que
le pire était encore à venir :
« Les deux gouvernements territoriaux d'Idaho et d'Arizona imposèrent des
serments tests interdisant à tous les membres de l’Église mormone de
voter, de détenir des fonctions publiques et de faire partie d’un jury. Le
décret de l'Idaho, adopté en 1885, excluait des droits civiques tout «
membre de… toute organisation… qui enseigne… à ses membres… à commettre le
délit de bigamie ou de polygamie… comme devoir découlant ou résultant de
la qualité de membre [173]. »
Ainsi, le simple fait d’être mormon était suffisant pour se voir interdire
de voter, de détenir une fonction publique ou de faire partie d’un jury.
Il n’était pas nécessaire d’être polygame ; le fait même d’être membre
était une raison suffisante. Un éditorial du Deseret News illustre comment
ces efforts étaient clairement plus qu'une attaque contre la polygamie :
« L'appelant n'a violé aucune loi. Il ne pratiquait ni la bigamie ni la
polygamie et n’a conseillé à personne d’autre de le faire. Il ne s'avère
pas qu'il ait même cru en ces pratiques et il les a effectivement rejetées
par son serment. Il appartenait tout simplement à l’Église mormone et
revendiquait le droit de pratiquer le culte dans cette Église. Cette loi
entreprend de dire qu'il ne peut le faire sans renoncer à ses droits
civiques, un des droits les plus sacrés du citoyen [174]. »
On pourrait croire que ceci, au moins, retiendrait l'attention des
tribunaux, mais « même le serment test de l'Idaho survécut à l’opposition
d’un tribunal, augmentant la probabilité que si le Congrès décrétait une
exigence semblable à l’égard des électeurs d’Utah, cela soit considéré
comme constitutionnel [175]. »
La Loi Edmunds-Tucker
« Le Congrès était entraîné dans une hystérie nationale qui estimait
l’élimination de la religion mormone comme le seul but final acceptable.
La Loi Edmunds-Tucker [de 1887] fut le fruit de cette hystérie [176]. »
« La plupart des vingt-sept sections [de la Loi Edmunds-Tucker]
cherchaient à faciliter la condamnation des polygames en permettant des
exceptions aux procédures judiciaires et policières standard. Il fut
permis aux épouses de témoigner contre leur mari, des témoins pouvaient
être arrêtés sans citation à comparaître préalable, les enfants
illégitimes « nés plus de douze mois après le passage de cette Loi »
n'avaient pas le droit d’hériter de la propriété de leur père, tous les
mariages devaient être enregistrés publiquement et les fonctionnaires
chargés de l'application de la loi pouvaient engager des poursuites pour
adultère, inceste et fornication [177]. »
Edmunds-Tucker éliminait aussi les possibilités des saints de se défendre
:
« La section 27 de la Loi Edmunds-Tucker abolissait la milice
territoriale, la Légion de Nauvoo, et prévoyait une nouvelle milice,
organisée selon la loi des États-Unis, dont tous les officiers généraux
devaient être nommés par le gouverneur. La milice avait longtemps
constitué une défense psychologique contre les persécutions fédérales et
avait en fait prouvé sa valeur lors de la campagne de 1857-1858 contre
l'armée de Johnston. La menace de résistance armée a pu forcer Washington
à modérer son traitement des mormons. Le fait donc de supprimer la milice
territoriale… favorisait le but du Congrès d'extirper systématiquement les
sources de résistance, d’organisation et de force des mormons [178]. »
Les mormons ne se souvenaient que trop bien de l’usage des milices d'état
contre eux ; la perte de la milice ne pouvait être perçue que comme de
mauvaise augure. En outre, « un juge d’Utah refusait de naturaliser tous
les immigrants mormons sous prétexte qu'ils appartenaient à une
organisation subversive » [179] et en 1885, le président Cleveland affirma
qu’on ne devait plus autoriser d’autres mormons à entrer aux États-Unis
[180]. Le projet de loi Cullom-Struble, présenté en 1890, « proposait
d’appliquer à l’Utah un serment test du genre de celui de l’Idaho [181]. »
Ainsi, des mormons avaient été privés de leurs droits de citoyens et
maintenant on allait leur refuser la citoyenneté pour le seul crime de
leur affiliation religieuse. Il n’était même pas nécessaire de pratiquer
la polygamie pour assurer leur condamnation ; il suffisait qu’ils aient
des coreligionnaires qui étaient des polygames. Si cette théorie était
appliquée aujourd'hui, tous les musulmans américains pourraient perdre
leurs droits civiques comme « terroristes » en vertu de leur affiliation
religieuse. De même, tous les catholiques ou les baptistes (et pas mal de
gens d’autres religions) pourraient être dépouillés de la citoyenneté
parce que leur culte interdit un avortement autorisé au niveau fédéral et
que quelques-uns des membres extrémistes de ce culte auraient recours au
bombardement des hôpitaux et à l'assassinat. Il n’est donc pas étonnant
qu’un auteur ait conclu :
« Bien que d'autres religions excentriques aient connu [la persécution en
Amérique], aucune ne semble avoir été plus détestée que le mormonisme. Il
est probable qu’aucune n’ait été plus redoutée non plus [182]. »
Quelques membres du Congrès avaient parfaitement compris que les saints
étaient persécutés pour leur religion en violation de la Constitution. Le
sénateur Wilkinson Call de Floride énonça l’opinion que :
« Le projet de loi maintenant à l'étude au sénat est à mon sens le projet
le plus extraordinaire qui ait jamais été présenté dans l'histoire de ce
pays. Qu’on le considère dans son ensemble ou dans ses détails, c'est, je
pense, un projet de loi qui restera longtemps comme un exemple de
violation de la Constitution, du mépris pour les droits de la personne, de
violation de tous les principes essentiels que contiennent notre forme de
gouvernement et nos institutions [183]. »
Joseph E. Brown, de la Géorgie, collègue de Call, vit, lui aussi, dans les
mesures contre la polygamie un autre exemple de persécution religieuse
approuvée par les États-Unis :
« Prenons garde à ne pas créer des précédents qui pourraient mener à la
destruction de la liberté d'opinion et à la subversion de la liberté
constitutionnelle et de la tolérance religieuse dans ce pays… Si nous
commençons à écraser une secte, aussi méprisable qu’elle soit ou quelque
impopulaire qu’elle soit à cause de l'opinion, nous ne savons pas à quelle
vitesse les flammes de Smithfield peuvent être rallumées ou que les gibets
de la Nouvelle-Angleterre pour les chasses aux sorcières peuvent de
nouveau être dressés ou quand un autre couvent catholique sera incendié…
Vous vous trouvez sur un terrain dangereux quand vous ouvrez de nouveau
cette porte. Nous avons passé le temps où il y a en ce moment une clameur
contre une secte quelconque à l’exception des mormons ; mais il semble
qu'il doit y avoir un tollé périodique contre une confession ou l’autre.
La vengeance populaire est maintenant tournée contre les mormons. Je me
demande qui sera ensuite sur la liste quand nous en aurons fini avec eux
[184]. »
Cette préoccupation concorde bien avec la conception des saints qu'ils
devaient tenir bon contre ce genre d’effort juridique pour les détruire et
pas simplement dans leur propre intérêt, mais aussi dans l’intérêt des
autres.
Les inquiétudes des sénateurs Call et Brown – qu'ils avaient exprimées
précédemment au cours du débat concernant la Loi Edmunds [185] étaient
prémonitoires et les ennemis de l’Église n'ont jamais donné de réponse
satisfaisante à l'insistance de Call sur le fait que, en dépit des hauts
cris poussés par le Congrès sur l'influence de l’Église sur ses membres,
elle n'était absolument pas différente d’aucun autre groupe religieux, à
part le fait qu'elle était impopulaire :
« L’honorable Sénateur du Delaware… décrit les mormons comme étant un
gouvernement théocratique. Pourquoi ? Qu’est-ce qui justifie ici pareille
affirmation ? Quel est l'argument ? Parce que l'organisation de l’Église
mormone confère dans le domaine religieux et dans le social, un pouvoir
absolu au chef de l’Église. Cela n’existe-t-il pas dans une autre Église ?
Est-ce que notre Église chrétienne, dans un de ses organismes dirigeants…
n'affirme pas l'infaillibilité du chef de l’Église dans toutes les
questions religieuses et sociales, et, quand il parle ex cathedra, exige
l'obéissance absolue de ses millions de fidèles ? Il n'y a rien de
théocratique dans le gouvernement de l’Église mormone qui est exhibé
devant le monde. Elle ne prétend pas régir le Territoire d’Utah. Elle
reconnaît l'autorité du gouvernement des États-Unis [186]. »
Cependant, en dépit de ces voix isolées, le Congrès n’était pas d’humeur à
se montrer tolérant. Et ce n'est pas étonnant puisque le but du
gouvernement n'était pas de supprimer la polygamie, mais de détruire
l’Église elle-même. Un membre du Congrès devait se vanter qu'Edmunds-Tucker
« s’attaque aux fondements mêmes de l’Église. Elle abroge absolument la
charte qui lui a donné le jour » [187]. John T. Morgan, sénateur de
l'Alabama, fut tout aussi brutal :
« Je n’ai pas le sentiment, quand je m’en prends à cette société ou à son
organisation ecclésiastique, que je m’en prends à une institution
religieuse. Je considère que je m’en prends à quelque chose de tout à fait
irréligieux, qui ne peut absolument pas prétendre à juste titre à être
qualifié de religion dans une communauté chrétienne. Elle aurait tout à
fait sa place en Chine ou dans un pays mahométan ; elle conviendrait
peut-être très bien à l’État libre du Congo ; mais dans l’Amérique
chrétienne on ne peut pas qualifier cela d’institution religieuse [188]. »
Encore une fois, l’Église n'était même pas une religion selon les normes «
chrétiennes » américaines et était par conséquent susceptible d’être
dissoute ou détruite. Chose étonnante, Eli Houston Murray, gouverneur
d’Utah nommé par l’autorité fédérale, écrivit en 1885 :
« Lorsque deux hommes prétendent croire que la polygamie est d’origine
divine, le plus honnête des deux est celui qui met consciencieusement
cette croyance en pratique. Si vous punissez le plus honnête, vous devriez
au moins ôter ses droits civiques à l'autre. [189]. »
Nous en venons ainsi à la conclusion renversante que le mormon qui
obéissait à la loi était en fait pire que celui qui n’y obéissait pas. Il
est clair que pour la plupart de ceux qui étaient au gouvernement, le seul
bon mormon était le mormon impuissant, privé des droits civiques.
Il est tentant de se demander jusqu’où ceci pouvait encore aller. Si l’on
peut priver des droits civiques un peuple entier, lui refuser ses droits
de citoyen et l’exclure de l’état de droit, que va-t-il se passer ensuite
? Il y avait déjà eu le meurtre légalisé par le passé avec « l’ordre
d'extermination » ; est-il si impensable dans ce contexte ?
Les procureurs poussèrent les pouvoirs qui leur étaient accordés en vertu
d’Edmunds-Tucker jusqu’à des extrêmes cruels et illégaux :
« Dans la Loi Edmunds-Tucker, [le Congrès] stipulait qu’une épouse était
un témoin compétent lors des procès de polygamie, de bigamie et de
cohabitation et exigeait que les mariages soient enregistrés dans les
Territoires. Ces dispositions conservaient cependant encore une limitation
en matière de témoignage du conjoint ; elles stipulaient seulement qu'on
devait permettre à une épouse de témoigner si elle le voulait. La Loi
interdisait expressément toute tentative de la part du judiciaire de
contraindre des épouses à témoigner contre leurs maris. Mais les juges
d’Utah ne suivirent pas toujours la loi. On obligea un certain nombre de
femmes mormones à témoigner contre leurs maris sous peine d’être
condamnées pour insulte à la cour. La menace d’insulte à la cour pouvait
être une arme redoutable. Sur la base des auditions les plus vagues ou
d’auditions inexistantes, des épouses mormones qui refusaient de témoigner
contre leurs maris pouvaient être envoyées en prison pour une durée
indéterminée. En 1888, le député Burnes lut à la chambre des représentants
un rapport d’un visiteur à la prison d’Utah :
« J'ai trouvé dans une seule cellule (il s’agit d’une cellule du
pénitencier d’Utah) de trois mètres sur quatre, sans plancher, six femmes,
dont trois avaient des bébés de moins de six mois, qui étaient incarcérées
pour insulte à la cour parce qu’elles avaient refusé de reconnaître la
paternité de leurs enfants. Quand je les ai suppliées de répondre à la
cour et être libérées, elles ont dit : ‘Si nous faisons cela, il y aura
beaucoup d'épouses et d’enfants qui souffriront la perte d'un père’ [190].
»
Comme l’a dit frère Oaks, ce ne sont pas là « des vues de l’esprit ». Il
est difficile de s’imaginer que de tels événements aient pu se produire
aux États-Unis ; ils relèvent de l’état policier fasciste ou de la junte
militaire :
« L'utilisation par la justice de la menace d’insulte à la cour dans les
affaires de polygamie créait donc un dilemme cruel pour beaucoup de
familles mormones. Si l'épouse appelée comme témoin se soumettait et
témoignait, son mari serait presque sûrement condamné et emprisonné. Si
elle refusait, son mari pourrait échapper à la condamnation, mais l'épouse
serait emprisonnée. Un mari mormon au moins, Rudger Clawson, dit à sa
femme de témoigner à son procès après qu'elle eut passé une nuit en prison
pour avoir refusé de le faire [191]. »
L'aspect le plus répréhensible de ce traitement des femmes est qu’il était
complètement inutile. Avec la suppression des règles en matière de
preuves, les tribunaux étaient pratiquement assurés d’obtenir des
condamnations sans le témoignage des épouses mormones :
« Rétrospectivement, il est difficile de donner une quelconque explication
à cette conduite judiciaire envers les épouses mormones si ce n’est la
vindicte. Les lois contre la polygamie, que l’on imposait fermement dans
la dernière partie des années 1880, punissaient amplement les femmes qui
restaient obstinément attachées à la polygamie. Le fait d'imposer des
condamnations pour insulte à la cour aux femmes qui refusaient de
témoigner introduisait une sorte d'égalité sexuelle aveugle dans les
sanctions fédérales contre la polygamie qui étaient imposées aux mormons
d’Utah. Les tribunaux avaient à ce point réduit le nombre des preuves
exigées pour déterminer qu’il y avait polygamie ou cohabitation que dans
presque n’importe quel cas on devait pouvoir trouver d’autres éléments de
preuve. Les tribunaux d’Utah ne pouvaient pas croire qu'ils avaient besoin
de contraindre les femmes mormones à témoigner pour pouvoir condamner
leurs maris polygames. Les affaires de cohabitation produisirent des
histoires déchirantes et pathétiques. On interdit à des hommes de
fréquenter leurs enfants ou de pourvoir aux besoins de leurs anciennes
épouses. Des femmes se virent refuser les soins et la fréquentation de
leur ancien mari. De plus, la loi, ne se limitant pas à interdire de
futurs mariages polygames, s’abattit avec toute sa sévérité sur des gens
dont les relations existaient le plus souvent avant que la loi ne les
interdise clairement [192]. »
Résumé légal
Nous avons traité de beaucoup de choses et il est intéressant de rappeler
la perception que les mormons ont dû avoir des choses.
• Ils furent à plusieurs reprises dépossédés de leurs biens sans
réparation légale.
• Ils furent chassés du Missouri en vertu d’un ordre d'extermination
d'état soutenu par une milice d'état [193].
• Leur droit de vote fut supprimé parce qu'ils étaient une majorité
méprisée dans certains endroits.
• Joseph et Hyrum furent assassinés suit à la trahison des fonctionnaires
de l'état et de la milice.
• Toute une série de tactiques irrégulières contribuèrent à libérer ceux
qui avaient été accusés du meurtre de Joseph et de Hyrum [194].
• On leur dit qu'ils n'auraient la paix que s’ils quittaient les
États-Unis.
• Ils furent expulsés de Nauvoo par la milice d'état [195].
• Ils levèrent le Bataillon mormon, en dépit de la façon dont les
États-Unis les avaient traités et s’enrôlèrent dans la guerre
hispano-américaine, ce qui plaça l'Utah sous la domination des États-Unis
[196].
• Ils furent accusés de trahison et virent arriver l'armée de Johnston
pendant la « guerre d’Utah ».
• Le droit du suffrage des femmes en Utah fur révoqué.
• Leurs ennemis motivés par la religion au Congrès des États-Unis
préconisèrent des attaques militaires et législatives contre eux.
• La Cour suprême leur dit que la Constitution ne protégeait que les
croyances, pas l’exercice de ces croyances.
• Ils furent exclus des jurys et perdirent le droit à un procès par un
jury de leurs pairs.
• Ils furent privés de leurs droits civiques pour leur appartenance
religieuse.
• On leur dit qu'ils continuaient à violer la loi même s’ils continuaient
à entretenir les femmes avec lesquelles ils avaient vécu ou les enfants
qu’ils avaient engendrés, sans autres relations maritales.
• Ils virent les efforts faits pour augmenter indéfiniment la durée de
leur châtiment à la discrétion des caprices d’un procureur.
• Ils virent réduire à l’état de farce les règles d’admission des preuves
et la présomption légale d'innocence.
• Les biens de l’Église furent menacés de saisie.
• Ils virent des femmes, qui avaient reçu illégalement l’ordre de
témoigner, se faire emprisonner dans des conditions effrayantes quand
elles refusèrent.
• La milice fut soustraite à la direction locale et placée entre les mains
des fonctionnaires désignés par le pouvoir fédéral.
• Le gouverneur de l’État décréta que ceux qui obéissaient à la loi contre
la polygamie étaient moins honnêtes que ceux qui pratiquaient la
désobéissance civile.
Cela ne veut pas dire que les mormons étaient sans défauts. Mais, quels
qu’aient pu être leurs erreurs ou leurs délits, le traitement qu'ils
subirent de la part de l’État et des autorités judiciaires est
pratiquement sans précédent dans l'histoire américaine [197]. Ils firent
preuve d’une modération étonnante dans la toute grande majorité des cas,
surtout quand on sait qu’un tribunal alla même jusqu’à « confirmer le
droit d'un US Marshall de tirer et tuer plutôt que d'arrêter » un polygame
« qui ne résistait en aucune façon à l'arrestation ». Tout cela en dépit
du fait que la polygamie n’était qu’un délit et n’a jamais été catégorisée
comme crime [198].
En outre, « Le Congrès, la Présidence et la Cour suprême se liguèrent pour
élaborer une législation répressive et une distorsion de la jurisprudence
constitutionnelle qui à ce jour sont restées inégalées pour l’acharnement
avec lequel elles détruisirent les droits, les libertés et les acquis
individuels et institutionnels. Les politiciens exploitèrent si bien la
situation qu’à certains moments le pays était disposé à accepter la
destruction de l’Église et de ses membres [199]. »
Les saints n’auraient en aucun cas pu considérer le problème de la
polygamie comme un simple « différend juridique ». C'était « une guerre
froide » totale menée par leurs ennemis, qui étaient prêts à mépriser et à
violer la Constitution et l’état de droit pour atteindre leurs buts.
Les mensonges au sujet de la polygamie après le Manifeste 1890
La pression et le coût de la résistance devinrent finalement trop élevés
pour que l’on continue à mener une politique de désobéissance civile
publique, c’est pourquoi Wilford Woodruff publia le Manifeste. L'annonce
du Manifeste soulève un autre point-clef qui préoccupe beaucoup de membres
: pourquoi tous les membres de l’Église ne se soumirent-ils pas une fois
que le président Woodruff eut publié le Manifeste ? Pourquoi certains
persistèrent-ils à pratiquer le mariage plural et allèrent-ils même
jusqu’à contracter de nouvelles unions polygames ?
Ce qui précède répond en grande partie à cette question : presque tout au
long de l'histoire de la polygamie, les membres et les dirigeants de
l’Église avaient été sous pression de l’intérieur et de l’extérieur. Ces
pressions provenaient de beaucoup de sources, mais elles avaient un but
commun : empêcher la pratique de la polygamie et détruire l’Église. Les
dirigeants et les membres considéraient la pratique de la polygamie comme
un commandement divin et beaucoup signalèrent que des manifestations
spirituelles impressionnantes avaient mis fin à leur hésitation à la
pratiquer (nous en parlerons plus loin). À cause de leurs convictions, ils
furent souvent forcés de choisir entre deux impératifs moraux : dire la
vérité et obéir à la révélation de Dieu.
Le Manifeste parut dans une ambiance de pression intense sur l’Église, et
la plupart des membres et dirigeants de l’époque ne comprirent pas qu’il
exigeait la cessation de tout mariage plural.
C'est une erreur de voir dans le Manifeste de 1890 un « changement »
soudain dans la situation de l’Église, de l’État et de la polygamie. Il
est vrai que c’est parfois comme cela que nous le comprenons aujourd'hui,
mais c'est seulement en rétrospective et à la lumière d’autres événements
et d’autres révélations.
Jusqu'en 1890, l’Église défiait les gouvernements fédéral et d'état en
dépit d’une pression croissante et de tactiques d’une légalité douteuse.
Les saints étaient donc disposés à éluder la loi et à s'engager dans une
tactique de désobéissance civile. Cet état d’esprit ou les circonstances
qui la provoquèrent, ne changèrent pas avec le Manifeste.
L’administration de Wilford Woodruff d’avant le Manifeste
Wilford Woodruff devint l'autorité présidente de l’Église à la mort de
John Taylor. Étant donné que le président Taylor avait passé les derniers
mois de sa vie à se cacher des fonctionnaires fédéraux qui cherchaient à
le poursuivre en vertu des lois contre la polygamie [200], le mariage
plural était clairement une crise immédiate pour le président Woodruff.
En dépit des enseignements clairs accessibles à l’Église [201], certains
membres modernes pensent que la révélation accordée à la Première
Présidence et au Collège des Douze est quelque chose de plutôt évident et
routinier. Ce n'est pas toujours le cas, comme en ont témoigné beaucoup de
dirigeants de l’Église. Un élément-clef pour recevoir la révélation est la
condition de « l'étudier dans [son] esprit » et c’était certainement ce
que les dirigeants de l’Église firent au cours des années qui précédèrent
le Manifeste.
Le 29 septembre 1887, Wilford Woodruff demanda aux douze apôtres s'ils
estimaient « qu’il était nécessaire que les polygames promettent aux
tribunaux qu’ils allaient s'abstenir de cohabitation illégale parce qu'ils
‘semblent penser qu’il est nécessaire de faire quelque chose de ce genre
pour convaincre le Congrès de la sincérité de [leurs] efforts pour devenir
un État’ [202]. » La proposition fut presque unanimement rejetée, puisque
les apôtres estimaient qu’ « aucun saint des derniers jours ne pouvait
faire une telle promesse et rester fidèle aux alliances qu'il avait faites
avec Dieu et avec ses frères quand il était dans la Maison de Dieu et
qu’il se faisait sceller des épouses [203]. »
Le 20 décembre 1888, plus d'un an après, le président Woodruff rédigea et
présenta un document à l’examen des apôtres. Il s’y posait la question de
savoir si c'était la volonté du Seigneur que les membres de l’Église se
conforment à la loi et s'abstiennent de pratiquer le mariage plural. Il
déclara qu’il était « de la plus grande importance que nous décidions par
l'Esprit de la décision à prendre à ce sujet » et demanda l'opinion des
apôtres. Trois apôtres étaient absents ; les autres s’y opposèrent et
quatre dirent qu'ils ne pouvaient pas donner leur assentiment sans avoir
reçu « la parole du Seigneur par l’intermédiaire de Wilford Woodruff, le
doyen des apôtres [204] ».
