CHAPITRE 15 : SEIGNEUR DU SABBAT

 

LE SABBAT, PARTICULIÈREMENT SACRÉ POUR ISRAËL

 

La sanctification du jour du sabbat était l'un des commandements les plus importants que le Seigneur donna à Israël, son peuple, dès une époque très reculée de l'histoire de cette nation. En fait le respect du jour du sabbat, jour où l'on cessait le travail ordinaire, était une caractéristique nationale qui distinguait les Israélites des peuples païens, et ce, à juste titre, car la sainteté du sabbat devint le signe de l'alliance entre le peuple élu et son Dieu. La sainteté du sabbat avait été préfigurée dans le récit de la création, avant que l'homme ne fût placé sur la terre, comme le montre le fait que Dieu se reposa après les six périodes ou jours d’œuvre créatrice, et bénit le septième jour et le sanctifia[1]. Au cours de l'exode d'Israël, le septième jour fut mis à part comme jour de repos, pendant lequel il n'était pas permis de rôtir, bouillir ou cuire de la nourriture. On devait rassembler une ration double de manne le sixième jour, tandis que les autres jours il était expressément interdit de mettre de côté un surplus de ce pain quotidien envoyé du ciel. Le Seigneur observait la sainteté du jour sacré en ne donnant pas de manne ce jour-là[2].

 

Le commandement de célébrer le sabbat d'une manière stricte fut précisé de manière explicite dans le décalogue écrit de la main de Dieu au milieu de la gloire terrible du Sinaï; et cette injonction fut rappelée au peuple par des proclamations fréquentes[3]. Il n'était pas permis d'allumer de feu ce jour-là, et il est rapporté qu'un homme fut mis à mort pour avoir rassemblé des morceaux de bois le septième jour[4]. Sous l'administration de prophètes ultérieurs, la sainteté du sabbat, les bénédictions promises à ceux qui sanctifiaient le jour, et le péché de profanation du sabbat furent réitérés en des termes d'une force inspirée[5]. Néhémie fit des exhortations et des réprimandes à ce sujet et attribua l'affliction de la nation au fait qu'elle avait perdu la faveur de Jéhovah en violant le sabbat[6]. Le Seigneur affirma par la bouche d'Ezéchiel que l'institution du sabbat était le signe de l'alliance entre lui et le peuple d'Israël; et il réprimanda sévèrement ceux qui ne respectaient pas ce jour-là[7]. Le respect de la sainteté du sabbat était une exigence aussi impérieuse pour la branche séparée de la nation israélite qui avait colonisé le continent américain[8].

 

L'observance requise était cependant l'opposé même de l'affliction et du fardeau; le sabbat était consacré au repos et à un juste agrément, et devait être un jour de fête spirituelle devant le Seigneur. Il n'avait pas été établi comme jour d'abstinence; on pouvait manger, mais la maîtresse comme la servante devaient être soulagées de la tâche de préparer la nourriture; ni maître ni serviteur ne devaient labourer, bêcher ou travailler; et le jour de repos hebdomadaire était tout autant l'aubaine du bétail que celui de ses propriétaires.

 

Outre le sabbat hebdomadaire, le Seigneur, dans sa miséricorde, prescrivit également une année sabbatique. Tous les sept ans la terre devait se reposer, ce qui augmentait sa fertilité[9]. Lorsque sept fois sept ans s'étaient écoulés, la cinquantième année devait être célébrée du commencement à la fin comme une année de jubilé, au cours de laquelle le peuple devait vivre sur l'accroissement accumulé des saisons de prospérité précédentes et se réjouir de cette libéralité en se relevant l'un l'autre des hypothèques et des contrats, en accordant la remise des dettes et un soulagement général des fardeaux - toutes choses qui devaient être faites avec miséricorde et en justice[10]. Les sabbats établis par le Seigneur, que ce fussent des jours, des semaines ou des années, devaient être des périodes de délassement, de soulagement, de bénédiction, de générosité et d'adoration.

