Le destin tragique de Thomas B. Marsh, premier président du Collège des douze apôtres de l’Eglise rétablie, devrait rappeler à tous ce qui arrive « lorsque nous entreprenons de couvrir nos péchés ou s’assouvir notre orgueil [et] notre vaine ambition ».

« J'AI PECHE CONTRE LE CIEL ET JE SUIS INDIGNE DE VOTRE CONFIANCE, MAIS JE NE PEUX PAS VIVRE SANS RECONCILIATION » : THOMAS B. MARSH REVIENT A L'ÉGLISE


par Lyndon W. Cook [1]
BYU Studies, vol. 20 (1979-1980), numéro 4 - Été 1980

La désaffection de dirigeants de l’Église ayant des fonctions élevées a toujours suscité de l'intérêt et du souci. Puisqu'il est habituellement difficile de déterminer avec certitude les motifs d’une dissidence, l'historien doit examiner les sentiments aussi bien que les faits dans ses recherches pour comprendre l'apostat. Thomas B. Marsh, premier président du Collège des douze apôtres, devint apostat en 1838, au plus fort de ce que l’on a appelé la Guerre mormone dans le nord-ouest du Missouri. À la différence de la plupart des dissidents, il finit par revenir à l'Église qu'il avait si violemment rejetée. Ses déclarations privées et publiques, après son retour dans l'Église, s’avèrent être des confessions de culpabilité et révèlent ses raisons de se retirer au Missouri. Si elle fut quelque chose de très personnel, l’expérience de Marsh n’en constitue pas moins une illustration frappante, à l’intention de l’ensemble des membres de l’Église, du risque que l‘on court quand on critique trop les autorités.

Thomas Baldwin Marsh, fils de James Marsh et de Molly Law, naquit le 1er novembre 1799 à Acton, comté de Middlesex, Massachusetts [2]. Après avoir passé son enfance à travailler à la ferme dans le New Hampshire et au Vermont, Thomas s’aventura, à l'âge de quatorze ans, à New York, où il travailla d'abord comme garçon d'hôtel et plus tard comme garçon d’écurie. Après son mariage avec Elizabeth Godkin à New York à son vingtième anniversaire, il y travailla brièvement sans succès comme épicier. Il trouva plus tard un emploi dans une fonderie pour caractères d’imprimerie à Boston, où il resta jusque vers 1830.

Dans un récit autobiographique, il raconte s’être rendu, avec Benjamin Hall, de Boston dans l’ouest de l’État de New York pendant l'été de 1829. La seule raison qu’il donne à ce voyage est qu’il était conduit par l'Esprit [3]. À Lyons (New York), près de Palmyra, il entendit parler de l'histoire de la « bible d'or » et alla à Palmyra pour savoir ce qu’il en était. À Palmyra, il apprit que l’on imprimait le Livre de Mormon et trouva Martin Harris dans l’atelier d’imprimerie d'Egbert B. Grandin, où le travail d'impression était en cours. Il se procura une feuille imprimée contenant les seize premières pages du Livre de Mormon, après quoi Martin Harris l’envoya chez Joseph Smith, père, pour rencontrer Oliver Cowdery [4]. Celui-ci lui expliqua le message du Rétablissement et Thomas retourna au Massachusetts, fou de joie de ce qu'il avait appris. De Boston, il écrivit, le 25 octobre 1829, à Oliver Cowdery, demandant d'être tenu au courant des progrès de l’œuvre [5]. Au cours des mois qui suivirent, il maintint le contact par courrier avec Oliver et probablement avec d'autres à Palmyra, et en apprenant l'organisation de l'Église en avril 1830, il se prépara à déplacer sa famille à Palmyra, où il arriva fin août de cette année-là. De Palmyra, il passa rapidement à Fayette et fut baptisé, le 3 septembre 1830, dans le lac Cayuga par David Whitmer. Presque immédiatement après son baptême, il fut ordonné ancien, et une révélation reçue pour lui le même mois (D&A 31) l'appela « médecin [spirituel] pour l'Église [6]. »

Thomas B. Marsh s'installa à Kirtland avec sa famille au printemps de 1831 et y fut ordonné grand prêtre [7] ; peu après, il lui était commandé d'aller en mission au Missouri. À son retour en Ohio de l’ouest du Missouri, il prit ses dispositions pour s’installer de manière permanente à Independence (Missouri), où il arriva en novembre 1832.

Thomas, qui était universellement connu sous le nom de « Frère Marsh », ne tarda pas à se distinguer comme dirigeant et souffrit avec d'autres saints du Missouri quand ils furent expulsés du comté de Jackson à l’automne de 1833. Pendant l’été de 1834, il fut choisi pour aller à Kirtland pour participer aux préparatifs cérémoniels de la « dotation » [8], assister à la consécration du temple de Kirtland et être présent à l'assemblée solennelle. Le juillet 1834, il fut nommé membre du grand conseil du comté de Clay (Missouri) [9].

