Chapitre quatre : La
culture jarédite, splendeur et honte Un monde de prisons Les Jarédites,
comme leurs cousins asiatiques, et au contraire des Néphites, étaient
des monarchistes convaincus, et leur monarchie est le despotisme asiatique
bien connu auquel rien ne manque. Où pourrait-on trouver le suzerain
asiatique typique croqué plus parfaitement que dans les quatre versets
qui décrivent le règne de Riplakish (Éther
10:5-8) ? La lubricité et la cruauté, la magnificence et
l’oppression, tout y est. Ce genre de choses était bien connu du temps
de Joseph Smith – après tout, Hajji Baba parut en 1824 – mais le
livre va loin au-delà du tableau conventionnel pour nous montrer des
institutions tout à fait étrangères à l’expérience des Occidentaux. C’est
le cas de la pratique, souvent mentionnée dans le livre, qui consiste à
garder un roi prisonnier pendant toute sa vie, le laissant engendrer et élever
des enfants en captivité, alors même que les fils ainsi élevés
chercheront presque à coup sûr à venger leur père et à prendre le
pouvoir quand ils deviendront majeurs. C’est ainsi que Kib est fait
prisonnier par son propre fils, engendre encore d’autres enfants en
captivité et meurt de vieillesse, toujours prisonnier. Pour venger Kib,
son fils Shule vainc le mauvais fils Corihor auquel il permet toutefois de
garder du pouvoir dans le royaume ! Shule, à son tour, est fait
prisonnier par Noé, fils de Corihor, pour être ensuite kidnappé de sa
prison et remis au pouvoir par ses propres fils. Et ainsi de suite:
« Seth... demeura toute sa vie en capitivité... Moron demeura en
captivité tout le reste de ses jours et il engendra Coriantor. Et
Coriantor demeura tout le reste de sa vie en captivité... et... engendra
Éther, et il mourut, ayant demeuré toute sa vie en captivité[1]. »
Cela nous semble être un système parfaitement ridicule, et cependant il
est conforme à un usage asiatique immémorial. C’est ainsi que quand
Baidu et Kaijatu se disputèrent le trône d’Asie, les conseillers de ce
dernier déclarèrent, lorsqu’il acquit l’ascendant : « Il est
juste qu’il [Baidu] soit mis sous le joug du service et soit gardé en
esclavage pendant toute la période de sa vie, pour que sa main ne puisse
jamais s’étendre pour tuer ou faire du mal. » Kaijatu ne suivit pas ce
conseil, et il eut à s’en mordre les doigts, car bientôt son frère
organisa un coup d’état et le mit, lui, dans une tour pour le
restant de ses jours, mais refusa de le tuer[2].
L’expression « mis sous le joug du service » nous rappelle que dans le
livre d’Éther on oblige les rois à « servir de nombreuses années en
captivité » (Éther
8:3; 10:15;
10:30).
Benjamin de Tudèle raconte comment le calife, chef spirituel de toute
l’Asie occidentale, prit des dispositions pour que « les frères et les
autres membres de la famille du calife » vécussent une vie d’aisance,
de luxe et de sécurité : « Chacun d’eux possède un palais à l’intérieur
de celui du calife, mais ils sont tous entravés par des chaînes de
fer, et un officier spécial est désigné pour diriger chaque maison,
pour les empêcher de se révolter contre le grand roi[3].
» Gengis Khan, au début de sa carrière, fut mis au pilori et emmené
avec la cour d’un prince rival comme prisonnier permanent – sa fuite
fut presque surhumaine. Son descendant, Timour, et sa femme furent également
faits prisonniers permanents et maintenus dans une étable par un
souverain rival[4]. À un moment difficile, le
shah de Perse fut incapable de venir à l’aide du même Timour comme
allié parce que, expliqua-t-il, « son neveu Mansour lui avait volé son
armée et l’avait jeté en prison », et cependant il pouvait écrire
des lettres[5]. Quand il vainquit son frère
Alluddine dans leur lutte pour l’empire seldjoucide, Izzudine le mit en
prison; mais lorsque, au bout de sept ans, Izzudine mourut, son frère fut
immédiatement libéré et mis sur le trône sans qu’il y eût une voix
dissidente : On l’avait gardé pendant tout ce temps-là derrière les
barreaux par simple précaution[6]
! Il était de coutume chez les rois turcs, comme on l’a récemment
prouvé alors que les savants en ont douté pendant longtemps, de
permettre à leurs rivaux battus de s’asseoir sur leur trône le jour,
mais de les enfermer dans des cages de fer pour la nuit[7] ! Ces seigneurs des
steppes, comme le chef mamelouk qui rappela à l’ordre un général
arriviste en le faisant amener à la cour dans une cage[8],
suivaient les traces de rois beaucoup plus anciens. Sennachérib rapporte
à propos d’un rival, qui n’était rien moins que le roi de Babylone,
que « on le jeta enchaîné dans une cage et on me l’amena. Je le liai
dans la porte du milieu de Ninive comme un pourceau[9].
» Et Assurbanipal dit du roi d’Arabie : « Je l’ai mis dans un
chenil. Je l’ai enchaîné avec des chacals (?) et des chiens et je
l’ai fait garder la porte de Ninive[10].
» En remontant aux plus
anciens de tous les documents, nous trouvons une vaste catégorie de légendes,
partout dans le monde ancien, racontant comment au commencement un dieu
victorieux lia et emprisonna les membres rebelles de sa famille, ne les
tuant pas, puisqu’ils appartenaient à sa propre nature divine; les plus
anciens mythes de Zeus et d’Osiris viennent tout de suite à l’esprit[11].
Vous remarquerez que les rois emprisonnés dans Éther le sont tous par
les membres de leur famille. À
l’emprisonnement permanent des rois est apparentée l’institution des
travaux forcés en prison. Riplakish « obtint tous ses beaux
ouvrages, oui, c’est-à-dire qu’il fit raffiner son or fin en prison;
et il fit exécuter toutes sortes de fins travaux en prison » (Éther
10:7).
Le travail en prison, nous dit-on, c’était cela ou payer des impôts
ruineux (Éther
10:6).
Dès le début, les Assyriens utilisèrent un système assez semblable.
Tiglath Pileser III dit : « Je leur imposai un tribut et des impôts...
J’emmenai leurs chevaux, leurs mules, leurs chameaux, leur bétail,
leurs moutons et leurs ouvriers innombrables... Tous les artisans habiles,
je les utilisai astucieusement au mieux. J’imposai au pays de Nairi des
taxes féodales, des travaux forcés et des surveillants[12].
