CHAPITRE 33 : LA DERNIÈRE CÈNE ET LA TRAHISON

 

LES CONSPIRATEURS ECCLÉSIASTIQUES ET LE TRAÎTRE

 

A l'approche de la fête annuelle de la Pâque, et en particulier au cours des deux jours qui précédèrent immédiatement le commencement de la fête, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple, bref, le sanhédrin et le parti ecclésiastique tout entier, se consultèrent constamment pour déterminer la meilleure façon d'arrêter Jésus et de le mettre à mort. A l'une de ces sinistres assemblées, qui se tenait au palais du souverain sacrificateur, Caïphe[1], on décida de se saisir de Jésus d'une manière subtile si possible, car une arrestation ouverte aurait probablement pour effet de soulever le peuple. Les dirigeants craignaient tout particulièrement un éclat des Galiléens, qui manifestaient une fierté de provinciaux devant l'importance de Jésus, un des leurs, et dont un grand nombre se trouvait alors à Jérusalem. On conclut en outre, et pour les mêmes raisons, que la coutume juive de faire des exemples frappants des transgresseurs notoires en leur infligeant un châtiment public aux époques des grandes assemblées générales devait être mise de côté dans le cas de Jésus; les conspirateurs dirent donc: «Pas en pleine fête, afin qu'il n'y ait pas de tumulte parmi le peuple.»

 

Ils avaient déjà vainement essayé en d'autres occasions de se saisir de Jésus[2], et ils doutaient naturellement du résultat de leurs machinations ultérieures. A ce moment ils furent encouragés et réjouis dans leur complot pervers par l'apparition d'un allié inattendu. Judas Iscariot, l'un des Douze, demanda audience auprès de ces dirigeants des Juifs, et l'infâme se proposa pour trahir son Seigneur et le livrer entre leurs mains[3]. Mû par une cupidité diabolique qui n'était probablement qu'un élément secondaire dans la cause réelle de sa trahison perfide, il offrit de vendre son Maître pour de l'argent et marchanda avec les acheteurs ecclésiastiques sur le prix du sang du Sauveur. «Que voulez-vous me donner?» demanda-t-il. «Et ils lui payèrent trente pièces d'argent[4].» Ce montant, correspondant à dix-sept dollars de notre argent environ, mais d'un pouvoir d'achat beaucoup plus grand parmi les Juifs de cette époque que maintenant chez nous, était le prix fixé par la loi pour la vente d'un esclave; c'était aussi la somme prévue comme prix du sang à payer pour trahir le Seigneur[5]. Les événements ultérieurs montrent que l'argent fut bien payé à Judas, soit lors de cette première entrevue, soit au cours d'une rencontre ultérieure du traître et des prêtres[6].

 

Il s'était engagé dans l'acte de trahison le plus noir dont l'homme soit capable, et, dès lors, il chercha l'occasion de pousser sa promesse infâme jusqu'à son accomplissement plus vil encore. Nous serons encore affligés plus loin par d'autres aperçus du pervers Iscariot dans le déroulement de ce terrible récit de tragédie et de perdition; disons pour le moment qu'avant que Judas ne vendît le Christ aux Juifs, il s'était vendu au diable; il était devenu l'esclave de Satan et obéissait aux ordres de son maître.

 

LA DERNIÈRE CÈNE

 

La veille du moment où l'on mangeait l'agneau pascal était devenue pour les Juifs le premier jour de la fête des pains sans levain[7]; puisque en ce jour-là tout le levain devait être enlevé de leurs demeures, et dès lors il était illégal, pendant huit jours, de manger quoi que ce fût qui contint du levain. L’après-midi de ce jour-là, les agneaux pascaux étaient immolés dans la cour du temple par les représentants des familles ou des groupes qui allaient manger ensemble, et une partie du sang de chaque agneau était répandue au pied de l'autel du sacrifice par les nombreux prêtres en service ce jour-là. L’agneau immolé que l'on considérait alors sacrifié était emporté au lieu de rassemblement désigné pour ceux qui devaient le manger. Pendant le premier des jours des pains sans levain, qui semble être tombé un jeudi l'année de la mort de notre Seigneur[8], certains des Douze demandèrent à Jésus où ils feraient les préparatifs du repas pascal[9]. Il ordonna à Pierre et à Jean de retourner à Jérusalem et ajouta: «Voici: quand vous serez entrés dans la ville, un homme portant une cruche d'eau vous rencontrera; suivez-le dans la maison où il entrera, et vous direz au maître de la maison: Le Maître te dit: Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples? Et il vous montrera une grande chambre haute, aménagée: c'est là que vous préparerez (la Pâque). Ils partirent, trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et préparèrent la Pâque.»

 

Le soir, jeudi soir selon notre calcul du temps, mais le début de vendredi selon le calendrier juif[10], Jésus vint avec les Douze, et ils s'assirent ensemble pour le dernier repas que le Seigneur prendrait avant sa mort. Profondément ému, «il leur dit: J'ai désiré vivement manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir, car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. Il prit une coupe, rendit grâces et dit: Prenez cette coupe, et distribuez-la entre vous; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu». Il était de coutume pour l'hôte de commencer le souper de la Pâque en bénissant une coupe de vin, qui était passée ensuite autour de la table à chaque participant. A ce repas solennel, Jésus semble avoir observé les règles essentielles de la procédure de la Pâque; mais il n'est pas dit qu'il se soit conformé à la pléthore d'exigences dont la coutume traditionnelle et les prescriptions rabbiniques avaient surchargé la fête que Dieu avait établie en mémoire de la libération d'Israël de l'esclavage. Comme nous le verrons, les événements qui se passèrent ce soir-là dans cette chambre haute contenaient beaucoup de choses en plus de l'observance ordinaire d'une fête annuelle.

 

Le repas se déroula dans une atmosphère de tristesse tendue. Comme ils mangeaient, le Seigneur remarqua tristement: «En vérité, je vous le dis, l'un de vous qui mange avec moi me livrera.» La plupart des apôtres se mirent à s'examiner et s'exclamèrent l'un après l'autre: «Est-ce moi, Seigneur?» Il est agréable de remarquer que chacun de ceux qui posèrent cette question se souciait plus de la pensée terrible qu'il était peut-être transgresseur, même s'il l'était par inadvertance, plutôt que de savoir si son frère était sur le point de se révéler traître. Jésus répondit que c'était l'un des Douze qui mangeaient avec lui du plat commun et poursuivit par cette déclaration terrifiante: «Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui. Mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré! Mieux vaudrait pour cet homme n'être jamais né.» Alors judas Iscariot, qui avait déjà convenu de vendre son Maître pour de l'argent, et qui craignait probablement à ce moment-là que son silence n'éveillât les soupçons contre lui, demanda avec une audace impudente qui était véritablement diabolique: «Est-ce moi, Rabbi?» Avec une promptitude tranchante le Seigneur répondit: «Tu l'as dit[11]

 

Il y eut une autre cause de chagrin pour Jésus lors du souper. Certains des Douze s'étaient mis à se disputer à voix basse sur la question de savoir qui était le plus important de tous[12], peut-être sur le point de savoir dans quel ordre ils devaient s'asseoir à table, détail mesquin sur lequel les scribes et les Pharisiens aussi bien que les Gentils se querellaient souvent[13]; de nouveau le Seigneur dut rappeler aux apôtres que le plus grand de tous serait celui qui serait le plus disposé à servir ses semblables. Ils l'avaient déjà appris; et pourtant maintenant, en cette heure tardive et solennelle, ils étaient remplis d'une ambition vaine et égoïste. Avec une ferveur pleine de chagrin le Seigneur les raisonna, demandant qui est le plus grand, celui qui est assis à la table, ou celui qui sert? Et il ajouta à la réponse évidente la déclaration: «Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.» Avec une émotion affectueuse il ajouta: «Vous, vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes épreuves[14]»; puis il leur assura qu'on ne les priverait ni d'honneur ni de gloire dans le royaume de Dieu, car s'ils s'avéraient fidèles, ils recevraient des trônes en qualité de juges d'Israël. Pour ceux de ses élus qui lui étaient fidèles, le Seigneur n'avait d'autre sentiment que l'amour et l'espoir qu'ils vaincraient Satan et le péché.