 

Pour ceux, nombreux, qui professent considérer que la nécessité du travail fait partie de la malédiction causée par la chute d'Adam, le sabbat doit être comme un jour de répit temporaire, une période d'exemption de travail et comme l'occasion bénie de s'approcher davantage de la Présence dont le genre humain a été exclu par le péché. Pour ceux qui adoptent une conception plus élevée de la vie et trouvent dans le travail tant le bonheur que les bénédictions matérielles, ce soulagement périodique apporte du délassement et donne un enthousiasme renouvelé pour les jours qui suivent.

 

Mais longtemps avant l'avènement du Christ, le but originel du sabbat avait cessé d'être connu par la majorité d'Israël, et l'esprit de son observance avait été étouffé sous le poids des injonctions rabbiniques et sous le formalisme des restrictions. A l'époque du ministère du Seigneur, les précisions techniques prescrites comme règles annexées à la loi étaient presque innombrables, et le fardeau ainsi imposé au peuple était devenu quasi insupportable. Parmi les nombreuses exigences saines de la loi mosaïque, que les instructeurs et les gouverneurs spirituels des Juifs avaient rendues ainsi lourdes à supporter, celle de l'observance du sabbat avait une place particulièrement importante. La «haie», qu'en vertu d'une théorie que rien ne justifiait, ils professaient placer autour de la loi[11], était particulièrement épineuse dans les sections consacrées au sabbat juif. Même des infractions minimes aux règles traditionnelles étaient sévèrement punies, et on maintenait devant les yeux du peuple la menace suprême de la peine capitale en cas de profanation extrême[12].

 

GUÉRISON D'UN INVALIDE LE JOUR DU SABBAT

 

Etant donné cette situation, nous ne sommes pas surpris de voir notre Seigneur accusé assez rapidement dans le cours de son oeuvre publique d'enfreindre le sabbat. Un exemple qui eut beaucoup de suites importantes est rapporté par Jean[13], dont le récit relate un miracle très impressionnant. Jésus était de nouveau à Jérusalem, à l'époque de l'une des fêtes juives[14]. Il y avait, près du marché aux brebis de la ville, une piscine appelée Béthesda. D'après la description que nous avons, nous pouvons conclure que c'était une piscine naturelle; il se peut que l'eau ait été riche en solides ou en gaz dissous, ou des deux, ce qui en faisait ce que nous appellerions aujourd'hui une source minérale; car nous voyons que l'eau avait la réputation de posséder des vertus curatives et que beaucoup de gens affligés venaient s'y baigner. La source était du genre périodique; à certains moments ses eaux s'élevaient avec un bouillonnement, puis redescendaient au niveau normal. On connaît des sources minérales de ce genre dans beaucoup de parties du monde. Certains croyaient que le gonflement périodique des eaux de Béthesda provenait d'une action surnaturelle, et on disait que «celui qui y descendait le premier après que l'eau avait été agitée, était guéri, quelle qu'ait été sa maladie». La piscine de Béthesda était entièrement ou partiellement fermée; et cinq portiques avaient été construits pour abriter ceux qui attendaient à la source le bouillonnement intermittent de l'eau.

 

Un jour de sabbat, Jésus se rendit à la piscine et y vit beaucoup de personnes affligées qui attendaient. Parmi elles se trouvait un homme qui était cruellement affligé depuis trente-huit ans. Nous pouvons déduire de la manière dont l'homme décrivit son impuissance que sa maladie était la paralysie, ou peut-être une forme extrême de rhumatisme; quelle que fût son affliction, elle le rendait à ce point impotent qu'il avait peu de chance d'arriver à la piscine au moment critique, car d'autres moins invalides le précédaient; or, selon les légendes qui couraient sur les propriétés curatives de la source, seul le premier à entrer dans la piscine après l'agitation de l'eau pouvait s'attendre à guérir.