À ce moment-là, le président Woodruff se dit d’accord avec le conseil et
exprima son avis que « si nous avions cédé à ce document, chacun d’entre
nous aurait été sous la condamnation devant Dieu. Le Seigneur ne donnera
jamais de révélation d’abandonner le mariage plural [205]. »
George Q. Cannon exprima plus tard la même opinion quand il dit : « Si je
veux avoir l’âme en paix et s’il y a quelque chose à dire à ce sujet dans
ce sens, je veux que le président Woodruff puisse dire : ‘Ainsi dit le
Seigneur.’ [206]. »
Le président Woodruff consulta alors le Seigneur et écrivit la révélation
suivante, que les Douze soutinrent :
« Que mes serviteurs qui sont appelés à la présidence de mon Église ne
renient pas ma parole ni ma loi, qui concerne le salut des enfants des
hommes… Ne vous mettez pas en danger vis-à-vis de vos ennemis par une
promesse… Que mes serviteurs, qui officient comme vos conseillers devant
les tribunaux, fassent leurs plaidoiries selon qu’ils sont inspirés par le
Saint-Esprit, sans autre engagement de la part de la prêtrise (et ils
seront justifiés) [207]. »
Manifestement, l’Église ne devait pas adapter sa doctrine ou sa pratique
simplement pour obtenir un avantage juridique. C'est un point-clef :
l’Église n’allait pas, et ne devait pas, capituler en matière de religion
sous la pression de la société. Mais cette pression de la société allait
augmenter. Cinq mois plus tard, en avril 1890, des projets de loi furent
proposés à la chambre des représentants et au sénat pour priver tous les
saints des derniers jours des droits civiques, qu’ils pratiquent ou non la
polygamie [208].
La révélation donnée à Wilford Woodruff comprenait aussi des instructions
importantes sur la façon de résoudre leurs difficultés : « Que mes
serviteurs invoquent le Seigneur en prière fervente. Gardez le
Saint-Esprit comme compagnon constant et agissez selon que vous êtes
incités par cet Esprit et tout ira bien pour vous… Moi, le Seigneur, je
délivrerai mes saints de la domination des méchants au temps et de la
façon que je jugerai bons [209]. » Les dirigeants de l’Église
recherchaient, de toute évidence, la volonté du Seigneur, mais ils
semblent avoir été livrés à eux-mêmes pendant un certain temps pour
trouver la solution tout seuls. Abraham H. Cannon écrit que « l'esprit… à
aucun moment… ne semblait indiquer ce qu’il fallait faire [210] ». George
Q. Cannon dit que les dirigeants « attendaient que le Seigneur se
manifeste à ce sujet [211] ». La voie du Seigneur allait bientôt devenir
claire.
À la mi-mai, le gouvernement fédéral insistait pour que l’Église fasse une
déclaration officielle renonçant à la polygamie et la Cour suprême des
États-Unis décréta que la Loi Edmunds-Tucker était constitutionnelle.
L’Église pouvait donc maintenant être légalement dissoute, ses biens
confisqués et son fonds d'immigration perpétuel disparaîtrait dans les
coffres du gouvernement [212]. Les choses empirèrent rapidement :
« Le 1er juillet, le sénat présenta une proposition de loi qui devait
empêcher les polygames ou quiconque appartenant à une organisation
enseignant ou favorisant la polygamie d’acquérir une propriété au Wyoming
; le 15, le parti politique antimormon remporta l’élection des
administrateurs des écoles de Salt Lake City et eurent ainsi la mainmise
sur l’enseignement public de cette ville ; le 29, la Cour suprême d’Utah
décréta que les enfants polygames ne pourraient pas hériter des biens
fonciers de leurs pères et le 5 août, le parti antimormon obtint la
plupart des postes de comté dans les comtés de Salt Lake et de Weber
[213]. »
C’est alors que les pires craintes du président Woodruff apparurent à
l'horizon. « Nous devons faire quelque chose pour sauver nos temples [214]
», dit-il en apprenant que Washington allait saisir les trois temples de
l’Église qui étaient en activité, en dépit d'une promesse du gouvernement,
faite en 1888, de ne pas y toucher [215].
La crise atteignit son paroxysme quand la « Commission d’Utah » du
gouvernement publia un rapport lançant l’accusation que des mariages
pluraux avaient été accomplis – les dirigeants de l’Église se méprirent
sur ces accusations. Le rapport de la « Commission d’Utah » du
gouvernement disait que l’on continuait à célébrer des mariages pluraux –
ce qui était le cas. Cependant, les dirigeants de l’Église (et le Deseret
News) pensèrent qu'ils étaient accusés de marier des gens en Utah.
Pour comprendre l'importance de ces événements, il nous faut faire un
petit retour en arrière. Depuis juin 1889, Wilford Woodruff avait commencé
à limiter la célébration des mariages pluraux au Mexique [216]. Dès
septembre 1889, la Première Présidence refusait aussi de décerner des
recommandations pour des mariages pluraux pour l'Utah. Toutefois, des
mariages pour lesquels des recommandations avaient déjà été décernées
furent encore célébrés le 2 octobre 1889 [217]. La décision de Wilford
Woodruff d’empêcher tout autre mariage plural était la poursuite d'une
politique lancée sous le président John Taylor, qui avait commencé à
limiter les nouveaux mariages alors même qu’il refusait publiquement de
plier sous la pression fédérale [218].
La politique de la Première Présidence, qui avait fait, en son sein,
l’objet de discussions non officielles, fut exprimée formellement pour la
première fois aux Douze le 2 octobre 1889 :
« [Wilford Woodruff] expliqua qu'il jugeait que c'était nécessaire… George
Q. Cannon avait surmonté l'incertitude qu'il ressentait quand le président
Woodruff avait révélé ses intentions le mois précédent et dit aux autres
apôtres qu'il « n'était pas en faveur de la célébration de mariages
pluraux dans ce Territoire, mais on pourrait le faire au Mexique ou au
Canada et éviter ainsi que nos frères soient mis en danger en faisant ces
choses [219] ».
L'Église semble avoir adhéré à la politique d’interdiction des mariages en
Utah jusqu’en 1890, bien que les mariages pluraux au Mexique aient repris
en janvier 1890 [220].
Ainsi donc, l'importance de la mauvaise compréhension de l’Église à
l’égard du rapport de la Commission d’Utah est qu'elle avait cessé
d'approuver les mariages polygames au Mexique en juin 1889 et dans le
Territoire d’Utah depuis septembre 1889. La Commission d’Utah lança
l’accusation que l’Église avait célébré quarante et un nouveaux mariages
depuis juin 1889. C'était probablement vrai [221] – mais le Deseret News
[222] et l’Église se méprirent et rapportèrent que l’accusation était que
les mariages avaient été célébrés en Utah. En réalité, ce que la
Commission affirmait (à juste titre), c’était que des gens d'Utah avaient
été mariés quelque part avec la permission de l’Église [223].
Ainsi, la pression sur l’Église augmentait et, du point de vue des
dirigeants, même leurs efforts en matière de compromis – arrêter les
mariages sur le territoire des États-Unis et s'abstenir d’enseigner
publiquement la doctrine – ne réussissaient pas. En outre, le gouvernement
menaçait de saisir les temples et de priver potentiellement tous les
mormons des droits civiques.
Étant donné le malentendu, certains dirigeants – tels que George Q. Cannon
– voulurent nier l’accusation précise que la polygamie était pratiquée en
Utah sans rejeter la doctrine de la polygamie de promettre expressément
d'obéir à la loi aux États-Unis [224].
La rédaction du Manifeste
Le Manifeste fut écrit tandis que les facteurs suivants étaient en jeu :
• des lois dissolvant légalement l’Église, privant des droits civiques
tous ses membres et criminalisant leurs pratiques religieuses avaient été
décrétées et poursuivies avec une vigueur accrue
• tous les efforts pour contester juridiquement la constitutionnalité des
lois avaient échoué
• les efforts dans le sens d’une « retenue » ou d’un « compromis » de la
part des dirigeants de l’Église – limiter et/ou interdire la célébration
de mariages pluraux – avaient été incapables de produire une quelconque
diminution de la pression exercée par le gouvernement
• l’Église avait continué sa politique de désobéissance civile, de
silence, de dénégations « techniquement vraies » destinées à tromper ou de
démentis publics ne concordant pas avec les faits [225]
• les apôtres et la Première Présidence étaient activement engagés dans le
processus de « l'étudier dans leur esprit » – il n’y avait pas d’unanimité
concernant la ligne de conduite finale qui conviendrait
• Le président Woodruff avait reçu une révélation que les apôtres avaient
approuvée, qui commandait à l’Église de ne pas nier que la polygamie était
un commandement et de ne pas chercher à créer un effet de levier dans les
tribunaux en acceptant de restreindre la polygamie.
Le président Woodruff assista, le 24 septembre, à une session du Conseil
et présenta une déclaration qu'il avait écrite, déclarant :
« J'ai débattu toute la nuit avec le Seigneur
au sujet de ce qu’il fallait faire dans les circonstances actuelles de
l’Église. Et voici le résultat [226]. »
Ce document allait devenir le Manifeste. Après avoir été révisé par la
Première Présidence, trois membres du Collège des Douze et quelques
autres, le Manifeste fut envoyé aux médias [227].
George Q. Cannon écrit à ce propos :
« Toute cette affaire a eu lieu sur les instances du président Woodruff
lui-même. Il s'est senti fortement poussé à faire ce qu'il a fait et il a
parlé avec une grande clarté aux frères concernant la nécessité de faire
quelque chose de ce genre. Il a dit que le Seigneur lui avait montré que
c'était son devoir et pour lui il était parfaitement clair que c'était ce
qu’il fallait faire [228]. »
Le président Woodruff affirmait donc clairement que son action était
inspirée et était le produit de la révélation. Et cependant, quelle était
son intention ? La plupart des auteurs de l’Église semblent ne pas avoir
compris les circonstances dans lesquelles le Manifeste a été donné et ont
accepté que c'était le produit de la révélation (ce qu’il était) et qu’il
était censé, en 1890, être littéralement mis en application tel qu’il
était écrit et dans toutes les circonstances (ce qui n'était probablement
pas le cas).
Le président Woodruff « a débattu avec le Seigneur » de ce qu'il devait
faire. Son action était « une nécessité », « son devoir » et « c'était ce
qu’il fallait faire ». On voit l'attitude du président Woodruff vis-à-vis
de ce qu'ils venaient d’écrire dans ce qu’il dit en quittant la réunion :
« Nous sommes comme des hommes qui se noient et qui s’agrippent au moindre
fétu qui passe à leur portée et qui apporte un soulagement quelconque !
[229]. »
Tout simplement, la pression sur l’Église, sous une apparence de «
légalité », était devenue intolérable. La menace contre les temples,
encore plus que la menace contre les familles polygames, représentait un
assaut contre les aspects les plus sacrés du culte des saints des derniers
jours. Les dirigeants de l’Église comprenaient bien depuis longtemps – à
juste titre – que tromper leurs ennemis à propos de la polygamie était le
moindre mal. Ainsi, la révélation donnée au président Woodruff, comme lui
et ses collègues dans l’apostolat l'entendaient, n'était pas de cesser
complètement la polygamie, mais d'annoncer publiquement ce que l’Église
faisait déjà (restreindre les mariages polygames). Le président Cannon
expliqua ce raisonnement après que le Manifeste eut été présenté en
conférence générale :
« Mais le moment est venu où, selon la providence de Dieu, il a semblé
nécessaire de faire quelque chose pour répondre aux exigences du pays,
pour satisfaire ce qui était requis de nous et pour sauver le peuple. Je
pourrais dire qu’on a fait appel des centaines de fois au président
Woodruff et à d'autres parmi nous ; je peux dire, en ce qui me concerne,
que l’on m’a supplié des dizaines de fois pour que l’on publie quelque
chose et que l’on annonce quelque chose. Certains de nos frères dirigeants
ont dit : « Puisque nous avons cessé de donner la permission de célébrer
des mariages pluraux, pourquoi ne pouvons-nous pas en retirer le profit ?
Pourquoi ne pouvons-nous pas le dire au monde, afin d'en profiter ? Nos
ennemis prétendent constamment que nous le pratiquons toujours en secret
et que nous sommes malhonnêtes et coupables de faux-fuyants. Maintenant,
si nous avons vraiment cessé d’accorder à des hommes la permission de
prendre plus d'une épouse, pourquoi le monde ne le saurait-il pas et n’en
profiterions-nous pas ? » Ces réflexions nous ont été faites à de
nombreuses reprises. Mais à aucun moment l'Esprit n’a semblé nous dire que
c’est ce qu’il fallait faire. Nous avons attendu que le Seigneur fasse
quelque chose [230]. »
La révélation donnée au président Woodruff étendait aussi le degré de
tromperie qui était permis pour éviter la destruction de l’Église. C'était
son devoir de faire une déclaration officielle qu’il savait être fausse à
certains égards.
Plus tard, Joseph F. Smith devait clairement comprendre le Manifeste dans
cette lumière : « Il considérait le document comme inspiré dans les
circonstances dans lesquelles le gouvernement des États-Unis avait mis
l’Église… ‘Mais il ne croyait pas que c’était une révélation formelle de
Dieu abolissant le mariage plural’. [231]. »
Le président Woodruff publia le Manifeste avec l'approbation de trois des
apôtres seulement. Lors d'une réunion postérieure à sa publication, sept
sur neuf apôtres soutinrent la mesure. Parmi les partisans du oui, quatre
précisèrent qu'ils ne soutenaient pareille déclaration que sur le
territoire des États-Unis [232].
Les principes de gouvernement de l’Église et le Manifeste
Cette conception que le Manifeste était une tactique révélée pour soulager
la pression sur l’Église n'est pas courante parmi les membres de l’Église
d’aujourd'hui. Cependant, l’examen des circonstances dans lesquelles elle
fut reçue et certains principes fondamentaux de gouvernement de l’Église
font de cette interprétation la plus sensée.
Les Doctrine et Alliances disent clairement que la Première Présidence et
le Collège des Douze sont égaux en autorité [233] et que toutes les
décisions doivent être prises à l'unanimité [234] pour faire force de loi
pour l’Église : pour les rendre « officielles » pourrions-nous dire. Il
est clair que le président Woodruff ne suivit pas cette pratique, ce qui
serait très étrange s'il s'attendait à ce que le Manifeste soit lu comme
une révélation officielle insistant pour que toutes les pratiques
polygames cessent immédiatement : Il n’y eut que trois des apôtres qui
virent le Manifeste avant sa publication. Et, après sa publication, il n'y
eut pas d'unanimité quant à ce que le Manifeste exigeait.
Mais le président Woodruff ne voyait pas les choses de cette façon :
c'était plutôt un « devoir » de sa part que le Seigneur exigeait. La
formulation même du Manifeste le montre bien : il n’y est pas question de
« nous la Première Présidence et le Conseil des Douze », mais simplement
de Wilford Woodruff à la première personne du singulier.
La formulation est soigneuse et précise : « Je déclare par la présente mon
intention de me soumettre à ces lois et d'user de mon influence auprès des
membres de l'Église que je préside pour qu'ils fassent de même… Et je
déclare maintenant publiquement que mon conseil aux saints des derniers
jours est de s'abstenir de contracter tout mariage interdit par la loi du
pays [235]. » Ainsi, le président Woodruff annonce une ligne de conduite
personnelle, mais n'engage pas les autres Autorités générales de l’Église.
Il publie même un « conseil » plutôt qu'un « ordre » ou un « commandement
». Il n’y a aucune autre signature ou autorité qui apparaisse que les
siennes.
On peut faire utilement la comparaison avec la Déclaration officielle n°
2, qui suit la procédure prescrite pour le gouvernement de l’Église :
« … la Première Présidence a annoncé que le président Spencer W. Kimball
avait reçu une révélation… [Il]m'a demandé d'informer la conférence de ce
qu'après avoir reçu cette révélation… il la présenta à ses conseillers,
qui l'acceptèrent et l'approuvèrent. Elle fut alors présentée au Collège
des douze apôtres, qui l'approuva à l'unanimité, et elle fut
ultérieurement présentée à toutes les autres Autorités générales, qui
l'approuvèrent de même à l'unanimité. [236]. »
La différence entre ceci et le Manifeste est frappante. Le Manifeste fut
publié d’une manière qui n’aurait pas pu faire force de loi pour l’Église
à l’époque. Heureusement, certains au gouvernement des États-Unis
ignoraient l’existence de tels protocoles, n’ayant pas pris le temps de
bien comprendre la religion des mormons. Des observateurs mieux informés,
tels que le Salt Lake Tribune, hostile à l’Église, ne furent pas dupes, et
le président Harrison des États-Unis « dit que le choix des mots fait par
Woodruff sapait leur pouvoir de conviction [237]. »
Quant au Manifeste, la Première Présidence et le Conseil des Douze
votèrent, le 2 octobre 1890, de soutenir l'action du président Woodruff.
C'est-à-dire, comme je le comprends, ils soutinrent sa tactique de dire
essentiellement ce que le gouvernement voulait entendre et de se conformer
à la loi dans la mesure où leur conscience le leur permettait. Même lors
de cette réunion leur intention était claire, puisqu'ils discutèrent du
point de savoir si l’Église dans son ensemble devait soutenir le
Manifeste, puisque « certains estimaient que l’assentiment de la
Présidence et des Douze sur le sujet était suffisant sans engager le
peuple par vote vis-à-vis d’une politique qu'il pourrait à l'avenir
souhaiter abandonner [238]. »
Il est évident que ces collèges unis ne considéraient pas le Manifeste
comme une révélation interdisant tout mariage plural en 1890 : car
pourquoi auraient-ils alors envisagé que l’Église puisse vouloir «
l’abandonner » ? Ce qu’ils soutinrent, au contraire, ce fut la décision de
cacher toute la vérité à leurs ennemis parce qu'ils n’avaient aucune autre
option susceptible de leur permettre de respecter le devoir supérieur
qu’ils avaient vis-à-vis de leur foi. Le Manifeste annonçait ce qui se
passait déjà en privé (les restrictions sévères sur le mariage plural)
mais cachait le fait que les dirigeants de l’Église pourraient accorder
des exceptions.
Ce qui est peut-être le plus convaincant, c’est un éditorial du Deseret
News, journal de l’Église, qui répondait à la Commission d’Utah du
gouvernement, qui avait déclaré que le président Woodruff devait avoir «
une révélation suspendant la polygamie ». L'éditorial déclara que « quand
le président Woodruff reçoit quelque chose d'une source divine pour
l’Église qu'il préside, il veille à remettre le message [239]. » Ceci fut
écrit cinq jours après la publication du Manifeste. Il semble indéniable
que le président Woodruff considérait son action comme inspirée et
divinement voulue ; cependant, lui et l’Église ne croyaient pas que Dieu,
par le Manifeste, leur avait dit de cesser tout mariage plural.
En outre, le président Cannon parla juste une semaine plus tard et dit que
la rédaction du Manifeste par le président Woodruff avait été faite « sous
l'influence de ‘l'Esprit’ » et promit que « quand Dieu parle et… fait
connaître sa volonté, j'espère que moi et tous les saints des derniers
jours s’inclineront pour s’y soumettre [240]. » Le Manifeste était donc
considéré comme une mesure divinement exigée et inspirée (pour éviter une
action du gouvernement) mais son contenu n'était pas considéré comme un
commandement absolu et faisant force de loi de supprimer complètement le
mariage plural, à moins que les dirigeants de l’Église ne le reçoivent par
révélation. Jusqu'alors, ce n’était pas le cas.
Les déclarations faites plus tard par le président Woodruff aux saints au
sujet du Manifeste sont instructives, quand on les lit dans cette lumière.
« J'aurais laissé tous les temples nous échapper, je serais allé moi-même
en prison et aurais laissé tous les autres hommes y aller, si le Dieu du
ciel ne m'avait pas commandé de faire ce que j'ai fait; et lorsque vint
l'heure où il me fut commandé de la faire, c'était tout à fait clair pour
moi. J'allai devant le Seigneur, et j'écrivis ce que le Seigneur me dit
d'écrire [241]. »
Le président Woodruff avait vu les conséquences de l'inaction. C’est
pourquoi le Seigneur lui commanda de faire ce qu’il avait fait. Il ne
savait pas ce qu'il devait faire (en dépit du fait qu’il l’avait « étudié
») jusqu'à ce que la révélation arrive, et il dit alors ce que le Seigneur
lui avait commandé de dire [242].
« Je vais maintenant vous dire ce qui m'a été manifesté et ce que le Fils
de Dieu a accompli dans cette affaire... Aussi vrai que le Dieu
Tout-Puissant vit, toutes ces choses-là seraient arrivées si ce Manifeste
n'avait pas été donné. C'est pour cela que le Fils de Dieu s'est senti
disposé à faire présenter cette affaire à l'Église et au monde pour des
raisons qui lui sont propres. Le Seigneur avait décrété l'établissement de
Sion. Il avait décrété l'achèvement de ce temple. Il avait décrété que le
salut des vivants et des morts serait donné dans ces vallées des
montagnes. Et le Dieu Tout-Puissant avait décrété que le diable ne le
contrecarrerait pas. Si vous pouvez comprendre cela, c'est la clef de
toute l'affaire [243]. »
Le président Woodruff attribue de nouveau le Manifeste à la révélation
divine. Mais la façon dont il le dit est instructive : « Le Fils de Dieu
s'est senti disposé à faire présenter cette affaire à l'Église et au monde
pour des raisons qui lui sont propres ». Le but n'était pas, à l’époque,
d’arrêter complètement la polygamie, mais de permettre à l’Église de
continuer son œuvre de salut pour les vivants et pour les morts. « Le
diable ne le contrecarrerait pas », fait remarquer le président Woodruff :
« Si vous pouvez comprendre cela, c'est la clef de toute l'affaire ».
D’une manière indirecte, mais remarquablement claire, le président
Woodruff donne aux saints et à nous un aperçu de son raisonnement moral.
Le président Woodruff se rendait probablement compte que le gouvernement
serait trompé par le Manifeste, mais il considérait que les attaques
contre l’Église étaient motivées par une influence démoniaque. Si l’on
peut comprendre qu'il y a un devoir supérieur à celui d’obéir à la loi
profane ou à celui d’être franc avec des gouvernants profanes aux mobiles
corrompus, cette compréhension est ce qui permet de comprendre la décision
et les raisons qui étaient à sa base. Le Manifeste ne fut publié que quand
tous les autres moyens eurent été épuisés, et il fut – déclara-t-il –
approuvé par Dieu :
« Le président Woodruff déclara qu’il] croyait qu'il aurait laissé le
gouvernement étendre la main pour nous écraser ; mais le Seigneur ne
voulait pas que Sion soit écrasée et il a évité le coup en m'inspirant
d’écrire et de publier le Manifeste, et, jusqu’à présent, c’est
certainement l'effet qu’il a eu [244]. »
George Q. Cannon précise que l’Église se sentait toujours un peu piégée
entre le devoir vis-à-vis de Dieu et le devoir vis-à-vis de l'autorité
politique :
« Mais la nation s’est interposée et a dit : « Stop », et nous nous
soumettrons, laissant les conséquences à Dieu. Nous ferons de notre mieux
; mais quand il y affrontement avec les autorités constituées et que les
plus hauts tribunaux du pays disent : « Stop », les saints des derniers
jours n’ont, selon les révélations que Dieu nous a données nous disant de
respecter l'autorité constituée, d’autre alternative que de s’y soumettre
et de laisser les conséquences au Seigneur [245]. »
Le Manifeste s’efforçait donc de marcher sur le fil du rasoir : faire
suffisamment de concessions à « l'autorité constitutionnelle » pour
empêcher la destruction de l’Église, maintenir les restrictions au mariage
plural et s'abstenir d’enseigner la doctrine. Cependant, et c’est
significatif, le président Cannon déclare que les saints feront de leur
mieux. C'est-à-dire qu’ils continueront à pratiquer leur foi dans la
mesure du possible sans menacer l'existence de l’Église. Ceci allait
inclure plus tard une poursuite limitée du mariage plural.
Les dirigeants de l’Église voyaient donc tous dans le Manifeste une
révélation. Cependant, ils n’y voyaient pas une interdiction universelle
de tout mariage plural à ce moment-là, bien que pour la survie de l’Église
il fût nécessaire que le gouvernement l'interprète ainsi.
