CHAPITRE 14 : SUITE DU MINISTÈRE DE NOTRE SEIGNEUR EN GALILÉE

 

UN LÉPREUX PURIFIÉ

 

Le lendemain de ce sabbat mouvementé à Capernaüm, notre Seigneur se leva «dès que le jour parut» et partit en quête de solitude au-delà de la ville. Dans un lieu solitaire il se livra à la prière, démontrant ainsi que, bien qu'il fût le Messie, il était profondément conscient qu'il dépendait du Père dont il était venu accomplir l’œuvre. Simon Pierre et d'autres disciples trouvèrent le lieu où il s'était retiré et lui dirent que des foules impatientes le cherchaient. Bientôt les gens s'assemblèrent autour de lui et le supplièrent de rester avec eux; mais «il faut aussi que j'annonce aux autres villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu; car c'est pour cela que j'ai été envoyé»[1]. Et aux disciples il dit: «Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j'y prêche aussi; car c'est pour cela que je suis sorti[2]». Il partit de là, accompagné de quelques-uns qu'il s'était déjà étroitement associés, et exerça son ministère dans un grand nombre de villes de Galilée, prêchant dans les synagogues, guérissant les malades et chassant les démons.

 

Parmi les affligés qui cherchaient l'aide que lui seul pouvait donner, se présenta un lépreux[3], qui s'agenouilla devant lui ou se prosterna le visage contre terre et professa humblement sa foi, disant: «Si tu le veux, tu peux me rendre pur.» La prière exprimée par les paroles de ce pauvre homme était pathétique; la confiance qu'il manifesta est édifiante. La question qu'il se posait n'était pas: Jésus peut-il me guérir? mais: Voudra-t-il me guérir? Avec une miséricorde compatissante, Jésus posa la main sur le malade, si impur qu'il fût cérémoniellement et physiquement, car la lèpre est une affliction répugnante, et nous savons que chez cet homme, la maladie était à un stade avancé, car on nous dit qu'il était «couvert de lèpre». Le Seigneur dit alors: «Je le veux, sois pur.» Le lépreux fut immédiatement guéri. Jésus lui ordonna de se montrer au sacrificateur et de faire les offrandes prescrites par la loi de Moïse pour des cas comme le sien[4].

 

Dans cette instruction nous voyons que le Christ n'était pas venu détruire la loi, mais, comme il l'affirma à une autre époque, pour l'accomplir[5]; et à ce stade de son oeuvre, l'accomplissement ne s'était pas encore tout à fait réalisé. En outre, si les exigences légales avaient été négligées dans une question aussi grave que la réintégration d'un paria lépreux dans la société de la communauté dont il avait été exclu, l'opposition sacerdotale, qui grandissait déjà et menaçait Jésus, en aurait été augmentée et il aurait pu en résulter des entraves supplémentaires à l’œuvre du Seigneur. L’homme devait obéir aux instructions du Maître sans aucun retard; Jésus «le renvoya aussitôt avec de sévères recommandations». En outre il ordonna explicitement à l'homme de ne parler à personne de la manière dont il avait été guéri. Il y avait peut-être de bonnes raisons de lui commander ainsi de se taire, en plus de l'attitude très générale de notre Seigneur qui était de refuser toute célébrité indésirable; en effet, si la nouvelle du miracle avait précédé l'apparition de l'homme devant le prêtre, on aurait pu dresser des obstacles pour empêcher qu'il ne soit reconnu par les Lévites comme quelqu'un de pur. Cependant l'homme ne put garder la bonne parole pour lui-même mais s'en alla et «se mit à publier hautement la nouvelle et à la colporter, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville. Il se tenait dehors, dans les lieux déserts, et l'on venait à lui de toutes parts»[6].

 

GUÉRISON ET PARDON D'UN PARALYTIQUE

 

Il faut se souvenir qu'aucun des évangélistes n'essaie de donner l'histoire détaillée de tous les actes de Jésus et qu'ils ne relatent pas tous dans le même ordre les incidents auxquels ils associent les grandes leçons de l'enseignement du Maître. L'enchaînement réel des événements est très incertain.