» Notez la combinaison des taxes et des travaux forcés, tout comme dans
Éther. Même les rois doivent servir, comme, nous l’avons vu, c’était
le cas chez les Jarédites : « Les rois, leurs gouverneurs, je les soumis
à mes pieds et je leur imposai des corvées[13].
» Les souverains ultérieurs d’Asie continuèrent la tradition, les
Scythes considérant tous les peuples comme leurs esclaves et leurs
successeurs parthes asservissant les habitants de vastes régions à
peiner dans leurs grandes fermes de travail[14]. Alors qu’en Asie
occidentale, Alaric et Attila traitaient tous les hommes comme leurs serfs[15],
à l’est du Wei, les conquérants faisaient travailler un million de
captifs pendant cent ans dans des grottes pour produire « toutes sortes
de fins travaux[16] ». « Dans une maison
construite dans ce but », dit Marco Polo, décrivant comment cela se fait
dans une partie de l’Asie, « tous les artisans sont obligés de
travailler pendant un jour de la semaine au service de sa Majesté[17]
». Chaque membre de la famille du Grand Khan « recevait un certain
nombre d’ouvriers spécialisés, d’artisans, d’artistes et ainsi de
suite, qui étaient à son entière disposition et qu’il installait où
il voulait[18]
». Tamerlan se réserva des artistes de ce genre, surtout des orfèvres
et des travailleurs de verre, les obligeant à s’installer dans des
camps de prisonniers à Samarkande, à peu près de la même manière dont
Assur-Nazir-Pal avait asservi les travailleurs araméens 3000 ans plus tôt[19].
Même à notre époque, le Ja Lama forçait tous ceux qui tombaient en son
pouvoir, « fonctionnaires tibétains… pèlerins mongols, lamas…
marchands chinois… chefs kirghizes » aussi bien qu’une foule
innombrable de soldats et de paysans, « à travailler à construire des bâtiments,
des tours et des murs » à sa gloire[20]. Nous ne
devons pas perdre de vue les programmes de construction ambitieux des rois
jarédites, car rien n’est plus typique des anciens souverains de
l’Orient, où même les légendes préhistoriques ressassent la question
des constructions avec une persistance remarquable[21]
». Coriantum « bâtit beaucoup de villes puissantes » (Éther
9:23); Riplakish le magnifique « construisit beaucoup d’édifices
spacieux » ("Éther
10:5) et Morianton « construisit beaucoup de villes, et le
peuple devint extrêmement riche… en bâtiments » (Éther
10:12). C’est étrange que des rois guerriers et nomades se
montrent passionnés de construction, et c’est un fait en Asie comme en
Amérique : « Les villes sortaient de terre comme des champignons en
l’honneur du Khan du jour, la plupart d’entre elles restant inachevées
et tombant rapidement en ruines. On rassemblait dans ce but des armées
d’artisans [encore une pratique jarédite]… puis le Khan mourait et de
la future gloire il ne restait rien qu’un tas de ruines...[22] » Une façon de faire
absurde et peu rentable qui menait souvent à la ruine financière et à
la révolution, comme nous l’apprenons dans les pages de Bar Hebraeus et
aussi par l’exemple de Riplakish dans le Livre de Mormon (Éther
10:5-8) : « Il eut beaucoup d’épouses et de concubines, et
mit sur les épaules des hommes ce qu’il était pénible à porter; oui,
il leur imposa de lourds impôts; et avec les impôts, il construisit
beaucoup d’édifices spacieux... et... le peuple se souleva contre
lui... de sorte que Riplakish fut tué et que ses descendants furent chassés
du pays. » J’ai parlé, dans un article récent, de cette étrange
passion pour la construction, mais ce sur quoi je veux attirer
l’attention ici, c’est sur la ressemblance exacte entre la pratique
jarédite et celle de l’Ancien Monde. Soit dit en passant, les femmes et
les concubines sont un élément important du tableau, car elles sont le
principal sujet de dépense et la cause principale de la ruine financière
parmi les souverains des steppes, où il était de règle que tout roi
montre sa richesse et sa puissance par le nombre de ses femmes et de ses
concubines, dont chacune devait posséder un camp complet et une cour à
elle[23]. Les dépenses
et le soin particuliers affectés au trône royal de Riplakish (Éther
10:6) sont encore
une touche authentique. On disait que le plan du trône royal avait été
révélé par le ciel à Gudea, le célèbre patesi de Lagash, et en tous
temps on a cru d’une manière générale en Asie qu’il ne pouvait y
avoir qu’un seul vrai trône au monde, et qu’une personne non autorisée
qui tentait de s’asseoir dessus subirait des blessures graves[24]. L’importance du trône[25] est bien illustrée dans
l’histoire qui raconte comment le Mongol Baidu « fut induit en
erreur par les flagorneurs, et il devint lui-même orgueilleux et
magnifique... il fit venir le grand trône qui était à Tabriz... et il
l’installa dans le voisinage d’Aughan, et il monta et s’assit
dessus, et s’imagina que dorénavant son royaume était assuré[26]
». Très célèbre est l’histoire qui raconte comment Merdawij de Perse
chercha à prendre le titre et la gloire du Roi de l’Univers au neuvième
siècle, érigea un trône en or sur le modèle des anciens monarques
perses, et crut sottement que c’était le trône qui lui donnait la
majesté[27]. À propos du trône du Grand
Khan, Carpini écrit : « Il y avait aussi une haute estrade construite en
planches, où était placé le trône de l’empereur, trône qui était
très curieusement travaillé dans de l’ivoire, où il y avait aussi de
l’or et des pierres précieuses… Et il était arrondi dans le dos[28].
» Le « trône extrêmement beau » de Riplakish était quelque
chose de ce genre, car on peut montrer que les trônes d’autrefois, où
qu’on les trouve, que ce soient des trônes-dragons, des trônes-paons,
des trônes-griffons ou même la sédile curule romaine, tout cela
remonte au vieux modèle d’Asie centrale[29]. Le trône de Darius, montrant, entre autres
choses, Darius lui-même assis sur le trône. Une inscription sur le trône
dit : « Regardez la représentation de ceux qui portent mon trône
et vous saurez combien est grand le nombre de pays que Darius, le Roi, a
saisis. » Comparez cela au « trône extrêmement beau »
de Riplakish (Éther 10:6) et l’oppression à laquelle il eut recours
pour l’obtenir. L’épisode de Salomé Il y a,
dans le livre d’Éther, le récit d’une intrigue qui présente des
parallèles très antiques et très répandus (qui n’ont toutefois été
découverts que récemment). C’est l’histoire de la fille de Jared. Il
s’agit d’un Jared plus récent qui se révolta contre son père, «
flatta beaucoup de gens, par ses paroles rusées, jusqu’à ce qu’il eût
gagné la moitié du royaume... emmena son père en captivité » après
l’avoir battu à la guerre, « et le fit servir en captivité » (Éther
8:2-3).