Avec le temps, les dirigeants et les saints allaient comprendre
différemment la signification et l'application du Manifeste. Une
compréhension différente ¬– par l'intermédiaire d’une révélation – d'une
révélation antérieure n'est pas sans précédent : Jésus a commandé aux
apôtres de faire «de toutes les nations des disciples », mais les apôtres
ont continué à interpréter ce commandement d'une manière plus limitée
jusqu'à ce qu’une révélation postérieure étende la prédication de
l'Évangile chrétien au-delà de ceux qui avaient d’abord adopté les rites
du judaïsme [246]. Un exemple moderne concerne la Parole de Sagesse, qui
n'a pas été déclarée comme d’application universelle pendant plus qu'un
siècle, bien que la révélation de la section 89 n'ait pas « changé »
[247].
Le lecteur attentif aura remarqué que la version publiée du Manifeste, qui
se trouve dans la Déclaration officielle - 1 des Doctrine et Alliances,
indique que le vote de soutien du Manifeste fut « unanime ». On est en
droit de se demander pourquoi il en est ainsi, étant donné que la
compréhension du Manifeste n'était pas unanime à l’époque parmi les
membres de l’Église, ni pendant des années après cela.
Le vote de soutien à la conférence fut demandé à cause des pressions
incessantes du gouvernement en la personne du Ministre de l'intérieur
[248]. Bien entendu, c’est une énorme présomption de la part du
gouvernement de croire qu’il pouvait « imposer » une certaine
interprétation de la révélation en exigeant de l’Église qu’elle applique
une procédure. Les idées toutes faites du gouvernement au sujet de la
révélation – que ce n'était qu’un moyen pratique de permettre aux croyants
de pratiquer la polygamie pour des motifs charnels – le rendait soit
incapable de comprendre le pétrin dans lequel il mettait les saints, soit
indifférent aux conséquences que cela pouvait entraîner de le faire
intentionnellement.
Le vote des membres sur le Manifeste, a écrit un apôtre, fut « donné par
une voix faible, mais apparemment unanime » [249] et la Première
Présidence et le Collège des Douze n’étaient pas unanimes à croire que le
Manifeste visait à signaler la fin définitive de la polygamie. Mais il
était important pour la survie de l’Église qu'il apparaisse tel à leurs
persécuteurs. Un vote de l’Église ne pouvait pas changer cela, bien qu’il
ne fasse pas de doute que tous les politiciens américains ne s’en
rendaient pas compte. Plus tard, un secrétaire de la Première Présidence à
qui l’on demandait si le Manifeste était « juste un geste », répondit : «
Vous avez étonnamment bien vu [250]. »
Le problème pour les dirigeants de l’Église était qu'ils ne pouvaient pas
expliquer publiquement le raisonnement justifiant le Manifeste sans
menacer de nouveau l'existence de l’Église. Le Manifeste fut donc présenté
pour un vote de soutien, mais les dirigeants ne pouvaient pas expliquer
tout ce qu’ils entendaient par là. Les membres durent se fier à leur
propre don de révélation lorsqu’on leur demanda de voter, et la conférence
soutint le Manifeste. Nous ne savons pas combien de membres l’ont fait en
comprenant parfaitement la façon dont les Autorités générales voyaient la
révélation à ce moment-là. Le soutien indiquait, tout au moins, leur
conviction qu'ils étaient dirigés correctement par des prophètes de Dieu.
Un membre au moins vota contre le Manifeste parce qu'il le considérait
comme une tactique politique sans base révélée [251]. Beaucoup de membres
s’abstinrent aussi de voter ; on ne sait pas avec certitude pourquoi.
Peut-être n’avaient-ils eu aucune compréhension inspirée de la véracité ou
de la fausseté de la révélation. Leur conscience peut les avoir empêchés
d'affirmer quelque chose dont ils n’avaient pas de témoignage, mais le
fait qu’ils soutenaient leurs dirigeants comme prophètes les empêcha de
s'opposer aux actions unies des collèges présidents. Des émotions
contradictoires jouèrent aussi un rôle. C’est ce qui semble avoir été la
situation de B.H. Roberts, qui décrivit avec émotion les difficultés qu’il
eut à accepter le témoignage de la véracité du Manifeste :
« Je lus d’abord le Manifeste avec étonnement. Mais à peine l’avais-je lu
que comme un trait de lumière qui remplit toute mon âme l’esprit dit : «
C’est bon », et donc cela a passé… [mais] plus j’y pensais moins j'aimais
cela… pendant la Conférence je vis que des mouvements étaient en action
pour que tout le peuple le soutienne, une démarche que je vis avec
inquiétude. Quand la crise vint, j’en eus un immense chagrin mais je
restai silencieux. Il me sembla que c’était le pire moment de ma vie,
quand le vote fut demandé, j’avais le bras comme du plomb ; je ne pouvais
pas voter pour et je ne le fis pas… Comme je l’ai dit, cette affaire
continua à être une épreuve pour moi au cours de l'année 1891 et
m’affligea beaucoup, mais je n’en dis pas grand chose ; et peu à peu je
commençai à me rappeler le trait de lumière qui m’avait été donné la
première fois que j’en avais entendu parler et je finis par l’accepter.
Peut-être avais-je transgressé en repoussant le premier témoignage que
j'avais reçu à son sujet et en permettant à mes préjugés et à ma raison
humaine myope de se dresser contre l'inspiration de Dieu et le témoignage
qu’il rendait que le Manifeste était bon. Quand ce fait commença à
s’imposer à mon esprit, je me repentis de mon erreur et j’invoquai avec
une grande ferveur l'Esprit de Dieu pour avoir un témoignage et il vint
graduellement [252]. »
Pour que le Manifeste atteigne le but pour lequel il avait été révélé, il
était nécessaire que le gouvernement croie que l’Église serait engagée par
lui et l'interpréterait comme le gouvernement le souhaitait. Les
publications du Manifeste à l’époque nécessitaient donc pareille
déclaration pour calmer Washington. La révélation fut acceptée par
l’Église. Cependant, si l’Église avait mentionné les abstentionnistes ou
les dissidents, les ennemis de l’Est s’en seraient emparés pour montrer
que « les fanatiques mormons » n'abandonneraient jamais la polygamie, même
si leurs dirigeants leur disaient de le faire. Cela n’aurait fait
qu’alimenter les efforts pour utiliser le pouvoir politique et militaire
pour écraser l’Église. D'autre part, si l’Église avait donné le nom de
ceux qui ne soutenaient pas la révélation, cela les aurait certainement
exposés aux persécutions du gouvernement. Je suppose que la formulation
dans les éditions actuelles des Doctrine et Alliances est simplement une
survivance des publications initiales qui minimisaient les appréhensions
que certaines avaient. Il est probable que beaucoup de membres et
dirigeants modernes ne sont même pas au courant des circonstances dans
lesquelles le Manifeste a été donné et prennent donc tout simplement la
formulation d'autrefois au pied de la lettre.
Le sentiment exprimé par la déclaration est cependant correct dans son
application à l’Église actuelle. Les dirigeants de l’Église sont
maintenant unanimes à dire qu'aucun mariage polygame ne doit être célébré.
Les contrevenants ont été excommuniés. Le récit dans l'Écriture d'un vote
de soutien unanime communique efficacement au lecteur moderne – même s’il
ne connaît pas l'histoire complexe dont elle est l’aboutissement – que le
sens clair du Manifeste correspond à la politique actuelle de l’Église.
L’administration de Wilford Woodruff après le Manifeste
Le président Woodruff ne semble pas avoir
prévu que le Manifeste empêcherait les polygames de l’époque de vivre avec
leurs épouses ou de les entretenir – sa formulation fut même changée avant
la publication pour éviter cette impression [253]. Néanmoins, le
gouvernement insista de nouveau, refusant sinon de rendre les biens de
l’Église et par conséquent une annonce publique fut faite qui interdisait
la cohabitation avec les conjoints d’avant le Manifeste [254].
La plupart des membres et dirigeants de l’Église continuèrent cependant à
cohabiter [255] – ce qui renforça (et renforce) la perception que certains
aspects du Manifeste furent publiés par opportunisme et pas comme
commandement du Seigneur faisant force de loi. C’était pour satisfaire le
monde ; ce n'était pas pour contraindre les saints à violer leurs
alliances et à abandonner leurs familles.
En 1891, le président Woodruff fut obligé de témoigner devant le Master in
Chancery. Il leur dit ce qu'ils voulaient entendre – que la cohabitation
était interdite sous peine d'excommunication [256] – et répéta en privé
que son devoir vis-à-vis de l’Église et de Dieu était une loyauté plus
importante :
« [Il dit] qu'on l’avait mis dans une telle situation à la barre des
témoins qu’il ne pouvait pas répondre autrement ; pourtant tout homme qui
abandonne et néglige ses épouses ou ses enfants à cause du Manifeste
devrait être disqualifié ». Il encouragea ensuite les Autorités générales
réunies à convenir que les hommes devaient essayer d'éviter d'être arrêtés
ou condamnés pour cohabitation illégale « et cependant ils ne doivent pas
rompre leur alliance avec leurs épouses [257]. »
Nous relevons une fois de plus que l’Église et ses membres étaient dans
une situation impossible – le gouvernement ne manifestait aucun souci pour
les femmes et les enfants qui seraient laissés sans soutien si les règles
du gouvernement étaient respectées. Les membres et les dirigeants avaient
de nouveau des choix déchirants à faire, dans lesquels il était tout
simplement impossible d’honorer tous leurs devoirs moraux. Joseph F. Smith
écrivit à un membre qui affrontait précisément ce dilemme : « En bref,
tout revient à ceci : vous devez garder les alliances que vous avez
contractées avec votre famille et vous ne devez pas non plus violer la
loi. Maintenant si vous pouvez comprendre cela, vous saisirez la situation
[258]. »
La situation – que les détracteurs et beaucoup de membres modernes n'ont
pas saisie – est qu'il était impossible de faire les deux. Il fallait
faire un choix, les saints choisirent ce qu’ils considéraient comme le
plus important et la plupart semblent avoir préféré soutenir leur famille
plutôt que d’être en ordre avec le gouvernement.
Le président Woodruff continua à utiliser le même genre de tactique
pendant tout le reste de son administration. Dès juillet 1892, il avait
accordé quelques recommandations pour des mariages pluraux au Mexique et
en juin 1897, des mariages autorisés par la Première Présidence étaient
célébrés en mer, sur les Grands Lacs et au Mexique [259]. Il y a des
preuves indirectes de ce que le président Woodruff lui-même épousa une
épouse plurale en mer en septembre 1897 [260]. À certains moments, le
président Woodruff semble avoir maintenu une certain « possibilité
plausible de démenti » en refusant d'approuver personnellement un mariage
polygame, tout en renvoyant les polygames potentiels à son conseiller,
George Q. Cannon, pour avoir une recommandation [261].
L'administration de Lorenzo Snow
Avant de devenir président de l’Église, Lorenzo Snow avait été polygame
pratiquant. Cependant, étant donné la pression légale croissante sur
l’Église, ses femmes et lui étaient convenus de renoncer à la
cohabitation. Il fut malgré tout accusé en vertu de la Loi Edmunds et fit
de la prison [262].
Quand il devint président de l’Église, il dit à la presse en septembre
1898 : « La polygamie, c'est-à-dire le fait d’épouser des femmes plurales,
a cessé parmi les saints des derniers jours au moment de la publication du
Manifeste du président Woodruff, le 6 octobre 1890, et je ne changerai pas
son interdit [263]. »
La nouvelle Première Présidence donna un message semblable aux apôtres : «
Le président Lorenzo Snow dit alors aux frères qu'il avait entendu des
rumeurs selon lesquelles des gens pensaient que l’on pouvait contracter
des mariages pluraux. Il voulait qu’il soit bien entendu que cela ne
pouvait se faire [264]. » Un mois plus tard, le président Snow apprenait
que certains membres d’Utah contractaient des mariages polygames au
Mexique et revenaient ensuite aux États-Unis, plutôt que de rester au
Mexique. Anthony W. Ivins et George F. Gibbs rapportent :
Le président Snow avait décidé que les mariages pluraux devaient cesser
dans toute l’Église et que c'était absolu et valait pour le Mexique aussi
bien qu'ailleurs [265]… Il retira donc au Mexique toute autorité d’y
célébrer des mariages pluraux comme cela avait été retiré en Utah [266]. »
Leur compréhension des choses n’était cependant pas toute l'histoire.
L'approbation de la Première Présidence pour les mariages polygames
n’était en général requise que pour les membres qui voulaient être mariés
en dehors de leur propre pieu. Anthony W. Ivins, président du pieu de
Juarez (Mexique) pouvait marier les membres de son pieu sans la permission
expresse de la Première Présidence et commença à le faire en octobre 1898,
probablement après réception d'une lettre d'un membre de la Première
Présidence. Il avait été dans les habitudes du président Cannon d’envoyer
de telles lettres à l’insu de Wilford Woodruff et c’est ce qui a dû se
produire dans ce cas-ci [267].
En outre, l’apôtre Matthias F. Cowley, qui avait célébré, sur le
territoire des États-Unis, des mariages approuvés par un ou des membres de
la Première Présidence (souvent George Q. Cannon) [268] rapporta plus tard
le commentaire du président Snow lui disant « qu'il [le président Snow]
n'interviendrait pas dans le travail de frère [Abraham Owen] Woodruff et
de [George Q.] Cannon [269]. »
Frère Cowley interpréta ceci comme voulant dire qu'il n'avait plus besoin
d’informer la Première Présidence ou de recevoir sa permission pour
célébrer des scellements polygames aux États-Unis. Le président Snow
n’était probablement pas au courant de ceci et semble avoir continué à
dire formellement en public et en privé qu'aucune nouvelle union polygame
n'était autorisée. L’historien D. Michael Quinn résume :
« [Le président Snow dit en mai 1899 :] « Je dirai maintenant devant ce
peuple, que le principe du mariage plural n'est pas pratiqué. Je n'ai
jamais, en aucun cas, permis à quiconque d’accomplir cette cérémonie et il
n'y a pas de mariages de ce genre à l'heure actuelle, et il n’y en a pas
eu pendant la période de ma présidence sur cette Église ». C'était
techniquement vrai : mais Ivins et Cowley, depuis le mois d’octobre
précédent, avaient déjà accompli plusieurs mariages pluraux au Mexique et
aux États-Unis [270]. »
Le 8 janvier 1900, il signa une déclaration rédigée par un juge non membre
concernant la polygamie. Cette déclaration disait :
« L’Église a franchement abandonné la pratique de la polygamie ou la
célébration de mariages pluraux dans cet État et dans tous les autres ;
et… aucun membre ou dirigeant de l’Église n’a la moindre autorité de
célébrer de tels mariages pluraux ou de contracter de telles relations.
L’Église ne conseille pas non plus ni n’encourage la cohabitation illégale
de la part de l’un quelconque de ses membres.
« Par conséquent, si un membre désobéit à la loi, que ce soit en ce qui
concerne la polygamie ou la cohabitation illégale, il doit porter son
propre fardeau ou, en d'autres termes, rendre des comptes aux tribunaux du
pays pour ce qu’il aura fait à ce propos [271]. »
Il y avait une omission importante : il n’y avait aucune promesse
d'excommunier ceux qui se livreraient à la polygamie.
La même dynamique qui fonctionna après le Manifeste sous le président
Woodruff agit de nouveau sous le président Snow. La pression politique et
juridique persista à exiger, de la part des dirigeants de l’Église, des
déclarations « faisant force de loi » ou « officielles ». Un manque
d'unanimité demeura parmi les dirigeants de l’Église sur le point de
savoir ce que signifiait la politique « anti-polygamie ». Des dirigeants
tels que George Q. Cannon et Matthias Cowley se considérèrent comme
autorisés à continuer à agir à l’encontre des déclarations publiques (et
parfois privées) du président de l’Église.
Cette confusion est compréhensible, et peut-être inévitable, étant donné
la tactique d’égarement actif que le Manifeste avait autorisée. Étant
donné son désir d'éviter la tromperie, le président Snow semble s'être
donné beaucoup de peine pour éviter la connaissance directe ou la
participation à l’approbation de mariages pluraux, et ce, encore plus que
le président Woodruff. En même temps, sa propre expérience des poursuites
pour cohabitation en dépit de ce qui semble être des efforts de bonne foi
pour obéir à la loi l'avait probablement convaincu que la tactique du
Manifeste était la seule option qui restait aux saints : même s’ils
essayaient d'obéir à la loi (comme il l’avait fait) cela ne pourrait pas
satisfaire ceux qui considéraient les mormons comme des ennemis.
Cependant, étant donné la compréhension des dirigeants de l’Église que le
Manifeste était principalement un effort de la dernière chance pour éviter
la destruction par leurs ennemis, le président Cannon et d'autres ont pu
comprendre que c'était leur devoir de continuer ce que le président de
l’Église ne pouvait pas encourager verbalement, afin de préserver les
doctrines de l’Église. Il semble que de leur point de vue, c'était le
devoir du président de présenter au monde un visage qui épargnerait à
l’Église tout le poids des efforts du gouvernement fédéral pour prendre le
contrôle de leur foi et de leur pratique ; c'était le devoir de ses
conseillers d’exécuter ce que le président voulait « vraiment » voir se
produire en dépit des démentis qui étaient présentés pour la consommation
publique.
L'Église ne peut bien entendu pas se plaindre qu'une telle confusion en
soit le résultat. Il fallait s’y attendre étant donné la tactique qu'elle
avait décidé d'adopter. Ceci explique l'hésitation du président Woodruff à
adopter une telle tactique même in extremis, et pourquoi il insista à
diverses reprises sur le fait que le chemin tracé par le Manifeste était
quelque chose que Dieu avait commandé comme « devoir ». On peut aussi
s’attendre à ce qu'une partie des membres ordinaires de l’Église ait été
dans la confusion quant à ce qui était réellement enseigné ou voulu,
puisque les déclarations publiques et privées pouvaient envoyer des
messages contradictoires. Et, naturellement, les dirigeants de l’Église
risquaient d'aller au-delà de ce que le président de l’Église voulait,
parce qu'ils pouvaient facilement mal interpréter un enseignement franc et
authentique comme étant simplement une stratégie pour contrecarrer leurs
persécuteurs.
Au total, le processus d’étude de la chose dans les esprits de la
direction générale continua. Ils furent d’une manière générale unis pour
choisir la tactique du Manifeste ; mais on ne voyait pas encore où cette
tactique allait finalement mener. Comme le président Cannon l’explique,
les dirigeants de l’Église n'étaient pas à l’abri des rigueurs de la
réception de la révélation :
« Cependant, malgré le fait que [les doctrines de l’Église] choquaient les
préjugés de l'humanité et nous surprenaient peut-être, nous, les saints
des derniers jours, quand nous invoquions Dieu pour avoir un témoignage à
leur sujet, il ne manquait jamais de nous donner son Saint-Esprit, qui
témoignait à notre esprit qu'elles étaient de Dieu et pas de l'homme.
Ainsi en sera-t-il jusqu'à la fin. La présidence de l’Église doit marcher
exactement comme vous. Elle doit faire des pas tout comme vous. Elle doit
dépendre des révélations de Dieu telles qu’elles lui sont données. Elle ne
peut pas voir où elle va, contrairement au Seigneur. Sa foi doit être mise
à l’épreuve, tout comme la vôtre. Il en va de même des Douze Apôtres. Tout
ce que nous pouvons faire, c’est rechercher la volonté de Dieu et quand
celle-ci nous parvient, même si elle heurte tous les sentiments que nous
entretenions précédemment, nous n'avons d’autre choix que de faire le pas
que Dieu désigne et de lui faire confiance [272]. »
Administration de Joseph F. Smith
Joseph F. Smith était conseiller de Lorenzo Snow. Il semble avoir soutenu
la prise de position du président Snow du « pas de polygamie », jusqu'au
tournant du siècle. Le président Snow proposa l’arrêt de la cohabitation
avec les épouses plurales et le président Smith s’opposa à ce plan [273].
Par la suite, le président Smith approuva quelques mariages pluraux à
l’insu du président Snow. Dès novembre 1900, le président Smith avait pris
des dispositions pour qu’un autre membre (Alexander F. Macdonald) marie
des membres dans le pieu de Juarez au Mexique [274]. En septembre 1901, il
envoya un mot au patriarche Macdonald lui disant de ne pas s'inquiéter des
avertissements publics d'excommunication venant du président Snow et lui
dit de continuer d'accomplir des mariages [275].
Le président Smith allait poursuivre cette attitude de tolérance envers la
polygamie quand il devint président de l’Église à la mort de Lorenzo Snow.
Il donna de nouveau la permission à Anthony W. Ivins, au Mexique, de
célébrer de tels mariages et ceux-ci commencèrent en 1903 [276]. Le manque
d'unanimité parmi les Autorités générales persista : Les conseillers du
président Smith et « la moitié » des Douze ignoraient le soutien que lui
et le reste du collège donnaient à la polygamie [277]. Il n'est pas
étonnant que cette tactique ait encore rendu plus perplexes les membres et
les dirigeants de l’Église :
« Il le faisait dans la meilleure des intentions : pour préserver « le
Principe » aussi bien que pour protéger l'institution de l’Église en
remplissant les procès verbaux officiels des réunions de collège de
dénégations de ce qu'il permettait en réalité à certains officiers de
l’Église de faire avec son autorisation et sa bénédiction comme président
de l’Église. Cela permettait de faire des démentis plausibles aux ennemis
de l’Église, mais la politique créait des définitions doubles de
l'autorité, de la sanction, de la permission, de la connaissance, de la
validité, de la loyauté et de la vérité – un vent qui allait récolter la
tempête en 1904 [278]. »
La tempête, ce fut l'audition au sénat de Reed Smoot. Reed Smoot était un
apôtre qui avait été élu comme sénateur pour l'Utah. Cependant, le clergé
de non mormons de l'association des pasteurs de Salt Lake City porta
plainte au sénat, prétendant que Smoot ne devait pas conserver son siège,
en partie parce qu'il était dirigeant d'un groupe qui pratiquait ou
encourageait la polygamie et l'avait admise même parmi les dirigeants
[279].
Pour les saints, ceci ressemblait sans aucun doute à une redite des
problèmes qu'ils avaient à maintes reprises endurés – les ennemis
religieux cherchant à utiliser les moyens du gouvernement pour déguiser
des persécutions religieuses par des appels à la loi civile : « Plus d'un
spécialiste a dit que l'épisode constitua l’enquête la plus fouillée et
peut-être la plus fanatique, par le Congrès, sur un groupe religieux, que
l’ont ait connue dans l'histoire américaine [280]. »
Les dirigeants de l’Église furent appelés à témoigner et le président
Joseph F. Smith lui-même fut le premier témoin. Chose intéressante, il
reconnut qu'il continuait à cohabiter avec ses épouses (en violation de la
loi et en violation de l'interprétation du Manifeste annoncée de
l’Église). Quand on lui demanda s'il pensait le Manifeste était une
révélation, le président Smith dit que oui. Quand on lui demanda si cela
signifiait qu'il violait une révélation par sa cohabitation, le président
Smith dit que oui [281]. Cependant, le président Smith continua aussi la
pratique de la dissimulation en niant franchement la célébration de tout
mariage plural depuis le Manifeste.
La stratégie du président Smith et d'autres dirigeants était donc de
protéger l’Église, tout en n’étant pas disposés à faire preuve de
malhonnêteté pour se protéger personnellement. Il était doublement en
danger : une fois pour avoir reconnu le délit de cohabitation et encore
pour parjure devant le sénat [282]. Il vaut d’être remarqué que Reed Smoot
pensait que le public était plus choqué par l’aveu de cohabitation du
président Smith que d’apprendre que quelques mariages avaient été célébrés
après le Manifeste [283]. Le président Smith ne voulait pas avoir recours
à la malhonnêteté pour son profit personnel ; il restait cependant tenu
(par l'intermédiaire du Manifeste et du raisonnement qui s’y rattachait)
de protéger l’Église, même par la tromperie si aucune autre option
n'existait. En fait, l’aveu de ses propres actes illégaux sacrifiait ses
propres intérêts pour détourner l'attention de l’Église. Ce n’est pas là
le choix d'un menteur habituel ou d'un mâle libidineux – C’est
l’abnégation d'un dirigeant qui n’avait pas le choix et qui essayait
néanmoins d'honorer ses obligations les plus élevées.