 

«Quelques jours» après la guérison du lépreux, Jésus se trouvait de nouveau à Capernaüm. Les détails de ses préoccupations entre-temps au cours de cet intervalle ne sont pas donnés, mais nous pouvons être certains que son oeuvre se poursuivit, car son occupation caractéristique était d'aller partout faisant le bien[7]. Le lieu où il demeurait à Capernaüm était bien connu, et la rumeur se répandit bientôt qu'il était dans la maison[8]. Il se réunit une si grande foule qu'il n'y avait pas de place pour la recevoir; même l'entrée était bondée de monde, et les retardataires ne pouvaient s'approcher du Maître. Jésus prêcha l'Evangile à tous ceux qui étaient à portée de voix. Un petit groupe de quatre personnes s'approcha de la maison, portant une civière ou un lit sur lequel était couché un homme affligé d'une sorte de paralysie qui privait le sujet de la capacité de se mouvoir volontairement, et ordinairement de parler; l'homme était totalement désemparé. Ses amis, déçus de se voir incapables de parvenir jusqu'à Jésus à cause de la foule, eurent recours à un moyen peu ordinaire, qui prouvait d'une manière indubitable leur foi que le Seigneur pouvait réprimander et arrêter la maladie, et leur détermination d'obtenir de ses mains la bénédiction désirée.

 

Par un moyen quelconque, ils portèrent l'homme affligé jusqu'au toit plat de la maison, probablement par un escalier extérieur ou en se servant d'une échelle, peut-être en entrant dans une maison voisine, en montant l'escalier jusqu'à son toit et en passant de là sur la maison dans laquelle Jésus enseignait. Ils défoncèrent une partie du toit, pratiquant une ouverture ou agrandissant celle de la trappe dont étaient ordinairement pourvues les maisons de cet endroit et de cette époque; et, à la surprise de la foule assemblée, ils descendirent alors le lit portatif sur lequel le paralytique était couché. Jésus fut profondément frappé de la foi et des œuvres[9] de ceux qui avaient ainsi travaillé pour placer devant lui un paralytique incapable de se mouvoir; il connaissait indubitablement aussi la foi confiante qui habitait le patient; et, regardant l'homme avec compassion, il dit: «Mon enfant, tes péchés te sont pardonnés.»

 

Parmi les gens qui étaient assemblés là, il y avait des scribes, des Pharisiens et des docteurs de la loi, non seulement des représentants de la synagogue locale mais également des gens qui étaient venus de villes éloignées de Galilée, et certains de Judée et même de Jérusalem. Les notables s'étaient opposés à notre Seigneur et à ses oeuvres précédemment, et leur présence dans la maison à ce moment-là annonçait de nouvelles critiques hostiles et peut-être de l'obstruction. Ils entendirent les paroles qui furent dites au paralytique et cela les mit en colère. Dans leur cœur, ils accusèrent Jésus de la terrible offense qu'est le blasphème, qui consiste essentiellement à attribuer à un pouvoir humain ou démoniaque les prérogatives de Dieu ou à déshonorer Dieu en lui supposant des qualités inférieures à celles de la perfection[10]. Ces savants incrédules, qui écrivaient et parlaient sans cesse sur la venue du Messie et le rejetaient cependant lorsqu'il était là, murmurèrent intérieurement, disant: «Qui peut pardonner les péchés, si ce n'est Dieu seul?» Jésus connaissait leurs pensées les plus intimes[11] et y répondit en disant: «Pourquoi faites-vous de tels raisonnements dans vos cœurs? Qu'est-ce qui est plus facile, de dire au paralytique: Tes péchés te sont pardonnés, ou de dire: Lève-toi, prends ton lit et marche?» Et puis pour souligner et pour mettre hors de question le fait qu'il avait l'autorité divine, il ajouta: «Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés: Je te l'ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison.» L’homme se leva, parfaitement guéri et, prenant le matelas sur lequel on l'avait apporté, sortit en leur présence. L’étonnement du peuple était mêlé de respect, et beaucoup glorifièrent Dieu de la puissance duquel ils étaient témoins.

 

Cet incident réclame une étude plus approfondie de notre part. Selon l'un des récits, les premières paroles du Seigneur au patient furent: «Prends courage mon enfant», suivies immédiatement de l'assurance réconfortante et pleine d'autorité: «Tes péchés te sont pardonnés[12].» L’homme était probablement apeuré; peut-être savait-il que sa maladie était le résultat des péchés auxquels il s'était livré; néanmoins, en dépit du fait qu'il ait pu penser à la possibilité de n'entendre que condamner sa transgression, il eut la foi de se faire amener. Dans la situation de cet homme, il y avait clairement un lien étroit entre ses péchés passés et son affliction présente; et à ce point de vue, son cas n'est pas unique, car nous lisons que le Christ en exhorta un autre, qu'il guérit, à ne plus pécher de peur que quelque chose de pire ne s'abattît sur lui[13]. Nous n'avons cependant pas le droit de supposer que toutes les infirmités corporelles sont le résultat du péché; à pareille conception s'opposent les instructions et la réprimande que le Seigneur donna tout à la fois à ceux qui, dans le cas de l'aveugle-né, demandaient qui avait péché, de l'homme ou de ses parents, pour qu'une affliction aussi terrible s'abattît sur lui. A cette question, notre Seigneur répondit que la cécité de l'homme n'était due ni à ses propres péchés ni à ceux de ses parents[14].