En captivité, le roi eut d’autres fils qui inversèrent finalement la
situation en défaveur de leur traître de frère et battirent ses forces
au cours d’une escarmouche de nuit. Ils lui épargnèrent la vie quand
il leur eut promis d’abandonner le royaume, mais c’était sans compter
avec la fille de Jared, une jeune fille ambitieuse qui avait lu, ou du
moins demandé à son père si lui avait « lu les annales que
[leurs] pères [avaient] apportées à travers le grand abîme », récit
très instructif des moyens par lesquels les hommes d’autrefois
obtinrent « des royaumes et une grande gloire ». « N’a-t-il
pas lu les annales que nos pères ont apportées à travers le grand abîme
? Voici, n’y a-t-il pas un récit concernant ceux d’autrefois qui, par
leurs plans secrets, obtinrent des royaumes et une grande gloire ? Ainsi
donc, que mon père fasse venir Akish, fils de Kimnor; et voici, je suis
belle, et je danserai devant lui, et je lui plairai, de sorte qu’il me désirera
pour épouse; c’est pourquoi, s’il te demande de me donner à lui pour
épouse, tu diras: Je te la donnerai si tu m’apportes la tête de mon père,
le roi » (Éther
8:9-10). Historiquement
parlant, tout ce qu’il y a à retirer de cette histoire, c’est
qu’elle n’a absolument rien d’original. C’est ainsi qu’il doit
en être. La demoiselle demande à son père s’il a lu « les annales »
et lui rappelle qu’il y trouve
un certain récit qui décrit comment « ceux d’autrefois... obtinrent
des royaumes ». En conséquence, elle élabore un plan qui permet de
comprendre de quoi il était question dans « le récit ». Il y était
question d’une façon de faire habituelle (car « royaumes » est au
pluriel) dans laquelle une princesse danse devant un étranger romantique,
gagne son cœur, et l’incite à décapiter le roi régnant, à l’épouser
et à monter sur le trône. La sinistre fille de Jared applique le plan à
fond. Ayant fait décapiter son grand-père et mettre son père sur le trône,
elle épouse ensuite l’assassin, Akish, qui, ayant maintenant été «
asserment[é] par le serment des anciens [de nouveau le vieux système]...
obtin[t] la tête de son beau-père, tandis qu’il était assis sur son
trône » (Éther
9:5).
Et qui l’amena à commettre ce nouveau crime ? « Ce fut la fille de
Jared qui lui mit dans le cœur de redécouvrir ces choses d’autrefois,
et Jared le mit dans le cœur d’Akish » (Éther
8:17).
Elle influença tout d’abord Akish par son père Jared, mais lorsqu’il
fut devenu son mari, Akish agit, bien entendu, directement sous son
influence pour liquider le rival suivant. Selon le système antique (car
Éther insiste sur le fait que tout cela remonte aux « anciens »),
Akish, dès qu’il deviendrait évident qui serait son successeur, serait
marqué comme étant la prochaine victime, et effectivement nous le voyons
tellement soupçonneux à l’égard de son propre fils, qu’il le met en
prison et le fait mourir de faim; mais il y avait d’autres fils, et
ainsi « il commença à y avoir une guerre entre les fils d’Akish et
Akish », qui se termina par la ruine totale du royaume (Éther
9:12).
Bien des années plus tard, la vieille machination fut remise à la mode
par Heth, qui « commença à adopter de nouveau les plans secrets
d’autrefois », détrôna son père, « Ie tua avec sa propre épée; et
il régna à sa place » (Éther
9:26-27).
C’est là en effet une tradition étrange et
terrible que cette manière de se succéder sur le trône, et cependant il
n’est pas de tradition mieux attestée dans le monde antique que le
rituel de la princesse dansante (représentée par la prêtresse salmé
des Babyloniens, d’où le nom Salomé) qui conquiert le cœur
d’un étranger, l’amène à l’épouser, à décapiter le vieux roi
et à monter sur le trône. J’ai constitué autrefois un énorme dossier
sur cette horrible femme et j’ai même fait une conférence sur elle
lors d’une réunion annuelle de l’American Historical Association[30].
On trouve tout sur le sordide triangle du vieux roi, du concurrent et de
la beauté dansante dans Frazer, Jane Harrison, Altheim, B. Schweitzer,
Farnell et d’autres spécialistes du folklore[31].
Ce qu’il faut remarquer spécialement, c’est qu’il semble qu’il y
ait réellement eu un rite de succession d’une grande antiquité qui
suivait ce modèle. C’est l’histoire qui est à la base des rites
d’Olympie, de l’Ara Sacra et des danses lascives et choquantes des hiérodules
rituelles dans tout le monde antique[32].
Bien qu’il ne soit pas sans parallèles historiques réels, comme
Iorsqu’en 998 de notre ère, la sœur du calife obtint comme don la tête
du gouverneur de Syrie[33], l’épisode de la princesse
dansante est en tout temps essentiellement un rituel, et le nom de Salomé
n’est peut-être pas un accident, car son histoire est loin d’être
unique. Assurément le livre d’Éther est sur le terrain le plus ferme
que l’on puisse imaginer quand il attribue le comportement de la fille
de Jared à l’inspiration de textes rituels – des instructions secrètes
sur l’art de déposer un roi vieillissant. La version jarédite est,
soit dit entre parenthèses, très différente de l’histoire de Salomé
dans la Bible, mais concorde avec beaucoup de récits plus anciens qui
nous sont parvenus dans les plus vieux documents de la civilisation. L’acier, le verre et la
soie Avant de nous attaquer aux annales militaires
sombres et déprimantes qui constituent le gros de l’histoire jarédite,
comme de toute histoire ancienne, nous aurons maintenant l’agréable
devoir d’examiner brièvement les quelques allusions que le Livre de
Mormon fait au passage à la culture matérielle de cette étrange nation.