Jésus reconnut dans l'homme quelqu'un qui était digne d'être béni et lui dit: «Veux-tu retrouver la santé?» La question était si simple qu'elle pouvait presque paraître superflue. Il est évident que l'homme voulait être guéri, et il attendait patiemment, quoique avidement, la petite chance qu'il avait de pouvoir arriver à l'eau au bon moment. Il y avait cependant une intention dans les paroles du Maître comme dans toutes ses autres paroles. L'attention de l'homme était attirée sur lui, fixée sur lui; la question plantée dans le cœur du malade renouvelait son désir d'avoir la santé et la force dont il était privé depuis le temps de sa jeunesse. Sa réponse fut pitoyable et révéla l'état presque désespéré de son esprit; il ne pensait qu'aux vertus célèbres de la piscine de Béthesda, disant: «Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine quand l'eau est agitée, et pendant que j'y vais, un autre descend avant moi.» Alors Jésus lui dit: «Lève-toi;... prends ton lit et marche.» Immédiatement la force fut rendue à l'homme, qui, pendant près de quatre décennies, avait été un grand invalide; il obéit au Maître, et, prenant le petit matelas ou grabat sur lequel il reposait, s'en alla.

 

Il n'était pas allé loin que les Juifs, c'est-à-dire certains de la classe gouvernante, car c'est dans ce sens que l'évangéliste Jean emploie le terme, le virent porter son lit; or c'était le jour de sabbat. A leurs réprimandes péremptoires, il répliqua, dans la gratitude et la simplicité honnête de son cœur, que celui qui l'avait guéri lui avait dit de prendre son lit et de marcher. L’intérêt des enquêteurs passa immédiatement de l'homme à celui qui avait accompli le miracle; mais l'ancien invalide ne pouvait nommer son Bienfaiteur, ayant perdu Jésus de vue dans la foule avant d'avoir eu l'occasion de l'interroger ou de le remercier. L’homme qui avait été guéri s'en alla au temple, probablement poussé par le désir d'exprimer sa gratitude et sa joie dans la prière. C'est là que Jésus le trouva et lui dit: «Voici, tu as retrouvé la santé, ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire.[15]» Cet homme s'était probablement attiré son affliction par ses habitudes pécheresses. Le Seigneur décida qu'il avait souffert suffisamment dans son corps et mit fin à sa souffrance physique en l'exhortant ensuite à ne plus pécher.

 

L'homme s'en alla dire aux dirigeants quelle était la personne qui l'avait guéri. Peut-être fit-il cela avec le désir d'honorer et de glorifier celui qui lui avait donné sa bénédiction; rien ne permet de dire qu'il le fit dans un but indigne même si, par son acte, il contribua à augmenter la persécution de son Seigneur. Si intense était la haine de la faction sacerdotale que les gouverneurs cherchèrent le moyen de mettre Jésus à mort, sous le prétexte spécieux qu'il enfreignait le sabbat. On pourrait se demander pour quel acte ils auraient bien pu espérer le condamner, même dans l'application la plus stricte de leurs règles. Il n'était pas interdit de parler le jour du sabbat, et Jésus n'avait fait que parler pour guérir. Il n'avait pas porté le lit de l'homme et n'avait même pas essayé de faire le plus léger travail physique. Leur propre interprétation de la loi ne leur permettait pas de lui intenter de procès.

 

LA RÉPONSE DE NOTRE SEIGNEUR AUX JUIFS ACCUSATEURS

 

Néanmoins, les fonctionnaires juifs lancèrent des accusations contre Jésus. Que l'entrevue se soit produite à l'intérieur des murs du temple ou en pleine rue, sur la place du marché ou dans la salle du jugement, cela n'a aucune importance. Sa réponse à leurs accusations ne se limite pas à la question de l'observance du sabbat; elle représente le sermon le plus complet des Ecritures sur le sujet capital des rapports entre le Père éternel et son Fils Jésus-Christ.