 

Mais dans beaucoup de cas, la maladie est le résultat direct des péchés que l'intéressé a commis. Quelque grands qu'aient pu être les péchés passés de l'homme qui souffrait de paralysie, le Christ reconnut son repentir ainsi que la foi qui l'accompagnait, et le Seigneur avait à bon droit la prérogative de décider si l'homme était digne de recevoir la rémission de ses péchés et d'être soulagé de son affliction corporelle. La réponse interrogative de Jésus à la critique muette des scribes, des Pharisiens et des docteurs a été interprétée de nombreuses manières. Il demanda ce qui était le plus facile, de dire: «Tes péchés te sont pardonnés», ou de dire: «Lève-toi, prends ton lit et marche. » N'est-il pas raisonnable de dire que, étant prononcées avec autorité par lui, les deux expressions avaient un sens apparenté? L’événement aurait dû être une démonstration suffisante pour tous ceux qui entendaient, que lui, le Fils de l'homme, prétendait au droit et à l'autorité de remettre les châtiments tant physiques que spirituels, de guérir le corps de maladies visibles et de purger l'esprit de la maladie non moins réelle du péché, et que ce droit, il l'avait. En présence de gens de toutes classes, Jésus affirmait ainsi ouvertement sa divinité et confirmait celle-ci par une manifestation miraculeuse de puissance.

 

L'accusation de blasphème que les critiques rabbiniques formulèrent dans leur esprit contre le Christ ne devait pas prendre fin comme une conception mentale à eux, ni ne devait être rendue nulle par les paroles ultérieures de notre Seigneur. C'est par le parjure qu'on finit par le condamner injustement et par l'envoyer à la mort[15]. Déjà, dans cette maison de Capernaüm, l'ombre de la croix s'était placée en travers du cours de sa vie.

 

PÉAGERS ET GENS DE MAUVAISE VIE

 

Quittant la maison, Jésus se rendit au bord de la mer, où le peuple le suivit; là il l'instruisit de nouveau. A la fin de son discours il continua à avancer et vit un homme du nom de Lévi, l'un des péagers[16] ou collecteurs officiels d'impôts, assis au lieu des péages où l'on devait payer l'impôt levé en vertu de la loi romaine. Cet homme s'appelait aussi Matthieu, nom moins typiquement juif que Lévi[17]. Il devint par la suite l'un des Douze et l'auteur du premier des Evangiles. Jésus lui dit: «Suis-moi.» Matthieu quitta sa place et suivit le Seigneur. Quelque temps plus tard le nouveau disciple fit une grande fête chez lui, en l'honneur du Maître, et à laquelle d'autres disciples assistèrent. Pour les Juifs, le pouvoir de Rome, auquel ils étaient assujettis, était tellement intolérable qu'ils avaient de l'aversion pour tous les fonctionnaires employés par les Romains. Ce qui était particulièrement humiliant pour eux, c'était le système de l'impôt obligatoire, selon lequel le peuple d'Israël devait payer tribut à une nation étrangère qui, à leur avis, était totalement païenne.

 

Naturellement, les collecteurs de ces taxes étaient détestés; et ceux-ci, que l'on appelait péagers, éprouvaient probablement du ressentiment pour le traitement grossier qui leur était infligé et traduisaient ce sentiment en appliquant exagérément les exigences de l'impôt, et, comme les historiens l'affirment, pratiquaient souvent des extorsions illégales sur le peuple. Si les péagers en général étaient détestés, nous pouvons comprendre aisément la violence du mépris que les Juifs éprouvaient pour quelqu'un de leur propre nation qui avait accepté d'être nommé à de pareilles fonctions. C'est dans cette situation peu enviable que se trouvait Matthieu lorsque Jésus l'appela. Les péagers formaient une classe sociale distincte, car ils étaient pratiquement exclus de la communauté en général. Tous ceux qui avaient des rapports avec eux partageaient la haine populaire, et il était d'usage d'appeler cette caste dégradée «péagers, et gens de mauvaise vie». Beaucoup des amis de Matthieu et certains de ses collègues furent invités à sa fête, de sorte que l'assemblée était constituée en grande partie de ces «péagers et gens de mauvaise vie» méprisés. Et c'est à une telle assemblée que Jésus se rendit avec ses disciples.