Le 29 janvier 1835, il se joignit à Edward Partridge pour faire le chemin jusqu’à Kirtland où ils arrivèrent le 24 avril. En son absence, il avait été choisi, par les trois témoins du Livre de Mormon, pour faire partie du Collège original des douze apôtres. Il fut ordonné à ce poste le 26 avril 1835, deux jours après son arrivée. Lors d'une réunion tenue le 2 mai 1835, le collège fut disposé en fonction de l'âge et Thomas Marsh fut désigné comme président du groupe puisqu'il en était le membre le plus âgé [10].

Au cours de l’été de 1835, il partit avec d'autres de son collège en mission dans les états de l’Est des États-Unis. Après son retour à Kirtland, il aida à l'achèvement du temple de Kirtland et participa aux réunions sacrées qui précédèrent sa consécration. Le 22 janvier 1836, il reçut une onction spéciale comme président de son collège [11].

Une grande excitation accompagna les réunions qui précédèrent la consécration du temple et l'assemblée solennelle puisque les dirigeants de l'Église s’attendaient à ce que le Sauveur apparaisse au cours de l'assemblée solennelle du 30 mars 1836. Le 23 janvier 1836, lendemain de l'onction de Marsh, Oliver Cowdery écrivit : « Le soir, frère Marsh est passé chez moi : nous avons beaucoup parlé de visions : il désirait vivement voir le Seigneur. Frère Marsh est un brave homme et je prie que sa foi puisse être fortifiée pour qu’il voie les cieux s’ouvrir [12]. »

Après les jours mouvementés qui entourèrent la consécration du temple de Kirtland, Thomas retourna chez lui au comté de Clay (Missouri). Pendant l'été de 1836, il apparut clairement aux dirigeants de l’Église du comté de Clay que les saints allaient devoir trouver un autre endroit pour s’installer. Étant donné que beaucoup de familles mormones étaient dans des circonstances précaires et que beaucoup d’autres étaient en route pour le comté de Clay, William W. Phelps et John Whitmer, les officiers présidents de l’Église au Missouri, demandèrent à Thomas B. Marsh et à Elisha H. Groves d’aller au Kentucky et au Tennessee pour obtenir des fonds sous forme de dons ou de prêts pour « la pauvre Sion en sang [13] ». Ils quittèrent Liberty (Missouri), en juillet 1836, et réussirent à récolter $1450 à 10 % d'intérêt. À leur retour au Missouri à l’automne de 1836, ils trouvèrent les saints occupés à s’installer à Far West, une nouvelle région au nord du comté de Clay. À Far West, Thomas assuma bien ses responsabilités, tant pour ce qui est de la direction de l’Église et en ce qui concerne l’installation d’une nouvelle ville mormone [14].

Cependant, à partir du début de 1837, Frère Marsh acquit la conviction que W.W. Phelps et John Whitmer essayaient d'administrer les affaires spirituelles et temporelles de l’Église indépendamment du grand conseil ou de l'épiscopat. Bien que son poste comme apôtre à l’époque (1837) ne lui permît pas d’intervenir dans la présidence du Missouri (W. W. Phelps et les Whitmer), Thomas soutint néanmoins les membres du grand conseil local dans leur opposition aux actions de la présidence. Le problème fut temporairement résolu début 1837, mais il réapparut l'année suivante et créa les conditions permettant à Thomas Marsh d’exercer une influence qui eut pour conséquence une lutte pour le pouvoir entre la présidence du Missouri et les membres du Collège des Douze [15].

Au printemps de 1837, Thomas Marsh se sentait contrarié en sa qualité de président du Collège des Douze. Une révélation de 1835 semblait situer son collège juste après la Première Présidence dans le gouvernement de l’Église (voir D&A 107:22-23), mais en réalité, la présidence du Missouri et les deux grands conseils de l’Église avaient conservé leur suprématie (ayant été organisés avant les Douze) après la Première Présidence. En outre, Thomas déplorait que son collège n'avait pas maintenu de contacts étroits depuis sa mission en 1835 et que ses membres n'avaient pas été unifiés dans l’accomplissement de leur appel divin comme missionnaires spéciaux. Chose encore plus grave à ses yeux, il avait appris que certains membres de son collège étaient tombés dans l'apostasie ; il fut de même mortifié d’apprendre que Parley P. Pratt, lui aussi membre de son collège, faisait des préparatifs pour aller en Angleterre prêcher l'Évangile.