Il y a
quelques années, votre objection la plus véhémente à l’histoire Jarédite
aurait certainement été ses allusions désinvoltes au fer et même à
l’acier (Éther
7:9)
à une époque où on était censé n’avoir aucune idée de ce qu’étaient
le fer et l’acier. Aujourd’hui la protestation sera assez faible, même
dans les secteurs qui sont « toujours sous l’influence d’une théorie
de l’évolution que l’on a eu le malheur d’introduire dans l’étude
de l’histoire ancienne[34]
». Rien n’illustre mieux l’inutilité de vouloir essayer
d’appliquer la règle mécanique, ingénieuse et pratique du progrès à
l’histoire que la situation actuelle des âges du métal. Je vous
renvoie à la récente étude de Wainwright sur « L’Apparition du Fer
». Vous y apprendrez que l’emploi du fer est aussi primitif que celui
de n’importe quel autre métal : « En utilisant des morceaux de
sidérolithe, pendant qu’ils étaient encore à l’ère chalcolitique,
les Égyptiens prédynastiques ne faisaient absolument rien
d’extraordinaire. Les Esquimaux en faisaient autant (bien que dans les
autres cas cela ne se soit fait qu’à l’Âge de l’Os), aussi bien
que les Indiens néolithiques d’Ohio. Les Sumériens d’Ur étaient à
l’époque au début de I’Âge du Bronze, ce qui ne les empêcha pas de
retomber plus tard dans l’Âge du Cuivre[35]. »
Cette possibilité de rechute est très significative : Il n’y a pas de
raison pour que d’autres nations ne puissent rétrograder au même titre
que les Sumériens. Mais les morceaux de sidérolithe n’étaient pas la
seule source préhistorique, car « il s’avère maintenant que, quoique
ne s’y intéressant pas, l’homme a pu, à une époque extrêmement
reculée, faire fondre son propre fer à partir de ses minerais et en
fabriquer des armes[36]. » Mais comment des hommes
ont-ils pu faire une aussi grande découverte ou transmettre un art aussi
difficile sans s’y intéresser ? Nous ne pouvons que croire qu’il y a
eu quelque part des gens qui s’y sont réellement intéressés, et il se
fait que ces gens-là, comme nous le verrons bientôt, demeuraient dans la
patrie d’origine des Jarédites. Il n’y a assurément plus aucune
raison de refuser le fer aux Jarédites s’ils le voulaient. Une lame de
couteau mésopotamienne « d’origine non météorique » et fixée dans
une poignée a été datée avec certitude au vingt-huitième siècle av.
J.-C.; du fer de la Grande Pyramide remonte à 2900 av. J.-C. et « a
peut-être été extrait d’un minerai[37]
». Cependant, les Égyptiens, loin de se spécialiser dans le fer,
n’ont jamais fait beaucoup attention à ce métal sauf dans leurs
rituels primitifs, dernier endroit où l’on se serait attendu à l’y
trouver si c’était une invention tardive. Bien que Wainwright lui-même
ait découvert à Gerzah, en Égypte, des perles de fer qui « remontent
à environ 3500 ou plus tôt ... en fait, l’Égypte fut le dernier pays
du Proche-Orient à entrer dans I’Âge du Fer, et ce, seulement sous
l’intensification des influences du nord[38]
». En fait, en 1000 av. J.-C., « I’Égypte reste encore à l’Âge du
Bronze[39] ». Ayant prouvé que le
travail du fer est aussi vieux que la civilisation, les Égyptiens se
mettent ensuite, à la grande consternation des évolutionnistes, en
devoir de prouver que la civilisation est parfaitement libre de
l’ignorer. Ce sont les Asiatiques qui ont en réalité tiré le plus
grand parti du fer. Dès 1925 av. J.-C., un roi hittite avait un trône de
fer, et dans les inventaires des temples hittites, « c’est le fer qui
est le métal ordinaire, et non le bronze, auquel on est accoutumé dans
les autres pays du Proche-Orient[40]
». Si nous nous dirigeons plus vers l’est, dans la région d’où
proviennent les Jarédites, nous voyons que la manufacture du fer est si
avancée au moment de la période d’Amarna que le monarque local peut
envoyer au roi d’Égypte deux splendides poignards « dont la lame
est en khabalkinu », le mot étant ordinairement traduit par
« fer »[41]. Bien que la traduction ne
soit pas absolument certaine, les allusions littéraires à l’acier sont
très anciennes. Le Zend Avesta parle constamment de l’acier, et
l’acier vient avant le fer dans les quatre âges de Zarathustra[42], ce qui fait penser à la
doctrine védique que le ciel fut créé à partir de l’acier et que
l’acier était le « métal bleu-ciel » des tout premiers Égyptiens et
Babyloniens[43]. Les légendes des tribus
d’Asie sont pleines d’oiseaux, de flèches et d’autres objets
magiques en fer et en acier, et le fondateur de la dynastie Seldjoucide
d’Iran était, comme nous l’avons noté, appelé Arc-de-Fer ou
d’Acier[44]. Le travail du fer est
pratiqué en Asie centrale même par des tribus primitives, et Marco Polo
dit qu’ils exploitent « I’acier » plutôt que le fer[45].
Quand on peut entendre par « acier » toute forme de fer très résistant,
la formule chimique correcte de ce métal se trouve dans les objets
d’acier de Ras Shamra, qui remontent jusqu’au 14e siècle av. J.-C.[46]
Si nous voulions faire remonter ce métal jusqu’à son lieu et à sa
date d’origine, nous nous trouverions selon toute probabilité dans le
monde des Jarédites, car leur pays était celui de Tubal-Caïn « Ie coin
nord-ouest le plus extrême de la Mésopotamie », qui est, observe
Wainwright, approuvant l’histoire de Genèse 4:22, « le pays le plus
ancien où nous savons que des réserves de fer manufacturé étaient
conservées et distribuées au monde[47]
». C’est dans cette région et non en Égypte que nous devons chercher
les espèces les plus anciennes aussi bien que les meilleures de travail
antique du fer, même si les Égyptiens connaissaient le fer au moins dès
3500 av. J.-C. L’exemple
du fer, de l’acier et du bronze est instructif. Ils ne se sont pas développés
par degrés imperceptibles pour conquérir le monde en un triomphe sans
cesse croissant au cours des âges, mais apparaissent pleinement développés
pour être utilisés dans un endroit et interdits dans l’autre, prospérer
à une époque et être abandonnés à l’époque suivante[48].
Il en va de même d’un autre produit attribué aux Jarédites et que,
jusqu’à ces dernières années, on croyait avoir été une invention
relativement tardive. Du temps de Joseph Smith, et longtemps après, il
n’y avait pas un seul savant qui n’acceptât sans réserve
l’histoire de l’origine du verre racontée par Pline[49].
J’étais autrefois intrigué par le fait que la mention, dans (Éther
2:23), de « fenêtres, (qui) voleraient en éclats » ne peut
avoir trait qu’à des fenêtres de verre, puisque aucune autre sorte ne
serait étanche tout en restant fenêtre, et qu’elles devraient être
fragiles pour pouvoir voler « en éclats ». En outre, Moroni, en parlant
précisément de « verre transparent » dans (Éther
3:1),
suit probablement Éther. Cela voudrait dire que l’invention du verre
est bien plus ancienne qu’on aurait pu se l’imaginer jusqu’à la découverte
récente d’objets tels que des perles de verre égyptiennes datant de la
« fin du troisième millénaire av. J.-C.[50]
» et « des plaques de verre bleu turquoise d’excellente qualité »
en la possession d’une des toutes premières reines d’Égypte[51].