 

Les scribes et les Pharisiens ne pouvaient laisser passer pareille occasion de le critiquer et d'être sarcastiques. Ils hésitèrent à s'adresser directement à Jésus; mais ils demandèrent avec dédain aux disciples: «Pourquoi votre maître mange-t-il avec les péagers et les pécheurs?» Le Maître entendit et répliqua sur un ton tranchant révélateur mêlé d'une ironie splendide, citant l'un des aphorismes communs de l'époque: «Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades.» A cela il ajouta: «Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.» Il laissa les Pharisiens hypercritiques tirer leurs conclusions de cette réponse, dont certains peuvent avoir compris qu'elle signifiait que le Christ attaquait leur hypocrisie et raillait leur prétention à la supériorité. Contre le sarcasme voilé des paroles du Maître, ils auraient dû percevoir la sagesse contenue dans sa réponse et en faire leur profit. La place du médecin n'est-elle pas parmi ceux qui sont affligés? Serait-il justifié s'il se tenait à l'écart des malades et de ceux qui souffrent? Sa profession est de combattre la maladie, de l'empêcher lorsque c'est possible, de la guérir lorsque c'est nécessaire, dans la pleine mesure de ses possibilités. Si la fête chez Matthieu comprenait réellement un certain nombre de pécheurs, cet événement ne constituait-il pas une occasion rare pour le Médecin des âmes d'exercer son ministère? Les justes n'ont pas besoin d'être appelés au repentir, mais les pécheurs doivent-ils être laissés dans leurs péchés, parce que ceux qui professent être des maîtres spirituels ne veulent pas condescendre à leur prêter une main secourable?

 

L’ANCIEN ET LE NOUVEAU

 

Peu après la fête offerte par Matthieu, les Pharisiens allaient exprimer une autre critique, et en cela ils furent secondés par certains des disciples du Baptiste. Jean était en prison, mais beaucoup de ceux qui avaient été attirés à son baptême et avaient professé être ses disciples restaient toujours attachés à ses enseignements et ne pouvaient voir que le Personnage plus grand dont il avait témoigné exerçait alors son ministère au milieu d'eux. Le Baptiste avait observé scrupuleusement la loi; son ascétisme strict rivalisait avec la rigueur des pratiques pharisaïques. Ses disciples bornés, maintenant sans chef, s'unirent naturellement aux Pharisiens. Certains des disciples de Jean vinrent trouver Jésus et l'interrogèrent concernant son indifférence apparente à propos du jeûne. Ils lui posèrent une question nette: «Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, tandis que tes disciples ne jeûnent pas[18]?» La réponse de notre Seigneur dut raviver dans l'esprit des disciples du Baptiste maintenant emprisonné la mémoire des paroles de leur chef bien-aimé, lorsqu'il s'était comparé à l'ami de l'Epoux, et leur avait dit clairement qui était le véritable Epoux[19]. «Et Jésus leur répondit: Les amis de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux? Aussi longtemps qu'ils ont l'époux avec eux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront où l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront en ce jour-là[20]

 

Si ceux qui l'interrogeaient ne purent comprendre la portée réelle de cette réponse, ils ne pouvaient s'empêcher d'y voir l'intention du Christ d'abroger les observances purement cérémonielles prévues par le code de lois rabbinique et les nombreuses traditions associées à la loi. Mais pour rendre le sujet plus clair à leur esprit perverti, Jésus leur donna des exemples que l'on peut placer parmi les paraboles. «Personne, dit-il, ne coud une pièce de drap neuf à un vieil habit; autrement le morceau neuf emporterait le tout et la déchirure serait pire. Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement le vin fait rompre les outres, et le vin et les outres sont perdus; mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves[21]

 

Notre Seigneur proclama ainsi la nouveauté et la plénitude de son Evangile. Ce n'était nullement un rapiéçage du judaïsme. Il n'était pas venu réparer des vêtements vieux et déchirés; la toile qu'il donnait était nouvelle, et la coudre sur l'ancienne n'aurait fait que déchirer de nouveau le tissu complètement usé et laisser une déchirure encore plus vilaine que précédemment. Ou pour prendre un autre exemple, il n'était pas prudent de confier du vin nouveau à de vieilles bouteilles. Les bouteilles auxquelles il est fait allusion ici étaient en réalité des outres faites de peaux d'animaux et qui se détérioraient évidemment avec l'âge. Tout comme le vieux cuir se fend ou se déchire sous une pression, même légère, de même les vieilles peaux des bouteilles éclateraient sous la pression du jus en fermentation, et le bon vin serait perdu. L’Evangile enseigné par le Christ était une révélation nouvelle qui remplaçait une révélation passée et marquait l'accomplissement de la loi; ce n'était pas un simple ajout ni une répétition de commandements passés; elle comportait une nouvelle alliance éternelle. Les efforts pour rapiécer les vêtements du traditionalisme juif avec la nouvelle étoffe de l'alliance ne pouvaient avoir de plus beau résultat qu'une déchirure de l'étoffe. Le vin nouveau de l'Evangile ne pouvait être contenu dans les vieux récipients des libations mosaïques usés par le temps. Le judaïsme serait diminué et le christianisme perverti par tout mélange incongru de ce genre[22].