Thomas B. Marsh et David W. Patten étaient respectivement premier et deuxième en ancienneté parmi les Douze et tous les deux vivaient au Missouri. Le 10 mai 1837, ils envoyèrent un mot à Parley l'invitant à reporter sa mission de l’autre côté de l'Océan atlantique jusqu'à ce que le Collège puisse se réunir. Thomas Marsh considérait la prédication de l'Évangile à l'étranger comme une entreprise d'une telle ampleur qu'aucun membre du Collège ne devait s’y hasarder de manière indépendante [16]. Dans la lettre, il convoquait une réunion du Collège des Douze tout entier pour le 24 juillet 1837 à Kirtland, et Thomas Marsh et David Patten partirent le mois suivant pour l'Ohio.

Or entre-temps, Joseph Smith avait demandé à Heber C. Kimball et à Orson Hyde, des Douze, de se rendre en Angleterre pour prêcher l'Évangile [17]. On ne sait pas quand les apôtres Marsh et Patten apprirent le départ de ces missionnaires, mais il paraît clair que la nouvelle les mit en colère et anéantit leur espoir d'unifier le collège. Brigham Young, se rappelant leur arrivée à Kirtland, dit plus tard : « Dès qu'ils sont arrivés, j'ai envoyé Marsh trouver Joseph, mais Patten n’a pas voulu… Il s’est monté la tête et quand il est allé trouver Joseph, il l’a insulté et Joseph l’a giflé et l’a mis à la porte. Cela lui a remis les idées en place [18]. » Il apparaît que Thomas B. Marsh désirait être le premier à présenter l'Évangile à l'étranger et était jaloux de ce que quelqu’un d’autre de son collège le relègue au second plan [19].

Les problèmes du Collège des Douze furent résolus en grande partie lors de la réunion d'été à Kirtland et les soucis de Marsh concernant son collège et les rapports de celui-ci avec la Première Présidence furent traités à la satisfaction de tous dans une révélation reçue par Joseph Smith le 23 juillet 1837 (D&A 112) [20].

Après être allé en mission dans le Haut Canada avec le prophète et Sidney Rigdon, Thomas resta à Kirtland jusqu'à la fin de l’automne de 1837, à aider à l’atelier d’imprimerie de l’Église. Ironie des choses, pendant ces mois d'apostasie généralisée, où beaucoup de dirigeants de l’Église cherchaient à critiquer Joseph Smith, Thomas eut des liens étroits et personnels avec le Prophète.

Il retourna à Far West en octobre 1837, un peu plus assuré dans sa fonction de président du Collège des Douze et certain du soutien du Prophète. Mais en arrivant à Far West, il entra immédiatement en conflit avec Oliver Cowdery, David Whitmer, William W. Phelps et John Whitmer. Se rendant compte que l'esprit agressif de ces hommes influents pourrait détruire l'Église, Thomas chercha à les expulser du troupeau. Mais il semble que ses mobiles n’aient pas été purs. Tenant absolument à obtenir une plus grande notoriété et une plus grande influence, il se laissa aller à un comportement excessif, le tout au nom de Joseph Smith. Si les faits montrent qu'Oliver et ses partisans étaient aigris, les moyens utilisés par Marsh ne justifiaient pas la fin. En quelques mois, ses ennemis étaient hors de l’Église et Thomas B. Marsh et David W. Patten étaient oints présidents ad interim de l’Église au Missouri. Il serait présomptueux de prétendre que Thomas Marsh expulsa, à lui seul, ces autorités de l’Église, mais il en fut l’instigateur principal [21].

Thomas Marsh conserva temporairement son influence après l'arrivée du prophète à Far West en mars 1838, mais à sa grande consternation, ses efforts pour se maintenir au pouvoir furent à l’origine de sa perte.

Beaucoup de ceux qui s’étaient installés à Far West recherchaient l’acquisition du pouvoir et de l'argent. Le fait de posséder des terrains signifiait une plus grande richesse pour ceux qui pouvaient vendre aux saints qui allaient arriver et les registres fonciers indiquent que Thomas faisait partie de la petite minorité qui possédait les terrains à Far West. Conscient du problème, Joseph mit les propriétaires en garde contre la cupidité. Mais trop peu nombreux furent ceux qui y prêtèrent attention. Dans sa recherche du pouvoir, Thomas souffrait de la peur aussi bien que de la jalousie. Parce qu'il était extrêmement sensible à toute espèce de critique, il se mit finalement à remettre en cause les actions de Joseph. Il devait reconnaître plus tard : « Je me suis mêlé de ce qui n'était pas mes affaires [22]. »