Le 6 avril 1904, la Première Présidence publia ce qui a été appelé le «
deuxième Manifeste ».
« Le président Joseph F. Smith disait :
« Je vais vous présenter un sujet peu commun et je le fais à cause de ma
conviction que c’est la chose à faire pour moi. J'ai pris la liberté de
mettre par écrit ce que je souhaite présenter afin de pouvoir vous dire
les mots exacts que je voudrais vous faire entendre, afin de ne pas être
mal compris ou cité de manière inexacte. Je présente ceci au vote de la
conférence :
« DÉCLARATION OFFICIELLE
« Attendu que de nombreux bruits circulent selon lesquels des mariages
pluraux ont été contractés contrairement à la déclaration officielle du
président Woodruff du 26 septembre 1890, généralement appelée le
Manifeste, qui a été publié par le président Woodruff et adopté par
l’Église à sa conférence générale du 6 octobre 1890, lequel interdit tout
mariage violant la loi du pays ; moi, Joseph F. Smith, président de
l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, affirme et déclare
par la présente qu'aucun mariage de ce genre n'a été célébré avec la
sanction, le consentement ou la connaissance de l'Église de Jésus-Christ
des Saints des Derniers Jours et j'annonce par la présente que tous les
mariages de ce genre sont interdits et que si un dirigeant ou un membre
quelconque de l’Église prend sur lui de célébrer ou de contracter un tel
mariage, il sera considéré comme étant en transgression vis-à-vis de
l’Église et sera passible de sanctions conformément aux règles de celle-ci
et en sera excommunié. JOSEPH F. SMITH, président de l'Église de
Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours…. »
« … Le président Francis M. Lyman a présenté la résolution suivante et a
soumis son adoption au vote :
« RÉSOLUTION D'APPROBATION
« Résolu que nous, les membres de l'Église de Jésus-Christ des Saints des
Derniers Jours, rassemblés en conférence générale, approuvons la
déclaration du président Joseph F. Smith, qui vient d’être faite à cette
conférence au sujet des mariages pluraux et que nous soutiendrons les
tribunaux de l’Église dans l'application de celle-ci… ».
« La résolution a été alors adoptée par vote unanime de la conférence.
[284]. »
La précision donnée par le président Smith est claire. Il nie que l’Église
ait approuvé de tels mariages (tout en restant – et c’est important –
silencieux sur le fait que des dirigeants ou des autorités de l’Église
avaient, à titre personnel, approuvé des mariages). Il faut se rappeler
que les actes officiels de l’Église exigent l'unanimité des collèges
présidents ; comme nous l’avons vu, ceci ne s'est jamais produit pendant
la polygamie d’après le Manifeste. La formulation du président Smith était
donc techniquement correcte, mais continuait la politique de tromper le
gouvernement si c’était absolument requis pour que l’Église puisse
continuer à exister.
Un ajout-clef au deuxième Manifeste était la stipulation que l’Église
utiliserait maintenant son système de tribunaux ecclésiastiques pour punir
ceux qui l'enfreindraient. C'est ce qui fait toute la différence avec le
Manifeste de 1890, qui était une déclaration personnelle du président
Woodruff qui disait seulement ce qu’était « son intention » et contenait
son « conseil » aux membres de l’Église.
Après le deuxième Manifeste
Nous avons déjà mentionné la confusion inévitable que la politique de 1890
à 1904 créa parmi certains membres et dirigeants de l’Église. En effet,
cette incertitude était, en partie, le but de la tactique du Manifeste,
bien que les agents du gouvernement qui cherchaient à détruire les
familles et à étouffer la conscience fussent ceux que l’on voulait
tromper.
Il ne faut donc pas s'étonner que certains membres et dirigeants de
l’Église aient considéré le deuxième Manifeste comme n’étant qu’une
manœuvre de plus accomplie dans le même esprit que celle de 1890. Mais, en
octobre 1904 la Première Présidence et le Conseil des Douze envoyèrent une
lettre disant que le « président Woodruff et le président Snow, chacun en
son temps, avaient autorisé certains des apôtres et peut-être d'autres à
faire des scellements pour le temps et l'éternité », mais abrogèrent
ensuite cette autorité [285]. Il est significatif que ce fut une mesure
prise unanimement par les collèges dirigeants de l’Église et signée par
eux en tant que collèges plutôt qu’en tant que dirigeants individuels de
l’Église. Le consensus exigé par les doctrines de la révélation et du
gouvernement de l’Église était finalement atteint [286]. La teneur du
Manifeste était maintenant reconnue comme doctrine faisant force de loi
dans l’Église, suite à la révélation accordée aux autorités présidentes
[287]. Les registres révèlent très peu de mariages approuvés après le
deuxième Manifeste [288].
Deux apôtres, John W. Taylor et Matthias F. Cowley, avaient joué un rôle
important dans la polygamie d’après le Manifeste, et le sénat voulut les
interroger dans le cadre de l’enquête dans l’affaire Smoot. Le président
Smith semble les avoir incités à s’absenter pour éviter d’être cités à
comparaître et avoir ensuite insisté sur le fait que puisque témoigner
devant le Congrès était une affaire civile plutôt que religieuse, il ne
pouvait pas les y forcer [289].
Cependant, les avocats agissant pour l’Église, le sénateur Smoot et
d’autres membres de la direction de l’Église insistèrent pour qu’une
discipline soit imposée aux frères Taylor et Cowley. Des réunions entre
les Douze et la Première Présidence eurent lieu en octobre 1905. Aucun
procès-verbal de ces réunions ne fut tenu de sorte que les conclusions
tirées au sujet des intentions des participants relèvent nécessairement du
domaine de la conjecture.
Les deux apôtres signèrent des lettres de démission qui devaient être
utilisées « comme éventualité de dernier recours [290] ». L’idée était
qu'ils seraient relevés du Collège des Douze, mais que ni l'un ni l'autre
ne perdrait son office d’apôtre dans la prêtrise [291].
Reed Smoot était clairement partisan d'utiliser immédiatement les lettres
de démission. Il lança l’avertissement que d'autres membres du Congrès
voyaient dans les frères Taylor et Cowley les principaux coupables de la
polygamie d’après le Manifeste. Les membres du Congrès apparemment dirent
aussi au Sénateur-élu Smoot qui « si le président de l’Église ne [mettait]
pas fin à la polygamie, [eux le feraient] [292]. » L'attitude de la
Première Présidence à ce propos fut claire quand elle télégraphia à frère
Smoot que les « frères [commencent] à penser [que]… Taylor et Cowley ne
devraient être sacrifiés que si [c’était] nécessaire… pour [le] sauver
[293]. »
Les collèges dirigeants semblent avoir considéré la « discipline » des
frères Taylor et Cowley comme un sacrifice nécessaire que le monde leur
imposait. Ils allaient être des boucs émissaires pour protéger l’Église et
les apôtres sacrifiés le savaient [294]. Janet Taylor, une épouse de frère
Taylor, rapporte que Joseph F. Smith dit à son mari : « Frère, vous êtes
appelé à faire ce sacrifice, mais vous ne perdrez rien. Quand les choses
se calmeront vous serez rappelé [295]. »
L'annonce de leur démission du collège fut faite officiellement le 8 avril
1906, mais cela semble n’avoir pas beaucoup fait pour aider la cause de
Smoot à Washington. Cowley et Taylor eurent d'autres problèmes avec le
Collège et furent de nouveau appelés à des auditions disciplinaires en
1911. Taylor fut excommunié (il semblerait qu’il fut rebaptisé par Cowley
avant sa mort en 1916 et allait être réintégré, à titre posthume, comme
membre à part entière en 1966). Cowley fut plus pénitent et il lui fut
simplement interdit d'exercer son autorité dans la prêtrise ; il fut
réadmis comme membre à part entière en 1936 [296].
Conclusions au sujet du mensonge
Il est bien connu dans les cercles des saints des derniers jours que les
saints sont libérés de la nécessité de respecter un commandement si leurs
ennemis les mettent dans l’impossibilité de le faire :
« En vérité, en vérité, je vous dis que lorsque je donne le commandement à
des fils des hommes de faire une œuvre pour mon nom, et que ces fils des
hommes mettent toutes leurs forces et tout ce qu'ils ont à accomplir cette
œuvre et ne cessent d'être diligents, si leurs ennemis tombent sur eux et
les empêchent d'accomplir cette œuvre, voici, il me convient de ne plus la
requérir de la part de ces fils des hommes, mais d'accepter leurs
offrandes [297]. »
Beaucoup de membres de l’Église pensent que le Manifeste était un exemple
de ce processus dans la pratique : l’Église a persisté jusqu'à ce que la
polygamie ait été déclarée et confirmée illégale en vertu de la loi
civile. C'est un concept exact, mais il ne va pas loin assez. La réaction
de l’Église aux efforts de l’État de lui interdire de pratiquer sa
religion est passée par les étapes suivantes :
• maintien du secret pour des raisons de sécurité (époque de Nauvoo,
Joseph Smith)
• annonce de l'intention de vivre dans la polygamie (époque de l’Utah,
Brigham Young)
• désobéissance civile ouverte (époque de l’Utah, avant le Manifeste de
1890 : Brigham Young et John Taylor)
• désobéissance civile cachée (après le Manifeste de 1890 : Wilford
Woodruff, Lorenzo Snow)
• obéissance finale (après le deuxième Manifeste de 1904 : Joseph F. Smith
et ses successeurs)
Ainsi, à l'époque du Manifeste de 1890, les saints n'avaient pas encore
fait tout ce qu'ils pouvaient pour vivre la loi – la seule option qui
restait était de tromper l’autorité civile et de continuer à vivre la loi
en cohabitant avec les épouses existantes et en se mariant de nouveau de
temps en temps. Les dirigeants étaient réticents à adopter cette approche,
mais le firent après que la révélation de Wilford Woodruff eut débouché
sur le Manifeste.
Mais les auditions dans l’affaire Smoot montrèrent que même cette astuce
ne pouvait plus marcher – la tromperie que la polygamie d’après le
Manifeste exigeait signifiait que le gouvernement fédéral et les autres
non-mormons ne feraient pas confiance aux saints dans ce domaine. Par
conséquent, l’Église finit par se retrouver à un stade au-delà duquel elle
ne pouvait plus aller sans risquer d’être juridiquement dissoute et que
l’on ait recours à la force de l’armée fédérale contre les saints.
Personne ne peut dire que l’Église a abandonné ses pratiques en réponse
aux pressions avant que toutes les facettes possibles aient été explorées.
Après les auditions dans l’affaire Smoot, le choix était entre la
soumission volontaire ou la soumission forcée par la destruction de
l’Église. Les saints avaient prouvé leur volonté d’obéir et la direction
de l’Église parvint à l'unanimité pour dire que les mariages polygames
devaient cesser.
Les détracteurs qui ne prennent pas la peine de comprendre le concept
mormon de la révélation essaient de nous perturber en arguant du fait que,
pendant plusieurs années, les dirigeants de l’Église ne furent pas
unanimes dans leur compréhension ou leur application du Manifeste. Cette
harmonie entre les autorités dirigeantes est une condition pour que la
révélation lie l’Église. Mais nous ne nous attendons pas à ce que la
révélation arrive d’emblée dans de tels cas : les prophètes ne sont pas
des télécopieurs, et ils ne « téléchargent » pas tout simplement les
instructions qu’ils reçoivent de Dieu. Nous devrions nous rappeler que le
Seigneur n’impose pas la révélation, ni ne l'accorde avant la préparation
personnelle et la réflexion mentale nécessaires. Un des buts de la
révélation est d’amener les hommes et les femmes à faire l’effort requis
pour comprendre et résoudre les problèmes très réels et très complexes
qu’ils doivent affronter. Ce n’est que quand nous avons fait notre part
que nous obtenons la réponse, un principe qu'Oliver Cowdery, à son grand
dam, n’avait pas compris [298].
Les dirigeants de l’Église étaient convaincus que le Manifeste était une
mesure voulue par Dieu, mais ils n'étaient pas unanimes en ce qui concerne
la signification de la révélation. Voulait-elle dire qu’il fallait mettre
définitivement fin à la polygamie ? Ou voulait-elle dire que le Seigneur
les justifierait si, dans cette situation, ils enfreignaient les interdits
en matière de mensonge ? Ou le Seigneur voulait-il des choses différentes
à différentes périodes ou en différents endroits ? Des hommes bons qui
sacrifièrent beaucoup de choses pour l'Évangile entretenaient des idées
multiples à ce sujet et les collèges dirigeants de l’Église ne parvinrent
pas à une opinion unanime du jour au lendemain.
Ceci ne devrait pas nous étonner : il est tout à fait possible de savoir
que quelque chose est une révélation, mais de ne pas le comprendre
entièrement. La plupart des membres sont convaincus que les Écritures sont
la révélation et peuvent croire qu'ils savent ce que « signifie » une
Écriture donnée. Cependant, la plupart ont probablement eu aussi
l'expérience de se rendre compte que leur compréhension initiale de
l'Écriture révélée était incomplète, voire même complètement erronée. La
bénédiction patriarcale est un autre exemple de révélation que nous
pouvons au commencement mal comprendre ou comprendre en partie seulement.
Le Seigneur ne nous force pas à prendre conscience des choses et il ne
nous donne pas non plus la becquée. Avec le Manifeste comme avec tout le
reste, les dirigeants et les membres ont appris « ligne sur ligne ».
Certains membres de l’Église, ne connaissant pas les faits qui
accompagnèrent le mouvement contre la polygamie, ont été perturbés par les
détracteurs qui essayent de dépeindre les choix des membres de l’Église et
des dirigeants comme malhonnêtes et inconvenants. Bien que j'aie exposé
dans le détail une base morale en vertu de laquelle la tromperie peut être
acceptable ou même requise, il est important de se rendre compte que c'est
un point sur lequel il serait impossible de satisfaire les ennemis
modernes de l’Église. Si elle avait cédé aux pressions du gouvernement et
mis fin à la polygamie en 1890, l’Église aurait été accusée d’avoir des «
révélations sur demande » ou d’avoir abandonné quelque chose qu'elle
affirmait être divin sous la pression du gouvernement. De fait, avant le
Manifeste, l’avocat qui poursuivait Lorenzo Snow pour polygamie « prédit
que si Snow et d'autres étaient jugés coupables et mis en prison, les
dirigeants de l’Église trouveraient commode d’avoir une révélation mettant
de côté le commandement sur la polygamie [299] ».
Ceci mettait les dirigeants de l’Église dans un cercle vicieux : le
gouvernement les persécutait impitoyablement parce qu’ils pratiquaient ce
qu’ils croyaient ; s'ils se conformaient à la loi, ce serait (aux yeux de
certains) admettre que la révélation venait « sur demande » et en réponse
à la pression du civil. Quoi qu’ils fassent, leurs ennemis seraient «
gagnants ».
Mais ce n’est pas ce qui arriva : les dirigeants et les membres de
l’Église étaient littéralement disposés à faire tout ce qui leur était
commandé, afin d'obéir au Seigneur, jusqu'à nouvel ordre. Chose
impressionnante, l’Église et ses dirigeants firent la seule chose
susceptible de préserver son intégrité en matière de révélation : ce n’est
que quand ils n’eurent littéralement aucun autre choix que la dissolution
que le commandement sur le mariage plural fut abrogé.
Finalement, étant donné les ambiguïtés et la confusion de la période qui
suivit immédiatement le Manifeste, certains membres ont craint que les
mariages célébrés pour leurs ancêtres ne soient pas valables aux yeux du
Seigneur. Nous ne devons nous faire aucun souci à ce sujet. Il y a des
indications que les présidents de l’Église ont donné après coup
l'approbation pour beaucoup de ces mariages. Les présidents suivants de
l’Église ont dit qu'ils ne considéraient pas les mariages contractés
pendant la période de polygamie postérieure au Manifeste comme non
valables, au moins jusqu'à ce que « Joseph F. Smith ferme la porte [300]
», pour reprendre l'expression révélatrice de Spencer W. Kimball. Les
présidents Heber J. Grant et David O. McKay ont exprimé des sentiments
semblables [301].
Un principe fondamental dans la théologie mormone est la conviction que
l'intention de la personne est l’élément-clef sur lequel il faut se baser
pour juger de sa culpabilité [302]. Les couples mormons de l’époque
subirent de grandes privations, parcoururent de grandes distances et
supportèrent le lourd fardeau du secret pour recevoir un scellement par ce
qu'ils considéraient être l'autorité divine. La plupart des saints des
derniers jours croyants concluraient que la sincérité de leurs ancêtres ne
serait pas sanctionnée par une condamnation si l'autorité à laquelle ils
faisaient confiance était irrégulière à cause des pressions et des
paradoxes de cette période difficile.
La polygamie dénoncée comme lascive
Les détracteurs accusent Joseph Smith (et probablement ses successeurs)
d’avoir pratiqué le mariage plural pour des motivations essentiellement
viles. Ce genre d’accusation s’accompagne habituellement d’affirmations
que la polygamie était non chrétienne, illégale et source de mensonges.
Ceci permet au détracteur de sous-entendre que la conduite de Joseph et de
ses successeurs était moralement contestable et motivée par des appétits
sexuels.
Les observateurs neutres ont longtemps compris que cette attaque est
probablement la plus faible de toutes. George Bernard Shaw, qui n’avait
certainement rien d’un mormon, dit :
« Rien ne peut être plus oiseux, rien ne peut être plus frivole que de
s’imaginer que cette polygamie avait quelque chose à voir avec le
libertinage personnel. Si Joseph Smith avait proposé aux saints des
derniers jours qu'ils devaient mener une vie de débauche, ils se seraient
précipités sur lui et auraient probablement devancé leurs voisins pieux
qui finirent par le tuer [303]. »
Brigham Young va dans le même sens que Shaw. Quand Joseph lui dit qu’il
devait pratiquer le mariage plural, dit plus tard Brigham, « ç’a été la
première fois de ma vie que j'ai désiré la tombe [304]. » John Taylor
réagit de la même façon :
« J'avais toujours entretenu des idées strictes de vertu et j’estimais, en
tant qu’homme marié, que c'était de ma part… une chose épouvantable à
faire… Seule la connaissance de Dieu et les révélations de Dieu… auraient
pu m’inciter à adopter un principe tel que celui-ci… Nous [les Douze] nous
avons retardé, autant que nous le pouvions, ce que l’on pourrait appeler
le jour fatal [305]. »
Joseph connaissait intimement ces hommes. Il devait connaître leurs
susceptibilités. Si ce n’était qu’une affaire de sexe, pourquoi risquer sa
chance avec eux ? Pourquoi rendre les choses plus difficiles et leur
demander de devenir polygames ? Il lui aurait été plus facile de prétendre
que « l’obligation » se limitait à lui seul, comme prophète, sans insister
pour qu’ils se joignent à lui.
En outre, Joseph Smith ne tolérait pas l’inconduite sexuelle des autres
membres. Par exemple, il refusa d'admettre les infidélités en série
périodiques de John C. Bennett [306]. Si Joseph était à la recherche d’une
manière aisée d'avoir accès au sexe, Bennett, maire de Nauvoo, premier
conseiller dans la Première Présidence et chef militaire aurait été son
complice rêvé. Or Joseph dénonça publiquement la conduite de Bennett et
l’exclut de la Première Présidence et de l’Église. Bennett devint un
adversaire et un détracteur juré et tout ceci aurait pu être évité si
Joseph avait été disposé à l'avoir comme comparse. Le détracteur ne peut
pas prétendre que Joseph se considérait comme étant le seul à avoir droit
à des unions polygames, puisqu'il se donna beaucoup de mal pour enseigner
la doctrine à Hyrum et aux Douze, qui l'adoptèrent avec beaucoup moins de
zèle que ne l’aurait fait Bennett. Si ce n’était qu’une histoire de sexe,
pourquoi Joseph humilia-t-il et s’aliéna-t-il Bennett, dont il devait
savoir qu'il pourrait lui faire confiance pour le soutenir et l’aider à
cacher la polygamie aux détracteurs, et prit-il le risque de ne pas être
soutenu par les Douze en insistant pour qu’ils y participent ?
Il devait certainement y avoir des manières plus faciles de satisfaire sa
libido. Van Wagoner lance cet avertissement :
« Contrairement aux idées qui avaient cours au XIXe siècle au sujet de la
polygamie, le harem mormon, dominé par des mâles lascifs avec des libidos
hyperactives, n'a jamais existé. L'image de la concupiscence sans bornes
fut essentiellement une invention de voyageurs passant à Salt Lake City
qui s’intéressaient davantage à titiller leurs auditoires de l’Est qu’à
décrire de manière exacte le mariage plural. Journalistes et personnalités
visitèrent la ville en grand nombre, à la recherche de manchettes pour
leurs auditoires de l’Est. Le mariage plural mormon, dont le but était de
propager l’espèce d’une manière juste et sans passion, s'avéra être un
mode de vie plutôt terne par comparaison avec les histoires de polygamie
débordantes d’imagination, saturées de sensationnel, que réclamait le
marché des médias de l’Est avide de scandales [307]. »
En fait, ceux qui étaient devenus mormons étaient ceux qui, culturellement
parlant, étaient le moins susceptibles d’envisager la polygamie avec
enthousiasme :
« La polygamie, quand elle fut annoncée aux saints, était une doctrine
offensante et répugnante, difficile à accepter… Les hommes et les femmes
qui accordèrent leur foi à l’authenticité de la révélation étaient
victoriens de par leur culture et leur mentalité. L'épreuve pénible que ce
fut d'accepter l’idée que la polygamie était un principe révélé et requis
par Dieu produisit, parmi les membres de l’Église, une sélection d’un
noyau de membres fidèles qui, dans les quelques décennies qui suivirent,
allaient vivre un drame cornélien imposé par le gouvernement fédéral comme
agent de Dieu [308]. »
La meilleure façon de réfuter l’accusation de « lasciveté » est encore de
jeter un coup d’œil sur la vie des hommes et des femmes qui pratiquèrent
la polygamie. L’historien B. Carmon Hardy a observé :
« Joseph fit preuve d'un engagement étonnant vis-à-vis de la doctrine [du
mariage plural]. Il lui fallut surmonter l'opposition de son frère Hyrum
et la répugnance de certains de ses disciples. En repensant, des années
plus tard, aux conflits et aux dangers causés par le mariage plural,
certains dirigeants de l’Église furent frappés par le courage avec lequel
Joseph y persista. Et quand on se rappelle une rencontre intense comme
celle entre William Law [conseiller dans la Première Présidence] et Joseph
début 1844, il est difficile de ne pas en convenir. Law, passant les bras
autour du cou du prophète, le supplia en larmes de mettre fin à toute
cette affaire de mariage plural. Joseph, également en larmes, répondit
qu'il ne le pouvait pas, que Dieu l'avait commandé et qu’il n'avait
d’autre choix que d’obéir [309]. »
On peut lire des volumes entiers des écrits publics des premiers
dirigeants, de leurs sermons impromptus et de leurs journaux intimes. On
peut penser aux centaines ou aux milliers de kilomètres de voyage lors de
déplacements missionnaires et pour les affaires de l’Église. Si les écrits
de Joseph Smith, Brigham Young, John Taylor, Wilford Woodruff, Heber C.
Kimball, George Q. Cannon et beaucoup d'autres ne peuvent pas persuader
quelqu'un qu’ils étaient des hommes honnêtes (même s’ils étaient dans
l’erreur) alors on peut vraiment se demander si une telle personne est
capable de porter un regard charitable sur un mormon quel qu’il soit.