 

PECHEURS D'HOMMES

 

Il est improbable que les disciples qui suivirent Jésus au cours des premiers mois de son ministère étaient restés constamment avec lui jusqu'à l'époque que nous examinons maintenant. Nous voyons que certains de ceux qui furent appelés plus tard à l'apostolat poursuivaient leur métier de pêcheurs alors même que Jésus enseignait activement dans leur région. Un jour que le Seigneur se trouvait près du lac ou de la mer de Galilée, le peuple se pressa en grand nombre autour de lui, avide d'entendre davantage des paroles merveilleuses qu'il avait l'habitude de prononcer[23]. Près de cet endroit se trouvaient deux bateaux de pêche qui avaient été tirés sur la plage; les propriétaires en étaient tout près, occupés à laver et à réparer leurs filets. L’un des bateaux appartenait à Simon Pierre, qui s'était déjà engagé dans l’œuvre du Maître; Jésus monta dans ce bateau, puis demanda à Simon de s'éloigner un peu de la terre. S'asseyant, comme les instructeurs de l'époque le faisaient lorsqu'ils prononçaient leurs discours, le Seigneur prêcha de cette chaire flottante à la multitude qui se trouvait sur la rive. Le sujet du discours ne nous est pas donné.

 

Lorsque le sermon fut terminé, Jésus commanda à Simon d'avancer en pleine eau et de jeter ses filets pour pêcher. André était probablement avec son frère, et il se peut qu'il y ait eu d'autres aides dans le bateau. Simon répondit à Jésus: «Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais, sur ta parole, je jetterai les filets.» Il fut bientôt rempli de poissons, et la prise fut si grande que le filet commença à rompre, et les pêcheurs affolés firent signe à ceux qui se trouvaient dans l'autre bateau de venir à leur rescousse. La prise remplit les deux bateaux à tel point qu'ils paraissaient être prêts à couler. Simon Pierre fut rempli d'étonnement de cette preuve nouvelle de la puissance du Maître, et, tombant aux pieds de Jésus, il s'exclama: «Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur.» Jésus lui répondit doucement par cette promesse: «Sois sans crainte; désormais tu seras pêcheur d'hommes[24].» Les occupants du deuxième bateau étaient Zébédée et ses deux fils, Jacques et Jean, ce dernier étant celui qui, avec André, avait quitté le Baptiste pour suivre Jésus au Jourdain[25]. Zébédée et ses fils étaient les associés de Simon dans le commerce du poisson. Lorsque les deux bateaux furent amenés à terre, les frères Simon et André et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, quittèrent leurs bateaux et accompagnèrent Jésus.

 

La description ci-dessus est basée sur le texte de Luc; les récits plus courts et moins détaillés donnés par Matthieu et Marc omettent l'incident de la pêche miraculeuse et insistent sur l'appel des pêcheurs. Jésus dit à Simon et à André: «Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes.» Le contraste ainsi présenté entre leur métier précédent et leur nouvel appel est d'une puissance frappante. Jusqu'alors ils avaient attrapé du poisson, et le sort du poisson était la mort; dorénavant ils allaient attirer des hommes - vers la vie éternelle. Pour Jacques et Jean l'appel ne fut pas moins net, et ils quittèrent, eux aussi, tout ce qu'ils possédaient pour suivre le Maître.

 

NOTES DU CHAPITRE 14

 

1. La lèpre : Dans l'usage biblique, ce nom s'applique à plusieurs maladies ayant cependant toutes certains symptômes en commun, tout au moins dans les premiers stades de la maladie. La véritable lèpre est un fléau dans beaucoup de pays orientaux d'aujourd'hui. Zénos dans le Stand. Bible Dict., dit: «La vraie lèpre, telle que nous la connaissons dans les temps modernes, est une affection qui se caractérise par l'apparition de nodules dans les sourcils, les joues, le nez et les lobes des oreilles, ainsi que dans les mains et les pieds, où la maladie ronge les articulations, provoquant la chute des doigts et des orteils. Si les nodules n'apparaissent pas, ils sont remplacés par des taches blanches ou décolorées sur la peau (lèpre masculaire). Ces deux formes sont dues à la dégénérescence fonctionnelle des nerfs de la peau. Hansen découvrit en 1871 le bacille qui en était la cause. Cependant un régime alimentaire défectueux semble constituer un état favorable à la culture du bacille. La lèpre était l'un des rares états anormaux du corps que la loi lévitique déclarait impurs. On prévoyait par conséquent des formalités compliquées pour détecter son existence et pour la purification de ceux qui en étaient guéris.»