En août ou septembre 1838 se produisit un incident qui allait constituer le facteur principal dans l'apostasie de Marsh. Sa femme, Elizabeth, fut accusée de prélever injustement de la crème de la traite quotidienne qu'elle partageait avec une autre sœur, Lucinda Harris. L’affaire fut portée devant plusieurs tribunaux de la prêtrise, mais tous déclarèrent sœur Marsh coupable de n’avoir pas tenu ses engagements. En dernier recours, l’évêque Edward Partridge plaida auprès d’elle « pour qu’elle fasse réparation et lui proposa du temps pour le faire » [23], mais sœur Marsh fut catégorique : elle était innocente. Quand Joseph Smith dit sans ménagement à la sœur qu'elle avait menti à la cour et allait être disqualifiée, Thomas, indigné, refusa d’en entendre parler. George A. Smith, apôtre et historien de l’Église, en a noté les faits essentiels :

« Appel fut interjeté contre l’Instructeur auprès de l'Évêque et il y eut comparution devant un tribunal ordinaire de l’Église. Le Président Marsh estima que l'Évêque ne leur avait pas rendu justice, à sa femme et à lui, le tribunal ayant statué que la crème avait été conservée à tort et que la femme avait enfreint son alliance.

« Marsh alla immédiatement en appel auprès du Grand Conseil, qui examina la question avec beaucoup de patience, et je vous assure que c’étaient des hommes consciencieux. Marsh, qui tenait absolument à sauver la réputation de sa femme, étant donné qu’il était le président des Douze Apôtres et un grand homme en Israël, la défendit avec acharnement, mais le Grand Conseil finit par confirmer la décision de l'Évêque.

« N’étant pas disposé à se laisser faire, Marsh fit appel auprès de la Première Présidence de l’Église, et Joseph et ses conseillers eurent à statuer sur le cas et approuvèrent la décision du Grand Conseil. Comme vous le voyez, cette petite affaire suscita beaucoup de remous et Thomas B. Marsh déclara alors qu'il défendrait la réputation de sa femme, même s’il devait aller en enfer pour cela [24]. »

« Je suis devenu jaloux du Prophète, et alors j'ai vu rouge, j’ai perdu de vue tout ce qui était juste et j’ai passé tout mon temps à rechercher le mal… J'étais aveuglé, et j'ai cru voir une poutre dans l'œil de frère Joseph, mais ce n'était qu’une paille et mon propre œil était rempli par une poutre… Je me suis fâché et j'ai voulu que tout le monde le soit aussi. J'ai parlé avec frère Brigham et avec frère Heber et je voulais qu'ils soient en colère comme moi ; et j'ai vu qu'ils n'étaient pas en colère et cela me rendait encore plus furieux… Frère Brigham, d’un air prudent, a dit : ‘Êtes-vous le chef de l’Église, frère Thomas ?’ J'ai répondu : ‘Non.’ ‘Alors, a-t-il dit, pourquoi ne laissez-vous pas tomber ?’ » [25]

Embarrassé par « l’histoire de la crème », Thomas Marsh menaça de quitter l’Église. Quand Joseph l’apprit, dit Thomas, « il m'a acculé à une situation où je ne pouvais pas me dérober. Il m’a demandé directement si j'allais partir. » Mais au lieu de rechercher la réconciliation, Thomas Marsh répondit avec mépris : « Joseph, quand vous me verrez quitter l’Église, vous verrez un homme bien la quitter [26]. »

Assommé par ces événements dans sa vie, Thomas Marsh était animé de sentiments ambivalents à l’idée de quitter l’Église. Le 16 octobre 1838, il accompagna un groupe de saints au comté de Daviess (Missouri) pour calmer les activités d'émeutiers que l’on y signalait contre les saints. Mais son cœur n'y était pas et il remettait en cause la légalité de leurs actions. « Sous prétexte qu’il y avait quelque chose d’urgent chez lui » [27], il retourna à Far West le 21 octobre 1838 et, encouragé par Orson Hyde, il décida de quitter l’Église. Croyant que Joseph n’aurait pas dû permettre le procès concernant la crème et persuadé que c’était le Prophète qui avait commandé les activités illégales au comté de Daviess, il perdit ce qui lui restait de foi. Son grand amour pour l’Église et ses dirigeants s’était maintenant transformé en haine et, avec Orson Hyde, il quitta Far West le 22 octobre pour Richmond (Missouri) [28].

À l’instar du comportement des autres personnalités dissidentes, Thomas Marsh ne se retira pas discrètement. Il voulait maintenant se venger. Exhalant sa colère, il jura devant un magistrat du comté de Ray (Missouri) que le peuple mormon, et Joseph Smith en particulier, étaient hostiles à l’égard de l'État du Missouri. Cette déclaration sous serment, qui est reléguée à une simple note de bas de page dans la History of the Church, a fortement contribué à l'expulsion mormone du Missouri en 1838 [29].