Le commentaire de Paul Peterson au sujet des journaux intimes de Joseph
Smith va dans ce sens :
« Je n'avais pas entièrement saisi certains aspects de la psychologie et
de la personnalité du prophète. Après avoir lu tout juste quelques pages
des Personal Writings [310], il m’est apparu clairement que Joseph
possédait des dimensions religieuses que je n'avais pas comprises. Par
exemple, il était évident que j'avais sous-estimé la profondeur de sa
dépendance vis-à-vis de la Divinité. Le Joseph qui se dégage de Personal
Writings est un jeune homme intensément dévot et croyant qui semble
parfois presque impuissant sans appui divin. Et sa sincérité vis-à-vis de
son appel prophétique est également évidente. Si d'autres n'ont pas été
persuadés de ses affirmations, on ne pourrait pas dire que Joseph n’était
pas convaincu que Dieu l’avait appelé et le dirigeait. Les détracteurs qui
prétendent que Joseph a pris goût au rôle de prophète qu’il jouait
seraient déconfits s'ils lisaient les Personal Writings. Les savants
peuvent chicaner sur la véracité de sa théologie, mais pour quiconque lit
les Personal Writings, son sérieux et son honnêteté ne se discutent pas
[311]. »
On pourrait raisonnablement entretenir l'opinion que Joseph avait tort,
mais il est risible de prétendre que lui et ses partisans n’étaient pas
sincères ou qu'ils pratiquaient leur religion seulement pour le pouvoir et
pour satisfaire des désirs charnels. Ceux qui s’entêtent à dire que tout
repose sur le sexe en disent plus sur leur mentalité personnelle étriquée
que sur les motivations des premiers saints.
Problèmes de mise en application
Les détracteurs portent l’accusation que la polygamie n'était pas une
pratique commandée par Dieu et citent comme preuve certaines des
conséquences négatives supposées ou réelles de la polygamie. Cette attaque
s’appuie sur le fait, qui ne surprendra personne, que ceux qui mirent en
application et pratiquèrent la polygamie étaient humains, mortels et
faillibles. Les dirigeants de l’Église n'ont jamais prétendu à
l'infaillibilité.
Il ne fait pas de doute que le mariage plural fut une montagne à soulever
et qu’il mit à rude épreuve même des personnes de haut niveau. Tout le
monde dans l’Église connaît probablement le mal qu’ont parfois les membres
de l’Église à mettre en application des choses relativement simples comme
la prière personnelle et familiale, l'étude des Écritures, la soirée
familiale, l'enseignement au foyer et la maîtrise de soi. Cela nous
étonnerait-il qu’ils n’aient pas toujours mis en application ou pratiqué
la polygamie correctement ?
« Mais, répondra le détracteur, même les prophètes ont eu des problèmes à
pratiquer le mariage plural. Regardez tout ce qui s'est produit – ceci ne
peut pas avoir été un principe divin. » Bien entendu, la pratique
d’imputer à la polygamie divers problèmes sociaux n’a rien de neuf. Cette
façon de voir les choses ressemble beaucoup aux attaques lancées contre
l’Église au XIXe siècle.
Variations sur un thème du XIXe siècle
La législation antimormone du XIXe siècle trouva diverses excuses pour
empiéter sur ce que les mormons affirmaient être une pratique religieuse.
Une étude juridique des législateurs anti-polygames relève qu'ils étaient
convaincus que le mariage plural était « une atteinte à la paix et au bon
ordre », une croyance qui prépara le terrain « pour toutes les espèces de
mesures que le Congrès souhaitait prendre [312] ».
Malgré cette hypersensibilité victorienne,
« [i]l est difficile de voir en quoi, par exemple, « les droits et les
libertés » des autres étaient menacées par la pratique mormone de la
polygamie. Si l’on part de l’idée que toutes les parties concernées
étaient volontaires, le mariage et les relations familiales personnelles
semblent se situer dans la zone d'intimité nécessaire à la dignité de
l'individu… Même si la majorité de la collectivité trouve le mariage
polygame répugnant, la répugnance de personnes non concernées ne peut pas
infirmer les droits des croyants de pratiquer la polygamie, si l’on veut
que le libéralisme ait un sens quelconque. Les mormons n'ont exprimé
aucune sympathie pour un argument de « désintégration sociale » ou de «
paternalisme » favorisant les restrictions sur de telles pratiques
religieuses [313]. »
Une autre accusation était que la polygamie exploitait ou dégradait les
femmes, et une « proposition originale » relative à cette facette des
choses « fut faite en 1869 par George W. Julian, républicain d’Indiana «
pour décourager la polygamie en Utah en accordant le droit de suffrage aux
femmes de ce Territoire » [314]. » Il s’avéra rapidement que Julian était
dans l’erreur puisque le Territoire d’Utah s’empressa d’accorder le
suffrage aux femmes sans que cela ne constitue une menace pour la
polygamie. En effet, le On Liberty, de John Stuart Mill, fit un sort à
l’idée fausse que les femmes étaient des victimes impuissantes :
« Il faut se rappeler que cette relation [la polygamie] est aussi
volontaire de la part des femmes concernées par elle et qui peuvent en
être considérées comme celles qui en souffrent, comme c’est le cas de
toute autre forme de l'institution du mariage ; aussi étonnant que ce fait
puisse paraître, il s’explique par les idées et les coutumes courantes du
monde, lesquelles, apprenant aux femmes à considérer le mariage comme la
seule chose nécessaire, font comprendre que bien des femmes devraient
préférer être l'une de plusieurs épouses que de ne pas être une épouse du
tout [315]. »
Mill ignore naturellement la dimension religieuse de la participation des
femmes, mais son commentaire contemporain devrait donner à réfléchir aux
détracteurs modernes. En dépit des inquiétudes de ceux-ci ou des
redresseurs de torts plus rabiques que comptait le Congrès au XIXe siècle,
« la polygamie mormone n’a ni causé, ni ne pourrait causer la dégradation
des femmes et des enfants ni la subversion de la démocratie [316]. » Comme
le relève une étude non mormone de la polygamie parmi divers groupes :
« Le sort des femmes n’était pas pire (en fait il était meilleur) chez les
munsterites et les mormons que sous le régime monogame (mais tout aussi
patriarcal) ordinaire de l’époque. En effet, si nous laissons de côté la
question controversée du sexe, elles étaient mieux traitées. À Munster,
elles ont collaboré avec les hommes à l'effort de guerre. En Utah, elles
avaient accès à l’instruction, au vote et au travail. C'est un exemple
curieux d'un mouvement produisant des effets inverses à ceux qui étaient
prévus. Et il est certain que les femmes n’étaient pas soumises à la
dégradation courante dans beaucoup d'usines et de mines d’alors. Le fait
est que la bataille entre polygames et monogames est un faux problème qui
a disparu dès que l’on a commencé à adopter une manière objective de
sortir de l'impasse sexuelle sous la forme d’un divorce plus facile, du
contrôle des naissances et de l’élévation du niveau d'instruction des
femmes et de leurs droits [317]. »
On peut raisonnablement affirmer que les droits des femmes, en fait,
étaient mieux protégés en Utah que presque partout ailleurs dans l'Union.
Dès 1852, l'Utah votait des lois sur le divorce « qui accordaient aux
femmes beaucoup plus de contrôle sur leur vie que ce qui a été donné par
toute autre législation sur le divorce au XIXe siècle, avec la seule
exception de l'Indiana [318]. »
Qu’est-ce qu'une fille bien comme vous fait dans un endroit comme celui-ci
?
S’il tient à faire valoir que la polygamie avait un effet négatif sur les
personnes, la famille ou la société, le détracteur doit expliquer pourquoi
les mormons s’y sont tenus en dépit de toutes les horribles retombées.
L’explication en ce qui concerne les hommes – l'appétit sexuel – est un
bobard commode, comme nous l’avons vu dans la section précédente.
L’explication en ce qui concerne les femmes est plus compliquée puisque la
réponse des saints – l’obéissance à la révélation – n’est pas acceptable
pour le détracteur ! Comme l’écrit Terryl L. Givens à propos des
descriptions factices des saints :
« Des groupes entiers de mormons répondent aux pouvoirs hypnotiques de
leurs dirigeants… Ce qui serait apparemment la justification du mormonisme
[ou de la polygamie] s'avère ainsi être sa condamnation – le fait qu’il
s’appuie sur les convertis au système… La possibilité de s’affilier
volontairement… est équivalente à la menace de l'assimilation. C'est
pourquoi la question : ‘Pourquoi des femmes choisiraient-elles de
participer à un tel système ?’ est exclue dès le départ. Même le choix
doit être exclu de l'équation… [comme l’écrit un romancier antimormon :]
‘même en ayant le cœur brisé, même en étant poussées à la folie, même en
étant plongées dans le désespoir le plus profond par le mal qui leur était
fait, en dépit de tout cela, la possibilité de se libérer de leur
esclavage ne venait même pas à l’esprit des femmes’ [319]. »
Il est donc courant d’insister sur le fait que la majorité des saints
furent persuadés presque contre leur volonté de devenir polygames,
généralement du fait de l'influence excessive de Joseph Smith ou d’un
autre dirigeant.
« Les pouvoirs hypnotiques » de l'imagination du XIXe siècle n’ont plus la
cote aujourd'hui (bien que Fawn Brodie se plaise à attribuer le succès du
mariage plural à son « magnétisme » [320]), et par conséquent le
détracteur moderne de la polygamie fait appel à diverses autres
explications. Todd Compton, par exemple, s'étonne de la disposition des
saints à accepter « la tâche impossible [321] » de la polygamie, étant
donné « les problèmes inhérents à ce genre d’union » et est surpris de
voir qu'ils « ne s’en soient pas retirés [322] ». Pour expliquer leur
choix de suivre Joseph, il dit que l’on enseignait à « toutes les femmes
mormones [qu’elles devaient] l'accepter… comme dirigeant infaillible et
que c'était l'intensité [de leur] ferveur religieuse qui les amenait à…
entrer dans la polygamie [323]. »
Malheureusement pour cette façon de voir, elle ne dispose pas de plus de
preuves pour l’étayer que le point de vue du XIXe siècle, qui voulait que
Joseph ait possédé des pouvoirs hypnotiques irrésistibles. La mise en
garde de B.H. Roberts s’impose :
« Joseph Smith… ne prétendait à aucune sainteté spéciale, ni à une vie
parfaite, ni à la perfection personnelle, ni à l’infaillibilité de chaque
mot qu’il prononçait. Et puisqu’il ne revendiquait pas cela, les autres ne
peuvent pas non plus le revendiquer pour lui… [324]. »
Même Compton n’arrive pas à faire fonctionner sa théorie. À un autre
endroit il avance une autre thèse à savoir que « beaucoup parmi les
premiers mormons considéraient Smith comme infaillible [325] », ce qui est
une tout autre affaire que prétendre que l’on enseignait à toutes les
mormones à le considérer comme tel. Il change d'avis une troisième fois
plus loin quand il émet l’opinion qu’à partir de la seconde moitié du XIXe
siècle, « Smith lui-même était devenu plus grand que nature dans la
mémoire populaire mormone – un personnage presque infaillible qui se
situait juste au-dessous de Jésus-Christ et plus haut que les prophètes de
l'Ancien Testament » : maintenant Joseph est « presque infaillible », mais
seulement dans la perception de ceux qui se retournent avec nostalgie sur
le passé longtemps après sa mort [326]. Cette variation sur le thème de
l’infaillibilité ne permet en rien d’expliquer le comportement de ceux qui
vécurent avec Joseph et le connurent de son vivant comme un humain
faillible. On ne voit pas non plus en quoi le fait d’être « presque
infaillible » aurait plus de sens que le fait d’être « presque enceinte »
: on l’est ou on ne l’est pas ; il n'y a pas de moyen terme.
Compton mérite des félicitations pour son honnêteté, puisque son livre
prouve aussi à suffisance qu'aucune version de la théorie du « Joseph
infaillible » n'explique les choix faits par les nombreuses personnes qui
ont contracté les premiers mariages pluraux. George D. Smith pense
qu’étant « un bel homme charismatique, Joseph Smith eut apparemment peu de
mal à persuader des jeunes femmes qu'il était leur chemin vers les
royaumes éternels de gloire [327] ». Donc, d’après George Smith, le «
charisme » de Joseph (l’équivalent de l’« infaillibilité » de Compton)
fait que les femmes étaient plus que disposées, elles étaient presque
empressées d'obéir. Comme l'hypothèse de « l’infaillibilité », l’examen
des écrits à la première personne des premiers polygames montre que c'est
une affirmation absurde.
Sarah Studevant Leavitt exprime sa certitude que « l’Oint du Seigneur ne
pourrait pas avoir plus d'épouses si cela ne leur était commandé ». On
pourrait y voir la confirmation des hypothèses du charisme ou de
l’infaillibilité, n’était son explication franche que « J'ai vu rattacher
tant de mauvaises choses à cette ordonnance que si cela ne m’avait pas été
révélé par Celui qui ne peut pas mentir, j’aurais parfois douté que ce fût
vrai [328]. » De toute évidence, ce n’était pas une enthousiaste de cette
pratique et elle ne l’adopta que parce qu’elle avait reçu une révélation
personnelle. C’est une démarche que l’on retrouve à diverses reprises dans
les récits de la période.
George D. Smith va même jusqu’à insister – sans explications ni références
– en disant que « pour les jeunes filles qui vivaient chez les Smith, il
était difficile de résister aux avances du prophète [329] ». Ce genre
d’affirmation est contredit par ce que dit Emily Dow Partridge, à savoir
que quand Joseph lui a proposé le mariage plural, elle l’a « coupé si vite
qu’il n’en a plus reparlé avant des mois [330] ».
L’importance que revêtent ces incidents est cependant plus grande que le
simple fait de réfuter les suppositions d’un quelconque auteur. Ils nous
disent, dans leurs propres termes, pourquoi les saints ont pratiqué le
mariage plural. Nous n'avons pas besoin d’avancer des supputations quant à
leurs choix ; ils ont laissé une documentation abondante qui explique
leurs actes tels qu’ils les comprenaient.
On pourrait en dire encore beaucoup plus sur la façon dont beaucoup
d'historiens ont traité la polygamie chez les saints. J’ai appris par
expérience qu'une lecture complète des sources, en particulier des paroles
des femmes impliquées dans le processus, montre que les premiers saints
n'étaient ni convaincus de l'infaillibilité de Joseph ni n’étaient
disposés à le suivre aveuglément pour sauter dans le précipice moral ou
social dans lequel beaucoup de détracteurs le poussent. Ils ont à maintes
reprises insisté sur le fait que seule la révélation avait pu les
persuader et ils ont rendu témoignage qu'ils l'avaient reçue.
Polygamie et dépression
La tendance qu’ont les détracteurs à imputer à la polygamie tout problème
rencontré par un polygame ressort tout particulièrement quand ils
s’aventurent dans un domaine dans lequel j'ai des compétences
professionnelles : la santé mentale. Un savant écrit, par exemple :
« Souvent, les épouses plurales qui ont connu la solitude ont également
signalé des sentiments de dépression, de désespoir, d'inquiétude,
d'impuissance, d'abandon, de colère, des symptômes psychosomatiques et une
mauvaise opinion d’elles-mêmes [331]. »
Étant médecin, je traite des femmes de tous les milieux et de toutes les
religions. Aucune, à ma connaissance, n'est polygame. J'ai pu constater
que, d’une manière générale et fréquente, les femmes (et les hommes)
éprouvent ces sentiments et ces symptômes indépendamment de leur état
civil [332]. Les femmes qui sont mariées imputent parfois leurs problèmes
à leur mariage ; les femmes qui sont célibataires les imputent à leur
célibat.
En bref, je crois que le détracteur qui attribue la dépression à la
polygamie commet l’erreur du post hoc ergo propter hoc – l’erreur de
raisonnement qui veut que si un événement en suit un autre, ce soit le
premier événement qui cause le deuxième. Avec ce genre de raisonnement,
nous pourrions conclure que c’est le coq qui fait lever le soleil, puisque
l'aube suit toujours son chant.
De la même manière, les détracteurs de la polygamie remarquent que des
femmes étaient mariées sous le régime polygame et que plus tard elles
éprouvaient de la solitude ou un sentiment d'insignifiance. Ils en
concluent que c’est la polygamie qui est « la cause » de ces sentiments.
Mais je sais par expérience que ces sentiments sont courants dans la
condition humaine, se produisent dans n'importe quelles circonstances
(même « idéales ») et que les gens ont toujours tendance à croire que «
l'herbe est plus verte » ailleurs – ils concentrent leur mécontentement
sur les circonstances de la vie dans lesquelles le hasard veut qu’ils se
trouvent. À défaut d’études définitives démontrant qu’il y a un lien de
cause à effet entre la polygamie et la dépression, il est tout aussi
vraisemblable de dire que tout dénigrement de la pratique ne fait que
refléter la perception négative qu’en a le détracteur.
Efforts pour faire taire l’histoire
Les détracteurs lancent l’accusation que puisqu'ils ont fourni des
informations au sujet de la polygamie dont le lecteur était précédemment
ignorant, cela prouve que l’Église a « caché » la vérité ou a « menti » à
ses membres. Le détracteur peut ainsi ressusciter le passé polygame pour
attaquer le présent. L'historien D. Michael Quinn a récemment dit ceci à
propos de cette affirmation :
« Les dirigeants de l’Église ont autant d’expérience de l’histoire de
l’Église que quiconque a fait le séminaire ; ils n'essayent donc pas de
cacher un problème ou un grand secret ou un grand mystère, parce qu'ils
n’en connaissent pas. S'ils n'ont pas acquis la connaissance de l'histoire
de l’Église avant de devenir Autorités générales, ils n'ont pas le temps
de l'acquérir [333]. »
Les détracteurs de l’Église ont généralement une vision étriquée et naïve
de l'histoire et du rôle de l’Église dans son enseignement. Peu de gens,
dans ou hors de l’Église, s’intéressent beaucoup à l'histoire. Il n’arrive
pas souvent que les livres d'histoire deviennent des best-sellers. La
plupart des gens savent peu de choses ne serait-ce que des faits
historiques de base ; ils en savent encore moins sur l'histoire de
l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours..
La première responsabilité de l’Église n'est pas d'enseigner l'histoire du
XIXe siècle, mais d'enseigner l'Évangile du Christ et d’administrer les
ordonnances. L'Église et ses membres ont des instructions divines strictes
concernant ce en quoi leur enseignement et leur prédication doivent
consister : « Ne parlez que de repentir [334]. » Tout ce qui est enseigné
doit être subordonné à ce but. Si ce n’est pas le cas, le reste ne sert à
rien.
Cela dit, il existe une énorme quantité d'informations sur tous les
aspects de l'histoire mormone. La plupart des membres et des dirigeants ne
connaissent probablement pas cette documentation. Elle est cependant
accessible à ceux que cela intéresse, et l’Église ne fait aucun effort
pour empêcher ses membres de la lire. Comme Dallin H. Oaks l’a dit :
« L'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours n'essaye pas
d'isoler ses membres des voix alternatives. Son approche, comme l’a
conseillé le prophète Joseph Smith, est d’enseigner des principes corrects
et puis de laisser ses membres se gouverner eux-mêmes par des choix
personnels.
« Bien entendu, l’Église a la responsabilité de préciser ce qui est la
voix de l’Église et ce qui ne l'est pas… Les membres de l’Église sont
libres de participer ou d’écouter toutes les voix alternatives qu'ils
veulent, mais les dirigeants de l’Église doivent éviter toute
participation officielle, que ce soit de manière directe ou indirecte
[335]. »
Le lecteur devrait ici se demander s'il a jamais entendu un discours de
conférence générale dans lequel il lui était interdit de lire quelque
chose – à part les prohibitions relatives à la pornographie et à tout
autre document indécent, je ne connais aucun exemple de « livres interdits
». Frère Oaks lui-même, comme nous l’avons déjà vu, a mentionné
explicitement, lors d’un discours prononcé à BYU, certaines des tromperies
pratiquées pendant la période de la polygamie, ce qui ne saurait être
interprété comme le comportement de quelqu'un essayant désespérément
d'étouffer la vérité.
L’Encyclopedia of Mormonism est un ouvrage de référence en trois tomes
élaboré avec l'aide de l’Église. Ce n'est pas une publication officielle
de l’Église, mais deux apôtres ont participé à son élaboration et à son
édition. Comme toutes les rubriques, l'article sur le mariage plural
contient une bibliographie qui reprend les ouvrages que le lecteur
intéressé peut consulter pour de plus amples informations. Une des
références est « Van Wagoner, Richard S., Mormon Polygamy : A History,
Salt Lake City, 1986 [336]. »
L’ouvrage de Van Wagoner est tout sauf une tentative d’étouffer les
choses. Il y a des points sur lesquels je pense qu'il se trompe
lourdement. Son livre cite aussi beaucoup d'autres références qui n’ont
aucune sympathie pour l’Église ou les dirigeants du passé. Il y est
néanmoins repris pour ceux que cela intéresse, avec la bibliographie
placée en ligne par BYU [337]. Voilà qui ne correspond pas au modèle d'une
Église qui essaie de « cacher la vérité » comme le prétendent les
détracteurs.
En outre, Richard Van Wagoner et Todd Compton remercient l’Église et les
archives de BYU pour leur aide, ce qui semble étrange si l’Église bloque
toute tentative de «faire éclater la vérité » :
Van Wagoner : « J'apprécie aussi profondément l'aide du personnel du
département d’histoire de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours… [et] la Division des Collections Spéciales de la Bibliothèque
Harold B. Lee à l'université Brigham Young [338]. »
Compton : « Les archivistes du département d’histoire de l’Église de
Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours à Salt Lake City se sont
montrés infailliblement serviables et professionnels quand j’y ai fait mes
recherches… Je suis également reconnaissant pour l'aide des archivistes… à
la Bibliothèque Harold B. Lee à l'université Brigham Young [339]. »
Un passage en revue de quelques titres à la bibliothèque de l'université
Brigham Young [340] est également instructif, particulièrement quand on
fait la comparaison avec le magasin en ligne de Deseret Book :
• Early Mormonism and the Magic World View (D. Michael Quinn). Le numéro
de catalogue à BYU est BX 8673 [2 .Q44e 1998; ; il y a sept exemplaires
disponibles. Deseret Book vend ce livre en ligne [341].
• In Sacred Loneliness: The Plural Wives of Joseph Smith (Todd Compton).
Le numéro de catalogue à BYU est BX 8670].07 .C739i 1996 ; il y a quatre
exemplaires disponibles. Deseret Book vend ce livre en ligne [342].
• Mormon Polygamy: A History (Richard Van Wagoner). Le numéro de catalogue
à BYU est BX 8641].V36-1986 ; il y a dix exemplaires disponibles. Deseret
Book vend ce livre en ligne [343].
• No Man Knows My History (Fawn Brodie). Le numéro de catalogue à BYU est
BX 8670 [2 .B78 ; il y a treize exemplaires de 1945-1995]. Deseret Book
vend ce livre en ligne [344].
• Same-sex Dynamics among Nineteenth-century Americans: A Mormon Example
(D. Michael Quinn). Le numéro de catalogue à BYU est BX 8641 [12 .Q44s
1996 ; il y a trois exemplaires disponibles. Deseret Book ne vend pas ce
livre en ligne.
• The Mormon Hierarchy: Extensions of Power (D. Michael Quinn). Le numéro
de catalogue à BYU est BX 8651 .Q44mp 1997 ; il y a deux exemplaires
disponibles. Deseret Book vend ce livre en ligne [345].
• The Mormon Hierarchy: Origins of Power (D. Michael Quinn). Le numéro de
catalogue à BYU est BX 8651 .Q44mo 1994 ; il y a un exemplaire disponible.
Deseret Book vend ce livre en ligne [346].
La psychobiographie de Joseph Smith par Fawn Brodie est accessible, de
même que les ouvrages sur la polygamie de Compton et de Van Wagoner ;
Quinn est également bien représenté. Aucun de ces ouvrages ne vise à
blanchir et certains sont carrément hostiles envers l'histoire de
l’Église. Et pourtant, l’Église (qui est censée chercher à cacher
l'information) fournit de multiples exemplaires pour les étudiants
confiants de BYU, qui pourraient facilement lire l'article en ligne sur le
mariage plural de l'Encyclopedia et lire ensuite Van Wagoner s’ils le
souhaitent.