 

L'ORDONNANCE DU LAVEMENT DES PIEDS[15]

 

Quittant la table, le Seigneur déposa ses vêtements extérieurs et se ceignit d'un linge en guise de tablier; puis, s'étant muni d'un bassin et d'eau, il s'agenouilla devant chacun des Douze tour à tour, lui lava les pieds et les essuya avec le linge. Lorsqu'il arriva à Pierre, l'impulsif apôtre protesta, disant: «Toi, Seigneur, tu me laverais les pieds!» Les paroles que le Seigneur adressa à Pierre montrent que son comportement était quelque chose de plus qu'un simple service rendu pour assurer le confort et plus qu'un exemple d'humilité: «Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu le comprendras dans la suite.» Pierre, incapable de comprendre, objecta avec plus de véhémence encore: «Non, jamais tu ne me laveras les pieds», s'exclama-t-il. Jésus répondit: «Si je ne te lave, tu n'as point de part avec moi.» Alors avec une impétuosité encore plus grande qu'avant, Pierre implora en tendant les pieds et les mains: «Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête.» Il était passé à l'autre extrême, insistant, bien qu'avec ignorance et manque de réflexion, pour que les choses se fassent à sa manière, et cependant incapable de voir que l'ordonnance devait être administrée comme le Seigneur le voulait. Corrigeant de nouveau son serviteur bien intentionné quoique présomptueux, Jésus lui dit: «Celui qui s'est baigné n'a pas besoin de se laver [sauf les pieds], mais il est entièrement pur; et vous êtes purs, mais non pas tous.» Chacun d'eux avait été immergé lors du baptême; le lavement des pieds était une ordonnance appartenant à la Sainte Prêtrise dont ils devaient encore apprendre toute l'importance[16].

 

Ayant repris ses vêtements et étant revenu à sa place à table, Jésus inculqua l'importance de ce qu'il avait fait, en disant: «Vous m'appelez: le Maître et le Seigneur, et vous dites bien, car je (le) suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres; car je vous ai donné un exemple, afin que, vous aussi, fassiez comme moi je vous ai fait. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. Si vous savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique[17]

 

LE SACRAMENT DU REPAS DU SEIGNEUR[18]

 

Tandis que Jésus était encore assis avec les Douze à table, il prit un pain ou une galette de pain, et ayant pieusement rendu grâces et l'ayant sanctifié en le bénissant, il en donna un morceau à chacun des apôtres, disant: «Prenez, mangez, ceci est mon corps», ou, selon le récit plus détaillé: «Ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi.» Puis, prenant une coupe de vin, il rendit grâces et la bénit, et la leur donna avec ce commandement: «Buvez en tous, car ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour le pardon des péchés. Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père.» De cette manière simple mais impressionnante fut instituée l'ordonnance qui a pris depuis le nom de sacrement de la Cène du Seigneur. Le pain et le vin, dûment consacrés par la prière, deviennent des emblèmes du corps et du sang du Seigneur, que l'on doit manger et boire pieusement et en souvenir de lui.

 

Les événement qui se déroulèrent lors de l'institution de ce rite sacré furent révélés par la suite à Paul l'apôtre dont le témoignage écrit sur son établissement et sa sainteté s'accorde avec les récits donnés par les évangélistes[19]. Comme nous le montrerons par la suite, le Seigneur institua cette ordonnance parmi les Néphites, sur le continent américain, et il la rétablit dans la dispensation actuelle[20]. Au cours des âges sombres de l'apostasie, des changements non autorisés furent introduits dans l'administration de la Sainte-Cène, et beaucoup de fausses doctrines furent promulguées sur sa signification et son effet[21].

 

LE TRAITRE SORT DANS LA NUIT[22]

 

En disant aux Douze, dont il avait lavé les pieds: «Vous êtes purs», le Seigneur avait précisé une exception par sa remarque ultérieure: «mais non pas tous.» Jean, qui nous rapporte cet événement, prend soin d'expliquer que Jésus pensait au traître et que c'est pourquoi il dit: «Vous n'êtes pas tous purs.» Iscariot le coupable avait reçu sans protester les services du Seigneur lorsqu'il lui lava ses pieds de rénégat, bien qu'après cette ablution il fût spirituellement plus impur qu'avant. Jésus s'était assis et fit part de nouveau de sa connaissance de la duplicité du cœur traître de Judas. «Ce n'est pas de vous tous que je le dis; je connais ceux que j'ai choisis. Mais il faut que l'Ecriture s'accomplisse: Celui qui mange avec moi le pain, a levé son talon contre moi[23].» Le Seigneur voulait qu'ils se rendissent pleinement compte qu'il savait d'avance ce qui allait se produire, de sorte que lorsque les terribles événements seraient un fait accompli, les apôtres se rendissent compte qu'ainsi les Ecritures auraient été accomplies. Troublé en esprit, il répéta l'affirmation terrible que l'un de ceux qui étaient là le trahirait. Pierre fit des signes à Jean qui occupait le siège à côté de Jésus et penchait à ce moment là la tête sur la poitrine du Seigneur, de demander lequel d'entre eux était le traître. A la question chuchotée de Jean, le Seigneur répliqua: «C'est celui pour qui je tremperai le morceau et à qui je le donnerai.»

 

Il n'y avait rien d'extraordinaire pour une personne qui se trouvait à table, en particulier l'hôte, de tremper un morceau de pain dans le plat de sauce ou de mélange savoureux, et de le donner à quelqu'un d'autre. Pareil acte de la part de Jésus n'attira pas l'attention de tout le monde. Il trempa le morceau de pain et le donna à Judas Iscariot, en disant: «Ce que tu fais, fais-le vite.» Les autres comprirent que ce que le Seigneur disait était un ordre de s'acquitter de quelque devoir ou d'une commission ordinaire, peut-être d'acheter quelque chose de plus pour la célébration de la Pâque ou de porter des dons à des pauvres, car Judas était le trésorier du groupe et «tenait la bourse». Mais Iscariot comprit. Son cœur s'endurcit encore davantage lorsqu'il découvrit que Jésus était au courant de ses plans infâmes, et l'humiliation qu'il éprouvait en présence du Maître le rendit furieux. Lorsque Judas ouvrit la bouche pour recevoir le morceau de pain trempé de la main du Seigneur, «Satan entra en lui» et affirma sa domination maligne. Judas sortit immédiatement, abandonnant pour toujours la compagnie bénie de ses frères et du Seigneur. Jean rapporte le départ du traître par la remarque concise et de mauvais augure: «Il faisait nuit.»

 

LE DISCOURS APRÈS LE REPAS

 

Le départ de Judas Iscariot semble avoir dissipé dans une certaine mesure le nuage de tristesse infinie qui avait déprimé le petit groupe; et notre Seigneur lui-même fut visiblement soulagé. Dès que la porte se fut refermée sur le déserteur, Jésus s'exclama, comme si sa victoire sur la mort était déjà accomplie: «Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui.» S'adressant aux Onze en des termes qui révélaient l'affection d'un père, il dit: «Petits enfants, je suis encore pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez; et comme j'ai dit aux Juifs: ‘Là où je vais, vous ne pourrez venir', à vous aussi je le dis maintenant. Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres[24].» La loi de Moïse imposait l'amour mutuel entre amis et voisins[25]; mais le nouveau commandement, qui devait gouverner les apôtres, comprenait un amour d'un ordre supérieur. Ils devaient s'aimer les uns les autres comme le Christ les aimait; et leur affection fraternelle devait être le signe distinctif de leur apostolat qui permettrait au monde de les reconnaître comme des hommes mis à part.

