UN ENVIRONNEMENT POUR LE LIVRE DE MORMON DANS L’AMÉRIQUE ANCIENNE

 

John L. Sorenson

 

Avant-propos par Leonard J. Arrington, Truman G. Madsen et John W. Welch

Traduit et publié avec la permission de F.A.R.M.S.

 

Deseret Book Company
Salt Lake City, Utah
et
Foundation for Ancient Research and Mormon Studies

Provo, Utah

©  1985 Deseret Book Company

Tous droits réservés.

 

Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou moyen que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, Deseret Book Company, P.O. Box 30178, Salt Lake City, Utah 84130.
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AVANT-PROPOS

 

En 1964, Gordon H. Fraser publiait cyniquement cette affirmation : « Le fait que le Livre de Mormon est dépourvu de tout contenu littéraire, de toute histoire crédible, de toute géographie, de toute intrigue sentimentale et d’enseignement moral garantit qu’il ne sera ni lu ni analysé en profondeur ; il y a donc peu de risque que le lecteur moyen l’étudie au point de se faire une opinion quant à sa crédibilité. »

 

Le livre que vous tenez maintenant entre les mains est la démonstration du caractère erroné et tendancieux de cette évaluation peu flatteuse. On trouve ici une histoire suivie. On trouve ici les résultats d’une lecture soigneuse. On trouve ici des informations qui situent le Livre de Mormon d’une manière crédible dans son environnement dans le Nouveau Monde précolombien.

 

La rédaction de ce livre a pris de nombreuses années et sera certainement d’actualité pendant de nombreuses années encore. Sa lecture sera un passage obligé pour tous ceux qui s’intéressent à l’antiquité du Livre de Mormon. Dorénavant ceux qui ont des commentaires à faire sur l’historicité du Livre de Mormon seront irresponsables ou mal informés s’ils ignorent ou négligent le présent ouvrage du professeur Sorenson.

 

Cette étude, qui est fondamentale pour la recherche future, est aussi le produit d’une tendance, qui s’est manifestée au cours des trois dernières décennies, à faire de plus en plus de recherches sérieuses sur le Livre de Mormon. Beaucoup de lecteurs de ce volume peuvent apprécier le chemin parcouru par ces études.

 

Au cours de ces années, on a abordé de différentes manières la recherche sur le Livre de Mormon. Les unes ont été apologétiques, hostiles, polémiques ou éclectiques. D’autres ont vu dans le livre la preuve de l’authenticité, de la fécondité et de la puissance du Rétablissement sous la direction de Joseph Smith, le Prophète. Les premiers érudits de l’Église, comme George Reynolds et B. H. Roberts, ont plaidé pour la nécessité d’un examen sérieux et systématique de la littérature profane sur le sujet, mais ils ne pouvaient qu’espérer voir arriver le jour où un travail historique ou analytique sérieux serait entrepris.

 

L’apparition de méthodologies de la critique historique dans la recherche biblique (B. H. Roberts avait dit un jour que c’était «pendre des poids lourds à des fils ténus» ) a créé les techniques par lesquelles on pouvait examiner la langue et la composition des Écritures hébraïques anciennes et ces techniques se sont souvent avérées efficaces lors de l’examen des textes du Livre de Mormon). La découverte spectaculaire de documents tels que les manuscrits de la mer Morte a aussi invité les érudits mormons à comparer le contenu du Livre de Mormon aux pratiques d’autres peuples religieux de l’Antiquité. Sidney B. Sperry s’est occupé de l’aspect linguistique; il disait souvent que rien qu’en se basant sur sa connaissance de l’hébreu, il savait que le Livre de Mormon ne pouvait pas avoir son origine exclusivement au XIXe siècle. Pendant un certain nombre d’années, le cours qu’il donnait à l’université Brigham Young sur « les us et coutumes des Hébreux » a examiné de multiples cas dans le récit du Livre de Mormon qui démontraient l’enracinement hébraïque du livre. Hugh W. Nibley et M. Wells Jakeman se tournaient entre-temps vers le contexte. Jakeman a dressé un tableau de la façon dont le Livre de Mormon s’intègre à la tradition de l’Amérique Centrale, tandis que le Professeur Nibley compulsait avec un flair étonnant d’énormes quantités de documents historiques, qui situent bien le livre dans l’époque et le lieu qu’il revendique dans le Proche-Orient ancien.