En outre, l’Église semble incapable de faire pression sur Deseret Book
pour qu’elle cesse de permettre à des lecteurs d’afficher des critiques
pleines d’éloges de ces livres sur le site Web de la société (mais
peut-être que cela ne l’intéresse pas ?). Il ne semble pas non plus qu’il
y ait beaucoup de tentatives d'empêcher Deseret Book de faire la publicité
de ces livres ou de les vendre, même si sa clientèle doit être la plupart
du temps mormone.
L'Église est dans une sorte de dilemme quand il s’agit d’enseigner
l'histoire de la polygamie. L'Église conserve toujours (avec de bonnes
raisons, comme nous l’avons vu) un souvenir institutionnel cuisant des
persécutions qui ont utilisé la polygamie comme excuse. L'existence de
groupes dissidents « fondamentalistes » qui pratiquent toujours la
polygamie signifie que l’Église doit constamment renforcer l'idée qu'elle
n'encourage ni ne prêche actuellement cette pratique. L'Église ne veut
probablement pas avoir l’air d’encourager ou de tolérer le mariage plural
pour les membres actuels, puisqu'elle combat toujours la perception
publique que la polygamie fait partie de l’Église moderne. En outre,
quelques membres moins expérimentés pourraient interpréter les
explications au sujet du passé comme justification indirecte de la
pratique de la polygamie.
Quoi qu’elle puisse dire ou enseigner au sujet de l'histoire de la
polygamie, l’Église restera toujours vulnérable aux accusations de ne pas
être suffisamment « soigneuse » ou « précise », ne serait-ce que parce que
les instructeurs de l’Église peuvent honnêtement être en désaccord avec
les détracteurs au sujet de l'interprétation des données de l’histoire.
Quand les détracteurs disent que l’Église « cache des choses » de son
histoire, ce qu’ils veulent souvent dire, c’est que l’Église n'enseigne
pas l'histoire avec l’orientation que le détracteur veut. Parfois la
meilleure technique est de laisser les gens faire leurs propres
recherches, puisque la polygamie n’a plus rien à voir avec la vie du
membre moderne (ou de l’institution de l’Église).
Le lecteur devrait se demander quelle proportion du contenu du présent
traité a été fournie par le détracteur. Quelle perspective sur ces
questions le détracteur a-t-il fournie ? Ou, comme cela arrive si souvent,
l'intention du détracteur était-elle simplement de « prouver » que les
dirigeants de l’Église étaient corrompus et que l’Église moderne est
malhonnête ?
Si le détracteur n'a pas fourni la perspective que j'ai essayé de décrire
ci-dessus, il est au moins aussi coupable de « cacher la vérité » que ce
qu’il accuse l’Église d'être.
Pensées finales : Quel était le but du mariage plural ?
« Je crois depuis longtemps qu'à l'intérieur de certaines des points de
doctrine les plus durs, tout au fond, se trouvent certaines des plus
grandes vérités et des principes les plus précieux. Mais on ne les
découvre pas en étant désinvolte ou irrespectueux. C’est en fait
l'obéissance qui apporte et des bénédictions et une connaissance
supplémentaire… »
– Neal A. Maxwell [347].
Une fois que tout ce que nous avons comme documents historiques a été
traité et disséqué, nous nous retrouvons avec la question : Pourquoi les
premiers saints ont-ils pratiqué la polygamie ? La réponse la plus simple
est encore la meilleure : ils l'ont fait parce qu'ils croyaient que Dieu
l'avait commandé.
Le présent historien, et même le croyant, peuvent considérer cette réponse
comme vaguement insuffisante. On a envie de poser la question qui suit
logiquement : pourquoi, alors, Dieu l'a-t-il commandé ?
L'humilité exige que nous reconnaissions qu'à moins que Dieu ou ses
serviteurs nous disent pourquoi quelque chose se fait, nous ne faisons
rien d’autre que supputer. En même temps, j’ai toujours été frappé par le
fait que Dieu fait d’une pierre plusieurs coups. Il est fort possible
qu’il ait voulu des résultats multiples. On trouvera ci-après une liste
théorique, dans aucun ordre particulier, de certains des nombreuses «
réalisations » du mariage plural.
Obéissance
L'obéissance est une notion désuète, particulièrement parmi les
détracteurs « intellectuels » de l’Église. Pourtant, l'obéissance demeure
une doctrine fondamentale de l'Évangile du Christ, et le mariage plural
était une occasion de montrer où on en était vraiment de sa fidélité :
« Ils croient en un mariage qui lie hommes et femmes seulement jusqu'à ce
que la mort les sépare. C'est une perspective tristounette. Nous ne
croyons pas que le mariage doive être pour le temps seulement. Nous
croyons en des alliances pour l'éternité et que nous pouvons retrouver
femme et enfants de l’autre côté du voile. Nous avons reçu des
instructions du Seigneur à ce sujet et nous voulons les appliquer [348]. »
Le simple fait d’apprendre l'obéissance en toutes choses a ses mérites, en
dépit de l'impopularité d'un tel programme auprès des matérialistes.
« Susciter une postérité »
« Dieu n'a jamais introduit l'ordre patriarcal du mariage pour plaire à
l’homme dans ses désirs charnels, ni pour punir les femmes pour quelque
chose qu'elles auraient fait ; mais il l'a introduite dans le but exprès
de susciter à son nom une prêtrise royale, un peuple acquis. – Brigham
Young [349]. »
Les détracteurs font souvent état de la condamnation générale de la
polygamie par le Livre de Mormon ; ils mentionnent moins souvent son
exception à cette condamnation : « Car si je veux, dit le Seigneur des
armées, me susciter une postérité, je le commanderai à mon peuple;
autrement ils observeront ces choses [350]. » Il est clair qu’une des
fonctions théologiques de la polygamie pourrait avoir été de « susciter »
des groupes de personnes qui seraient fidèles à Dieu. Comme l’explique
Doctrine et Alliances 132 :
« Abraham reçut des promesses concernant sa postérité, le fruit de ses
reins — desquels reins tu es, toi, mon serviteur Joseph — promesses qui
devaient continuer tant qu'elle était dans le monde; et en ce qui concerne
Abraham et sa postérité, ils devaient continuer hors du monde. Ils
devaient continuer dans le monde et hors du monde aussi innombrables que
les étoiles; ou: si tu devais compter le sable au bord de la mer, tu ne
pourrais les énumérer. Cette promesse est également pour toi, parce que tu
es d'Abraham, et que la promesse fut faite à Abraham; et c'est par cette
loi que se perpétuent les œuvres de mon Père, dans lesquelles il se
glorifie. C'est pourquoi va, et fais les œuvres d'Abraham; entre dans ma
loi et tu seras sauvé. Mais si tu n'entres pas dans ma loi, tu ne peux
recevoir la promesse que mon Père fit à Abraham. Dieu donna un
commandement à Abraham, et Sara donna Agar pour femme à Abraham. Et
pourquoi fit-elle cela? Parce que telle était la loi. Et d'Agar sont issus
beaucoup d'hommes. Cela accomplissait donc, entre autres, les promesses
[351]. »
Ainsi donc, une descendance du peuple de l'alliance a pu avoir fait partie
du but de la polygamie. Cette Écriture confirme également notre
supposition que le mariage plural a joué des rôles multiples, puisqu’une
postérité juste est importante « entre autres ».
Certains membres de l’Église ont présumé que la polygamie visait ainsi à
assurer une plus grande descendance que le permettrait la monogamie. Il
n’en est pas forcément ainsi : la polygamie fut, comme nous l’avons vu, un
outil efficace pour faire le tri. Toute famille disposée à faire les
sacrifices accompagnant le mariage plural était dévouée sans réserves à
l'Évangile rétabli. Les enfants élevés dans un tel environnement ne
peuvent avoir eu aucun doute, dès leur plus jeune âge, concernant les
convictions de leurs parents. Cet effet n’a pu qu’être amplifié par le
fait que la plupart des dirigeants de l’Église étaient dans des unions
polygames.
Le mariage plural a donc servi à former une génération « acquise » en
dévotion à sa foi, tout en lui épargnant les persécutions physiques de
l'Ohio, du Missouri ou de l'Illinois. Les saints durent affronter la
question de savoir à quoi ils étaient le plus fidèles : à l’Église ou au
pays ? À Dieu ou à l'homme ? À la révélation ou aux conventions ? Le
mariage plural présentait ce choix en termes brutaux qui ne pouvaient pas
être évités, et les premiers membres ne reculèrent pas devant le choix.
Du point de vue sociologique
« L’institution de la polygamie a été la meilleure chose qui soit jamais
arrivée au mormonisme et la suppression de la polygamie par le
gouvernement fédéral a été la deuxième… » – Douglas H. Parker [352]. »
La pratique de la polygamie par l’Église fut connue du public en 1852.
Organisée 22 ans seulement plus tôt, l’Église était une confession jeune,
peu comprise et souvent vilipendée. Elle trouvait des convertis en
Nouvelle-Angleterre, au Canada, en Scandinavie, en Angleterre, en Écosse,
au Pays de Gales et ailleurs. Il était nécessaire que ce mélange de
nouveaux membres, qui parfois n’avait même pas la même langue en commun,
soit façonné en un groupe social ferme et durable.
Cela s’est réalisé de deux façons : l’isolement géographique dans le
bassin du lac Salé et des pratiques matrimoniales qui étaient odieuses
pour la plupart des Américains.
L'isolement géographique était devenu nécessaire pour la sûreté des
saints. Cependant, comme Terryl Givens l’a démontré en long et en large,
il y avait peu de choses à part leur théologie pour séparer les saints de
l’ensemble de la société américaine [353]. La polygamie a servi de ligne
de partage parfaite entre les « Gentils » et la « Sion » d’Amérique. Les
saints restèrent relativement isolés jusqu'à l’arrivée du chemin de fer en
Utah ; à ce stade-là leur statut de « culture » religieuse et sociale
distincte était assuré, étant donné qu'ils avaient passé la majeure partie
du demi-siècle précédent en conflit avec le gouvernement des États-Unis au
sujet de la polygamie. En outre, l'intensification de la « guerre contre
la polygamie » vers la fin des années 1800 garantit que l'arrivée du
chemin de fer ne provoquerait pas une assimilation soudaine.
Il ne faut pas regarder bien loin pour découvrir le sort d'une religion
dépourvue des deux isolants que furent le mariage plural et la géographie
: l’Église réorganisée de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.
Cette dissidence des « Brighamites » d’Utah partageait, au commencement,
la plupart des autres points de doctrine distinctives de l’Église,
notamment la croyance en l’appel de Joseph Smith comme prophète, l'origine
divine du Livre de Mormon et la nécessité du Rétablissement. Et pourtant,
aujourd'hui, l’Église réorganisée – maintenant la « Communauté du Christ »
ne se distingue plus guère, théologiquement parlant, du courant général du
protestantisme. Du point de vue théologique, elle a été graduellement
absorbée dans le « courant principal » américain, alors que les mormons
d’Utah ont conservé leur identité théologique séparée, en dépit du fait
qu’ils sont entrés dans le courant culturel général américain.
Il était cependant également important que le mariage plural cesse un jour
pour des raisons sociologiques semblables. Même si l'Utah avait réussi à
accorder une protection légale au mariage plural, cela aurait retardé
l'expansion et la croissance de l’Église dans d'autres régions. Le Canada
est un bon exemple d'un pays qui a rapidement pris des dispositions pour
mettre en application des décrets contre la polygamie à l'arrivée des
colons mormons. La loi canadienne est même allée jusqu’à spécifier les
membres de l’Église comme cibles législatives spécifiques [354]. La
polygamie avait atteint son objectif sociologique au moment du changement
de siècle et l'expansion mondiale devint plus faisable avec sa
suppression.
Épreuve abrahamique
« Nous nous plaignons parfois de nos épreuves : nous ne devons pas. Ce
sont des choses qui sont nécessaires pour notre perfection. Nous pensons
parfois que nous ne sommes pas traités d’une manière juste et je crois que
dans certains cas c’est à juste titre que nous le croyons. Nous pensons
que l’on ourdit des complots pour nous piéger et je crois que c’est à
juste titre. – John Taylor [355]. »
Une étude impartiale des sacrifices des saints pendant la période de la
polygamie ne saurait manquer de nous impressionner de leur dévouement.
Doctrine et Alliances 132 reconnaît d’emblée que ce qui était demandé
était un sacrifice immense : « Il fut commandé à Abraham d'offrir son fils
Isaac; néanmoins, il était écrit: tu ne tueras pas. Cependant, Abraham ne
refusa pas, et cela lui fut compté comme justice [356]. »
Le commandement de sacrifier Isaac est l'un des passages les plus
provocateurs de toute l'Écriture [357]. Il ne retient sans doute guère
l'intérêt de l'humaniste moderne si ce n’est comme étude de cas dans
l'excès religieux. Même les chrétiens modernes – dans ou hors de l’Église
– passent dessus peut-être trop légèrement. Nous nous empressons de nous
rassurer que Dieu n'a pas vraiment prévu qu'Isaac soit sacrifié et puis
nous nous dépêchons de faire le parallèle avec le sacrifice du Fils de
Dieu.
Or, dans notre hâte, nous passons à côté du fait que le sacrifice du
Christ avait une raison théologique logique, alors qu'Abraham n’avait pas
de justification de ce genre. Connaissant la fin de l'histoire, nous
sommes réconfortés par la présence du bélier dans le buisson, alors
qu'Abraham n'avait pas ce réconfort. Les saints des derniers jours, qui
croient qu'Abraham fut lui-même sauvé par Jéhovah alors qu’il était sur le
point d’être victime d’un sacrifice [358], devraient également se rendre
compte que le sacrifice d'Isaac exigeait qu'Abraham renonce à ce qui était
sans aucun doute un principe sacré de sa foi : « pas de sacrifice humain
».
Comme le philosophe Søren Kierkegaard l'a décrit dans son étude stimulante
de cette Écriture, « tout était perdu, plus terrible que si cela n'avait
jamais été ! … Par un miracle [Dieu] avait réalisé l’absurde [par la
naissance d'Isaac alors que Sara était âgée], maintenant il allait veiller
à ce que cela soit ramené au néant [359]. »
Kierkegaard met le doigt directement sur le problème-clef :
« Ce qui est [généralement] laissé de côté dans l’histoire d'Abraham c’est
l'angoisse ; car tandis que je n’ai aucun engagement vis-à-vis de l'argent
[que l’on me demande de sacrifier], le père a vis-à-vis d’un fils les
obligations les plus élevées et les plus sacrées… Moralement parlant, la
relation d’Abraham par rapport à Isaac est tout simplement que le père
doit aimer le fils plus que lui-même… une tentation est [habituellement]
quelque chose qui empêche une personne d'accomplir un devoir, mais ici la
tentation est la morale elle-même qui voudrait l’empêcher de faire la
volonté de Dieu [360]. »
Nous ne devons pas non plus attribuer cette doctrine à un simple caprice
de l'Ancien Testament, comme Jésus l’a bien dit [361]. Les saints furent
invités à tout mettre sur l'autel. Pour eux, « la foi était la tâche de
toute une vie, pas une technique que l’on pensait acquérir en quelques
jours ou quelques semaines [362]. » On ne leur demandait pas simplement de
renoncer à leurs péchés et à leurs faiblesses, auxquels n'importe qui
serait ravis de dire adieu. En plus de ces offrandes, ils devaient ensuite
y déposer leur réputation de rectitude et d'honnêteté, leurs droits
civiques et leur place dans la société américaine. Non seulement ils
devaient abandonner les fausses doctrines des autres confessions, mais ils
devaient donner l’impression de renoncer à des principes bien-aimés de
monogamie qui étaient considérés comme la base de la civilisation. Et
ensuite ils furent plus tard requis de mettre fin à la pratique pour
laquelle ils avaient tant donné. La réflexion de Helen Mar Whitney est
pertinente :
« Ceux qui n'ont pas la connaissance et l'assurance que la voie qu'ils
suivent est conforme à la volonté de Dieu ne peuvent pas supporter toutes
ces afflictions et toutes ces persécutions, acceptant avec joie le pillage
de leurs biens et même, si nécessaire, de souffrir la mort sous les coups
de leurs ennemis. Ils deviendront las et faibles et tomberont au bord de
la route s’ils n’ont pas en eux-mêmes une confiance inébranlable et une
connaissance parfaite. Ils ne peuvent pas faire le sacrifice de leur
réputation et abandonner leur maison, leurs terres, leurs frères, leurs
sœurs, les épouses et leurs enfants ; considérant tout comme du rebut par
comparaison avec la vie éternelle et l'exaltation, que notre Sauveur a
promises à ceux qui obéissent ; et cette connaissance ne s’obtient pas
sans lutte ni la gloire sans le sacrifice de toutes les choses terrestres.
[Nous lisons que] dans les derniers jours, le Seigneur rassemblera ses
saints qui ont fait l'alliance avec lui par le sacrifice et chacun doit
savoir que son sacrifice est accepté comme ce fut le cas des justes, Abel
et Abraham, le père des croyants. Tout saint des derniers jours sait que
ceci est vrai et nos bénédictions sont fonction de notre foi [363]. »
À la base, la polygamie demandait aux saints de « joindre le geste à la
parole ». Joseph était-il vraiment un prophète ou pas ? L'autorité
prophétique a-t-elle persisté ? Dieu pouvait-il vraiment parler par
révélation divine et indubitable à chacun individuellement ? La voix de
Dieu l’emportait-elle vraiment sur toutes les institutions et dans toutes
les circonstances ? Étaient-ils certains qu'ils pouvaient discerner cette
voix, même – ou particulièrement – quand quelque chose de contraire à leur
attente était exigé ?
Les actions des saints ont répondu par l'affirmative. Je n'envie pas
l'extrémité morale dans laquelle ils se sont trouvés. Je suis cependant
humblement respectueux devant leur maturité morale. Leur exemple me met
mal à l’aise – pas parce que je pense que je serai invité à reprendre le
mariage plural ou parce que je suis perturbé par leurs choix. Mais tous
les croyants doivent finalement imiter Abraham sur le mont Morija. Quel
bien vais-je finalement devoir laisser sur l'autel tout en me réjouissant
du seul Bien ?
NOTES
[1] Quand on parle de polygamie pendant la période de Nauvoo, il est
inexact de dire qu’elle a été pratiquée de manière répandue. La plupart
des spécialistes disent qu’il n’y eut pas plus de deux cents adultes qui
étaient au courant du principe ou qui l’appliquaient.
[2] Voir un exemple de ce genre de bévue dans Richard Van Wagoner, Mormon
Polygamy: A History, Salt Lake City, Signature Books, 1986, p. 3, où il
cite l’interdiction de la polygamie dans le Livre de Mormon, Jacob
2:23-27, sans mentionner le verset 30, qui nuance l’interdiction en
précisant que le Seigneur peut, dans certaines circonstances, décréter le
contraire. Le lecteur jugera pourquoi quelqu’un peut laisser de côté une
précision qui a) est clairement mentionnée dans le texte même qui est
cité, b) est relevé dans la plupart des traités mormons sur le sujet et c)
est connu de tout missionnaire mormon compétent. Même B. Carmon Hardy,
Solemn Covenant: The Mormon Polygamous Passage, Urbana et Chicago,
University of Illinois Press, 1992, p. 5, qui est bien moins porté sur le
sensationnel, signale que le Livre de Mormon “censurait la polygamie et le
concubinage” mais ne dit rien au sujet de la nuance apportée par le texte
concernant cette censure..
[3] Perle de Grand Prix, 12e Article de Foi.
[4] Je suis heureux des apports, des encouragements et de la critique
franche de ceux qui ont lu les premiers jets de ce manuscrit ou ont
discuté avec moi des sujets abordés, notamment Suzanne Armitage, Kevin
Barney, George Cobabe, David Farnsworth, Ken Kyle, Juliann Reynolds, David
Stewart, Allen Wyatt et d’autres non nommés. Je suis particulièrement
heureux et reconnaissant pour mon frère, Stephen E. Smith, qui, à ma
grande surprise, rédigeait justement un mémoire de maîtrise à la faculté
de droit de Harvard sur la législation contre la polygamie et ses
implications modernes. Il a mis à jour ma connaissance des questions
juridiques et j’ai exploité sans vergogne les recherches qu’il a
effectuées dans les sources originales. Tout ce qui est correct dans ma
compréhension des questions juridiques, je le dois à la formation qu’il
m’a donnée; toute erreur doit m’être imputée. D’autres personnes dont je
ne cite pas le nom m’ont beaucoup aidé à comprendre les questions traitées
et méritent plus de reconnaissance que je ne puis en exprimer ici. Les
interprétations et toute erreur n’incombent naturellement qu’à moi.
[5] Voir, par exemple, Stephen R. Gibson, One-Minute Answers to
Anti-Mormon Questions, Bountiful, Utah, Horizon Publishers, 1995 ; Joseph
Fielding McConkie, Answers: Straightforward Answers to Tough Gospel
Questions, Salt Lake City, Deseret Book Company, 1998, pp. 27-28; Stephen
E. Robinson, Are Mormons Christians?, Salt Lake City, Bookcraft, 1991, pp.
90-96; Gilbert W. Scharfs, The Truth About « The Godmakers »: A Response
to an Inaccurate Portrayal of The Church of Jesus Christ of Latter-day
Saints, Salt Lake City, Publishers Press, 1986, John A. Widtose, Evidences
and Reconciliations, arrangé par G. Homer Durham, Salt Lake City,
Bookcraft, 1960, pp. 340-344, 390-393. Voir aussi le débat entre Orson
Pratt et John Philip Newman, « Does the Bible Sanction Polygamy? » Deseret
News, 12-14 août 1874.
[6] Voir, par exemple, Michael Fordham et Ben McGuire, « A Contradiction
Between Jacob 2:24 and Doctrine and Covenants 132:39? », FAIR, 23 mars
2003; dernière consultation 25 mars 2005.
[7] Orson Pratt et John Philip Newman, « Does the Bible Sanction Polygamy?
» Deseret News, 12-14 août 1874.
[8] Perle de Grand Prix, 12e Article de Foi.
[9] B. Carmon Hardy, Solemn Covenant: The Mormon Polygamous Passage,
Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1992, pp. 12-14.
[10] James B. Allen et Glen M. Leonard, Story of the Latter-day Saints,
Salt Lake City, Deseret Book Company, 1992, p. 401.
[11] Ernest L. Wilkinson, « The Changing Nature of American Government
from a Constitutional Republic to a Welfare State », BYU Student Body
Address, 21 avril 1966; transcription dans BYU Speeches of the Year -
1966, Provo, Utah, Brigham Young University Press, 1966.
[12] Henry David Thoreau, Resistance to Civil Government, 1849.
[13] Voir John Taylor, « The Rights of Mormonism », Journal of Discourses,
rapport par G.D. Watt 30 août 1857, Vol. 5, Londres, Latter-day Saint's
Book Depot, 1857, pp. 182-192.
[14] Mohandas 'Mahatma' Gandhi, « Speech at Ras, March 18, 1930 »,
Navajivan, 23 mars 1930.
15 Mohandas 'Mahatma' Gandhi, Young India, 28 avril 1920, pp. 7-8.
[16] Id., 5 janvier 1922, p. 5.
[17] Première Présidence, John Taylor et George Q. Cannon, « Epistle to
Saints in Semi-Annual Conference, October 6, 1886 », Messages of the First
Presidency, publié par James R. Clark, Vol. 3, Salt Lake City, Bookcraft,
1966, p. 72.
[18] Doctrine et Alliances 58:19-21.
[19] John Taylor, « Reason of Investigation », Journal of Discourses,
rapport par John Irvine 20 février 1884, Vol. 26, Londres, Latter-day
Saint's Book Depot, 1886, p. 350; cité dans Donald Q. Cannon, éditor,
Latter-day Prophets and the United States Constitution., Provo, Utah,
Religious Studies Center, Brigham Young University, 1991, p. 63.
[20] Boyd K. Packer, « Our Moral Environment », Ensign, mai 1992, p. 66.
[21] Doctrine et Alliances 101:77-78.