 

Deems, Light of the Nations, p. 185, résumant la description des stades avancés de cette terrible maladie, écrit: «Les symptômes et les effets de cette maladie sont horribles. Il se produit une enflure blanche ou dartre, et la couleur des cheveux de la partie atteinte passe de sa couleur naturelle au jaune; puis c'est l'apparition d'une infection qui va plus profondément que la peau, ou de la chair dénudée apparaissant dans l'enflure. Puis elle s'étend et attaque les parties cartilagineuses du corps. Les ongles se détachent et tombent, les gencives sont absorbées, et les dents se gâtent et tombent; l'haleine est une puanteur, le nez se décompose, les doigts, les mains, les pieds peuvent être perdus ou les yeux rongés. La beauté humaine passe en corruption, et le patient a le sentiment d'être mangé comme par un démon qui le consume lentement en un long repas sans remords qui ne prendra fin que lorsqu'il sera détruit. Il est exclu de ses semblables. Quand ils approchent de lui, il doit crier: «Impur! Impur!» pour que toute l'humanité se détourne de lui. Il doit abandonner femme et enfants. Il doit aller vivre avec d'autres lépreux, dans le spectacle décourageant de misères semblables à la sienne. Il doit demeurer dans des maisons abandonnées ou dans les tombes. Il est, comme le dit Trench, une parabole terrible de la mort. En vertu des lois de Moïse (Lv 13:45, Nb 6:9, Ez 24:17) il était obligé de porter sur lui, comme s'il portait le deuil de son propre décès, les emblèmes de la mort, les vêtements déchirés; il devait garder la tête nue et la lèvre couverte, comme c'était la coutume de ceux qui étaient en communion avec les morts. Quand les Croisés apportèrent la lèpre de l'Orient, on revêtait habituellement le lépreux d'un linceul, et on disait pour lui les messes des morts... A toutes les époques cette maladie d'une horreur indescriptible a été considérée comme incurable; les Juifs croyaient qu'elle était infligée directement par Jéhovah en punition d'une perversité extraordinaire ou d'un acte coupable odieux, et que Dieu seul pouvait la guérir. Lorsque Naaman fut guéri, et que sa chair lui revint comme celle d'un petit enfant, il dit: ‘Voici: je reconnais qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël’ (2 R 5:14,15).»

 

Trench, dans ses Notes on the Miracles, pp. 165-168, souligne le fait que la lèpre ne se communique ordinairement pas par simple contact extérieur, et il considère que l'isolement des lépreux requis par la loi mosaïque est une leçon de choses pour illustrer l'impureté spirituelle. Il dit: «Je parle de la théorie erronée que la lèpre était contagieuse d'une personne à l'autre, et que les lépreux étaient si soigneusement séparés de leurs semblables de peur qu'ils ne communiquent la maladie à d'autres, de même que les vêtements déchirés, la lèvre couverte, le cri: «Impur, impur» (Lv 13:45) étaient des avertissements à tous qu'on devait se tenir à distance, de peur qu'en touchant involontairement un lépreux ou en s'approchant trop, on soit atteint par cette maladie. Pour ce qui est de savoir s'il existe un danger quelconque de ce genre, pratiquement tous ceux qui ont étudié la question de près s'accordent pour dire que la maladie ne se communiquait pas par contact ordinaire d'une personne à une autre. Un lépreux pouvait la transmettre à ses enfants, ou la mère des enfants d'un lépreux pouvait la recevoir de lui; mais elle ne se communiquait pas par contact ordinaire d'une personne à l'autre. Toutes les indications de l'Ancien Testament, de même que d'autres livres juifs, confirment la thèse selon laquelle nous avons à faire ici à quelque chose de beaucoup plus élevé qu'une simple règle d'hygiène. C'est ainsi que là où la loi de Moïse n'était pas observée, on n'excluait pas nécessairement les personnes atteintes; Naaman, le lépreux, commandait les armées de Syrie (2 R 5:1); Guéhazi, avec sa lèpre qui ne devait jamais être purifiée (2 R 5:27), parlait familièrement avec le roi de l'Israël apostat (2 R 8:5)... D'ailleurs, si la maladie avait été aussi contagieuse, comment les prêtres lévitiques y auraient-ils jamais échappé eux-mêmes, obligés qu'ils étaient de par leur office même de soumettre le lépreux à une manipulation réelle et à l'examen le plus soigneux?...