 

Mais Nibley n’a fait aucun effort pour mettre le doigt sur les liens avec le Nouveau Monde. « Qu’en est-il des ruines imposantes d’Amérique Centrale ? se demandait-il. Tant que ceux qui étudient cette région ne peuvent se mettre d’accord entre eux sur ce qu’ils ont trouvé, nous ne pouvons pas très bien commencer à tirer des conclusions. » Cette prudence extrême peut maintenant céder la place à des possibilités concrètes. Grâce à la façon dont le professeur Sorenson a abordé le sujet, l’élaboration d’un contexte géographique et archéologique explicite a commencé pour de bon. Il propose un modèle crédible d’environnement pour le Livre de Mormon dans l’Amérique ancienne. Ce modèle tient compte des détails donnés dans les descriptions des pays du Livre de Mormon, des mouvements lors des combats, des villes construites et abandonnées et des données démographiques. Selon lui, la région montagneuse du Guatemala est un bon candidat pour le pays de Néphi, l’isthme de Tehuantepec répond aux conditions requises pour être « l’étroite bande de terre », et lorsque l’on pousse cette théorie jusqu’à ses conclusions logiques, des centaines d’autres faits se mettent en place. C’est un modèle et une hypothèse que d’autres spécialistes mormons et non mormons sérieux doivent prendre en compte. Au contraire d’un grand nombre de ses prédécesseurs, le professeur Sorenson insiste sur le fait que ce modèle ne doit pas être considéré comme sacro-saint. Il est ouvert aussi bien aux considérations critiques qu’à celles qui vont dans son sens.

 

Comment procède-t-il ? En un mot, il pose plus de questions qu’il ne donne de réponses. Il retourne de nombreuses pierres. Les termes qu’il utilise sont pénétrants et soigneusement soupesés. De grandes surprises et de riches découvertes attendent le lecteur à chaque page. Il pose des questions telles que : « Qui étaient ces gens ? » « À quoi pouvaient-ils ressembler ? » « Qui étaient leurs voisins ?» « Combien de Néphites y avait-il ? » « Comment vivaient-ils, mangeaient-il, parlaient-ils, travaillaient-ils et se battaient-ils ? » Il trouve ensuite des réponses plausibles à ces questions en comparant des données précises provenant d’études archéologiques et anthropologiques fiables sur l’Amérique Centrale avec la totalité de l’éventail des informations culturelles et historiques que l’on trouve dans le Livre de Mormon. Cette approche est panoramique et passionnante. Elle voit des choses que l’on n’a tout simplement jamais vues auparavant

 

Toutefois, de même qu’une bonne question est la moitié de la réponse, une bonne réponse suscite encore d’autres questions. Ce livre ne se laisse jamais entraîner à prétendre qu’une confirmation est une « preuve » définitive. Le plus que l’on puisse faire à l’aide de la méthode scientifique, dans ce domaine comme dans n’importe quel autre, c’est parvenir à une probabilité. Il est clair que ce volume va jusqu’à la plausibilité, même si, inévitablement, des questions se posent encore. La dimension religieuse reste donc « entre guillemets », aussi  utiles que ces études puissent se révéler être à des fins apologétiques. John Sorenson, et c’est tout à son honneur, a une conscience aiguë et permanente de toutes ces limites.

 

Pour la première fois, Un environnement pour le Livre de Mormon dans l’Amérique ancienne écrit l’histoire culturelle et naturelle néphite dans le contexte des réalités du continent américain. Il subsistera toujours une résistance et des controverses autour du Livre de Mormon, mais ceci est une invitation ferme à poursuivre les recherches et les efforts de compréhension. On ne peut pas balayer le livre d’un geste de la main comme le fait dédaigneusement Fraser.