[22] Mohandas 'Mahatma' Gandhi, Speeches and Writings of Mahatma Gandhi,
4e édition, G.A. Natesan & Company, Madras, 1933, p. 465.
[23] John Taylor « The Gospel's Restoration », Journal of Discourses,
rapport par George F. Gibbs, 9 avril 1882, Vol. 23, Londres, Latter-day
Saint's Book Depot, 1883, p. 63; cité dans Cannon pp. 56-57.
[24] James E. Talmage, Les articles de foi, édition française 1962, p.
513.
[25] John Taylor, « Persecution in Arizona », Journal of Discourses,
rapport par John Irvine 1 février 1885, Vol. 26, Londres, Latter-day
Saint's Book Depot, 1886, pp. 154-155; cité dans Cannon p. 66.
[26] Hardy, Solemn Covenant p. 45, citant Journal de Wilford Woodruff,
publié par Scott G. Kenney, 9 vols., Midvale, Utah, Signature Books,
1983-1985, 6:518-519, 9 janvier 1870.
[27] R. Collin Mangrum, « Mormonism, Philosophical Liberalism, and the
Constitution », BYU Studies 27:3, été 1987, p. 131.
[28] Dred Scott v. Sandford, 60 U.S. 393, 1857. Dernière consultation 15
mai 2005.
[29] On trouvera un traitement de cet aspect et d’autres de la philosophie
de la désobéissance civile dans Peter Suber, « Civil Disobedience »,
Philosophy of Law: An Encyclopedia, publié par Christopher B. Gray, New
York, Garland Publishing, 1999, pp. 113. , dernière consultation 15 mai
2005.
[30] Doctrine et Alliances, Déclaration Officielle – 1.
[31] Wilford Woodruff, conference du pieu de Cache, Logan, Utah, dimanche,
1 novembre 1891; rapporté dans Deseret Weekly, novembre 14, 1891; cité
dans Doctrine et Alliances, Déclaration Officielle 1.
[32] Gustive O. Larson, The « Americanization » of Utah for Statehood, San
Marino, Californie, Huntington Library, 1971, 60 n. 61; cité par Firmage,
« Enduring Questions », note de bas de page 3.
[33] Cet épisode marqua un tournant dans l’attitude des saints des
derniers jours vis-à-vis de Lincoln; voir Donald Q. Cannon, Richard O.
Cowan et Arnold K. Garr, « Lincoln, Abraham » Encyclopedia of Latter-day
Saint History, Salt Lake City, Deseret Book Company, 2000, citant George
U. Hubbard, « Abraham Lincoln as Seen by the Mormons », Utah Historical
Quarterly 31, printemps 1963, pp. 91-108.
[34] Richard Van Wagoner, Mormon Polygamy: A History, Salt Lake City,
Signature Books, 1986, p. 130.
[35] Mohandas 'Mahatma' Gandhi, Young India, 24 mars 1920, p. 4
[36] On trouvera des exemples détaillés dans les trois premiers chapitres
de Cannon, Latter-day Prophets and the United States Constitution, ouvr.
cité
[37] Lawrence v. Texas, 539 U.S. 558, 2003), dernière consultation 15 mai
2005.
[38] Daniel 6:1-3.
[39] Daniel 6:7-17.
[40] John Taylor, « The Temples in Course of Erection, Etc. », Journal of
Discourses, rapport par George F. Gibbs 30 novembre 1879, Vol. 20,
Londres, Latter-day Saint's Book Depot, 1880, p. 355.
[41] Lawrence v. Texas, id.
[42] John Stuart Mill, « On Liberty », Chapitre 4: On the Limits to the
Authority of Society over the Individual, 1859, dernière consultation 24
mai 2005.
[43] Id.
[44] George D. Smith, « Nauvoo Roots of Mormon Polygamy, 1841-46: A
Preliminary Demographic Report », Dialogue: A Journal of Mormon Thought
27:1, printemps 1994, 12, pp. 15-16.
[45] Van Wagoner, Mormon Polygamy, p. 48, citant Whitney, Plural Marriage,
p. 11.
[46] Id., citant Robinson, Journal, pp. 23-24.
[47] Id.
[48] George A. Smith, « Gathering and Sanctification of the People of God
», Journal of Discourses, rapport par G.D. Watt 18 mars 1855, Vol. 2,
Londres, Latter-day Saint's Book Depot, 1855, p. 217.
[49] Joseph aurait dit à John Taylor que « l’Eglise ne pouvait pas
continuer tant que ce principe n’était pas établi ». – Smith, « Nauvoo
Roots of Mormon Polygamy », p. 13, citant Joseph Smith à John Taylor à
Nauvoo, entre mars 1842 et février 1846, Mary Isabella Hales Horne,
Autobiography, pp. 10-11, Utah State Historical Society.
[50] Joseph Smith, Lettre écrite à la prison de Liberty à Isaac Galland,
22 mars 1839, Times and Seasons 1er février 1840, cité dans Ronald K.
Esplin, « Joseph Smith's Mission and Timetable: 'God Will Protect Me until
My Work Is Done'« Prophet Joseph: Essays on the Life and Mission of Joseph
Smith, publié par Susan Easton Black et Larry C. Porter, Salt Lake City,
Deseret Book Company 1988, p. 303.
[51] Journal de Wilford Woodruff, 19 décembre 1841, 2:142; cité dans
Esplin, pp. 302-303.
[52] Joseph Smith Diary, 11 juin 1843; cité dans Esplin, p. 303.
[53] George A. Smith, « Gathering and Sanctification », Journal of
Discourses, 2:215.
[54] Van Wagoner, Mormon Polygamy, p. 17.
[55] Hardy, Solemn Covenant, p. 367, citant Emma Smith, dans le journal
personnel de William Clayton à Nauvoo, 15 août 1844.
[56] Van Wagoner, Mormon Polygamy, pp. 74-76.
[57] Danel W. Bachman, « A Study of the Mormon Practice of Polygamy Before
the Death of Joseph Smith », 1975, mémoire de maîtrise non publié,
université de Purdue, exemplaire en la possession de l’auteur, p. 57,
citant August J. Crocheron, Representative Women of Deseret, A Book of
Biographical Sketches, To Accompany the Pictures of the Same Title, Salt
Lake City, J.C. Graham and Company, 1884, p. 26.
[58] Van Wagoner, Mormon Polygamy, p. 59.
[59] Smith, « Nauvoo Roots of Mormon Polygamy », p. 26, citant Jane Snyder
Richards, « Reminiscences », p. 18.
[60] Wilford Woodruff, « Inventions Opposed by Public Opinion », Journal
of Discourses, rapport par John Irvine 6 janvier 1884, Vol. 25, Londres,
Latter-day Saint's Book Depot, 1884, p. 9.
[61] Voir Terryl L. Givens, The Viper on the Hearth: Mormons, Myths, and
the Construction of Heresy, New York, Oxford University Press, 1997, pp.
171-172, note 19, qui montre que Beadle est l’auteur et potentiellement le
rédacteur réel d’un certain nombre d’ouvrages antimormons rabiques.
[62] J.H. Beadle, « The Mormon Theocracy », éditorial, Scribner's Monthly
14:3, juillet 1877, p. 392; cité par Givens, Viper on the Hearth, p. 51.
[63] Todd M. Compton, In Sacred Loneliness: The Plural Wives of Joseph
Smith, Salt Lake City, Signature Books, 1997, p. 549.
[64] « Joe. Smith–The Presidency », Nauvoo Expositor, 7 juin 1844,
italiques dans l’original.
[65] Francis M. Higbee, « Citizens of Hancock County », Nauvoo Expositor,
7 juin 1844.
[66] Dallin H. Oaks, « The Suppression of the Nauvoo Expositor », Utah Law
Review 9, 1965, pp. 862-903.
[67] Voir Richard L. Anderson, « Joseph Smith's Final Self-Appraisal »,
Prophet Joseph: Essays on the Life and Mission of Joseph Smith, publié par
Susan Easton Black et Larry C. Porter, Salt Lake City, Deseret Book
Company, 1988, p. 322. Note de bas de page 12 : « Dans son discours du 26
mai 1844, Joseph Smith nia des rumeurs précises mais ne nia pas qu’il
avait eu une révélation sur le mariage plural et qu’il avait commencé
cette pratique. Plus tard, l’Expositor publia des détails de la
révélation, mais encore une fois, le prophète ne dit rien en public pour
les réfuter. »
[68] Orson Hyde, « The Marriage Relations », Journal of Discourses,
rapport par G.D. Watt, 6 octobre 1854, Vol. 2, Londres, Latter-day Saint's
Book Depot, 1855, p. 75.
[69] Genèse 12:11-20.
[70] Genèse 26:6-16.
[71] Exode 1:16-19.
[72] Exode 3:17.
[73] Exode 3:18
[74] Exode 3:21-22.
[75] Voir aussi Exode 11:2; 12:35-36.
[76] Voir Exode 8:25, 28; 10:8, 24
[77] Exode 10:28.
[78] Exode 14:5-8.
[79] Dallin H. Oaks, « Gospel Teachings About Lying », discours de veillée
à BYU, 12 septembre 1993, document dactylographié, pages non numérotées
copie en la possession de l’auteur.
[80] Id.
[81] Id.
[82] Id.
[83] Doctrine et Alliances 1:19-20.
[84] Joseph Smith, Enseignements du prophète Joseph Smith, sur Idumea.
[85 Mohandas 'Mahatma' Gandhi, Harijan, 18 mars 1939, p. 53.
[86] Lorenzo Snow, « The Iowa Journal of Lorenzo Snow Edited and with an
Introduction by Maureen Ursenbach Beecher », BYU Studies 24, été 1984, p.
265.
[87] Van Wagoner, Mormon Polygamy, p. 82.
[88] Brigham H. Roberts, Comprehensive History of the Church, Provo, Utah,
Brigham Young University Press, 1965, 4:58.
[89] Dallin H. Oaks, « Gospel Teachings About Lying ».
[90] Douglas H. Parker, « Victory in Defeat-Polygamy and the Mormon Legal
Encounter with the Federal Government », Cardozo Law Review 12, 1991, p.
818.
[91] Givens, Viper on the Hearth, p. 20, citant Daniel Dunklin, lettrre en
date du 6 juin 1834, imprimée dans le Missouri Intelligencer and Boon's
Lick Advertiser, 21 juin 1834.
[92] J.H. Beadle, « The Mormon Theocracy », éditorial, Scribner's Monthly
14:3, juillet 1877, p. 391; cité par Givens, Viper on the Hearth, p. 20.
[93] John Taylor, « The Rights of Mormonism », p. 189.
[94] John Taylor, « The Confidence of the Saints, Etc. », Journal of
Discourses, rapport par G.D. Watt 10 octobre 1863, Vol. 10, Londres,
Latter-day Saint's Book Depot, 1865, p. 258.
[95] Wilford Woodruff, « Blessings of Righteous », Journal of Discourses,
rapport par G.D. Watt 22 janvier 1865, Vol. 11, Londres, Latter-day
Saint's Book Depot, 1867, p. 60.
[96] Wilford Woodruff, « The Signs of the Coming of the Son of Man, Etc.
», Journal of Discourses, rapport par David W. Evans 12 janvier 1873, Vol.
15, Londres, Latter-day Saint's Book Depot, 1873, p. 280.
[97] Révélation à Wilford Woodruff le 25 janvier 1880, notée dans Journal
de Wilford Woodruff, publié par Scott G. Kenney, 9 vols., Midvale, Utah,
Signature Books, 1983-1985, 9:463.
[98] Wilford Woodruff, « Inventions Opposed by Public Opinion », Journal
of Discourses, rapport par John Irvine 6 janvier 1884, Vol. 25, Londres,
Latter-day Saint's Book Depot, 1884, p. 8.
[99] Première Présidence, John Taylor et George Q. Cannon, « Epistle to
Saints in Semi-Annual Conference, October 6, 1886 », Messages of the First
Presidency, publié par James R. Clark, Vol. 3, Salt Lake City, Bookcraft,
1966, pp. 74-75.
[100] Wilford Woodruff Journal, 31 décembre 1889; cité dans Van Wagoner,
Mormon polygamy, p. 139.
[101] Givens, Viper on the Hearth, pp. 39, 42, citant Warren Foote,
Autobiography of Warren Foote, document dactylographié [n.p., n.d.],
Département d’histoire de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours, Salt Lake City.
[102] Richard Dilworth Rust, « Review of Dean C. Jessee, ed. The Papers of
Joseph Smith », BYU Studies 33, 1993, p. 343.
[103] John Stuart Mill, « On Liberty », Chapitre 4: On the Limits to the
Authority of Society over the Individual, 1859, dernière consultation 24
mai 2005.
[104] Deseret News, 13 octobre 1880; cité dans Van Wagoner, Mormon
Polygamy, p. 116.
[105] Thomas De Witt Talmage, « Were the Prayers for President Garfield a
Failure? », The Brooklyn Tabernacle, A Collection of 104 Sermons, New
York, Funk and Wagnalls, 1884, p. 37, sermon du 2 octobre 1881, cité dans
Givens, Viper on the Hearth, p. 40.
[106] Hardy, Solemn Covenant p. 41, citant Phillips, The Mormon Menace,
pp. 2, 8, 10-11.
[107] Je suis redevable pour ceci à Stephen Eliot Smith, « The 'Mormon
Question' Revisited: Anti-polygamy Laws and the Free Exercise Clause »,
2005, thèse de doctorat de droit non publiée, faculté de droit de Harvard,
document en ma possession.
[108] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 216.
[109] Givens, Viper on the Hearth, p. 37.
[110] Voir, par exemple, l’éditorial de John Taylor, cité dans Brigham H.
Roberts, The Life of John Taylor: Third President of the Church of Jesus
Christ of Latter-day Saints, édition de 1975, Salt Lake City, Bookcraft,
1892, pp. 261-262.
[111] Van Wagoner, Mormon Polygamy, pp. 86-87.
[112] Congressional Globe, 35e Congrès, 1e Session 5, 1857, cité par
Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », p. 29.
[113] Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », p. 27, citant
Congressional Globe, 33e Congrès, 1e Session 1101, 1854, déclaration du
député Caleb Lyon de New York.
[114] Thomas Hudson McKee, dir. de publ. The National Conventions and
Platforms of All Political Parties 1789 to 1904, 5e éd. rév., Baltimore,
MD, The Friedenwald Company, 1904, p. 98; cité par Smith, « The 'Mormon
Question' Revisited », p. 28.
[115] Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », p. 29, citant Lyn
Ragdale, Vital Statistics on the Presidency: Washington to Clinton, éd.
rév., Washington, D.C., Congressional Quarterly, 1998, p. 102.
[116] Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », pp. 27-28, citant
Polygamy in the Territorities,(sic)of the United States, House of
Representatives Report Number 36-83, 1860, p. 2. Smith note que l’orateur
déforme le texte du Premier Amendement. Italiques ajoutés.
[117] Edwin Brown Firmage et Richard Collin Mangrum, Zion in the Courts: a
Legal History of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints,
1830-1900, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1988, p. 133,
citant Congressional Globe 1860, appendice, p. 194.
[118] Jeffrey D. Nichols, Prostitution, Polygamy, and Power: Salt Lake
City, 1847-1918, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 2002,
Chapitre 1, citant Dubois, Dubois's Making of a State, p. 48; cité dans
Lyman, Political Deliverance, pp. 38-39, n. 42., dernière consultation 15
mai 2005.
[119] Ralph Waldo Emerson, The Journals and Miscellaneous Notebooks,
publié par Susan Sutton Smith et Harrison Hayford, Cambridge, Mass.,
Harvard University Press, 1978, 14:204-205; cité par Givens, Viper on the
Hearth, p. 145.
[120] Voir: Edwin B. Firmage, « The Judicial Campaign against Polygamy and
the Enduring Legal Questions », BYU Studies, 27:3, été 1987, pp. 91-113;
Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, ouvr. cité; Richard D. Poll, « The
Legislative Anti-Polygamy Campaign », BYU Studies 26:4, automne 1986, pp.
107-119; R. Collin Mangrum, « Mormonism, Philosophical Liberalism, and the
Constitution », BYU Studies 27:3, été 1987, pp. 119-135; et Smith « The
'Mormon Question' Revisited », ouvr. cité
[121] Congressional Globe, 34th Congrès, 1e session, 1491; cité par Poll,
« Legislative Campaign », p. 108.
[122] Frances Olsen, « Socrates on Legal Obligation: Legitimation Theory
and Civil Disobedience », Georgia Law Review 18, 1984, p. 961.
[123] Poll, « Legislative Campaign », p. 109, citant House Reports, 39th
Congrès, 1e session, n° 83, 1860.
[124] Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », pp. 32-33, citant
Congressional Globe, 37e Congrès, 2e Session 2769, 1862, déclaration du
député John S. Phelps du Missouri, citant aussi id., 2906: La note de bas
de page de Smith dit: « À cette époque-là, Santa Fe se trouvait dans le
Territoire du Nouveau-Mexique… Le député Morrill signala que mes biens
catholiques étaient protégés par des stipulations de traité avec le
Mexique et étaient donc exemptés de la section 3 de la Loi ».
[125] Congressional Globe, 36e Congrès, 1e Session 198, 1860, déclaration
du député William E. Simms, italiques ajoutés, cité par Smith, « The
'Mormon Question' Revisited », pp. 33-34.
[126] Congressional Globe 1860, p. 1496; cité par Firmage et Mangrum, Zion
in the Courts, p. 134.
[127] Congressional Globe, 36e Congrès, 1e Session 1500, 1860, cité par
Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », p. 34, italiques ajoutés.
[128] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, pp. 132-133
[129] Congressional Globe 1860, appendice, p. 198; cité par Firmage et
Mangrum, Zion in the Courts, p. 135.
[130] Poll, « Legislative Campaign », pp. 110-114.
[131] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, pp. 141, 216.
[132] Givens, Viper on the Hearth, p. 30.
[133] Id., p. 118.
[134] Mangrum, « Mormonism, Liberalism, Constitution », p. 130, citant
Reynolds v. United States, 98 U.S., Otto, pp.145, 164, 165, 1879.
[135] Id., citant Lawrence Tribe, American Constitutional Law, Mineola,
New York, Foundation Press, 1978, p. 838 n. 13.
[136] Laurence H. Tribe, American Constitutional Law, Mineola, New York,
Foundation Press, 1978, p. 854; cité par Firmage, « Enduring Questions »,
p. 95.
[137] Il y eut des discours répétés sur ce thème pendant la période de la
polygamie ; voir Donald Q. Cannon, dir. de publ., Latter-day Prophets and
the United States Constitution, Provo, Utah, Religious Studies Center,
Brigham Young University, 1991, pp. 14-79.
[138] Mangrum, « Mormonism, Liberalism, Constitution », 130, citant
Wisconsin v. Yoder, 406 U.S. 205, 220, 1972. Mangrum donne par erreur la
date de 1977 au lieu de 1972 à Yoder.
[139] Employment Div., Dep't of Human Res. v. Smith, 494 U.S. 872, 1990,
reh'g denied, 496 U.S. 881, 888, 1990. Le sujet est traité dans Smith, «
The 'Mormon Question' Revisited », pp. 105-107.
[140] Todd M. Gillett, The Absolution of Reynolds: The Constitutionality
of Religious Polygamy, Wm. & Mary Bill of Rights Journal 8:497, 521, 2000,
cité par Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », p. 99.
[141] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 155.
[142] Poll, « Legislative Campaign », p. 114.
[143] Voir, par exemple, John Taylor, « Polygamy and Prostitution, etc ».
Journal of Discourses, rapport par John Irvine 19 octobre 1884, Vol. 25,
Londres, Latter-day Saint's Book Depot, 1884, p. 360: « Ce qu’il y a de
plus grave, c’est que l’on cherche à pallier ces crimes par une
législation injuste faite ostensiblement pour punir les délits, mais en
réalité pour pervertir la justice et protéger le mensonge, les chicaneries
et les intrigues. Nous avons une administration locale qui fait passer des
serments tests pour essayer de couvrir le crime de leurs amis et protéger
les prostituées, les fornicateurs et les adultères et faire en sorte qu’un
délit qui n’est déclaré nulle part comme tel le soit par le Tout-Puissant
».
[144] Id., p. 165. Le problème posé par le fait que la loi Edmunds était
une loi ex post facto et un décret de confiscation des biens et de mort
civile fut soulevé dans un débat au sénat par les sénateurs John T. Morgan
de l’Alabama, lequel dit des auteurs du projet de loi qu’ils étaient «
animés par la folie » et George G. Vest du Missouri : Voir David Buice, «
A Stench in the Nostrils of Honest Men: Southern Democrats and the Edmunds
Act of 1882 », Dialogue: A Journal of Mormon Thought 21:3, automne 1988,
pp. 107-108.
[145] Buice, pp. 110-111.
[146] Poll, « Legislative Campaign », p. 114.
[147] On trouvera, dans Buice, pp. 100-113, un traitement des
préoccupations des législateurs sudistes, en dépit de leur répugnance
vis-à-vis de la polygamie, à propos de ce que représentait la législation
contre la polygamie.
[148] Buice, p. 107.
[149] 114 U.S. 15, 1885
[150] Stephen E. Smith, courriel personnel à l’auteur, 12 mai 2005, Je
suis de nouveau redevable à M. Smith de son aide dans l’analyse juridique
; toute erreur restante est de moi.
[151] 114 U.S. 15 à 38, 1885
[152] Poll, « Legislative Campaign », p. 114.
[153] 15 Congressional Record 23, 1883, cité par Smith, « The 'Mormon
Question' Revisited », p. 56.
[154] Poll, « Legislative Campaign », p. 115.
[155] McKee, National Conventions and Platforms, pp. 213-214; cité par
Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », pp. 56-57.
[156] Firmage, « Enduring Questions », p. 38, citant Orma Linford, « The
Mormons and the Law: The Polygamy Cases », Utah Law Review 9, 1964, p.
348.
[157] Sarah Barringer Gordon, The Mormon Question: Polygamy and
Constitutional Conflict in Nineteenth-Century America, Chapel Hill,
Caroline du Nord, University of North Carolina Press, 2002, pp. 155-158;
cité par Smith, « The 'Mormon Question' Revisited », p. 53.
[158] Voir Allen et Leonard, Story of the Latter-day Saints pp. 402-407;
Melvin L. Bashore, « Life Behind Bars: Mormon Cohabs of the 1880s », Utah
Historical Quarterly 47, hiver 1979, pp. 22-41; Brigham H Roberts,
Comprehensive History of the Church 6:111-132.
[159] Firmage, « Enduring Questions », p. 105.
[160] Id., pp. 102-105.
[161] Id., p. 102.
[162] Id., p. 103.
[163] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 175, citant United States
v. Musser, P. 7:391; les efforts des dirigeants de l’Église pour faire des
compromis sont traités ci-dessous.
[164] Firmage, « Enduring Questions », p. 98, citant United States v. Peay,
5 Utah 263, 14 342, 344, 1887.
[165] Id.
[166] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, 166, citant Congressional
Record 13, 1882, p. 1207.
[167] Hardy, Solemn Covenant, p. 50.
[168] Firmage, « Enduring Questions », p. 99.
[169] Id., pp. 100-101.
[170] Frances Olsen, « Socrates on Legal Obligation: Legitimation Theory
and Civil Disobedience », Georgia Law Review 18, 1984, p. 951.
[171] Id., traitement à la p. 953.
[172] David Daube, Civil Disobedience in Antiquity 5-10, 1972, p. 4; cité
par Olsen, p. 960.
[173] Poll, « Legislative Campaign », 118, citant « An Act to Provide for
Holding Elections », Idaho, Section 16 of Thirteenth Session Laws,
1884-85, p. 110.
[174] Deseret Weekly News, 11 janvier 1890, cité par Kenneth W. Godfrey, «
The Coming of the Manifesto », Dialogue: A Journal of Mormon Thought 5,
automne 1970, p. 18.
[175] Poll, « Legislative Campaign », p. 118.
[176] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 202.
[177] Poll, « Legislative Campaign », p. 117.
[178] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 201.