« On sait très peu de choses, écrit Newberry, sur les débuts de
l’histoire du verre », bien que l’on puisse « faire remonter [cette
histoire] jusqu’à l’époque préhistorique, car on a trouvé des
perles de verre dans des tombes préhistoriques[52] ». Il ne faut pas s’étonner
si la présence d’objets de verre avant le sixième siècle av. J.-C.
est « très rare[53] », car le verre
pourrit, comme le bois, et l’on peut déjà s’étonner que le peu
qu’il en reste soit parvenu jusqu’à nous depuis la lointaine antiquité.
Par ailleurs, il y a un monde de différence entre peu d’objets de verre
et pas d’objets du tout. Tout ce que nous avons pour montrer que les Mésopotamiens
utilisaient des couteaux de fer tout au début du troisième millénaire
av. J.-C., c’est un seul et unique grumeau de terre rougeâtre, mais
c’est tout ce qu’il nous faut. De même, le plus ancien morceau de
verre daté que nous connaissions vient de l’époque
d’Amenhotep 1er; cependant, sous ses successeurs immédiats, on voit
apparaître des vases qui révèlent une technique avancée dans le
travail du verre : « Ils révèlent l’art à un très haut niveau de
compétence, qui doit être le résultat d’une longue série d’expériences
», écrit Newberry[54]. La découverte du plus ancien travail du verre et du
fer en Égypte n’est pas du tout un éloge à la civilisation supérieure
des Égyptiens, mais plutôt aux qualités supérieures de préservation
de leurs sables secs. Nous avons vu que les Égyptiens se souciaient très
peu du fer dont la patrie était en réalité le pays de Tubal-Caïn. Il semble qu’il en soit de même du verre. Les
mythes et le folklore de la plus ancienne couche de légendes asiatiques
(les cycles des cygnes-jeunes filles et des flèches-chaînes, par
exemple) sont pleins de montagnes de verre, de palais de verre et de fenêtres
de verre. Dans une légende extrêmement archaïque et très répandue,
l’oiseau Shamir (il porte beaucoup de noms), cherchant à entrer dans la
chambre de la reine des enfers, se brise les ailes contre la vitre de sa
fenêtre quand il essaie de la traverser. Comme je l’ai montré dans une
autre étude, la montagne de verre des légendes du nord et le palais de
verre de l’immense cycle de Schéba en sont les variantes. « La
vitrification et la pâte vitrée », si proches du verre que leur absence
dans la même région est surprenante, étaient « connues et
largement utilisées en Égypte et en Mésopotamie à partir du quatrième
millénaire av. J.-C.[55]
». Mais ce genre de produit, appliqué aux objets d’argile, a une bien
plus grande chance de laisser une trace de lui-même que le verre pur qui
se désintègre tout simplement dans la terre humide, processus que j’ai
souvent eu l’occasion d’observer dans les tas d’immondices grecs
antiques. Ceci explique facilement la rareté des restes de verre en
dehors de l’Égypte. Nous nous rendons maintenant compte que les savants
qui rejettent catégoriquement l’affirmation de Marco Polo qu’il avait
vu des vitres de verre coloré à la cour du grand Khan ont parlé trop
vite. Un contemporain de Marco Polo « dit que les fenêtres de certains
des yachts ou des barques avaient du verre à vitre » en Chine, mais le
commentateur qui cite cette autorité ajoute que « Ia manufacture en était
probablement européenne[56] ». Il est intéressant de
constater que l’emploi le plus antique du verre pour fenêtre en Extrême-Orient
était pour les fenêtres de bateau, mais le fait que le verre était rare
en Chine n’en fait pas du verre européen, car ce n’était pas
l’Europe, mais l’Asie centrale qui excellait dans la production du
verre. En 1221, un observateur chinois en Asie centrale fut frappé par la
grande industrie locale qui produisait entre autres choses des vitres en
verre clair[57]. Nous avons noté que les
grands Khans s’intéressaient spécialement aux orfèvres et aux
ouvriers du verre. Si le
verre et le fer périssent, que dire de la soie ? Le « fin lin
retors » des Jarédites (Éther
10:24)
ne pose pas de problème sérieux, puisque, comme je l’ai fait remarquer
dans une précédente lettre, des lambeaux du lin le plus fin ont réellement
survécu dans des sites préhistoriques dans l’Ancien Monde. Mais le même
verset parle de soie. Étant donné que peu de substances s’oxydent plus
complètement que la soie, il n’est pas surprenant que la seule preuve
que nous ayons de son existence sans l’Antiquité soient les documents
écrits. Mais ils suffisent pour offrir aux Jarédites le luxe de porter
leurs vêtements de soie, si l’on doit accorder le moindre crédit aux
affirmations citées dans l’Encyclopedia Britannica que l’on
portait de la soie en Chine dans la première moitié du troisième millénaire
av. J.-C. et en Inde dès 4000 av. J.-C[58].
L’antériorité de l’Inde par rapport à la Chine suggère un point de
distribution central pour l’une et l’autre, ce qui serait bien entendu
l’Asie centrale et effectivement, Khotan, en Asie centrale, était le
grand centre au Moyen Âge. La fabrication de la soie à une date très
reculée dans les îles grecques et la légende du Dédale minœn rapportée
par Appollodore, qui ne peut avoir trait qu’à la culture de la soie,
donnent à penser que c’est l’Asie plutôt que la Chine qui a été le
centre de distribution préhistorique de la connaissance de la soie dans
le monde. Le règne animal Comme le
métal et le verre, les animaux d’autrefois ont longtemps été représentés
de manière incorrecte par les idées préconçues des archéologues.
Jusque il y a cinq ans – et peut-être encore maintenant – les
meilleurs archéologues étaient convaincus que le chameau n’était pas
connu en Égypte avant l’époque grecque et romaine, et traitaient
l’histoire biblique des chameaux d’Abraham (Genèse
12:16)
comme la plus grossière des gaffes. Cependant J. P. Free a pu démontrer
l’existence et l’emploi constant de cet animal en Égypte depuis les
temps préhistoriques jusqu’à présent et ce, sur la base d’indices
qui sont à la portée de tout étudiant consciencieux[59].