 

L'allusion que le Seigneur avait faite à la séparation imminente qui allait l'éloigner d'eux troubla les frères. Pierre posa la question: «Seigneur, ou vas-tu?» Jésus répondit: «Là où je vais, tu ne peux pas maintenant me suivre, mais tu me suivras plus tard. Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant? Je donnerai ma vie pour toi.» Pierre semble s'être rendu compte que son Maître allait à la mort; cependant, sans se laisser effrayer, il se déclara prêt à suivre même cette voie ténébreuse plutôt que d'être séparé de son Seigneur. Nous ne pouvons douter du sérieux des intentions de Pierre ni de la sincérité de son désir à ce moment-là. Cependant, dans cet aveu hardi, il n'avait compté qu'avec le désir de son esprit et n'avait pas pris pleinement en considération la faiblesse de sa chair. Jésus, qui connaissait Pierre mieux que l'homme ne se connaissait lui-même, réprimanda tendrement comme suit son excès de confiance: «Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, et toi, quand tu seras revenu (à moi) affermis tes frères.» Le premier des apôtres, l'homme de pierre, devait encore être converti, ou pour le traduire avec plus de précision, «revenir au Christ»[26]; car, comme le Seigneur le prévoyait, Pierre serait bientôt vaincu au point de nier connaître le Christ. Lorsque Pierre se déclara de nouveau et avec fermeté prêt à accompagner Jésus, jusqu'en prison ou à la mort, le Seigneur le réduisit au silence par la réflexion: «Pierre, je te le dis, le coq ne chantera pas aujourd'hui, que tu n'aies nié trois fois de me connaître.»

 

Il fallait que les apôtres fussent préparés à faire face à un nouvel état de choses, à une nouvelle situation et à de nouvelles exigences; des persécutions les attendaient, et ils allaient bientôt être privés de la présence encourageante du Maître. Jésus leur demanda: «Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose? Ils répondirent: De rien. Et il leur dit: Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a un sac, et que celui qui n'a pas d'épée vende son vêtement et en achète une. Car, je vous le dis, ce qui est écrit doit s'accomplir en moi: Il a été compté parmi les malfaiteurs. Et ce qui me concerne touche à sa fin.» Le Seigneur allait bientôt être compté parmi les malfaiteurs, comme il l'avait prévu[27]; et ses disciples seraient considérés comme les partisans d'un criminel exécuté. Lorsqu'il parla de bourse, de sac, de sandales et d'une épée, certains des frères s'accrochèrent au sens littéral et dirent: «Seigneur, voici deux épées.» Jésus répondit sèchement: «C'est assez», où comme nous pourrions le dire: «C'en est assez.» Il n'avait pas voulu dire que l'on aurait un besoin immédiat d'armes, et certainement pas pour sa propre défense. De nouveau, ils avaient été incapables de sonder ses paroles; mais l'expérience le leur enseignerait plus tard[28].

 

Les renseignements que nous avons concernant le dernier discours que Jésus fit aux apôtres avant sa crucifixion, nous les devons à Jean seul parmi les évangélistes; nous conseillons à chaque lecteur d'étudier soigneusement les trois chapitres dans lesquels ces paroles sublimes sont conservées pour la gouverne de l'humanité[29]. Remarquant l'état de tristesse des Onze, le Maître leur dit de prendre courage, basant leur encouragement et leur espoir sur leur foi en lui. «Que votre cœur ne se trouble pas», dit-il. «Croyez en Dieu, croyez aussi en moi.» Puis, comme s'il écartait le voile séparant l'état terrestre et l'état céleste et donnant à ses fidèles serviteurs un aperçu des conditions qui règnent dans l'au-delà, il poursuivit: «Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Sinon, je vous l'aurais dit; car je vais vous préparer une place. Donc, si je m'en vais et vous prépare une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. Et où je vais, vous en savez le chemin[30].» C'est ainsi qu'en un langage simple et clair, le Seigneur annonça qu'il y a des états gradués dans l'au-delà, une diversité d'emplois et de degrés de gloire, de postes et de places dans les mondes éternels[31]. Il avait affirmé sa Divinité inhérente, et c'est par leur confiance en lui et leur obéissance à ses lois qu'ils trouveraient la voie à suivre pour se rendre au lieu où il était sur le point de les précéder. Thomas, cette âme aimante et brave, quoique quelque peu sceptique, désirant des renseignements plus précis, s'aventura à dire: «Seigneur, nous ne savons où tu vas; comment en saurions-nous le chemin?» Dans sa réponse, le Seigneur réaffirma sa divinité: «Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant, vous le connaissez et vous l'avez vu.»

 

A ce moment Philippe intervint en disant: «Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit.» Jésus répondit par une réprimande pathétique et douce: «Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas connu, Philippe! Celui qui m'a vu, a vu le Père. Comment dis-tu: Montre-nous le Père?» Il était attristé à la pensée que les amis les plus proches et les plus chers qu'il avait sur la terre, ceux à qui il avait conféré l'autorité de la Sainte Prêtrise, ignoraient de nouveau son unité absolue d'intentions et d'actions avec le Père. Si le Père éternel s'était tenu parmi eux, en personne, dans les conditions qui existaient à cet endroit-là, il aurait fait ce que faisait le Fils bien-aimé et unique, qu'ils appelaient Jésus, leur Seigneur et Maître. Le Père et le Fils étaient si absolument unis de cœur et de volonté que le fait de connaître l'un ou l'autre revenait à connaître les deux; néanmoins on ne pouvait parvenir au Père que par le Fils. C'est dans la mesure où les apôtres avaient foi au Christ et faisaient sa volonté qu'ils seraient à même d'accomplir les œuvres que le Christ avait faites dans la chair et même des choses plus grandes, car sa mission mortelle n'allait plus durer que quelques heures, et l'exécution du plan divin des siècles réclamerait des miracles encore plus grands que ceux que Jésus avait accomplis pendant la brève durée de son ministère.

 

Pour la première fois, le Seigneur ordonna à ses disciples de prier le Père en son nom et leur donnait l'assurance que les prières qu'ils feraient en justice seraient couronnées de succès: «Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai[32].» Le nom de Jésus-Christ serait dorénavant le talisman divinement établi grâce auquel on pourrait invoquer les puissances des cieux pour qu'elles fonctionnent dans toute entreprise juste.

 

Le Saint-Esprit fut promis aux apôtres; il serait envoyé par l'intercession du Christ, afin d'être pour eux «un autre Consolateur», ou selon des traductions (anglaises N.d.T.) ultérieures, «un autre Avocat» ou «Auxiliaire», à savoir l'Esprit de vérité, qui, bien que le monde le rejetterait, comme il avait rejeté le Christ, demeurerait avec les disciples et en eux, tout comme le Christ demeurait à ce moment-là en eux et le Père en lui. «Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens vers vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez parce que moi je vis, et que, vous aussi, vous vivrez. En ce jour-là, vous connaîtrez que moi, je suis en mon Père, vous en moi, et moi en vous[33].» Vint ensuite l'assurance que le Christ, bien qu'inconnu du monde, se manifesterait à ceux qui l'aimaient et gardaient ses commandements.

 

Jude Thaddée, également appelé Lebbée[34], «non pas l'Iscariot», précise l'écrivain évangélique, fut intrigué par cette pensée contraire à la tradition et au génie juif d'un Messie qui ne serait connu que de quelques élus et non pas du gros d'Israël; il demanda: «Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non au monde?» Jésus expliqua que seuls les fidèles pouvaient obtenir sa compagnie et celle du Père. Il continua à fortifier les apôtres en leur promettant que lorsque le Consolateur, le Saint-Esprit, que le Père enverrait au nom du Fils, viendrait sur eux, il continuerait à les instruire et leur rappellerait les enseignements qu'ils avaient reçus du Christ. Nous retrouvons ici la preuve de la personnalité distincte dont jouit chaque membre de la Divinité, Père, Fils et Saint-Esprit[35]. Réconfortant les disciples toujours troublés, Jésus dit: «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix»; et, pour qu'ils se rendissent compte que cela avait un sens supérieur à la salutation conventionnelle de l'époque, car «la paix soit avec vous» était le salut quotidien des Juifs, le Seigneur affirma qu'il faisait cette prière dans un sens supérieur, et «pas comme le monde donne». Leur demandant de nouveau de faire taire leur chagrin et de ne pas avoir peur, Jésus ajouta: «Vous avez entendu que je vous ai dit: je m'en vais et je reviendrai vers vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, car le Père est plus grand que moi.» Le Seigneur fit clairement entendre à ses serviteurs qu'il leur avait déjà dit tout cela d'avance, de manière que lorsque les événements prédits se produiraient les apôtres verraient leur foi en lui, le Christ, fortifiée. Il n'avait pas le temps d'en dire beaucoup plus, car l'heure suivante verrait le commencement du combat suprême; «le prince du monde vient», dit-il, et il ajouta d'une voix triomphante: «Il n'a rien en moi[36]