[179] Poll, « Legislative Campaign », p. 119.
[180] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 202.
[181] Poll, « Legislative Campaign », p. 119.
[182] Hardy, Solemn Covenant, p. 49, citant Joy Lynn Wood Wetzel, « The
Patriotic Priesthood: Mormonism and the Progressive Paradigm », thèse de
doctorat, Université du Minnesota, 1977, p. 100.
[183] 13 Congressional Record 28, p. 1207, 1882, cité par Smith, « The
'Mormon Question' Revisited », pp. 48-49.
[184] Id., pp. 1204-1205; cité par Smith, « The 'Mormon Question'
Revisited », pp. 48-49.
[185] Buice, pp. 105-108.
[186] 13 Congressional Record 28, 1882, 1208; cité par Smith, « The
'Mormon Question' Revisited », pp. 48-49.
[187] 18 Congressional Record 592, 1887, déclaration du député Lucien B.
Caswell du Wisconsin, cité par Smith, « The 'Mormon Question' Revisited »,
p. 57.
[188] 17 Congressional Record 509, 1886, cité par Smith, « The 'Mormon
Question' Revisited », p. 58.
[189] Firmage et Mangrum, Zion in the Courts, p. 211.
[190] Firmage, « Enduring Questions », pp. 107-108, citant 19
Congressional Record 9231, 1888.
[191] Firmage, « Enduring Questions », p. 108.
[192] Id.
[193] Givens, Viper on the Hearth, p. 41.
[194] Dallin H. Oaks et Marvin S. Hill, Carthage Conspiracy: The Trial of
the Accused Assassins of Joseph Smith, Urbana et Chicago, University of
Illinois Press, 1975.
[195] Givens, Viper on the Hearth, p. 41.
[196] Id., p. 36.
[197] Id., p. 42.
[198] Gordon C. Thomasson, « The Manifesto was a Victory! » Dialogue: A
Journal of Mormon Thought 6:1, printemps 1971, p. 43.
[199] Id., p. 36.
[200] On trouvera de plus amples renseignements dans B.H. Roberts, Life of
John Taylor: Third President of the Church of Jesus Christ of Latter-Day
Saints, Salt Lake City, Bookcraft, 1975[1892], pp. 377-409.
[201] Doctrine et Alliances 6:22-23; 8; 9.
[202] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », pp. 28-29, citant
Abraham H. Cannon, Diary, 29 septembre 1887.
[203] Id., citant Heber J. Grant, Journal, 29 septembre 1887.
[204] Id., p. 35, citant Minutes of the Quorum of the Twelve Apostles, 20
décembre 1888; Heber J. Grant, Journal, 20 décembre 1888.
[205] Id., pp. 35-36, citant Wilford Woodruff, Diary, 20 décembre 1888;
First Presidency Office Journal, 20 décembre 1888, copie dans Conference
Report 1/48.
[206] Id., p. 38, citant George Q. Cannon, Diary, pp. 23-24 novembre 1889,
copie dans Conference Report 1/48; aussi First Presidency Office Journal,
24 novembre 1889, copie dans Conference Report 1/48.
[207] Révélation à Wilford Woodruff, 24 novembre 1889, notée dans Journal
de Wilford Woodruff: 1889-1898, publié par Scott G. Kenney, Vol. 9,
Midvale, Utah, Signature Books, 1985, pp. 68-69, le texte entre accolades
est de L. John Nuttall Journal, 27 novembre 1889, Brigham Young University,
Special Collections, Mor M270. 1 N963 V. 3, pp. 106-107. Se trouve aussi
dans Clark, Messages of the First Presidency 3:175-176. Des parties sont
aussi citées dans Quinn, « Authority and New Plural Marriages », p. 36,
citant George Q. Cannon, Diary, pp. 23-24 novembre 1889, copie dans
Conference Report 1/48; also First Presidency Office Journal, 24 novembre
1889, copie dans Conference Report 1/48.
[208] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », pp. 38-39.
[209] Journal de Wilford Woodruff: 1889-1898, 9: 69.
[210] Abraham H. Cannon Diary, 10 avril 1890; cité par Godfrey, « Coming
of the Manifesto », p. 19.
[211] Brigham H. Roberts, Comprehensive History of the Church, Provo,
Utah, Brigham Young University Press, 1965, 6:223, citant Deseret News
Weekly, 18 octobre 1890.
[212] Godfrey, « Coming of the Manifesto », p. 15.
[213] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », pp. 39-40, citant
Deseret Evening News, 1, 15 et 29 juillet, 5 août 1890.
[214] Id., p. 42, citant Retrospective entry in Brigham Young, Jr., Diary,
24 septembre 1891.
[215] Id., p. 42, citant Abraham H. Cannon, Diary, 30 août, 1 septembre
1890; Utah Supreme Court case of U.S. v. the Late Corporation of the
Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, transcription of testimony,
12, 21, 23, Microfilm 695, LDS Church Archives; Heber J. Grant, Journal,
23 juillet 1888.
[216] Id., p. 41.
[217] Id., p. 36.
[218] Id., p. 31.
[219] Id., p.36, citant First Presidency Office Journal, 2 octobre 1889,
copie dans Conference Report 1/48.
[220] Id., p.39, citant Alexander F. Macdonald Marriage Record, 1888-90.
[221] Id., p.46 montre que nous avons des enregistrements d’au moins 30
mariages de personnes d’Utah.
[222] Id., p.43, citant Deseret Evening News, 23 septembre 1890,
éditorial.
[223] Id., p.39, citant Salt Lake Tribune, 14 septembre 1890, 2.
[224] Id., p.42.
[225] Comme je le relève ailleurs dans cet article, ils le faisaient
croyant qu’ils avaient un devoir plus grand envers Dieu et envers leurs
alliances que le devoir moral d’être francs avec ceux qu’ils considéraient
comme étant en guerre contre eux et leur religion.
[226] Id., p.43-44, citant la déclaration de John R. Winder, réunion des
servants du temple du 6 juillet 1902, Salt Lake Temple Historical Record,
1893-1918, Book 71, LDS Church Archives et la déclaration presque
identique qu’il fait le même jour lors d’une réunion de la Première
Présidence et du Collège des Douze, comme rapporté dans Rudger Clawson,
Diary, 6 juillet 1902, Université d’Utah.
[227] Id., p.44-45.
[228] Id., p.44, citant George Q. Cannon, Diary, 24 septembre 1890, copie
dans Conference Report 1/48; Wilford Woodruff, Diary, 25 septembre 1890,
Franklin S. Richards, « Address Delivered by President Franklin S.
Richards to the High Priests Quorum of Ensign Stake, Sunday novembre 13,
1932 », dans Richards Papers, LDS Church Archives.
[229] Id., citant Joseph H. Dean, Diary, 24 septembre 1890.
[230] George Q. Cannon, « History Behind the Issuance of the Manifesto »,
6 octobre 1890; rapporté dans Collected Discourses: delivered by Wilford
Woodruff, his two counselors, the twelve apostles, and others, Vol. 2,
édité et compilé par Brian H. Stuy, Woodland Hills, Utah, B.H.S.
Publishing, 1988, p. 132
[231] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », p. 82, citant First
Presidency Office Journal, 20 août 1891, copie dans Conference Report
1/48.
[232] Id., p.46-47, citant Heber J. Grant, Journal, 30 septembre-1 octobre
1890. Aussi, Abraham H. Cannon, Diary, 26 septembre, 30 septembre-1
octobre 1890.
[233] Doctrine et Alliances 107:23-24.
[234] Doctrine et Alliances 107:27.
[235] Déclaration Officielle 1, paragraphe 4-5.
[236] Déclaration Officielle 2, paragraphe 2.
[237] Hardy, Solemn Covenant, p. 140.
[238] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », p. 47, citant Abraham
H. Cannon, Diary, 2 octobre 1890, italiques ajoutés ; aussi, Heber J.
Grant, Journal, 2 octobre 1890, et George Q. Cannon, Diary, 6 octobre
1890, copie dans Conference Report 1/48.
[239] Voir le traitement dans Hardy, Solemn Covenant, p. 148, citant « A
Utah Commissioner's Perversions », Deseret News, 1 octobre 1890.
[240] Id., citant George Q. Cannon, « Remarks... », Deseret Weekly, 18
octobre 1890.
[241] Déclaration Officielle 1, paragraphes 17-18, citant Conférence du
pieu de Cache, Logan, Utah, dimanche, 1er novembre 1891, rapporté dans
Deseret Weekly, 14 novembre 1891.
[242] On se rappellera que le Seigneur commanda à Moïse d’avoir recours à
une tactique du même genre, comme rapporté dans Exode 3:17 22, où l’on
voit que les enfants d’Israël devaient dire qu’ils ne quittaient l’Égypte
que peu de temps et devaient « emprunter » des biens à leurs voisins
égyptiens.
[243] Déclaration Officielle 1, paragraphe 19, citant un discours prononcé
à la sixième session de la consécration du temple de Salt Lake City, avril
1893. Document dactylographié du service de consécration, Archives,
Département d’histoire de l’Eglise, Salt Lake City, Utah.
[244] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », pp. 50-51, citant
First Presidency Office Journal, 20 août 1891, copie dans Conference
Report 1/48.
[245] George Q. Cannon, « Enduring to the End », 5 octobre 1890; rapporté
dans Collected Discourses: delivered by Wilford Woodruff, his two
counselors, the twelve apostles, and others, Vol. 2, édité et compilé par
Brian H. Stuy, Woodland Hills, Utah, B.H.S. Publishing, 1988, p. 119.
[246] Voir Matthieu 28:19 et Actes 10. Dans cet exemple également certains
membres de l’Église continuèrent à avoir du mal à accepter la nouvelle
vision des choses. Voir Actes 11:1-18, Actes 15, Galates 2:7-15; Tite
1:10.
[247] Voir Thomas G. Alexander, « The Word of Wisdom: From Principle to
Requirement », Dialogue: A Journal of Mormon Thought 14:3, automne 1981,
pp. 78-87; Robert J. McCue, « Did the Word of Wisdom Become a Commandment
in 1851? » Dialogue: A Journal of Mormon Thought 14:3, automne 1981, pp.
66-74.
[248] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », p. 47; First
Presidency Office Journal, 5 octobre 1890, copie dans Conference Report
1/48; Abraham H. Cannon, Diary, 5 octobre 1890.
[249] Marriner W. Merrill, Diary, 6 octobre 1890; cité dans Van Wagoner,
Mormon Polygamy, p. 145.
[250] Id., p.94, citant Heber J. Grant à Joseph F. Smith, 5 janvier 1906,
copie dans Grant Papers; déclaration notariée d’Olea S. Hill, 13 septembre
1944, Carton 4 de Milton Shipp Musser Papers, USHS.
[251] William Gibson aurait dit : « Nous devons laisser Babylone faire un
certain temps ce qu’elle veut, je suppose ». Cité dans Quinn, « Authority
and New Plural Marriages », pp. 48-49.
[252] B.H. Roberts, Journal, 10 février 1893; réimprimé dans Ronald W.
Walker, « B.H. Roberts and The Woodruff Manifesto », Brigham Young
University Studies 22:3, automne 1982, p. 365.
[253] Id., p. 45-46.
[254] Id., p. 49-50, citant le First Presidency Office Journal, 7 octobre
1890, copie dans Conference Report 1/48. Aussi Abraham H. Cannon, Diary, 7
octobre 1890; Marriner W. Merrill, Diary, 7 octobre 1890.
[255] Id., p. 51-52, citant Kenneth Cannon II, « Beyond the Manifesto:
Polygamous Cohabitation Among the General Authorities After 1890 », Utah
Historical Quarterly 46, hiver 1978, pp. 24-36.
[256] Kenneth Cannon II, « After the Manifesto: Mormon Polygamy, 1890-1906
», Sunstone 8:1-2, janvier-avril 1983, p. 28.
[257] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », p. 61, citant Abraham
H. Cannon, Diary, 12 novembre 1891.
[258] Id., p. 83, citant Joseph F. Smith à I.E.D. Zundell, 21 décembre
1891, Smith Papers, Smith, Life of Joseph F. Smith, pp. 487-490.
[259] Id., pp. 62-63.
[260] Id., p. 64; voir aussi Hardy, Solemn Covenant, 227-232.
[261] Id., pp. 65-66.
[262] Id., p. 66.
[263] Id., pp. 67-68, citant Journal History, 15 septembre 1898, 2-4.
[264] Id.
[265] Id., p. 68, citant Juarez Stake High Council Minutes, 29 octobre
1898, LDS Church Archives.
[266] Id., citant George F. Gibbs à Barnard Greensfelder, 8 novembre 1915.
[267] Id., p. 68-69, citant Miles A. Romney à John Henry Smith, 16 mars,
14 mai, 15 juillet 1898; Anthony W. Ivins Marriage Record, 23 octobre
1898; voir aussi les commentaires de Quinn dans la note de bas de page n°
236.
[268] Voir Id., pp. 73-81.
[269] Id., p. 68, citant la déclaration de Matthias F. Cowley dans Minutes
of the Quorum of the Twelve Apostles, 10 mai 1911.
[270] Id., p. 69, citant Eugene Young, « Revival of the Mormon Problem »,
North American Review 168, avril 1899, pp. 484-485; Franklin D. Richards,
Diary, 5 avril 1899; Deseret Evening News, 3 juin 1899, p. 10.
[271] Id., p. 71, citant Deseret Evening News, 8 janvier 1900, p. 1.
[272] George Q. Cannon, « Enduring to the End », 5 octobre 1890; rapporté
dans Collected Discourses: delivered by Wilford Woodruff, his two
counselors, the twelve apostles, and others, Vol. 2, édité et compilé par
Brian H. Stuy, Woodland Hills, Utah, B.H.S. Publishing, 1988, pp. 115-116.
[273] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », pp. 85-86.
[274] Id., p. 87.
[275] Id., p. 90.
[276] Id., p. 93.
[277] Id., pp. 95-96.
[278] Id., p. 96.
[279] Id.
[280] Hardy, Solemn Covenant, pp. 252-253.
[281] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », 96-97, citant Smoot
Case 1:129-30, 108 335.
[282] Id., pp. 97-98.
[283] Id., p. 98.
[284] Première Présidence, « Official Statement on Plural Marriage [6
avril 1904] »: pp. 84-85; voir aussi Conference Report, avril 1904, p. 75.
[285]] Id., pp. 102-103, citant Joseph F. Smith, John R. Winder et Anthon
H. Lund à John W. Taylor, 22 octobre 1904, note d’une copie envoyée le 26
octobre 1904 àGeorge Teasdale, First Presidency Letterbook.
[286] Voir Thomas G. Alexander, « 'To Maintain Harmony': Adjusting to
External and Internal Stress, 1890-1930 », Dialogue: A Journal of Mormon
Thought 15, hiver 1982, pp. 44-58.
[287] Voir Hardy, Solemn Covenant. pp. 261-262.
[288] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », p. 105 l’évalue à
moins de 10; Hardy, Solemn Covenant, p. 183 en cite 28 de 1905 à 1910.
[289] Quinn, « Authority and New Plural Marriages », pp. 100-102.
[290] Id., p. 102.
[291] Hardy, Solemn Covenant, p. 262.
[292] Id., p. 263, citant le télégramme de Reed Smoot à Francis M. Lyman,
8 décembre 1905, Reed Smoot-Correspondance de la Première Présidence.
[293] Id., citant le télégramme de George F. Gibbs à Reed Smoot, 8
décembre 1905, Reed Smoot-Correspondance de la Première Présidence
[294] Id., pp. 264-266.
[295] Id., p. 266, citant Joseph F. Smith, cité dans Samuel W. Taylor, «
Interviews with Nettie [Janet] M. Taylor », 14-15 janvier 1936, p. 4.
[296] Id., pp. 266-267.
[297] Doctrine et Alliances 124:49.
[298] Voir Doctrine et Alliances 8, 9.
[299] Hardy, Solemn Covenant, pp. 50-51.
[300] Id., pp. 104-105, citant Spencer W. Kimball, Oral History,
interviewé par Gary L. Shumway, 1972, 1718, James H. Moyle Oral History
Program, LDS Church Archives; George C. Parkinson et Fannie Woolley Family
Group Sheets; Matthias F. Cowley Marriage Record, 1898-1903.
[301] Id., pp. 103-105.
[302] Mosiah 5:13; Alma 29:5, 41:3-5.
[303] Bernard Shaw, The Future of Political Science in America; an Address
by Mr. Bernard Shaw to the Academy of Political Science, at the
Metropolitan Opera House, New York, on the 11th avril, 1933, New York,
Dodd, Mead and Company, 1933 cité dans Richard Vetterli, Mormonism
Americanism and Politics, Salt Lake City, Ensign Publishing, 1961, pp.
461-462.
[304] Brigham Young, « Plurality of Wives–The Free Agency of Man »,
Journal of Discourses, rapport par G.D. Watt 14 juillet 1855, Vol. 3,
Londres, Latter-day Saint's Book Depot, 1856, p. 266.
[305] Van Wagoner, Mormon Polygamy, 89
[306] On trouvera un traitement approfondi dans Bachman, « Polygamy Before
the Death of Joseph Smith », pp. 218-257.
[307] Van Wagoner, Mormon Polygamy, p. 89.
[308] Douglas H. Parker, « Victory in Defeat–Polygamy and the Mormon Legal
Encounter with the Federal Government », Cardozo Law Review 12, 1991, p.
814
[309] Hardy, Solemn Covenant, p. 9; on peut trouver un récit de cette
rencontre entre Joseph et William dans Joseph W. McMurrin, « An
Interesting Testimony / Mr. Law's Testimony », The Improvement Era, mai
1903, pp. 507-510.
[310] Il se réfère ici à l’ouvrage essentiel de Dean C. Jessee, Personal
Writings of Joseph Smith, Salt Lake City, Deseret Book Company, 1984.
[311] Paul H. Peterson, « Understanding Joseph: A Review of Published
Documentary Sources », Joseph Smith: The Prophet, the Man, publié par
Susan Easton Black et Charles D. Tate, Salt Lake City, Deseret Book
Company, 1988, pp. 109-110.
[312] Orma Linford, « The Mormons and the Law: The Polygamy Cases », Utah
Law Review 9, pts. 1, 2, été, hiver 1964, 1e partie, pp. 329-330; cité
avec une explication par Poll, « Legislative Campaign », p. 107.
[313] Mangrum, « Mormonism, Philosophical Liberalism, and the Constitution
», p. 131.
[314] Poll, « Legislative Campaign », p. 112, citant Congressional Globe,
41e Congrès, 2e session, p. 72.
[315] Mill, id.
[316] Ray Jay Davis, « Plural Marriage and Religious Freedom: The Impact
of Reynolds v. United States », Arizona Law Review 15, 1973, p. 301; cité
dans Firmage, « Enduring Questions », p. 109.
[317] John Cairncross, After Polygamy Was Made a Sin: The Social History
of Christian Polygamy, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1974, p. 222.
[318] Givens, Viper on the Hearth, 144, citant Louis Kern, An Ordered
Love: Sex Roles and Sexuality in Victorian Utopias-the Shakers, the
Mormons, and the Oneida Community, Chapel Hill, University of North
Carolina Press, 1981, p. 191.
[319] Givens, Viper on the Hearth, pp. 141-142, 150; italiques dans
l’original.
[320] Fawn M. Brodie, No Man Knows My History, New York, Knopf, 1945, p.
304 voir aussi aux pages 73, 86, 210 d’autres évocations du ‘magnétisme’
de Joseph ; cité dans Hugh W. Nibley, « No, Ma'am, That's Not History: A
Brief Review of Mrs. Brodie's Reluctant Vindication of a Prophet She Seeks
to Expose », Tinkling Cymbals and Sounding Brass, volume 11 de The
Collected Works of Hugh Nibley, Salt Lake City, Deseret Book et FARMS,
1991, note de bas de page 115, p. 132, dernière consultation 13 septembre
2005)
[321] Compton, Sacred Loneliness, p. 456.
[322] Id., pp. 455-456.
[323] Id., p. 262.
[324] Roberts 2:360-361.
[325] Compton, Sacred Loneliness, p. 296.
[326] Id., p. 455.
[327] Smith, « Nauvoo Roots of Mormon Polygamy », p. 10.
[328] Id., pp. 21-22, citant Sarah S. Leavitt, Autobiography, pp. 22-23,
Special Collections, Marriott Library.
[329] Smith, « Nauvoo Roots of Mormon Polygamy », p. 10.
[330] Compton, Sacred Loneliness, p. 406.
[331] Id., pp. xiv-xv.
[332] Les chiffres modernes évaluent la présence de l’une ou l’autre forme
de dépression à environ 4-5%; le taux pour une vie est d’environ le
double. Voir, par exemple : Health Canada, A Report on Mental Illnesses in
Canada, Ottawa, Canada, 2002, pp. 17, 33.
[333] D. Michael Quinn at Utah Valley State College, 3 février 2005;
rapporté dans « Historian delivers talk at UVSC », Caleb Warnock Daily
Herald, 4 février 2005, D1.
[334] Doctrine et Alliances 6:9, 11:9.
[335] Dallin H. Oaks, « Alternate Voices », Ensign, mai 1989, p. 27,
italiques ajoutés.
[336] Danel W. Bachman et Ronald K. Esplin, « Plural Marriage »,
Encyclopedia of Mormonism, publié par Daniel H. Ludlow, New York,
Macmillan Publishing, 1992, pp. 1091-1095., 14 mai 2005.
[337] Voir 14 mai 2005.
[338] Van Wagoner, Mormon Polygamy, p. ii.
[339] Compton, Sacred Loneliness, p. xv.
[340] Recherches faites le 18 mai 2005 sur http://catalog.lib.byu.edu/uhtbin/cgisirsi/nWlp3YQQqC/LEE/213820006/60/496/X.
[341] https://deseretbook.com/store/product?product_id=100011039, 15 mai
2005.
[342] https://deseretbook.com/store/product?product_id=100010764, 15 mai
2005.
[343] https://deseretbook.com/store/product?product_id=100011043, 15 mai
2005.
[344] https://deseretbook.com/store/product?product_id=100010677, 15 mai
2005.
[345] https://deseretbook.com/store/product?product_id=100010972, 15 mai
2005.
[346] https://deseretbook.com/store/product?product_id=100010973, 15 mai
2005.
[347] Neal A. Maxwell, « The Stern but Sweet Seventh Commandment », New
Era, juin 1979, p. 36.
[348] John Taylor, « Polygamy and Prostitution, etc ». Journal of
Discourses 25:344.
[349] Brigham Young, « Plurality of Wives-The Free Agency of Man »,
Journal of Discourses 3:266.
[350] Jacob 2:30
[351] Doctrine et Alliances 132:30-34.
[352] Douglas H. Parker, « Victory in Defeat-Polygamy and the Mormon Legal
Encounter with the Federal Government », Cardozo Law Review 12:805, 1991,
p. 808. Cette sous-section puise considérablement dans l’article de
Parker, sauf lorsque les notes de bas de page indiquent le contraire.
[353] Givens, Viper on the Hearth, pp. 18-93
[354] Robert J. McCue, « The Attitude Toward Plural Marriage in Canada,
1887-1992 » dans Regional Studies in LDS Church History, Vol. 2, Provo,
Utah, Department of Church History and Doctrine, université Brigham Young,
2000, pp. 281, 290.
[355] John Taylor, « Polygamy and Prostitution, etc ». Journal of
Discourses 25:344.
[356] Doctrine et Alliances 132:36.
[357] Genèse 22.
[358] Perle de Grand Prix, Abraham 1:5-18.
[359] Søren Aabye Kierkegaard, Fear and Trembling, traduc. angl. de
Alastair Hannay, Londres, Penguin Classics, 1985, p. 53.
[360] Id., pp. 58, 86, 88.
[361] Luc 14:26.
[362] Kierkegaard, Fear and Trembling, p. 43.
[363] Helen Mar Whitney, A Woman's View: Helen Mar Whitney's Reminiscences
of Early Church History, Provo, Utah, BYU Religious Studies Center, 1999,
p. 187.
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