Thomas B. Marsh resta au Missouri et s’installa finalement au comté de Howard. Là et au comté de Grundy (Missouri), il survécut péniblement à enseigner la géographie biblique. Incapable de se libérer l’esprit du mormonisme, il se tint autant que possible au courant des progrès de l’Église. Après le décès de sa femme en 1854, il envisagea sérieusement de revenir dans l’Église, et finalement, en janvier 1857, il se mit en route pour Council Bluffs (Iowa). Il y fit la paix avec le dirigeant local de l’Église, George W. Harris, et demanda à être accepté comme membre. Frère Harris l’envoya chez Wandle Mace à Florence, Nebraska. Bien qu’il eût entretenu de mauvais sentiments à son égard, frère Mace avoua : « Son attitude et son discours humbles m'ont désarmé, son aspect malheureux, son corps tremblant et surtout sa confession humiliante m’ont secoué. J’avais plus envie de pleurer qu’autre chose [30]. » Comme ils n'étaient pas sûrs de la façon dont Brigham Young et les autres membres des Douze considéreraient le retour de Marsh, les dirigeants locaux de l’Église à Florence l’invitèrent à écrire à la Première Présidence pour lui demander la permission d'être reçu en pleine communion dans l’Église. La lettre de Marsh est un document historique précieux. Nous la reproduisons ici in extenso [31].

Florence, Comté de Douglas, Territoire du Nebraska
5 mai [18]/57

Heber C. Kimball

Monsieur,

Vous voyez, à l’adresse de la présente, où je suis. J'ai quitté le Missouri. Ayant perdu ma femme il y a environ trois ans, j'ai commencé à prendre conscience de ma situation ; vous me demanderez peut-être pourquoi j’ai dormi aussi longtemps ou pourquoi il m’a fallu tant de temps pour me réveiller et vous auriez raison, car il y a maintenant 18 ans que je tâtonne dans les ténèbres.

J'ai quitté le comté de Grundy (Missouri) début janvier 1857, me suis mis en route pour Sion et ai voyagé la plupart du temps à pied, bien décidé à me rendre, avec l’aide de Dieu, à Salt Lake, et là me jeter aux pieds des apôtres, implorer leur pardon et demander à être admis dans la Maison du Seigneur, dans l’Église des saints des derniers jours et leur dire que je sais que j'ai péché contre le ciel et à vos yeux et me suis rendu indigne de votre confiance ou d'une place dans la famille du Ciel. Néanmoins faites de moi votre serviteur de peur que je ne périsse car je sais que dans la maison de mon Père il y du pain en abondance tandis qu'ici je meurs de faim.

Je suis allé de l’avant, plein de courage, jusqu'après avoir passé quelque temps ici. Plus je reste ici, plus je vois vos progrès depuis que je vous ai quittés, plus je deviens fort dans ma confiance, plus je deviens fort dans la foi et plus les choses m’apparaissent claires, mieux je constate que je ne mérite pas de place parmi vous dans l’Église, même pas comme le membre le plus humble ; mais je ne peux pas vivre longtemps ainsi sans réconciliation avec les 12 [les apôtres] et l’Église à laquelle j'ai nui. Ô Frères, jadis mes Frères ! ! Comment puis-je quitter ce monde sans votre pardon ? Puis-je l’avoir ? Puis-je l’avoir ? Quelque chose en moi me dit que oui. Oh alors, hâtez-vous et signifiez-le-moi en m’écrivant le mot ‘oui’ et alors, ô joie, je serai content. Je me suis réuni avec G[eorge] W. Harris et nous nous sommes réconciliés [32] et quand cela a été accompli, j'étais tellement au comble de la joie que j'ai été contraint à dire dans mon cœur que c’est vraiment la preuve que le Seigneur m'aime après toute ma rébellion et mes péchés. Je sais ce que j'ai fait. Une mission m’a été confiée et je ne l'ai jamais remplie et maintenant je crains qu'il ne soit trop tard, mais elle l’est par quelqu’un d’autre. Je vois que le Seigneur a très bien pu se passer de moi et il n'a rien perdu du fait que j’ai quitté le rang. Mais Oh qu’est-ce que je n’ai pas perdu ? Une richesse, une plus grande richesse que tout ce que le monde ou beaucoup de planètes comme celle-ci pourraient donner ; mais Oh mes frères, pouvez vous m’adresser rien qu’un mot de réconfort ? Ai-je la moindre chance d’être sauvé dans le royaume de Dieu ? Puis-je trouver la paix parmi vous ? Oh si je pouvais seulement avoir votre sourire et le sourire de l’Église et de Jésus, je serai content de partir ou de rester dans une si grande paix. Le Seigneur s’est souvenu de moi et bien que j'aie été très obstiné, il m'a suivi. Il est intervenu contre moi par le châtiment et par des visions et des songes. Frères, ah si je pouvais être digne de vous appeler frères ! Mais comment dois-je vous appeler ? Vous m’êtes très proches. Je vous aime davantage que je n’aime tout autre groupe de mortels sur cette terre. Vous avez été diligents à accomplir l’œuvre qui vous a été donnée alors que moi, malheureux que je suis ! j’ai gaspillé mon temps parmi des églises prostituées, cherchant seulement à nourrir mon âme là où il n'y avait pas de pain de vie et je vous aime et je me déteste. J'attends impatiemment ici, à Florence, une lettre adressée à votre vieil ami, votre ami maintenant véritablement indigne et véritablement sincère.