 

Sa première phrase augmenta la colère déjà intense des Juifs. Parlant de l’œuvre qu'il avait accomplie pendant le saint jour, il dit: «Mon Père travaille jusqu'à présent. Moi aussi, je travaille.» Ces paroles, ils les interprétèrent comme un blasphème[16]. «A cause de cela, les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, non seulement parce qu'il violait le sabbat, mais parce qu'il disait que Dieu était son propre Père, se faisant lui-même égal à Dieu.» A leurs protestations orales ou inexprimées, Jésus répondit que lui, le Fils, n'agissait pas indépendamment, et ne pouvait en fait rien faire que ce qui était conforme à la volonté du Père, et ce qu'il avait vu le Père faire, que le Père aimait tellement le Fils qu'il lui montrait les oeuvres du Père.

 

Remarquons que Jésus n'essaya nullement de réfuter leur interprétation de ses paroles; au contraire il confirma que leurs déductions étaient correctes. Il s'associa avec le Père en un rapport encore plus étroit et plus exalté qu'ils ne l'avaient conçu. L’autorité que le Père lui avait donnée ne se limitait pas à la guérison des infirmités corporelles; il avait même le pouvoir de ressusciter les morts - «En effet, comme le Père ressuscite les morts et les fait vivre, de même aussi le Fils fait vivre qui il veut.» En outre, le jugement des hommes lui avait été confié; et nul ne pouvait honorer le Père autrement qu'en honorant le Fils. Venait ensuite cette déclaration tranchante: «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.»

 

Le royaume du Christ n'était pas limité par le tombeau; même le salut des morts dépendait entièrement de lui; et il proclama, aux oreilles terrifiées de ses accusateurs abasourdis, la vérité solennelle qu'à ce moment-là même, l'heure était proche où les morts entendraient la voix du Fils de Dieu. Réfléchissez à sa profonde affirmation: «En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient - et c'est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui l'auront entendue vivront.» Il confondit les Juifs pleins de rage meurtrière en déclarant qu'ils ne pouvaient pas lui ôter la vie sans qu'il s'y soumît: «En effet comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même.» Il prononça une autre parole tout aussi importante: «Et il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement, parce qu'il est le Fils de l'homme.» Lui, le Fils de l'Homme de Sainteté exalté et glorifié et maintenant lui-même homme mortel[17], allait être le juge des hommes.

 

Il n'est pas étonnant qu'ils aient été stupéfaits; jamais auparavant ils n'avaient entendu ni lu pareille doctrine; elle n'était ni des scribes ni des rabbis, pas plus que des écoles pharisaïques ou sadducéennes. Mais il les réprimanda pour leur étonnement, disant: «Ne vous en étonnez pas; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection et la vie, ceux qui auront pratiqué le mal pour la résurrection et le jugement.[18]»

 

Cette énonciation de la résurrection, faite si clairement que les plus illettrés pouvaient la comprendre, dut offenser les Sadducéens qui étaient là, car ils niaient formellement la résurrection. Le Christ affirme ici d'une manière absolument certaine que la résurrection est universelle; ce ne sont pas seulement les justes, mais même ceux qui méritent la condamnation qui doivent ressusciter de leur tombe dans leur corps de chair et d'os[19].

 

Puis, affirmant solennellement une fois de plus l'unité de la volonté de son Père et de la sienne, le Christ parla de la question des témoins de son œuvre. Il admit ce qui était une doctrine reconnue de l'époque, à savoir que le témoignage qu'un homme seul rendait de lui-même ne suffisait pas; mais il ajouta: «C'est un autre qui rend témoignage de moi, et je sais que le témoignage qu'il rend de moi est vrai.» Il cita Jean-Baptiste et leur rappela qu'ils lui avaient envoyé une délégation et que Jean avait répondu en rendant témoignage du Messie; et Jean avait été une lumière brûlante et brillante, et beaucoup s'étaient temporairement réjouis de son ministère. Il laissa les Juifs voir par eux-mêmes que le témoignage de Jean était valide selon leur interprétation la plus stricte des lois de la preuve. «Pour moi, poursuivit-il, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage... Moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean; car les œuvres que le Père m'a donné d'accomplir, ces oeuvres mêmes que je fais témoignent de moi que le Père m'a envoyé. Et le Père qui m'a envoyé a lui-même rendu témoignage de moi.»