 

La lèpre n'était rien moins qu'une mort vivante, qu'une corruption de toutes les humeurs, qu'un empoisonnement des sources mêmes de la vie, une dissolution graduelle du corps tout entier, de telle sorte qu'un membre après l'autre se décomposait réellement et tombait. Aaron décrit avec précision l'aspect que le lépreux présentait aux yeux des spectateurs, lorsque, plaidant pour Miryam, il dit: «Qu'elle ne soit pas comme (l'enfant) mort-né, dont la chair est à moitié consumée quand il sort du sein de sa mère!» (Nb 12:12). En outre la maladie était incurable par l'art et le savoir-faire de l'homme; non que le lépreux ne pût pas recouvrer la santé, car, quoique rares, de tels cas sont prévus par la loi lévitique... le lépreux, portant d'une manière si terrible sur le corps les signes extérieurs et visibles du péché de l'âme, était traité entièrement comme un pécheur, comme quelqu'un en qui le péché avait atteint son paroxysme, comme quelqu'un de mort dans ses infractions et ses péchés. Il était une parabole terrible de la mort. Il portait sur lui les emblèmes de la mort (Lv 13:45), les vêtements déchirés, portant le deuil pour lui-même comme pour quelqu'un de mort, la tête nue comme avaient l'habitude de la porter ceux qui étaient souillés par la communion avec les morts (Nb 6:9, Ez 24:27) et la lèvre couverte (Ez 24:17)... mais le lépreux était comme quelqu'un de mort, et, comme tel, était exclu du camp (Lv 13:46, Nb 5:2-4) et de la ville (2 R 7:3), cette loi étant si strictement imposée que même la sœur de Moïse ne pouvait en être exemptée (Nb 12:14,15) et que des rois, comme Ozias (2 Ch 26:21, 2 Rois 15:5), devaient s'y soumettre; cette exclusion enseignait aux hommes que ce qui se produisait figurativement ici se produirait réellement en état de péché mortel.»

 

On trouvera dans Lv chap. 14 les cérémonies complexes exigées pour la purification d'un lépreux guéri.

 

2. Le blasphème : L’essence du péché terrible du blasphème ne réside pas, comme beaucoup le pensent, dans l'impiété seulement, mais comme le Dr Kelso, Stand. Bible Dict., le résume: «Tout emploi incorrect du nom divin (Lv 24:11), toute conversation défavorable à la Majesté de Dieu (Mt 26:65), et les péchés arbitraires, c'est-à-dire les transgressions préméditées des principes fondamentaux de la théocratie (Nb 9:13, 15:30, Ex 31:14), étaient considérés comme blasphèmes; le châtiment en était la mort par lapidation (Lv 24:16).» Le Smith's Bible Dict., déclare: «Le blasphème, dans le sens technique du mot, signifie dire du mal de Dieu, et on le trouve dans ce sens dans Ps 74:18, Es 52:5, Rm 2:24, etc. C'est sur cette accusation que notre Seigneur et Etienne furent condamnés à mort par les Juifs. Lorsqu'une personne entendait un blasphème, elle posait la main sur la tête de l'offenseur pour indiquer qu'il était seul responsable du péché et, se levant, déchirait son vêtement, lequel ne pouvait plus jamais être réparé» (voir Mt 26:65.)

 

3. Péager : «Mot appliqué tard aux Romains qui achetaient au gouvernement le droit de lever des impôts dans un territoire donné. Ces acheteurs, toujours des chevaliers (les sénateurs étaient exclus en vertu de leur rang), devenaient des capitalistes et formaient de puissantes compagnies d'actionnaires dont les membres recevaient un pourcentage sur le capital investi. Les capitalistes provinciaux ne pouvaient acheter les impôts, qui étaient vendus à Rome aux plus offrants, lesquels, pour se dédommager, sous-louaient leurs territoires (contre une grosse avance sur le prix payé au gouvernement) aux péagers locaux; ceux-ci, à leur tour, devaient prendre un bénéfice sur l'argent payé pour le rachat. Etant contrôleurs des biens fonciers aussi bien que collecteurs d'impôts, ils avaient abondamment l'occasion d'opprimer le peuple, qui les haïssait tant pour cette raison que parce que l'impôt lui-même était le signe de sa sujétion à des étrangers» (J. R. Sterrett dans Stand. Bible Dict.).