Nous savons que le cheval, comme le fer, avec lequel il est souvent associé
dans l’histoire conventionnelle, n’est pas apparu sur la scène en un
seul endroit pour se répandre graduellement et d’une manière constante
dans le monde entier, mais a été introduit à diverses reprises dans la
région de la culture primitive indo-germanique, s’infiltrant, pour
ainsi dire, à maintes reprises[60].
Si certains peuples préhistoriques (par ex. à Anau) ont eu le bœuf et
le cheval avant le chien ou la chèvre, d’autres (comme les Ertebœlliens)
avaient le chien longtemps avant les autres. Je pense qu’il est assez
remarquable, écrit McGovern, que nous ne trouvions pas de mention spécifique
du chameau chez les Scythes et les Sarmates bien que ... son existence et
son utilité aient dû être connues[61].
» La morale en est que nous ne pouvons être sûrs de rien. Tout
naturaliste supposerait que l’éléphant est éteint dans l’ouest de
l’Asie depuis des centaines de milliers d’années, à en juger par les
preuves que cette bête a laissées de son existence. C’est l’histoire
écrite seule qui nous donne l’assurance que de vastes troupeaux d’éléphants
parcoururent les terres tempérées de Syrie et du haut de l’Euphrate
jusqu’à la dix-huitième dynastie égyptienne, lorsque les pharaons les
y chassaient par sport, et que les seigneurs guerriers de l’Asie
centrale utilisèrent les éléphants jusqu’au cours du Moyen Âge[62].
Dans la haute antiquité, l’espèce sauvage disparut sans laisser de
traces, peut-être à cause d’un changement dans le climat de la terre.
Je pense qu’il est très significatif que le Livre de Mormon ne parle
d’éléphants qu’à propos des Jarédites, puisqu’il n’y a aucune
raison apparente pour qu’ils n’aient pas été aussi courants au
cinquième qu’au quinzième siècle av. J.-C. Tout ce que nous savons,
c’est qu’ils ont disparu dans de grandes parties de l’Asie à un
moment donné entre ces dates, de même que dans le Nouveau Monde, si
l’on veut en croire le Livre de Mormon, ne laissant que les documents écrits
des hommes pour témoigner de leur existence. « Ils
ont beaucoup de fer, d’accarum et d’andanicum », dit
Marco Polo, parlant de la population de Kobian. « Ils font ici des
miroirs en un acier extrêmement poli, de grande taille et très beaux. »
Ce qu’il faut noter ici, ce n’est pas avant tout l’état avancé du
travail du fer en Asie centrale, bien que, comme nous l’avons vu, cela
soit significatif, mais le fait que personne ne sait au juste ce que sont
l’accarum et l’andanicum. Marco le savait, bien entendu,
mais puisque ces objets n’existaient pas en Europe, il n’y avait pas
de mot occidental pour les traduire et par conséquent tout ce qu’il
pouvait faire, c’était les appeler par le seul nom qu’on leur
donnait. Il en va de même des cureloms et des cumoms d’Éther
9:19.
Ces animaux étaient inconnus des Néphites, c’est pourquoi Moroni ne
traduit pas les mots, ou alors, quoique connus des Néphites, ils
n’appartiennent pas à notre expérience, de sorte que c’est notre
langue, à nous, qui n’a pas de nom à leur donner. C’étaient
simplement des variétés de ces nombreuses « autres espèces
d’animaux qui étaient utiles pour la nourriture de l’homme » (Éther
9:18).
L’histoire de l’élevage « d’animaux qui étaient utiles à
l’homme » est extrêmement complexe; faire le pedigree, même d’espèces
aussi évidentes que le cheval arabe, le dromadaire ou le bœuf, est
encore tout à fait impossible[63].
Ceux qui sont allés tant d’Europe que de l’Extrême-Orient en Asie
centrale parlent toujours des espèces particulières d’animaux qu’ils
y trouvent: des chameaux à deux bosses (qui en réalité ne ressemblent
pas plus au dromadaire arabe qu’un lama ressemble à un mouton), des
moutons à longue queue et d’étranges variétés de bœufs et de
chevaux, tous animaux pour lesquels il est impossible aux voyageurs de
trouver des mots dans leur propre langue[64].
Ils appellent donc les dromadaires et les chameaux bactriens «
chameaux » et les kulans « chevaux », tout comme le Livre
de Mormon désigne, sans aucun doute, sous le nom de moutons et de gros bétail
des espèces qu’il nous serait difficile de reconnaître. Je trouve extrêmement
rassurant que le livre d’Éther, en nous conduisant dans des temps archaïques,
tienne absolument à compliquer les choses en parlant d’animaux
manifestement éteints du temps des Néphites et d’espèces que nous ne
pouvons pas identifier. La
description de la façon dont les gens furent chassés d’un pays par une
invasion de serpents qui, ensuite, « [coupèrent] le chemin, pour que le
peuple ne pût passer » (Éther
9:31-35)
peut mettre rudement à l’épreuve votre crédulité scientifique. Je me
hâte de vous rassurer. On nous dit que Pompée le Grand ne put faire
passer son armée en Hyrcanie parce que le chemin était barré par des
serpents le long de l’Araxe, cours d’eau encore infesté de ces
animaux[65]. Une des principales activités
philanthropiques des mages perses était de faire la guerre aux serpents,
devoir qui doit remonter à une époque où les hommes étaient
cruellement affligés par eux[66].
Les Absurtitani passaient pour avoir été chassés de leur pays par des
serpents et Esarhaddon d’Assyrie rappelle l’horreur et le danger
d’une marche effectuée par son armée à travers un pays « de serpents
et de scorpions, dont la plaine était couverte comme de fourmis[67]
». Au treizième siècle de notre ère, le shah Sadrouddine décida de
construire une capitale qui surpasserait toutes les autres villes en
splendeur; cependant le projet dut être abandonné après d’énormes dépenses
lorsque, pendant une période de sécheresse, l’endroit grouilla à ce
point de serpents que personne ne pouvait y vivre[68].
Il est intéressant de constater, dans cet ordre d’idées, que le fléau
des serpents mentionné dans Éther est décrit comme consécutif à une période
d’extrême sécheresse (Éther
9:30). Au dixième
chapitre d’Éther, nous lisons que de grandes expéditions de chasse
furent entreprises au temps du roi Lib dans le pays riche et giboyeux du
sud « pour chasser de la nourriture pour le peuple du pays » (Éther
10:19).
Les Occidentaux ont tendance à considérer la chasse comme une activité
très individualiste; en effet, Oppenheimer insiste sur le fait que les
chasseurs opèrent « toujours soit en petits groupes, soit seuls ». Mais
telle n’est pas la façon dont les anciens Asiatiques chassaient. Selon
Odoric et William, les Mongols chassaient toujours en grandes battues, des
milliers de soldats poussant le gibier vers le centre d’un grand cercle
où le roi et sa cour choisissaient les animaux[69].