 

Puis, en des termes qui les condamnaient catégoriquement, il leur dit qu'ils étaient privés de la parole du Père parce qu'ils refusaient de l'accepter, lui, que le Père avait envoyé. Sur un ton direct et humiliant, il exhorta ces savants de la loi, ces interprètes des prophètes, ces traducteurs professionnels des Ecritures saintes à se mettre à lire et à étudier. «Vous sondez les Ecritures, dit-il, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de moi.» Il ajouta sur un ton accusateur qu'eux, qui reconnaissaient et enseignaient que c'est dans les Ecritures que se trouve le chemin de la vie éternelle, refusaient de venir à lui de qui ces mêmes Ecritures témoignaient, alors qu'en venant ils pouvaient obtenir la vie éternelle. «Je ne reçois pas de gloire des hommes, ajouta-t-il, Mais je vous connais: vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu.» Ils savaient qu'ils recherchaient les honneurs des hommes, recevaient les honneurs les uns des autres, étaient nommés rabbis et docteurs, scribes et instructeurs, par la réception de titres et de grades tous d'hommes; mais ils rejetaient celui qui venait au nom de quelqu'un d'infiniment plus grand que toutes leurs écoles ou sociétés - il venait au nom suprême du Père. La cause de leur ignorance spirituelle fut relevée: ils se reposaient sur les honneurs des hommes et ne recherchaient pas l'honneur de servir réellement la cause de Dieu.

 

Il avait parlé de l'autorité de juger qui lui avait été confiée; maintenant il expliquait qu'ils ne devaient pas penser qu'il les accuserait devant le Père; quelqu'un d'inférieur à lui les accuserait, à savoir Moïse, un autre de ses témoins en qui ils professaient avoir tellement confiance, Moïse en qui ils disaient tous croire et, leur jetant à la face tous les faits de sa puissante accusation, le Seigneur poursuivit: «Car, si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu'il a écrit à mon sujet. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles?» Tels étaient les enseignements lumineux combinés à une dénonciation ardente que ces hommes avaient provoqués par leur tentative futile de condamner Jésus en l'accusant d'avoir profané le sabbat. Ce n'était qu'une des nombreuses machinations perverses par lesquelles ils complotaient avec tant de détermination et s'efforçaient de stigmatiser et d'invoquer le châtiment de l'infraction du sabbat sur celui-là même qui avait ordonné le sabbat et en était, en vérité, le seul et unique Seigneur.

 

LES DISCIPLES ACCUSÉS D'ENFREINDRE LE SABBAT

 