 

Dans une allégorie superbe le Seigneur commença alors d'illustrer les rapports vivants qui existaient entre les apôtres et lui, et entre lui et le Père, en employant pour image un vigneron, un cep et des sarments[37]: «Moi, je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde afin qu'il porte encore plus de fruit.» On ne pourrait trouver d'analogie plus belle dans la littérature du monde. Ces serviteurs que le Seigneur avait ordonnés étaient aussi impuissants et inutiles sans lui qu'une branche coupée de l'arbre. De même que la branche n'est rendue féconde que par la vertu de la sève nourricière qu'elle reçoit du tronc enraciné, et se fane, se dessèche et ne sert absolument plus à rien que comme combustible si on la coupe ou si on la brise, de même ces hommes, bien qu'ordonnés au Saint Apostolat, ne seraient forts et féconds en bonnes œuvres que s'ils restaient en communion constante avec le Seigneur. Sans le Christ, qu'étaient-ils d'autre que des Galiléens ignorants, certains d'entre eux pêcheurs, l'un péager, les autres d'accomplissements indistincts et tous de faibles mortels? Branches du cep, ils étaient en cette heure-là purs et sains, grâce aux instructions et aux ordonnances autorisées dont ils avaient été bénis et par l'obéissance pieuse qu'ils avaient manifestée.

 

«Demeurez en moi», exhorta puissamment le Seigneur, sinon ils ne deviendraient que des branches desséchées. «Moi, je suis le cep», ajouta-t-il pour expliquer l'allégorie. «Vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, et il sèche; puis l'on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent. Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. Mon Père est glorifié en ceci: que vous portiez beaucoup de fruit, et vous serez mes disciples.» Le Seigneur précisa de nouveau que leur amour mutuel était un élément essentiel à la constance de leur amour pour le Christ[38]. C'est dans cet amour qu'ils trouveraient de la joie. Dès le jour où ils s'étaient rencontrés pour la première fois, le Christ leur avait donné l'exemple d'un amour plein de justice, et il était sur le point de donner la preuve suprême de son affection, comme le laissaient entendre ses paroles: «Il n'y a pour personne de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.» Il affirma ensuite gracieusement que ces hommes étaient les amis du Seigneur: «Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître.» Ces rapports intimes ne modifiaient aucunement la position du Christ qui était leur Seigneur et Maître, car c'est lui qui les avait choisis et ordonnés; il voulait qu'ils vécussent de manière à ce que tout ce qu'ils demanderaient au nom de la sainte amitié qu'il leur déclarait, le Père le leur accordât.

 

Il leur parla de nouveau des persécutions qui les attendaient et de leur appel apostolique de témoins spéciaux et personnels du Seigneur[39]. Le fait que le monde les haïssait alors et les exécrerait encore plus intensément était une réalité à laquelle ils devaient faire face; mais ils devaient se souvenir que le monde avait haï leur Maître avant eux et qu'ils avaient été choisis et mis à part du monde par ordination; par conséquent ils ne devaient pas espérer échapper à la haine du monde. Le serviteur n'est pas plus grand que son Maître, ni l'apôtre que son Seigneur, règle qu'ils connaissaient déjà et qui leur avait été rappelée expressément. Ceux qui les haïssaient haïssaient le Christ; et ceux qui haïssaient le Fils haïssaient le Père; grande sera leur condamnation. Si les Juifs pervers n'avaient pas fermé les yeux et ne s'étaient pas bouché les oreilles devant les œuvres puissantes et les paroles pleines de grâce du Messie, ils auraient été convaincus de la vérité, et la vérité les aurait sauvés; mais leur péché leur restait sans voile ni excuse; et le Christ affirma que les Ecritures étaient accomplies dans leur comportement pervers en ce qu'ils l'avaient haï sans cause[40]. Puis, revenant à la grande et réconfortante promesse que les disciples seraient soutenus par la venue du Saint-Esprit, le Seigneur dit: «Quand sera venu le Consolateur que je vous enverrai de la part du Père, l'Esprit de vérité qui provient du Père, il rendra témoignage de moi, et vous aussi, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.»

 

Cela, Jésus le leur avait annoncé afin qu'ils ne fussent pas «scandalisés», ou en d'autres termes, pris par surprise, trompés et poussés à douter et à trébucher à cause des événements sans précédent qui étaient alors sur le point de se produire. Les apôtres furent prévenus qu'ils seraient persécutés, expulsés des synagogues, et que le temps viendrait où la haine qui s'exercerait contre eux serait si violente, et que les ténèbres sataniques de l'esprit seraient si denses que quiconque réussirait à tuer l'un d'eux professerait que son crime avait été commis au service de Dieu. A cause de leur profond chagrin devant son départ, le Seigneur chercha de nouveau à les réconforter, disant: «Cependant, je vous dis la vérité: il est avantageux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai.»

 

Dans cette partie de son discours, le Seigneur choisit pour thème inspirant l'assurance que le Saint-Esprit, qui les fortifierait de manière qu'ils pussent faire face à tous les besoins et à toutes les crises, descendrait sur eux. Le Saint-Esprit leur enseignerait un grand nombre de choses que le Christ devait encore dire à ses apôtres mais qu'il leur était à l'époque impossible de comprendre. «Quand il sera venu, lui», dit Jésus, «I'Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité; car ses paroles ne viendront pas de lui-même, mais il parlera de tout ce qu'il aura entendu et vous annoncera les choses à venir. Lui me glorifiera, parce qu'il prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. Tout ce que le Père a, est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra de ce qui est à moi, et vous l'annoncera»[41].

 

Revenant à la question de son départ qui était à ce moment-là si proche qu'on pouvait en compter les heures, le Seigneur dit, sous une forme plus ample, ce qu'il avait affirmé précédemment: «Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus; et puis encore un peu de temps, et vous me verrez de nouveau [parce que je vais vers le Père][42].» Les apôtres se mirent à réfléchir, et certains s'interrogèrent mutuellement pour savoir ce que le Seigneur avait voulu dire; cependant la solennité de l'événement était si grande qu'ils n'osèrent pas poser ouvertement de questions. Jésus connaissait leur perplexité et leur expliqua gracieusement qu'ils pleureraient et se lamenteraient bientôt tandis que le monde se réjouirait; cela était une allusion à sa mort; mais il promit que leur douleur se transformerait en joie, et cela était basé sur sa résurrection dont ils seraient témoins. Il compara leur état alors présent et futur à celui d'une femme dans les douleurs de l'enfantement, qui oublie son angoisse lorsque peu après elle éprouve les joies d'une douce maternité. Le bonheur qui les attendait serait tel qu'il ne serait pas dans le pouvoir de l'homme de le leur enlever; et dorénavant ils ne demanderaient plus au Christ uniquement, mais également au Père au nom du Christ: «En ce jour-là», dit le Seigneur, «vous ne m'interrogerez plus sur rien. En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom. Jusqu'à présent, vous n'avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit complète[43].» Ils allaient être avancés à un tel honneur et un crédit tellement sublime qu'ils s'adresseraient directement au Père dans leurs prières, mais au nom du Fils; car ils étaient bien-aimés du Père parce qu'ils avaient aimé Jésus, le Fils, et l'avaient accepté comme quelqu'un que le Père avait envoyé.