 

Leonard J. Arrington

Truman G. Madsen

John W. Welch


PREFACE

 

Sans l’insistance et l’aide de personnes bien déterminées, le contenu de ce livre aurait attendu plus longtemps pour paraître et aurait pris une autre forme. En 1974, j’avais déjà travaillé pendant vingt-cinq ans sur les relations entre le Livre de Mormon et la géographie et les données culturelles de l’Amérique Centrale, mais j’avais été réticent à imposer mes idées au public ou à mes collègues. C’est à ce moment-là que David A. Palmer m’a exhorté à rédiger un exposé expliquant et argumentant mon point de vue ; il m’a proposé de le diffuser en privé pour évaluation auprès d’un groupe de personnes choisies, en même temps qu’un exposé défendant un point de vue différent. L’échange de commentaires convainquit Palmer et d’autres que mes écrits devraient être mieux connus ; il convainquit donc le  personnel de plusieurs bureaux de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours d’écouter. À l’automne de 1975, nous nous sommes réunis un après-midi par semaine et j’ai présenté d’une manière assez détaillée une version de ce qui se trouve dans ce livre.

 

Jay Todd, directeur général de lEnsign, qui participait à ces sessions, m’a alors invité à rédiger une série d’articles pour le magazine de l’Église. Lui et son équipe (en particulier Lavina Fielding Anderson et Lane Johnson) ont beaucoup travaillé à améliorer ce que j’avais écrit. Sans la foi constante de Todd en l’importance de notre projet, je n’aurais pas persévéré. Ce n’est qu’en 1983 que la tentative de formuler la documentation en des termes acceptables pour la publier dans l’Ensign débouchait sur un échec. Entre-temps quelque 1.500 exemplaires du manuscrit d’une version antérieure du livre avaient été distribués à des personnes qui en avaient entendu parler par des amis. Il était clair que la publication sous forme de livre répondrait à un grand besoin.

 

La Foundation for Ancient Research and Mormon Studies a décidé en 1983 de publier le livre. John Welch et Kirk Magleby étaient fortement partisans de cette décision et ont apporté une aide conséquente lors de la prise des dispositions nécessaires. D’autres doivent être remerciés pour avoir été à l’origine de la participation enthousiaste de Deseret Book Company, coéditrice avec F.A.R.M.S.

 

Il serait impossible de remercier explicitement tous ceux qui devraient l’être, mais il y en a qui ressortent : George Reynolds, pour A Complete Concordance of the Book of Mormon, cet outil d’une valeur exceptionnelle; Tom Ferguson, pour m’avoir donné ma première expérience en Amérique Centrale ; Hugh Nibley, pour l’exemple de patience et d’intégrité qu’il m’a donné, lui qui ne cessait de m’inciter à délaisser des tâches moindres pour revenir à celle-ci ; Ben Alexander, qui m’a enseigné l’importance de penser l’impensable ; mes amis, qui ont écrit l’avant propos ; les rédacteurs, notamment Don Norton et Jack Lyon, pour m’avoir forcé à dire ce que j’avais à l’esprit ; Kathryn, ma femme, qui ne m’a jamais reproché le temps que cela me prenait ; et les archéologues, Dieu les bénisse, qui n’ont jamais cessé de creuser dans des conditions absurdes, alors que des personnes plus raisonnables auraient opté pour le confort. Tom Patterson et Steve Gordon ont créé les excellentes cartes et Gary Gillum a créé les index. S’il y a des défauts dans le livre, ils sont certainement dus à mes propres limites, pas à celles des autres. Bien entendu, les idées exprimées sont strictement les miennes et ne prétendent pas représenter celles de l’université Brigham Young, où je travaille, celles de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, de la Foundation for Ancient Research and Mormon Studies ou de la Deseret Book Company.

 

Tous les droits d’auteur provenant de la vente du livre vont à la Foundation for Ancient Research and Mormon Studies pour la poursuite de ses recherches sur les Écritures.

 

INTRODUCTION

 

Le Livre de Mormon appartenait à mon environnement culturel général à l’époque de mon adolescence dans la Cache Valley d’Utah et, pour moi, il faisait autant partie du décor que les montagnes à l’est de ma maison. Pendant mes études universitaires (dans les sciences), durant la guerre et une mission en Polynésie, qui ont absorbé les années 1940, le Livre était tout simplement là, point de référence et source de lumière auquel j’accordais la confiance la plus absolue. Ni à ce moment-là, ni plus tard je n’ai eu à demander : « Est-ce que ce livre est vrai… ? » Je n’ai jamais demandé de soutien extérieur pour la confirmation privée que j’avais déjà.