/s/Thomas B. Marsh

Heber C. Kimball
Salt Lake City

P.S. Mon amour à tous les saints et puissent les bénédictions les plus riches de la plénitude de l'Évangile éternel être avec vous et reposer sur vous maintenant et pour toujours.

Amen

T.B.M.

Lorsque l'approbation officielle eut été donnée, Thomas B. Marsh fut rebaptisé, le 16 juillet 1857, par Andrew Cunningham, à Papyeco Creek (Nebraska), tandis qu'il était en route pour la vallée du lac Salé. Il était dans l’un des derniers groupes mormons à passer par fort Laramie avant l'arrivée de l'armée de Johnston [33].

Le 6 septembre 1857, deux jours après l'arrivée de Marsh dans la vallée, une grande assemblée, qui s'était réunie pour le culte du sabbat, vota unanimement pour le recevoir dans la communion des saints. Une attaque d’apoplexie avait paralysé une partie de son corps de sorte qu'un de ses bras pendait de manière peu naturelle. Ceux qui le virent le décrivirent comme « un pauvre vieillard décrépit et brisé [34] ». Malgré sa compassion pour celui qui avait autrefois été le membre le plus âgé du Collège, le président Brigham Young profita néanmoins de l’occasion pour faire remarquer aux saints qu’une vie de justice lui avait conféré une constitution saine, contraste frappant avec l'aspect misérable de Marsh. L'illustration n'était pas subtile, mais Thomas Marsh sembla bien prendre la chose [35]. « Il m'a dit hier que les chrétiens pouvaient bien prétendre que le purgatoire catholique n’existait pas, dit Brigham, mais frère Marsh dit que ce genre d’endroit existe et qu'il y a passé les dix-huit dernières années… En parlant avec frère Marsh, poursuivit Brigham, je constate qu'il est à peu près identique au Thomas qu’il a toujours été : plein d’anecdotes et de bavardage. Il lui était impossible de parler pendant dix minutes sans raconter une anecdote. Sa voix et son type de conversation me sont bien connus [36]. »

Le lendemain du jour où l’on vota pour son retour dans l’Église, frère Marsh se consacra officiellement au Seigneur :

« Moi, Thomas B. Marsh, déclare ce jour, 7 septembre 1857, par la présente, me consacrer corps et âme, avec tout ce que je possède sur terre, au Seigneur en priant le Dieu d'Abraham, d’Isaac et de Jacob de me mettre à part ou de me sanctifier pour que je sois exclusivement à lui pour faire tout ce qu’il pourra exiger de moi et de me donner la grâce de sanctifier le Seigneur des armées dans mon cœur pour que je puisse l'aimer de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit, de toute ma force et de toute mon intelligence. Amen [37]. »

Le 4 octobre 1857, un mois après son arrivée dans la vallée du lac Salé, Thomas épousa Hannah Adams et le couple s’installa à Spanish Fork où il acquit une petite maison d'adobe. Frère Marsh essaya, sans succès, d’y fonder une école. Bien qu'ayant reçu une aide financière de l'évêque John L. Butler, les Marsh avaient à peine de quoi survivre. À la fin de l’automne de 1859, la situation obligea Thomas à demander de nouveau de l’aide. Sa demande montre son attitude repentante :

« [J'écris] non pas avec la volonté de me plaindre de qui que ce soit ni de murmurer contre la providence de mon Père céleste ; non ! C’est bon assez pour moi car j’ai péché et j’ai rendu beaucoup de sentiers tortueux et je préférerais baiser la main qui me châtie et remercier Dieu que les choses aillent aussi bien pour moi, car dans sa providence, il m'a amené ici dans les vallées de ces montagnes ! m’a nourri et vêtu et m’a gardé en vie jusqu'ici, m’a donné un nom et une place parmi son peuple et m’a rétabli, tout vil que j'ai été, dans sa prêtrise éternelle, en dépit du fait que je l’ai rejetée si bêtement et si honteusement par le passé et l’ai jetée derrière mon dos [38]. »

Sa demande ne resta pas inaperçue [39].