 

4. Pêcheurs d'hommes : «Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes», dit Jésus à des pêcheurs qui devinrent plus tard ses apôtres (Mt 4:19). La version de Marc est presque la même (1:17), tandis que celle de Luc (5: 10) dit: «Désormais tu seras pêcheur d'hommes.» La version correcte est, comme les commentateurs s'accordent pratiquement pour le dire: «Dorénavant tu prendras des hommes vivants.» Cette traduction souligne le contraste donné dans le texte - celui qui existe entre la capture des poissons pour les tuer, et de se gagner des hommes pour les sauver. Examinez, dans cet ordre d'idées, la prédiction que le Seigneur fit par l'intermédiaire de Jérémie (16:16), que, pour toucher Israël dispersé il enverrait: «Une multitude de pêcheurs, et ils les pêcheront», etc.

 

5. «Tes péchés te sont pardonnés.» : Le commentaire suivant d'Edersheim (Life and Times of Jesus the Messiah, vol. 1, pp. 505,506) relatif à l'incident étudié est instructif: «Dans ce pardon des péchés, il présenta sa personne et son autorité comme divines, et les prouva telles par la guérison miraculeuse qui suivit immédiatement. Si les deux avaient été intervertis [c'est-à-dire si le Christ avait tout d'abord guéri l'homme et lui avait dit après que ses péchés étaient pardonnés], cela aurait évidemment prouvé son pouvoir, mais pas sa personnalité divine, ni le fait qu'il avait l'autorité de pardonner les péchés; et c'est cela, et non le fait qu'il accomplissait des miracles, qui était l'objet de son enseignement et de sa mission, dont les miracles n'étaient que des preuves secondaires. C'est ainsi que le raisonnement intérieur des scribes, qui était clair et connu de celui qui lit toutes les pensées, eut pour résultat exactement l'opposé de ce qu'ils auraient pu attendre. Bien injustifié était le sentiment de mépris que nous découvrons dans leurs paroles silencieuses, que nous les lisions comme disant ‘Pourquoi celui-ci dit-il des blasphèmes?’ ou, selon une transcription plus correcte: ‘Pourquoi celui-ci parle-t-il ainsi? Il blasphème!’ Cependant, selon leur point de vue, ils avaient raison, car Dieu seul peut pardonner les péchés; et ce pouvoir n'a jamais été donné ou délégué à l'homme. Mais était-il simplement un homme, comme l'était même le plus honoré des serviteurs de Dieu? Homme, il l'était; mais ‘le Fils de l'Homme’... Il semblait facile de dire: ‘Tes péchés ont été pardonnés.’ Mais pour lui, qui avait l'autorité de le faire sur terre, ce n'était ni plus facile ni plus difficile de dire: ‘Lève-toi, prends ton lit et marche.’ Cependant ce dernier prouvait assurément le premier, et lui donnait aux yeux de tous les hommes une réalité indubitable. Et c'est ainsi que ce furent les pensées de ces scribes qui, appliquées au Christ étaient ‘mauvaises’ - puisqu'ils l'accusaient de blasphème - qui fournirent l'occasion de donner une preuve réelle de ce qu'ils auraient accusé et nié. L’objectif tant des miracles que de ce miracle particulier n'aurait pu être atteint d'aucune autre manière que par les «pensées mauvaises» de ses scribes lorsque, mises miraculeusement en lumière, elles exprimaient le doute le plus intime et montraient du doigt la question la plus importante concernant le Christ. Et ce fut donc, une fois de plus, la colère de l'homme qui fit l'éloge du Christ.»

 

 

 


[1] Lc 4:42-44.

[2] Mc 1:38.

[3] Mc 1:40-45, Mt 8:2-4, Lc 5:12-15.

[4] Lv 14:2-10. Note 1, fin du chapitre.

[5] Mt 5:17.

[6] Mc 1:45.

[7] Ac 10:38.

[8] Mc 2:1-12; cf. Mt 9:2-8, Lc 5:17-24.

[9] Cf. Jc 2:14-18.

[10] Note 2, fin du chapitre.

[11] Voir un autre cas où notre Seigneur lut des pensées, Lc 7:39-50.

[12] Mt 9:2. Note 5, fin du chapitre.

[13] Jn 5:14. Page 228.

[14] Jn 9:1-3.

[15] Cf. Jn 10:33 et 5:18, Mt 26:65,66.

[16] Note 3, fin du chapitre.

[17] Mt 9:9-13, Mc 2:13-17, Lc 5:27-32.

[18] Mc 2:18-22, Mt 9:14-17, Le 5:33-39.

[19] Page 179.

[20] Mc 2:19,20.

[21] Mc 2:21,22.

[22] Voir La Grande apostasie, 7:5.

[23] Lc 5:1-11; cf. Mt 4:18-22, Mc 1:16-20.

[24] Note 4, fin du chapitre.

[25] Page 151.

 

 

 

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