 

Lorsqu’en 1949 je suis arrivé à l’université Brigham Young avec femme et enfant, j’avais décidé, sans motivation rationnelle, de faire des études d’archéologie. Pendant les trois années qui ont suivi, les professeurs Jakeman, Nibley et Sperry m’ont amené à comprendre que le Livre de Mormon n’était pas seulement un document religieux, mais aussi un casse-tête culturel et intellectuel stimulant. Je me suis rendu compte que c’était un document si subtil et si complexe qu’il exigeait virtuellement qu’on l’analyse et qu’on le comprenne d’une manière nouvelle. À mesure que ma connaissance de l’archéologie, de l’histoire et des langues s’approfondissait, des centaines de questions se sont posées à moi, des questions auxquelles les disciplines universitaires que je commençais à sonder semblaient capables de répondre un jour. Les années qui ont suivi m’ont conduit vers beaucoup d’autres choses intéressantes, et pourtant je continuais à être fasciné par beaucoup de ces questions. Des milliers de journées de recherches exigeantes ont depuis lors discipliné ma naïveté de départ, et quelles que soient les autres choses qui retiennent mon attention, je ne cesse de revenir sur ce sujet, faisant écho au conseil pertinent de Thoreau : « Fais ce que tu aimes. Connais ton os, ronge-le, enterre-le, déterre-le et ronge-le de nouveau. »

 

L’os que j’ai mordillé pendant toutes ces années est : « Comment les événements du Livre de Mormon se sont-ils produits ? » Plutôt que de « prouver » d’une façon ou d’une autre que ces événements se sont produits, ce qui m’a intéressé, cela a été la complexité de l’histoire – le processus historique et humain complexe qui constitue l’arrière-plan de son message spirituel principal. Et en revenant maintes et maintes fois au récit, même après des décennies d’approfondissement, je trouve que le livre prend un sens plus profond et plus vaste à mesure que j’acquiers une perception culturelle et historique de la vie des peuples qu’il décrit. En bref, j’ai pu acquérir une certaine connaissance du contexte des Écritures que Brigham Young nous a tous exhortés à obtenir : « Lisez-vous les Écritures comme si vous les écriviez il y a mille, deux mille ou cinq mille ans ? Les lisez-vous comme si vous étiez à la place des hommes qui les ont écrites ? Si vous n’avez pas ce sentiment là, il vous appartient de l’avoir [i] ». « Pour avoir ce genre de connaissance du contexte, il faut faire plus que simplement étudier les textes en tant qu’Écritures, et l’étude scientifique de l’environnement ne suffit pas non plus à elle seule. Il faut les deux ensemble. Quand nous comprenons à quoi ressemblaient les Néphites et les Jarédites – les endroits où ils étaient installés, ce que les gens mangeaient, comment ils pensaient et les forces qui façonnaient leur histoire – cela nous aide à comprendre plus clairement ce qui était dit par l’intermédiaire de leurs prophètes.

 

Certains lecteurs du livre considèrent que ce n’est pas important de s’informer du contexte ; d’autres considèrent que c’est impossible. Pour moi, la Bible est un modèle à cet égard. Les recherches bibliques ont illuminé ce texte d’Écriture en montrant l’interaction entre les influences humaines et divines et en rendant la Bible d’autant plus profonde qu’elle est ancrée dans une réalité complexe de temps, d’espace et de comportement. J’ai recherché le même éclairage pour le peuple de Léhi et son livre.

 

Déterminer un environnement réaliste pour le Livre de Mormon est une entreprise considérable et difficile. Les recherches effectuées par les saints des derniers jours et d’autres au cours des quarante dernières années nous ont permis de connaître pas mal de détails concrets sur la Jérusalem d’où Léhi a emmené sa famille ; nous pouvons suivre mentalement son groupe dans une succession de campements le long du côté mer Rouge de la péninsule arabique et à travers l’arrière-pays vers « un pays d’abondance » bien précis sur la côte de l’Hadramaout [ii]. Mais dès l’instant ou le groupe entre dans le bateau de Néphi et se lance sur l’océan Indien, nous perdons cette impression de concret. Une fois qu’il débarque au Nouveau Monde, il se trouve vaguement « quelque part ». Jusque tout récemment, cent cinquante ans après la publication des annales néphites par Joseph Smith, nous n’avons pas pu mettre le doigt sur l’emplacement de la moindre ville, identifier avec certitude ne serait-ce qu’un itinéraire parcouru par les personnages du livre ni dresser un tableau crédible d’un aspect quelconque de la vie qu’ils ont menée dans leur terre promise américaine. À de nombreux égards, le Livre de Mormon reste pour nous un livre scellé, parce que nous n’avons pas fait le travail nécessaire pour le situer dans son environnement.