 

Le Seigneur réaffima solennellement: «Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde; maintenant, je quitte le monde et je vais vers le Père.» Les disciples furent reconnaissants de cette affirmation claire et s'exclamèrent: «Voici que maintenant, tu parles ouvertement et que tu ne dis rien en parabole. Maintenant, nous savons que tu sais toutes choses et que tu n'as pas besoin que personne t'interroge; c'est pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu.» Leur satisfaction risquait d'être dangereuse du fait de leur excès de confiance; le Seigneur les avertit, disant que dans une heure qui était alors proche ils seraient dispersés, chacun étant réduit à lui-même, laissant Jésus seul, à part la présence du Père. Dans cet ordre d'idées, il leur dit qu'avant que la nuit ne fût passée, il serait pour chacun d'eux une occasion de chute, comme cela avait été écrit: «Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées[44].» Pierre, le plus véhément de tous dans ses protestations s'était entendu dire, comme nous l'avons déjà vu, que lorsque le coq chanterait cette nuit-là, il aurait renié son Seigneur trois fois; mais tous avaient déclaré qu'ils seraient fidèles quelle que fût l'épreuve[45]. Continuant d'affirmer qu'il ressusciterait littéralement, Jésus promit aux apôtres que lorsqu'il se relèverait du tombeau il irait avant eux en Galilée[46].

 

Pour conclure le dernier et le plus solennel des discours que le Christ fit dans la chair, le Seigneur dit: «Je vous ai parlé ainsi, pour que vous ayez la paix en moi. Vous aurez des tribulations dans le monde; mais prenez courage, moi, j'ai vaincu le monde[47]

 

LA PRIÈRE FINALE

 

Ce discours impressionnant aux apôtres fut suivi d'une prière telle qu'on ne pourrait en adresser à nul autre qu'au Père éternel, et telle que nul autre que le Fils de ce Père ne pouvait l'offrir[48]. On l'a appelée, non sans raison, la prière sacerdotale. Jésus y reconnaissait que le Père était la source de sa puissance et de son autorité, autorité qui allait jusqu'à donner la vie éternelle à tous ceux qui en sont dignes: «Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.» Faisant respectueusement rapport de l'œuvre qui lui avait été confiée, le Fils dit: «Je t'ai glorifié sur la terre; j'ai achevé l’œuvre que tu m'as donnée à faire. Et maintenant, toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j'avais auprès de toi, avant que le monde fût.» Avec un amour insondable, le Seigneur plaida en faveur de ceux que le Père lui avait donnés, les apôtres qui étaient alors présents, qui avaient été appelés hors du monde et qui avaient été fidèles à leur témoignage qu'il était le Fils de Dieu. Un seul d'entre eux seulement, le fils de perdition, avait été perdu. Dans la ferveur de sa supplique, le Seigneur implora:

 

«Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Sanctifie-les par la vérité: ta parole est la vérité. Comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité. Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un; comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient (un] en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un - moi en eux, et toi en moi - afin qu'ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m'as envoyé et que tu les a aimés, comme tu m'as aimé. Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, celle que tu m'as donnée, parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne t'a pas connu; mais moi, je t'ai connu, et ceux-ci ont connu que tu m'as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et que moi, je sois en eux.»

 

Lorsqu'ils eurent chanté un cantique, Jésus et les Onze sortirent pour se rendre au mont des Oliviers[49].

 

L'AGONIE DU SEIGNEUR À GETHSEMANE[50]

 

Jésus et les onze apôtres sortirent de la maison dans laquelle ils avaient mangé, franchirent la porte de la ville qui restait ordinairement ouverte le soir pendant les fêtes publiques, traversèrent le ravin du Cédron, ou plus exactement Kidron, un ruisseau, et entrèrent dans une olivaie appelée Gethsémané[51], sur le flanc du mont des Oliviers. Il laissa huit d'entre les apôtres à l'entrée ou près de celle-ci, avec l'ordre: «Asseyez-vous ici, pendant que je m'éloignerai pour prier», et avec l'injonction fervente: «Priez, afin de ne pas entrer en tentation.» Accompagné de Pierre, Jacques et Jean, il s'en alla plus loin et fut bientôt envahi par une profonde tristesse, qui semble l'avoir, dans une certaine mesure, surpris lui-même, car nous lisons qu'il «cornmença à être cruellement surpris et à être très triste» (version du roi Jacques - N.d.T.). Il fut poussé à refuser la compagnie même des trois disciples choisis et «il leur dit alors: Mon âme est triste jusqu'à la mort, restez ici et veillez avec moi. Puis il s'avança un peu, se jeta la face (contre terre) et pria ainsi: Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux.» La version que Marc donne de la prière est celle-ci: «Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux[52]. »

 

Un au moins des trois apôtres qui l'attendaient entendit cette partie de sa supplication passionnée; mais tous cédèrent bientôt à la fatigue et cessèrent de veiller. Comme ils l'avaient fait sur le mont de la Transfiguration, lorsque le Seigneur apparut en gloire, de même maintenant à l'heure de sa plus profonde humiliation, ces trois apôtres s'assoupirent. Retournant vers eux dans l'angoisse de son âme, Jésus les trouva endormis; et s'adressant à Pierre qui, si peu de temps auparavant, avait proclamé bien haut qu'il était prêt à suivre le Seigneur jusqu'en prison et dans la mort, Jésus s'exclama: «Vous n'avez donc pas été capables de veiller une heure avec moi! Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation»; puis il ajouta avec tendresse: «L’esprit est bien disposé, mais la chair est faible.» Cette exhortation qu'il donna aux apôtres de prier à ce moment-là de peur qu'ils ne tombassent en tentation peut avoir été dictée par les circonstances du moment dans lesquelles ils seraient tentés, si on les laissait à eux-mêmes, d'abandonner prématurément leur Seigneur.

 

Tirés de leur sommeil, les trois apôtres virent le Seigneur s'éloigner de nouveau et l'entendirent supplier dans son angoisse: «Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe s'éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite!» Revenant une deuxième fois, il vit que ceux à qui il avait demandé si tristement de veiller avec lui dormaient de nouveau, «car leurs yeux étaient appesantis»; et lorsqu'ils furent éveillés, ils furent embarrassés et honteux, au point de ne savoir que dire. Une troisième fois, il retourna à sa veille solitaire et à sa lutte personnelle, et on l'entendit implorer le Père en employant les mêmes paroles empreintes de désir et de supplication. Luc nous dit: «Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier»; mais même la présence de ce visiteur supra-terrestre ne pouvait dissiper l'atroce angoisse de son âme. «En proie à l'angoisse, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre[53]

 

Pierre avait eu un aperçu de la route ténébreuse qu'il s'était déclaré si prêt à suivre; et les frères Jacques et Jean savaient maintenant mieux que jamais combien ils étaient peu prêts à boire à la coupe que le Seigneur viderait jusqu'à la lie[54].

 

Lorsque pour la dernière fois Jésus revint trouver les disciples auxquels il avait demandé de veiller, il dit: «Vous dormez maintenant et vous vous reposez. C'en est fait. L'heure est venue; voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs.» Il ne servait à rien de continuer à veiller; déjà les torches de la bande conduite par Judas, qui se rapprochait, étaient visibles dans le lointain. Jésus s'exclama: «Levez-vous, allons; celui qui me livre s'approche.» Debout avec les Onze, le Seigneur attendit calmement la venue du traître.

 

L'agonie que le Christ éprouva dans le jardin, l'esprit limité ne peut en sonder ni l'intensité ni la cause. La pensée qu'il ait souffert par crainte de la mort est intenable. Pour lui, la mort était préliminaire à la résurrection, au retour triomphal auprès du Père d'où il était venu et à un état de gloire qui transcendait même celui qu'il possédait précédemment; en outre, il était dans son pouvoir de donner volontairement sa vie[55]. Il luttait et gémissait sous un fardeau dont aucun autre être qui a vécu sur la terre ne pourrait même concevoir la possibilité. Ce n'était pas uniquement une douleur physique ni une angoisse mentale qui lui infligèrent une torture telle qu'elle produisit un suintement de sang de chaque pore, mais une angoisse spirituelle comme seul Dieu était capable d'en ressentir. Aucun autre homme, si grande que pût être son endurance physique ou mentale, n'aurait pu souffrir ainsi; son organisme humain aurait succombé, et la syncope aurait produit la perte de conscience et un oubli bienvenu. Dans cette heure d'angoisse, le Christ rencontra et vainquit toutes les horreurs que Satan «Ie prince du monde»[56] pouvait infliger. La lutte effrayante que le Seigneur dut livrer dans les tentations qui l'assaillirent immédiatement après son baptême était dépassée et jetée dans l'oubli par cette lutte suprême avec les puissances du mal.