C’était la façon normale d’approvisionner une armée et une nation
en Asie comme Xénophon le décrit dix-sept siècles avant Carpini[70].
Des milliers d’années avant Xénophon, un Égyptien pré-dynastique
gravait une palette en ardoise verte sur laquelle il décrivait une armée
de rabatteurs formant un grand cercle autour d’une troupe d’animaux
affolés et en pleine confusion poussés vers un enclos circulaire au
centre. C’est la chasse royale, à la mode jarédite, à l’aube de
l’histoire[71]. Ces grandes chasses étaient
toujours conduites par le roi, comme chez les Jarédites : « Et Lib
devint aussi un grand chasseur » (Éther
10:19).
« Les rois doivent être
chasseurs » et toute cour royale devait avoir sa réserve de chasse à
l’instar des anciens dirigeants de l’Asie qui mettaient invariablement
à part, comme refuges pour les animaux, de vastes superficies de terrain
où il était interdit d’habiter[72]. Ici le Livre de Mormon
nous présente un scoop vraiment stupéfiant : « Ils conservèrent le
pays situé du côté du sud comme désert, pour avoir du gibier. Et toute
la surface du pays situé du côté du nord était couverte d’habitants
» (Éther
10:21).
Le tableau de la vieille économie de chasse des Asiatiques est complet
dans tous ses points essentiels et correct dans tous ses détails.
[1] Éther 11:9, 18-19, 23; cf. 10:14, 31; 7:7;
8:3-4; 10:15, 30. [2] E. A. Wallis Budge, The Chronography of
Bar Hebraeus, 2 vols., Oxford, Oxford University Press, 1932,
1:495, 500. [3] Benjamin de Tudela, Voyages, ch. 56, dans A. Asher, dir. de publ., The Itinerary of Rabbi Benjamin of Tudela, 2 vols., New York, « Hakesheth », n. d., 1:95, italiques ajoutés; cf. id., 1:96: à la suite d’une rébellion, « il fut décrété que tous les membres de la famille du Calife devaient être enchaînés pour contrecarrer leurs intentions rebelles. Cependant, chacun d’eux réside dans son palais… ils mangent et boivent et mènent joyeuse vie. » [4]
Michael Prawdin, The Mongol Empire, Londres,
Allen & Unwin, 1940, p. 424. [5] Id., 448. [6] Fikret Isiltan, Die Seltschuken-Geschichte des Akserayi, Sammlung Orientalistischer Arbeiten 12, Leipzig, Harrassowitz, 1943, pp. 41-42. On trouvera quelques dépositions pittoresques de souverains dans Budge, Chronography of Bar Hebraeus 1:147, 163, 176, 178. [7] N. Martinovitch, « Another Turkish Iron Cage », JAOS 62, 1942, p. 140, citant un certain nombre de cas. [8] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:471. [9] David D. Luckenbill, Ancient Records of
Assyria and Babylonia, 2 vols., Chicago, University of Chicago
Press, 1926-27, 2:155. [10] Id., 2:314. [11] A. B. Cook, Zeus, 3 vols.,
Cambridge, Cambridge University Press, 1914-40, et C. J. Gadd, Ideas
of Divine Rule in the Ancient East, Londres, Oxford University
Press, 1948, traitent en détail de ce sujet. [12] Luckenbill, Ancient Records of Assyria
and Babylonia, 1:270-71, 288; 1:182. [13] Id., 1:50. [14] William M. McGovern, The Early Empires of Central Asia, Chapel Hill,University of North Carolina Press, 1939, p. 73. Cf. Hérodote, Histoires IV, p. 20. [15] Claudian, Bellum Geticum 11, pp.
364-68; C. C. Mierow, The Gothic History of Jordanes, Princeton,
Princeton University Press, 1915, 128-29; ch. 52. [16] Henning Haslund, Men and Gods in
Mongolia, New York, Dutton, 1935, p. 4. [17] Marco Polo, Voyages. [18] B.Ya.Vladimirtsov, The Life of Chingis-Khan, New York, Houghton Mifflin, 1930, pp. 147-48; la citation se trouve p. 148. D’après cette théorie, « les vaincus sont la propriété du conquérant, qui est leur maître légitime, ainsi que celui de leur pays, de leurs biens, de leurs femmes et de leurs enfants. Nous avons le droit de faire ce que nous voulons de ce qui nous appartient », E. S. Creasy, History of the Ottoman Turks, 2 vols., Londres, Bentley, 1854-56, 1:21. [19] Prawdin, The Mongol Empire, pp. 131, 142, 175, 476. Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia, 1:182. [20] G. N. Roerich, Trails to Inmost Asia, New
Haven, Yale University Press, 1931, p. 232. [21] Prawdin, The Mongol Empire, p. 374;
Gadd, Ideas of Divine Rule in the Ancient East, p. 6. [22] Prawdin, The Mongol Empire, p. 374. [23] Sous le sous-titre « Mountain and Palace », dans Hugh W. Nibley, « Hierocentric State », WPQ 4, 1951, pp. 235-38. Aucun empire n’était possible sans un palais et une ville pour centre, comme dans Jubilés 4:9; 7:14. Dans les temps les plus anciens, « tout roi se construisait une nouvelle résidence en montant sur le trône », dit Eduard Meyer, Geschichte des Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta, 1909, vol. 1, 2e partie, p. 145, car il était de coutume « que tout roi possède sa propre ‘ville’ ». [24] A. Wünsche, Salomons Thron und Hippodrom, Ex Oriente Lux 2:3, pp. 9 et suiv., 22-25. Tha'labi, Qisas al-Anbiyya, pp. 11-12. [25] La 7e partie de « The World of the Jaredites », IE 55, mars 1952, pp. 162-65, 167-68, commençait avec cette phrase. [26] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:500. [27] Clément Huart et Louis Delaporte, L'Iran antique, Paris, Michel, 1952, p. 367; Adam Mex, The Renaissance of Islam, Salahuddin Khuda Bukhsh et D. S. Margoliouth, tr., Londres, Luzac, 1937, pp. 19-20. Ce trône d’or était dressé sur une plateforme en or, devant laquelle se trouvait une plateforme en argent sur laquelle ses princes s’asseyaient dans des fauteuils dorés ; certains disent que ces derniers étaient des trônes d’argent. [28] Carpini, ch. 28, dans Manuel Komroff, dir.