Il peut être profitable d'examiner, à ce propos, d'autres exemples de bonnes œuvres accomplies par notre Seigneur le jour du sabbat; et ceci, nous pouvons le faire sans nous préoccuper inutilement de l'ordre chronologique des événements. Nous retrouvons Jésus en Galilée, que ce soit avant ou après sa visite à Jérusalem à l'époque de la fête inconnue, occasion au cours de laquelle il accomplit le miracle de la guérison à la piscine de Béthesda, cela n'a aucune importance. Un certain jour de sabbat, ses disciples et lui traversaient un champ de blé[20], et, ayant faim, les disciples se mirent à cueillir quelques-uns des épis mûrissants; frottant les grains entre leurs mains, ils mangèrent. Il n'y avait pas de vol dans ce qu'ils faisaient, car la loi mosaïque prévoyait qu'en traversant la vigne ou le champ de blé d'un autre on pouvait cueillir des raisins ou du blé pour soulager sa faim; mais il était interdit d'utiliser une faucille dans le champ, ou d'emporter des raisins dans un récipient[21]. La permission ne valait que pour soulager le besoin du moment. Lorsque les disciples de Jésus profitèrent de cet avantage légal, des Pharisiens observaient la scène, et ceux-ci s'approchèrent immédiatement du Maître et dirent: «Voici que tes disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire pendant le sabbat.» Les accusateurs pensaient sans aucun doute au dogme rabbinique qui voulait que frotter un épi de blé entre les mains était une espèce de battage, que souffler la balle était du vannage, et qu'il était illégal de battre ou de vanner le jour du sabbat. En fait certains rabbis savants avaient considéré que c'était un péché de marcher sur l'herbe pendant le sabbat, étant donné que l'herbe pouvait être en semence, et que piétiner la semence reviendrait à battre le grain.

 

Jésus défendit les disciples en citant un précédent applicable à ce cas, et beaucoup plus important. Cet exemple était celui de David, qui avec une petite compagnie d'hommes avait demandé du pain au sacrificateur Ahimélek, car ils avaient faim et étaient pressés. Le sacrificateur n'avait que du pain consacré, les pains de proposition qui étaient placés périodiquement dans le sanctuaire, et que nul autre que les sacrificateurs n'avait la permission de manger. Etant donné l'état de besoin urgent, le sacrificateur avait donné le pain de proposition aux hommes affamés[22]. Jésus rappela également aux Pharisiens critiques que les sacrificateurs du temple travaillaient régulièrement beaucoup le jour du sabbat lorsqu'ils immolaient les victimes sacrificatoires, et en général dans le service de l'autel, et étaient pourtant tenus pour innocents à cause des exigences supérieures du culte qui rendaient ce genre de travail nécessaire; et il ajouta avec une insistance solennelle: «Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le temple.» Il cita la parole de Dieu exprimée par Osée: «Je veux la miséricorde et non le sacrifice»[23] et les réprimanda à la fois pour leur ignorance et pour leur zèle pervers en leur disant que s'ils avaient su ce que cette Ecriture voulait dire, ils n'auraient pas condamné des innocents. Que l'on s'en souvienne, «le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat»[24].

 

Sa réprimande fut suivie de l'affirmation de sa suprématie personnelle: «Car le Fils de l'homme est maître du sabbat.» Que pouvons-nous déduire de cette déclaration si ce n'est que lui, Jésus, qui était présent, là dans la chair, était l'être par l'intermédiaire duquel le sabbat avait été ordonné, que c'était lui qui avait donné et écrit sur la pierre le décalogue, y compris «Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier», et, «le septième jour est le sabbat de l'Eternel, ton Dieu»?

 

UN COMPLOT PHARISIEN

 

De nouveau, un jour de sabbat, Jésus entra dans une synagogue et vit dans l'assemblée un homme dont la main droite était sèche[25]. Des Pharisiens étaient là, et ils regardèrent pour voir si Jésus guérirait l'homme, leur but étant de l'accuser, s'il le faisait. Les Pharisiens demandèrent: «Est-il permis de faire une guérison les jours de sabbat?» Notre Seigneur rétorqua à leur dessein si mal voilé en demandant: «Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une personne ou de la tuer?» Ils se turent, car c'était une question à double tranchant. Répliquer par l'affirmative, ç'aurait été justifier les guérisons; répondre par la négative ç'aurait été se rendre ridicules. Il posa une autre question: «Lequel d'entre vous, s'il n'a qu'une brebis et qu'elle tombe dans une fosse le jour du sabbat, ne la saisira pour l'en retirer? Combien un homme ne vaut-il pas plus qu'une brebis!»