 

D'une certaine manière, terriblement réelle bien qu'incompréhensible à l'homme, le Sauveur prenait sur lui le fardeau des péchés de l'humanité depuis Adam jusqu'à la fin du monde. La révélation moderne nous aide à comprendre partiellement cette terrible expérience. En mars 1830, le Seigneur glorifié, Jésus-Christ, dit ce qui suit: «Car voici, moi, Dieu, j'ai souffert cela pour tous afin qu'ils ne souffrent pas s'ils se repentent. Mais s'ils ne veulent pas se repentir, ils doivent souffrir tout comme moi. Et ces souffrances m'ont fait trembler de douleur, moi Dieu, le plus grand de tous, et elles m'ont fait saigner à chaque pore, m'ont torturé à la fois le corps et l'esprit, m'ont fait souhaiter ne pas devoir boire à la coupe amère et m'ont fait reculer d'effroi - néanmoins, gloire soit au Père, j'ai bu à la coupe et j'ai terminé tout ce que j'avais préparé pour les enfants des hommes[57].

 

Le Christ sortit victorieux du terrible conflit de Gethsémané. Bien que dans les sombres tribulations de cette heure terrible il eût supplié que la coupe amère fût éloignée de ses lèvres, cette demande, même souvent répétée, était toujours conditionnelle; le Fils ne perdit jamais de vue son désir suprême qui était d'accomplir la volonté du Père. Le reste de la tragédie de cette nuit-là et le traitement cruel qui l'attendait le lendemain et prendrait fin avec les tortures terrifiantes de la croix, ne pouvait dépasser l'atroce angoisse qu'il avait réussi à surmonter.

 

LA TRAHISON ET L'ARRESTATION[58]

 

Pendant la dernière et la plus aimante communion que le Seigneur eut avec les Onze, Judas s'était occupé de sa conspiration perfide avec les autorités ecclésiastiques. Il est probable que l'on prit la décision d'opérer l'arrestation cette nuit-là, lorsque Judas annonça que Jésus se trouvait dans les murs de la ville et qu'il pourrait être facile de l'appréhender. Les dirigeants juifs réunirent un groupe de gardes ou de policiers du temple et obtinrent une cohorte de soldats romains sous le commandement d'un tribun; cette cohorte était probablement un détachement de la garnison d'Antonia chargé des travaux de nuit sur requête des principaux sacrificateurs. Cette compagnie d'hommes et d'officiers, représentant un mélange d'autorités ecclésiastiques et militaires, se mit en route pendant la nuit avec Judas à sa tête, avec l'intention d'arrêter Jésus. Ils étaient équipés de lanternes, de torches et d'armes. Il est probable qu'ils furent tout d'abord conduits à la maison dans laquelle Judas avait laissé les autres apôtres et le Seigneur, lorsque le traître avait été renvoyé, et qu'en s'apercevant que le petit groupe était sorti, Judas conduisit la multitude à Gethsémané, car il connaissait le lieu et savait aussi que «Jésus et ses disciples s'y étaient souvent réunis».

 

Alors que Jésus parlait encore aux Onze qu'il avait éveillés en leur annonçant que le traître arrivait, Judas et la multitude approchèrent. Donnant le signe par lequel il avait été convenu d'identifier Jésus, l'Iscariot renégat, avec une perfide duplicité, s'approcha avec une démonstration hypocrite d'affection, disant: «Salut, Rabbi!», et profana le visage sacré de son Seigneur par un baiser[59]. On peut voir à son reproche pathétique quoique perçant et condamnateur que Jésus comprenait la signification perfide de cet acte: «Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme!» Puis, appliquant le titre dont il avait honoré les autres apôtres, le Seigneur dit: «Ami, ce que tu es venu faire, fais-le.» C'était une répétition du commandement qu'il avait donné à la table du repas: «Ce que tu fais, fais-le vite.»

 

La bande armée hésita, bien que leur guide lui eût donné le signal convenu. Jésus se dirigea vers les officiers avec lesquels se tenait Judas et demanda: «Qui cherchez-vous?» A leur réponse, «Jésus de Nazareth», le Seigneur répliqua: «C'est moi.» Au lieu de s'avancer pour se saisir de lui, la foule recula, et un grand nombre tombèrent sur le sol, frappés d'effroi. La dignité simple et la force douce quoique irrésistible de la réponse du Christ se révélaient plus puissantes que les bras forts et les armes de violence. De nouveau, il posa la question: «Qui cherchez-vous?» et de nouveau ils répondirent: «Jésus de Nazareth. » Alors Jésus dit: «je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-ci.» Cette dernière parole se rapportait aux apôtres, qui couraient le danger d'être arrêtés; et dans cette preuve de la sollicitude du Christ pour leur sécurité personnelle, Jean vit l'accomplissement de ce que le Seigneur avait dit récemment dans sa prière: «Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés[60].» Il est possible que si l'un des Onze avait été appréhendé avec Jésus et obligé de partager les souffrances cruelles et les humiliations torturantes des heures qui suivirent, sa foi aurait pu lui manquer, car elle était à ce moment-là relativement peu mûre et non éprouvée; de même qu'au cours des années qui suivirent, un grand nombre de ceux qui avaient pris sur eux le nom du Christ cédèrent à la persécution et tombèrent dans l'apostasie[61].

 

Lorsque les officiers s'approchèrent et saisirent Jésus, certains des apôtres, prêts à combattre et à mourir pour leur Maître bien-aimé, demandèrent: «Seigneur, frapperons-nous de l'épée?» Pierre, n'attendant pas de réponse, tira l'épée et porta un coup mal assuré à la tête d'un des hommes de la foule qui se trouvait le plus près, et la lame coupa l'oreille de celui-ci. L'homme ainsi blessé était Malchus, serviteur du souverain sacrificateur. Jésus, demandant à ses gardes la liberté par cette simple demande: «Tenez-vous en Ià!»[62], s'avança et guérit l'homme blessé en le touchant. S'adressant à Pierre, le Seigneur réprimanda son acte impulsif et lui commanda de remettre son épée au fourreau, lui rappelant que «ceux qui prendront l'épée périront par l'épée». Puis pour montrer combien il était inutile d'opposer une résistance armée et pour souligner le fait qu'il se soumettait volontairement et conformément à des événements prévus et prédits, le Seigneur poursuivit: «Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père qui me donnerait à l'instant plus de douze légions d'anges? Comment donc s'accompliraient les Ecritures, d'après lesquelles il doit en être ainsi[63]?» Et en outre: «Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée[64]?»

 

Mais, quoique se rendant sans résister, Jésus n'oubliait pas ses droits; il protesta contre cette arrestation nocturne illégale, demandant aux officiels ecclésiastiques, principaux sacrificateurs, capitaine de la garde du temple et anciens du peuple qui étaient là: «Vous êtes venus, comme après un brigand, avec des épées et des bâtons, pour vous emparer de moi. J'étais tous les jours assis dans le temple, j'enseignais, et vous ne vous êtes pas saisis de moi. Mais tout cela est arrivé afin que les écrits des prophètes soient accomplis.» Luc rapporte comme suit les paroles finales du Seigneur: «Mais c'est ici votre heure et le pouvoir des ténèbres.» Sans faire attention à sa question et sans aucune déférence pour son comportement soumis, le capitaine et les officiers des Juifs lièrent Jésus de cordes et l'emmenèrent prisonnier à la merci de ses ennemis les plus mortels.

 

Les onze apôtres, voyant que toute résistance était inutile, non seulement à cause de la différence numérique et de la quantité des armes, mais surtout parce que le Christ était décidé à se soumettre, firent demi-tour et s'enfuirent. Chacun d'eux l'abandonna, tout comme il l'avait prédit. Le fait qu'ils étaient réellement en danger est montré par un incident que seul Marc préserve. Un jeune homme dont le nom n'est pas donné, éveillé par le tumulte de la bande en marche, s'était avancé avec pour tout vêtement un drap de lit. L’intérêt qu'il manifestait pour l'arrestation de Jésus et le fait qu'il venait tout près incitèrent quelques-uns des gardes ou des soldats à se saisir de lui; mais il se dégagea et s'échappa, laissant le drap de lit entre leurs mains.