Le 11 mars 1859, Thomas B. Marsh fut de nouveau ordonné ancien et dès le mois de novembre 1861 il était ordonné grand prêtre [40]. Le 1er novembre 1862, dans la Maison des Dotations, il reçut sa dotation et fut scellé à sa femme, Hannah [41]. Vers cette même époque, le couple décida de s’installer près d'Ogden. Thomas fut confié aux soins de David M. Stuart, première paroisse d’Ogden [42]. Bien que presque entièrement entretenu par l’Église jusqu'à sa mort en janvier 1866 à Ogden, Thomas Baldwin Marsh « mourut dans la foi », après avoir de nouveau accepté les principes qu’il avait embrassés presque trente-six ans plus tôt à Fayette (New York). Il avait appris par triste expérience les risques d'aspirer aux honneurs des hommes, le danger d'exercer une domination injuste et les conséquences d’une critique débridée des autorités [43].

NOTES

[1] Lyndon W. Cook, chargé de recherches, enseigne à la faculté d’enseignement religieux de l’université Brigham Young.
[2] Thomas B. Marsh est sans doute né en 1800, pas en 1799 (voir Utah Genealogical and Historical Magazine, janvier 1936, p.28).
[3] Voir "History of Thomas B. Marsh Written by Himself in Great Salt Lake City, November 1857”, Library-Archives of the Historical Department of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, Salt Lake City, Utah; appelé ci-après Archives de l’Église.
[4] Joseph Smith, fils, qui résidait encore à Harmony (Pennsylvanie), avait quitté Palmyra peu de temps avant l’arrivée de Marsh.
[5] Voir Oliver Cowdery à Joseph Smith, Manchester, New York, novembre 1829, Joseph Smith Collection, Archives de l’Église.
[6] Voir "History of Thomas B. Marsh".
[7] Les grands prêtres furent, de 1831 à 1834, l'élite présidente de la prêtrise. Plus tard, comme membres des grands conseils de l’Église, les grands prêtres exercèrent une autorité exceptionnellement grande jusque bien après la mort du Prophète. Vers 1841, après leur retour de Grande-Bretagne, les membres du Collège des douze apôtres commencèrent à prendre une place à côté de la Première Présidence conformément aux instructions de Joseph Smith et de précédentes révélations.
[8] La “dotation” de Kirtland désigne le déversement spirituel qui accompagna la consécration du temple de Kirtland et l’assemblée solennelle de Kirtland. Les cérémonies d’ablutions et d’onction à Kirtland au début de 1836 avaient pour but de préparer les frères pour la dotation spirituelle.
[9] Voir Far West Record, 7 juillet 1834, Archives de l’Église.
[10] Kirtland Council Minute Book, p. 187, Archives de l’Église.
[11] Voir Joseph Smith, Jr., History of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, dir. de publ. B.H. Roberts, 2e éd. rév., 7 vols., Salt Lake City, Deseret News Press, 1931-1952, 2:382; appelée ci-après HC.
[12] Oliver Cowdery Sketch Book, janvier 1836, Archives de l’Église.
[13] Thomas B. Marsh à Wilford Woodruff, 30 avril 1838, Archives de l’Église.
[14] En plus d’au moins un terrain en ville, Thomas Marsh acheta quelque 130 hectares près de Far West (Missouri).
[15] On trouvera le compte rendu de ce problème dans Far West Record, avril 1837; voir aussi le journal de John Murdock, date du jour, Archives de l’Église.
[16] Voir Thomas B. Marsh et David W.Patten à Parley P. Pratt, 10 mai 1837, Joseph Smith Collection, Archives de l’Église.
[17] Ces deux apôtres quittèrent Kirtland le 13 juin 1837.
[18] Tel que rapporté dans le journal intime de Wilford Woodruff, 25 juin 1857, Archives de l’Église. Joseph Smith dit, le 28 mai 1843, que deux seulement des douze apôtres originaux “n’avaient pas levé le talon contre” lui, à savoir Brigham Young et Heber C. Kimball (voir HC, 5:412).
[19] Voir Vilate Kimball à Heber C. Kimball, 6 septembre 1837, et Heber C.Kimball à Vilate Kimball, 12 novembre 1837, tous deux dans Archives de l’Église. Thomas Marsh avait informé Vilate que l'Évangile ne pourrait pas être apporté efficacement à l'Europe s’il ne lui était présenté par l’apôtre Marsh lui-même. Heber, justifiant le fait qu’il partit en mission en premier, répond : « Malgré tout, frère Joseph a dit que c’était bien de préparer la voie à frère Marsh. »
[20] Voir en particulier D&A 112:2, 3, 10, 15 et 27, qui commandent à Thomas B. Marsh de s’humilier et de reconnaître que Joseph est son dirigeant; voir aussi D&A 112:16, 17, 21 et 30-33, qui affirment l’importance de l’appel de Marsh.