 

Comme les Pharisiens ne pouvaient ou ne voulaient pas répondre, il résuma toute la question de la manière suivante: «Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat.» Il demanda à l'homme à la main sèche de se tenir devant l'assemblée. La douleur et la colère se mêlaient dans son regard pénétrant qui balayait la foule; mais, se tournant avec compassion vers l'affligé, il lui commanda d'étendre la main; l'homme obéit, et voici que la main «redevint saine comme l'autre».

 

Les Pharisiens déconfits étaient furieux; «remplis de fureur», dit Luc; et ils s'en allèrent comploter de nouveau contre le Seigneur. Leur haine était tellement violente qu'ils s'allièrent aux Hérodiens, parti politique généralement impopulaire chez les Juifs[26]. Les gouverneurs du peuple étaient prêts à se lancer dans n'importe quelle intrigue ou n'importe quelle alliance pour parvenir à leurs fins, dont ils ne se cachaient d'ailleurs pas, à savoir de faire mettre le Seigneur Jésus à mort. Conscient des desseins pervers qui se tramaient contre lui, Jésus se retira de la localité. Nous examinerons plus loin[27] d'autres accusations de violation du sabbat que formulèrent des casuistes juifs contre le Christ.

 

NOTES DU CHAPITRE 15

 

1. Législations rabbiniques concernant l'observance du sabbat : «Aucun trait du système juif n'était aussi marqué que son extraordinaire sévérité dans l'observance extérieure du sabbat, lequel devait être un jour de repos total. Les scribes avaient élaboré, à partir du commandement de Moïse, toute une foule de prohibitions et d'injonctions, couvrant l'ensemble de la vie sociale, individuelle et publique, et la portaient à l'extrême du ridicule et de la caricature. Des règles sans fin étaient prescrites quant au genre de nœuds que l'on pouvait légalement faire le jour du sabbat. Le nœud du chamelier et du marin étaient illégaux, et il était tout aussi illégal de les défaire que de les faire. Un nœud que l'on pouvait faire d'une main pouvait être défait. On pouvait attacher un soulier ou une sandale, une coupe de femme, une outre à vin ou à huile, un pot à viande. Lorsqu'on était à une source, on pouvait attacher une cruche à l'écharpe que l'on portait, mais non à une corde... Allumer ou éteindre un feu le jour du sabbat constituait une grande profanation du jour, et il n'était même pas permis à la maladie d'enfreindre les règlements rabbiniques. Il était interdit de donner un émétique le jour du sabbat - de placer des attelles à un os cassé ou de remettre en place une jointure disloquée, quoique certains rabbis plus libéraux affirmassent que tout ce qui mettait la vie en danger annulait la loi du sabbat.» Car les commandements n'étaient donnés à Israël que pour qu'il puisse les vivre. Si quelqu'un était enseveli sous des ruines le jour du sabbat, on pouvait faire des fouilles pour aller le retrouver et l'en sortir, s'il était vivant, mais, s'il était mort, on devait le laisser où il était jusqu'à ce que le sabbat fût terminé» (Giekie, Life and Words of Christ, chap. 38).

 

2. La fête dont le nom n'est pas donné : On a beaucoup discuté pour savoir de quelle fête il s'agissait dans Jean 5:1, à l'époque de laquelle Jésus guérit le paralytique à la piscine de Béthesda. Beaucoup d'auteurs affirment que c'était la Pâque, d'autres que c'était la fête de Pourim ou quelqu'autre célébration juive. Le seul semblant d'importance qui pourrait s'attacher à la question, c'est la possibilité d'apprendre grâce à ce fait, si on pouvait prouver celui-ci, quelque chose sur l'ordre chronologique des événements à cette période de la vie de notre Seigneur. On ne nous dit pas de quelle fête il s'agit, pas plus que l'année ni l'époque de l'année où elle se produisit. La valeur du miracle qui fut accompli à cette occasion et du discours sur la doctrine qui fut prononcé à la suite de cela, ne dépend en aucune façon de la date à laquelle ils se situent.