 

NOTES DU CHAPITRE 33

 

1. Le jour de la Pâque : Il y a de nombreux siècles qu'une controverse passionnée existe quant au jour où la fête de la Pâque eut lieu dans la semaine où notre Seigneur mourut. Les quatre évangélistes attestent qu'il fut crucifié le vendredi, veille du sabbat juif, et qu'il ressuscita le dimanche, lendemain de ce sabbat. D'après les trois synoptiques nous déduisons que la dernière Cène se produisit la veille du premier jour des pains sans levain et par conséquent au commencement du vendredi juif. On peut constater, d'après Matthieu 26:2, 17, 18, 19 et les passages parallèles, Marc 14:14-16, Luc 22:11-13, de même que d'après Luc 22:7,15, que le Seigneur et les apôtres considéraient la dernière Cène comme un repas pascal. Cependant, Jean qui écrivit après les synoptiques et qui avait probablement leurs écrits devant lui, comme le montre le caractère de supplément que revêt son témoignage ou «évangile», laisse penser que la dernière Cène que Jésus et les Douze prirent ensemble eut lieu avant la fête de la Pâque (Jean 13:1, 2); le même auteur nous informe que le lendemain, le vendredi, les Juifs s'abstinrent d'entrer dans le tribunal romain de crainte d'être souillés et de devenir indignes de prendre la Pâque (18:28). Il faut se souvenir que dans l'usage courant, le terme «Pâque» s'appliquait non seulement au jour ou à l'époque de son observance, mais au repas lui-même, et en particulier à l'agneau tué (Mt 26:17, Marc 14:12, 14, 16, Luc 22:8, 11, 13, 15, Jean 18-28, comparer avec 1 Co 5:7) Jean spécifie également que le jour de la crucifixion était «la préparation de la Pâque» (19:14), et que le lendemain, qui était samedi, le sabbat, «était un grand jour» (verset 31), c'est-à-dire un sabbat rendu doublement sacré parce que c'était aussi un jour de fête.

 

On a beaucoup écrit pour essayer d'expliquer cette contradiction apparente. Nous n'essayerons pas d'analyser ici les points de vue divergents des savants bibliques; cette question n'est qu'un détail par rapport aux faits fondamentaux de la trahison et de la crucifixion de notre Seigneur; l'étudiant qui désire trouver de brefs résumés des opinions et des arguments peut se reporter au Comprehensive Bible Dictionary, de Smith, article «Passover», Life and Times of Jesus the Messiah, d'Edersheim, pp.480-482, et 566-568, Life of Christ, de Farrar, appendice, Excursus 10, Life of our Lord, d'Andrew, et les Dissertations, de Gresswell. Qu'il nous suffise de dire ici que le manque apparent d'accord peut s'expliquer par l'une ou l'autre de plusieurs théories. Ainsi, premièrement et très probablement, la Pâque dont Jean parlait et pour laquelle les prêtres désiraient se protéger de toute souillure lévitique peut ne pas avoir été le repas lors duquel l'agneau pascal fut mangé, mais le repas supplémentaire, la Chaguigah. On en était venu à éprouver pour ce repas, dont la viande était désignée comme sacrifice, une vénération égale à celle qui s'attachait au repas pascal. Deuxièmement, beaucoup d'autorités en matière d'histoire juive pensent qu'avant, pendant et après le temps du Christ on consacrait annuellement deux nuits à l'observance pascale, que l'on pouvait manger l'agneau au cours de l'une ou de l'autre de ces nuits, et que cette extension de temps avait été introduite pour tenir compte de l'accroissement de population qui nécessitait le sacrifice cérémoniel d'un nombre plus grand d'agneaux qu'on ne pouvait en tuer en un seul jour, et dans cet ordre d'idées il est intéressant de noter que Josèphe (Guerres, VI, ch. 9:3) rapporte que le nombre d'agneaux immolés pour une seule Pâque était de 256500. Dans le même paragraphe, Josèphe déclare que les agneaux devaient être tués entre la neuvième et la onzième heure (entre 15 et 17 heures). Selon cette explication, Jésus et les Douze peuvent avoir pris le repas de la Pâque le premier des deux soirs, et les Juifs qui, le lendemain, craignaient d'être souillés, pouvaient avoir retardé leur observance jusqu'au deuxième soir. Troisièmement, le dernier repas pascal du Seigneur peut avoir été pris plus tôt que le moment de l'observance ordinaire, étant donné qu'il savait que cette nuit-là serait la dernière qu'il passerait dans la mortalité. Les partisans de cette opinion considèrent que le message donné à l'homme qui fournit la chambre pour la Dernière Cène: «Mon temps est proche» (Mt 26:18) indiquait qu'il était particulèrement urgent que le Christ et les apôtres observassent la Pâque avant le jour régulièrement fixé. Certaines autorités affirment qu'une erreur d'un jour s'était glissée dans le calcul juif du temps et que Jésus mangea la Pâque à la date exacte, tandis que les Juifs avaient un jour de retard. Si «Ia préparation de la Pâque» (Jean 19:14) le vendredi, jour de la crucifixion du Christ, signifie l'immolation des agneaux pascaux, notre Seigneur, du sacrifice duquel toutes les victimes antérieures de l'autel n'avaient été que des prototypes, mourut sur la croix tandis que les agneaux de la Pâque étaient immolés au temple.

 

2. Judas Iscariot prit-il le sacrement de la Sainte-Cène du Seigneur? : Les brefs récits que nous avons des événements qui se produisirent lors de la dernière Cène ne permettent pas de donner une réponse précise à cette question. Tout ce que l'on peut faire, ce sont des deductions et non des conclusions. Selon les récits de Matthieu et de Marc, c'est vers le début du repas que le Seigneur annonça qu'il y avait un traître parmi les Douze; l'institution de la Sainte-Cène se produisit plus tard. Luc place la prédiction de la trahison après l'administration du pain et du vin sacramentels. Tous les synoptiques sont d'accord pour dire que le sacrement de la Sainte-Cène du Seigneur fut administré avant la fin du repas ordinaire; cependant Jésus fit du sacrement un élément clairement séparé et distinct du repas. Jean (13:2-5) déclare que le lavement des pieds se produisit après le repas et nous donne de bonnes raisons de déduire que Judas fut lavé avec les autres (versets 10-11), et que c'est plus tard (versets 26-30) qu'il sortit dans la nuit dans le but de trahir Jésus. Le fait que Jésus donna un morceau trempé à Judas (versets 26-27) alors même que le repas était pratiquement terminé ne contredit pas Jean lorsqu'il dit que le repas proprement dit était terminé avant que le lavement des pieds ne fût accompli; cette action ne semble pas avoir été extraordinaire au point de provoquer de la surprise. Pour beaucoup il a semblé plausible qu'à cause de son extrême vilenie Judas ne reçut pas la permission de prendre avec les autres apôtres l'ordonnance sacrée de la Sainte-Cène; d'autres pensent qu'il reçut la permission de la prendre parce que c'était le moyen possible de le pousser à abandonner son dessein mauvais, même à cette heure avancée, ou de remplir la coupe de son iniquité jusqu'à ce qu'elle débordât. Personnellement, l'auteur se range à cette dernière conception.

 

3. Le lavement des pieds : L’ordonnance du lavement des pieds fut rétablie par révélation le 27 décembre 1832. On l'introduisit dans les conditions d'admission à l'école des prophètes, et des instructions détaillées quant à son administration furent données (voir D&A 88:140, 141). D'autres directives relatives aux ordonnances comportant des ablutions furent révélées le 19 janvier 1841 (voir D&A 124:37-39).