[21] Voir Far West Record du 23 décembre 1837 au 24 février 1838. Oliver Cowdery, faisant allusion à son excommunication, écrit : « J'ai cru à l’époque et je crois toujours que des hommes ambitieux et méchants, envieux de l’entente qui existait entre moi et les premiers anciens de l’Église et espérant s’approprier le droit de naissance de certains autres hommes grâce à des mensonges honteux et pervers sont la cause, du début à la fin, de toutes ces difficultés. Ils ont réussi à me faire expulser de l’Église [et] depuis lors, ils sont eux-mêmes allés à la perdition. » (Voir Oliver Cowdery à Brigham Young, 25 décembre 1843, Archives de l’Église). Phineas Young, dans une lettre du 14 décembre 1842 à Willard Richards, impute à Thomas Marsh et à d'autres l'expulsion d'Oliver, en affirmant : « Ils ont dit [à Joseph] beaucoup de choses préjudiciables à frère Oliver, qu’il n'avait absolument aucune possibilité de contredire. » Phineas accuse ces hommes de chercher à « le briser [Cowdery], et cela afin de s’élever eux-mêmes. » En 1844 Phineas accuse de nouveau « Thomas B. Marsh et d’autres de Far West » d’être responsables de l'excommunication d'Oliver. Selon Phineas, « des accusations ont été amassées sur lui vous savez bien pourquoi. » (Phineas Young à Willard Richards, 14 décembre 1842, et Phineas Young à Brigham Young, 26 novembre 1844, toutes deux dans Journal History, date du jour, Archives de l’Église).
[22] Journal of Discourses, 26 vols. Londres, Latter-day Saints' Book Depot, 1854-1886, appelé ci-après JD.
[23] Journal de Henry W. Bigler, date du jour, Archives de l’Église.
[24] George A. Smith, 6 avril 1856, JD, 3:283-84.
[25] Thomas B. Marsh, 6 septembre 1857, JD, 5:207.
[26] “History of Thomas B. Marsh”, Archives de l’Église.
[27] Journal and Record of Heber C. Kimball (1838-1839), date du jour, Archives de l’Église.
[28] Voir Thomas B. Marsh, à Lewis Abbott, 25 octobre 1838, Joseph Smith Collection. Archives de l’Église.
[29] La déclaration sous serment de Marsh en date du 24 octobre 1838 est citée dans HC, 3:167 et publiée in extenso dans Documents Containing the Correspondence, Orders &c. in Relation to the Disturbances with the Mormons and the Evidences Given Before the Hon. Austin A. King... (Fayette, Missouri, By order of the General Assembly, 1841), pp. 57-59. George A. Smith considère la défection de Marsh et son témoignage sous serment contre Joseph Smith comme le facteur principal de l’expulsion mormone (voir JD, 3:284).
[30] Journal de Wandle Mace, date du jour, Archives de l’Église.
[31] Cette lettre se trouve dans les Archives de l’Église et est publiée par permission.
[32] La réconciliation a trait au désaccord au sujet de la crème entre Elizabeth Marsh et Lucinda Morgan Harris, femme de George W. Harris.
[33] Son arrivée est mentionnée dans le Journal du bureau de l’historien à la date du 4 septembre 1857: "Thos B. Marsh est arrivé vers 16 heures avec une partie du convoi de Walker."
[34] John Taylor, 9 août 1857, JD, 5:115.
[35] Brigham Young, 6 septembre 1857, JD, 5:210.
[36] Id.
[37] Dédicace de Thomas B. Marsh, 7 septembre 1857, Brigham Young Collection, Archives de l’Église. C’est Roland Esplin qui a localisé ce document pour moi.
[38] Thomas B. Marsh à John L. Butler, 26 octobre 1859, Edward Hunter Collection, Manuscripts Division, J.Willard Marriott Library, université d’Utah, Salt Lake City, Utah.
[39] Voir John L. Butler à Edward Hunter, 3 novembre 1859, Edward Hunter Collection, université d’Utah. "Fast Day Offerings, Spanish Fork Branch”, aux Archives de l’Église, révèle que les Marsh recevaient souvent des œufs, de la farine, de la viande et du beurre.
[40] "Record of the Genealogies of the Elders Quorum of Spanish Fork», Archives de l’Église.
[41] Registre des scellements effectués à la Maison des Dotations, Départment généalogique, Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, Salt Lake City, Utah.
[42] Walter C. Lichfield, "Thomas B. Marsh, Physician to the Church" (Thèse de maîtrise, université Brigham Young, 1956), p.167.
[43] Il ne fait guère de doute que les passages traitant des abus du pouvoir de la prêtrise dans D&A 121:34-40 soient une allusion directe à Thomas B. Marsh, aussi bien qu’à d'autres dirigeants de haut niveau de l’Église. La section faisait à l’origine partie d'une lettre écrite par le prophète en mars 1839, mais elle a depuis été canonisée.