 

3. Les pains de proposition : Le nom signifie «pains de la présence», signifiant qu'on les plaçait en la présence de Jéhovah. Le pain ainsi sanctifié consistait en douze pains faits sans levain. Ils devaient être posés dans le Saint en deux colonnes de six pains chacune. Zenos, dans le Stand. Bible Dict. écrit: «On les y laissait une semaine entière, à la fin de laquelle le prêtre les retirait et les mangeait sur un sol saint, c'est-à-dire dans l'enceinte du sanctuaire. Le fait pour d'autres personnes que des prêtres de manger du pain de proposition était considéré comme sacrilège, car il était «saint» (voir Ex 25:30, Lv 24:5-9, 1 S 21:1-6).

 

4. Le sabbat fut fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat : Edersheim (vol. 1, pp. 57,58) dit: «Lorsque, au cours de sa fuite devant Saül, David, ‘lorsqu'il eut faim’, mangea du pain de proposition et en donna à ceux qui l'accompagnaient, bien que, selon la lettre de la loi lévitique, seuls les prêtres pouvaient en manger, la tradition juive défendit son comportement en prétendant que ‘lorsque la vie est en danger, la loi du sabbat est suspendue’, et, par conséquent, toutes les lois qui s'y rapportent... En vérité, la raison pour laquelle David était exempt de tout reproche lorsqu'il mangea le pain de proposition était la même que celle qui rendait légal le travail des prêtres le jour du sabbat. La loi du sabbat n'était pas une loi qui imposait simplement le repos, mais le repos en vue du culte. L’objet que l'on avait en vue était le service du Seigneur. Les prêtres travaillaient le sabbat, parce que ce service était l'objet du sabbat; et David eut la permission de manger du pain de proposition, non pas ‘uniquement’ parce qu'il courait le danger de mourir de faim, mais parce qu'il argua qu'il était au service du Seigneur et avait besoin de cette nourriture. Les disciples, tandis qu'ils suivaient le Seigneur, étaient de même à son service; le servir, c'était plus que servir au temple, car il était plus grand que le temple. Si les Pharisiens avaient cru cela, ils n'auraient pas mis leur conduite en doute et n'auraient pas, ce faisant, enfreint cette loi supérieure qui commande la miséricorde, non pas le sacrifice.»

  



[1] Gn 2:3.

[2] Ex 16:16-31.

[3] Ex 20:8-11, 23:12, 31:13-15, 34:21; Lv 19:3, 23:3; Dt 5:12-14.

[4] Ex 35:3, Nb 15:32-36.

[5] Es 56:2, 58:13; Jr 17:21-24.

[6] Né 8:9-12,13:15-22.

[7] Ez 20:12-24.

[8] LM, Jarom 1:5; Mosiah 13:16-19,18:23.

[9] Lv 25:1-8; cf. 26:34,35.

[10] Lv 25:10-55.

[11] Page 69.

[12] Note 1, fin du chapitre.

[13] Jn, chapitre 5.

[14] Note 2, fin du chapitre.

[15] Voir un autre cas, pages 209-210.

[16] Pages 210 et 221. On trouvera une autre justification de cet acte de guérison le jour du sabbat dans Jean 7:21-24.

[17] Page 155.

[18] Cf. D&A 76:16,17. Voir page 25 supra.

[19] Page 26.

[20] Mt 12:1-8; cf. Mc 2:23-28; Lc 6:1-5.

[21] Dt 23:24,25.

[22] Note 3, fin du chapitre.

[23] Os 6:6; cf. Mi 6:6-9.

[24] Mc 2:27. Note 4, fin du chapitre.

[25] Mt 12:10-13; Mc 3:1-6; Lc 6:6-8.

[26] Page 73.

[27] Exemples: Lc 13:14-16, 14:3-6; Jn 9:14-16.

 

 

 

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