 

4. Discontinuité du dernier discours du Seigneur aux apôtres : Il est certain qu'une partie du discours qui suivit la dernière Cène fut donnée dans la chambre haute où le Christ et les Douze avaient mangé; il est possible que la dernière partie fut prononcée et la prière offerte (Jean 15, 16, 17) à l'extérieur tandis que Jésus et les Onze se dirigeaient vers le mont des Oliviers. Le quatorzième chapitre de Jean se termine par «Levez-vous, partons d'ici»; le chapitre suivant commence avec une autre section du discours. D'après Matthieu 26:30-35 et Marc 14:26-31 nous pouvons conclure que c'est pendant que le petit groupe se dirigeait de la ville vers la montagne que le Seigneur prédit que Pierre le renierait. D'autre part, Jean (18:1) dit que «après avoir dit cela», à savoir, le discours tout entier et la prière finale, «Jésus sortit avec ses disciples (pour aller) de l'autre côté du ravin du Cédron». Aucune des paroles sublimes que le Seigneur prononça ce soir-là, où il conversa solennellement avec les siens et communia avec le Père n'est affectée par le lieu: celui-ci a donc peu d'importance.

 

5. Gethsémané : Ce nom signifie «presse à huile» et provenait probablement d'un moulin qui fonctionnait à cet endroit-là pour l'extraction d'huile des olives qui y étaient cultivées. Jean appelle l'endroit un jardin, appellation qui nous permet de le considérer comme une propriété privée clôturée. Le même auteur montre que c'était un lieu fréquenté par Jésus lorsqu'il cherchait une retraite pour prier ou une occasion de parler confidentiellement avec les disciples (Jean 18:1,2).

 

6. La sueur sanglante : Luc, seul évangéliste à parler de la sueur et du sang tandis que notre Seigneur agonisait à Gethsémané, déclare que «sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre» (22:44). Beaucoup d'exégètes critiques nient qu'il y ait eu un suintement réel de sang, se basant sur le fait que l'évangéliste ne l'affirme pas formellement et que les trois apôtres, qui étaient les seuls témoins humains, n'auraient pas pu distinguer entre du sang et de la sueur tombant par gouttes, puisqu'ils regardaient de loin dans la nuit, même si la lune, qui au moment de la Pâque était pleine, n'avait pas été cachée. Les Ecritures modernes excluent tout doute à ce sujet. Voir D&A 19:16-19 cité dans le texte (p. 745), ainsi que 18:11. Voir en outre une prédiction précise sur la sueur sanglante dans le LM, Mosiah 3:7.

 

7. «Tenez-vous en là!» : Beaucoup pensent que ces paroles que Jésus prononça en levant la main pour guérir Malchus blessé s'adressaient aux disciples, leur interdisant d'intervenir davantage. Trench (Miracles, 355) considère que le sens est le suivant: «Arrêtez maintenant, vous avez assez résisté, restez-en là.» Cette interprétation, d'ailleurs contestée, a peu d'importance, l'incident n'ayant aucune influence sur les événements qui suivirent.

 

8. Le symbole de la coupe : Prévoyant les souffrances qu'il allait endurer, le Seigneur les comparait souvent à la coupe que le Père voulait lui faire boire (Matthieu 26:39, 42, Marc 14:36, Luc 22:42, Jean 18:11, comparer avec Matthieu 20:22, Marc 10:38, 1Co 10:21); cela est tout à fait conforme à l'usage que fait l'Ancien Testament du terme «coupe», expression symbolique d'une potion amère ou empoisonnée, représentant les expériences de la souffrance. Voir Ps 11:6, 75:8, Es 51:17, 22, Jr 25:15,17, 49:12. On trouvera par contraste ce terme employé dans le sens opposé dans certains passages, par exemple Ps 16:5, 23:5, 116:13, Jr 16:7.


 


[1] Mt 26:3-5; voir aussi Marc 14:1, Luc 22:1, 2.

[2] Jean 7:30, 44, 45:53, 11:47-57.

[3] Mt 26:14-16, Marc 14:10, 11, Luc 22:3-6.

[4] Mt 26:15. La version révisée anglaise dit: «Et ils lui pesèrent trente pièces d'argent.» Cf. Za 11:12.

[5] Ex 21:32, Za 11:12, 13.

[6] Mt 27:3-10.

[7] Mt 26:17.

[8] Note 1, fin du chapitre.

[9] Mt 26:17-19, Marc 14:12-16, Luc 22:7-13.

[10] Il faut se souvenir que les Juifs comptaient leurs jours à partir du coucher du soleil et non, comme nous, à partir de minuit.

[11] Note 2, fin du chapitre.

[12] Luc 22:24-30.

[13] Luc 14:7-11; voir page 489 supra.

[14] Luc 22:28; voir page 145 supra.

[15] Jean 13:1-20.

[16] Note 3, fin du chapitre.

[17] Voir pages 249, 250 supra.

[18] Mt 26:26-29, Marc 14:22-25, Luc 22:19-20.

[19] 1 Co 11:23-34.

[20] LM, 3 Néphi 18:6-11, D&A 20:75; voir aussi Articles de Foi chap. 9,

[21] Voir La Grande apostasie 8:15-19.

[22] Jean 13:18-30.

[23] Cf. Ps 41:9.

[24] Jean 13:31-34.

[25] Lv 19:18.

[26] Selon la version révisée de Luc 22:32.

[27] Es 53:12; cf. Marc 15:28.

[28] Lire Jean 13:36-38, Luc 22:31-38; cf. Mt 26:31-35, Marc 14:27-31.

[29] Jean chap. 14, 15, 16.

[30] Jean 14:1-4.

[31] Voir Les Articles de Foi, pp. 115-116 et 493-497.

[32] Jean 14:13, 14; cf. 16:24.

[33] Jean 14:15-20; cf. verset 26 et 15:26.

[34] Mt 10:3; aussi page 246 supra.

[35] Voir Articles de Foi, p. 47; page 139 supra.

[36] Jean 14:22-31.

[37] Jean 15:1-8.

[38] Version révisée (anglaise) «le purifie».

[39] Jean 15:9-17.

[40] Jean 15:18-27.

[41] Verset 25; cf. Ps 35:19, 69:4, 109:3.

[42] Jean 16:13-15; lire versets 1-15.

[43] Jean 16:16; cf. 7:33, 13:33, 14:19.

[44] Jean 16:17, 23, 24; lire versets 17-28.

[45] Mt 26:31, Marc 14:27; cf. Za 13:7; voir aussi Mt 11:6.

[46] Mt 26:31-35, Marc 14:29-31.

[47] Mt 26:32, Marc 14:28; cf. 16:7.

[48] Jean 16:33.

[49] Jean 17. Note 4, fin du chapitre.

[50] Mt 26:36-46, Marc 14:32-42, Luc 22:39-46.

[51] Note 5, fin du chapitre.

[52] «Abba» est un terme d'affection en même temps qu'honorifique et signifie «Père». Jésus l'applique au Père éternel dans le passage ci-dessus, et Paul fait de même dans Rm 8:15, Gal 4:6.

[53] Note 6, fin du chapitre.

[54] Jean 13:37, Mt 20:22, Marc 10:38, 39.

[55] Jean 5:26, 27 et 10: 17, 18 ainsi que page 456 supra.

[56] Jean 14:30.

[57] Page 139.

[58] D&A 19:16-19; cf. 18:11 - voir aussi LM, 2 Néphi 9:5, 7, 21; Mosiah 3:7-14, 15:12, Alma 7:11-13, 11:40, 22:14, 34:8-15, 3 Néphi 11: 11, 27:14, 15 et chapitre 4 supra.

[59] Mt 26:47-56, Marc 14:43-52, Luc 22:47-53, Jean 18:1-12.

[60] Le texte grec de Mt 26:49 et de Marc 14:45 implique clairement que Judas «l’embrassa beaucoup», c'est-à-dire de nombreuses fois ou avec effusion. Voir note marginale de la version révisée anglaise.

[61] Jean 18:9; cf. 17:12.

[62] Voir La Grande apostasie, chap. 4 et 5.

[63] Note 7, fin du chapitre.

[64] Cf. Es 53:8. Note 8, fin du chapitre.

 

 

 

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