de publ., Contemporaries of Marco Polo, New York, Liveright,
1928, p. 45. [29] Eduard Meyer, Geschichte des Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta, 1928, vol. 2, 1e partie, p. 235; Hugh W. Nibley, « Hierocentric State », WPQ 4, 1951, p. 240. La sella curulis était un pliant doré utilisé par l’empereur romain, mais son nom montre qu’elle était montée, à l’origine, sur des roues à la manière asiatique. [30] A la réunion de la Côte Pacifique en 1940, ARAHA, 1940, p. 90. [31] Hugh W. Nibley, « Sparsiones », CJ 40,
1945, pp. 541-43. [32] Id., pour un traitement préliminaire. [33] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:182, « La soeur du Calife avait un certain scribe, un Égyptien, en Syrie, et il lui envoya un messager pour se plaindre auprès d’elle d’Abu Tahir [gouverneur de Syrie]… Et parce que son frère faisait toujours très attention à ce qu’elle disait, elle alla pleurer devant lui. Et elle reçut [de lui] l’ordre et elle l’envoya et tua Abu Tahir, et sa tête fut transportée en Égypte. » [34] La citation est de P. Van der Meer, The Ancient Chronology of Western Asia and Egypt, Leiden, Brill, 1947, p. 13. La citation ne concerne pas le verre, mais a trait aux questions de préjugés historiques. [35] Gerald A. Wainwright, « The Coming of Iron
», Antiquity 10, 1936, p.
7. [36] Id., p. 7. [37] Id., pp. 8-9. [38] Id., pp. 7, 23. [39] Id., p. 22. [40] Id., p. 14; italiques ajoutés. [41] Id., p. 18. [42] Friedrich Spiegel, Ernische Alterthumskunde, Leipzig,
1873, 2:152. James Darmesteter, The
Zend-Avesta, 3 vols., Oxford, Oxford University Press, 1880-87,
1:93. [43] Ce sujet a été abordé dans Hugh W. Nibley, « Lehi dans the Desert », IE 53, 1950, pp. 323-25. [44] Sadr al-Din Abi al-Hasan 'Ali b. Nasir b. 'Ali al-Husayni, Akhbar al-Dawla al-Saljuqiyya, Lahore, Université du Penjab, 1933, p. 1. Ceci pourrait être considéré comme une simple épithète ornementale, s’il n’y avait pas le fait que le nom Flèche de fer est assez courant et désigne en fait une telle arme, Semen I. Lipkin, Manas Vielikodushnyi, Moscou, Sovietski Posaty, 1947, pp. 24-25. Ce qu’impliquent les arcs d’acier est bien entendu très significatif pour 1 Néphi 16:18. [45] T. Wright, dir. de publ., The Travels of Marco Polo, Londres, Bohn, 1854, p. 53, livre1,ch. 14. Pendant qu’il voyageait en Asie Centrale, en 568 apr. J.-C., Ménandre rencontra plus d’une fois des tribus primitives des montagnes, qui essayaient de lui vendre leurs outils de fer locaux; Menander Protector, De Legationibus Romanorum ad Gentes 8, dans PG 113:884. [46] T. J. Meek, « The Challenge of Oriental Studies to
American Scholarship », JAOS 63, 1943, p. 92, n. 73, donne la formule
de l’acier de Ras Shamra. [47] Wainwright, « The Coming of Iron », p. 16. [48] « Le clan des forgerons a dû garder longtemps secret l’art de forger le fer pour conserver ses privilèges. » George Vernadsky, Ancient Russia, New Haven, Yale University Press, 1943, p. 43. [49] D. B. Harden, « Ancient Glass », Antiquity 7, 1933, p. 419; Pline, Histoire naturelle XXXVI, p. 191. [50] Harden, « Ancient Glass », p. 419. [51] P. E. Newberry, « A Glass Chalice of
Tuthmosis III », JEA 6, 1920,
p. 159. [52] Id., pp. 158-59. [53] Harden, « Ancient Glass », p. 419. [54] Newberry, « A Glass Chalice of Tuthmosis
III », 158; Harden, « Ancient Glass », p. 420, cf. 426. [55] Harden, « Ancient Glass », p. 419. [56] Wright, The Travels of Marco Polo, p. 179, n.1, livre 2, ch. 6). L’existence de telles fenêtres a été vivement contestée sans raison valable. Un voyageur d’autrefois « mentionne que les fenêtres de certains yachts ou barques avaient du verre à vitre » en Orient, Id. Il est intéressant de remarquer que la seule utilisation prouvée du verre à vitres était celle des navires. [57] Karl A. Wittfogel et Fêng Chia-Shêng, «
History of Chinese Society Liao », TAPS 36, 1946, p. 661. [58] « Silk and Sericulture », Encylopaedia
Britannica, 24 vols., Chicago, Encyclopaedia Britannica, 1960,
20:661. [59] Joseph P. Free, « Abraham's Camels », JNES
3, 1944, pp. 187-93. [60] Fritz Flor, dans Harentz, dir. de publ.,
Germanen und Indo-Germanen, Heidelberg, 1934, 1:111 et suiv.,
p. 122. [61] McGovern, The Early Empires of Central
Asia, p. 77, cf. 27; Raphael Pumpelly, Explorations in
Turkestan, 2 vols., Washington, Carnegie Institution, 1908,
1:41-43. [62] James H. Breasted, A History of Egypt, New
York, Scribner, 1909, p. 304; Wittfogel & Chia-Shêng, « History
of Chinese Society Liao », p. 669. [63] L’autorité principale sur le sujet est Max Hilzheimer. Voir Max Hilzheimer, « Dogs », Antiquity 6, 1932, pp. 411-19; et Max Hilzheimer, « Sheep », Antiquity 10, 1936, pp. 195-206. [64] Voir, par exemple, Wittfogel & Chia-Shêng,
« History of Chinese Society Liao », p. 662, Haslund, Men and
Gods in Mongolia, p. 73. [65] Darmesteter, Zend-Avesta, 1:5, n. 3. [66] Hérodote, Histoires I, 140. [67] James A. Montgomery, Arabia and the
Bible, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1934, p.
50. [68] Isiltan, Die Seltschuken-Geschichte des Akserayi, pp. 97-98. [69] Odoric ch.13, et William of Rubruck ch.7, dans Komroff, Contemporaries of Marco Polo, pp. 241, 68. Sur Oppenheimer, voir Nibley, « Hierocentric State », p. 251. [70] Xénophon, Cyropédie II, 4, pp. 16-26. [71] E. A. Wallis Budge, The Mummy, Cambridge,
Cambridge University Press, 1925, plaque 2, centre. [72] Nibley, « Hierocentric State », pp.
238-44; et Hugh W. Nibley, « The Arrow, the Hunter, and the State »,
WPQ 2, 1949, pp.
343-44.
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