 

Ce travail aurait deux avantages majeurs. Premièrement,  les saints des derniers jours eux-mêmes pourraient saisir le message de l’Écriture avec une plus grande force parce que les événements et les gens deviendraient plus croyables. La vie et les paroles de ces personnages éminents auraient un impact plus fort sur notre conscience, si ces personnes pouvaient être sorties de leur pays de nulle part et décrites comme des personnes de chair et d’os comme nous. Deuxièmement, l’importance de l’ouvrage pourrait être communiquée avec plus de vigueur aux autres qui tiennent actuellement le Livre de Mormon à l’écart, considérant qu’il manque de réalité et de substance. L’apathie de la part des saints pourrait nous priver de ces deux avantages. On entend certains d’entre eux dire que l’on n’a pas vraiment besoin d’autres explications ni d’éclaircissements concernant les Écritures que ce que l’on a déjà, que l’Esprit est un guide suffisant. Je suis en bonne compagnie – avec des gens comme Joseph Smith et Brigham Young – quand je crois que les desseins de Dieu peuvent être avancés par les efforts que nous faisons pour éclairer le sens des Écritures. Quelle ironie ce serait si les saints des derniers jours eux-mêmes rejetaient davantage de lumière et de connaissance concernant les annales néphites, ce qui serait une paraphrase de 2 Nephi 29:6 : « Un Livre de Mormon, nous avons un Livre de Mormon, et nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage que sur la doctrine dans le Livre de Mormon. »

 

Ne devrions nous pas utiliser tous les moyens que nous avons à notre disposition pour illuminer et amplifier ce volume de sorte que ce message touche tous les hommes et particulièrement nous avec un maximum d’effet ?

 

Je me dois d’expliciter certaines de mes intentions et de mes thèses. Le premier point est que cet ouvrage n’entreprend pas de « tester » la véracité du Livre de Mormon. Nous verrons, au fil de nos recherches, que de toutes sortes de manières, souvent remarquables, les événements et les circonstances relatés dans l’Écriture ont des parallèles avec ce que les sources archéologiques et historiques nous disent concernant l’Amérique ancienne. Mais il ne peut pas y avoir de « preuves » certaines dans de tels parallèles ; aussi nombreuses soient-elles, elles ne pourraient pas démontrer, sans aucune équivoque possible, que le livre est un document précolombien authentique, pas plus que le fait de ne pas trouver de parallèles pourrait le réfuter. On ne peut en aucun cas obtenir des résultats concluants en procédant de cette façon, la plupart des philosophes sont d’accord là-dessus aujourd’hui. Différents lecteurs jugeront de différentes manières la documentation et les arguments qui vont être présentés ci-après. Ceux qui sont déjà enclins à accepter en concluront que les parallèles constituent la preuve écrasante que le Livre de Mormon est un document antique authentique, tandis que les esprits plus sceptiques attribueront le même parallèle à des données erronées ou à une série de mauvaises interprétations de ma part ou à une simple coïncidence. Mon intention, je le répète, n’est pas de faire comparaître le Livre de Mormon « au tribunal » dans un box des accusés scientifique fictif. Il ne peut pas y avoir de Cour suprême dans ce domaine. Chaque personne doit tenir son propre procès. L’Écriture elle-même insiste sur le fait que chaque lecteur peut la tester : « Demandez à Dieu… si ces choses ne sont pas vraies ; et…. il vous en manifestera la vérité par le pouvoir du Saint-Esprit » (Moroni 10:4).

 

Alors, est-ce que je présente « une hypothèse » pour qu’elle soit « testée scientifiquement » ? L’idée même est plutôt démodée. Les hommes de science n’ont jamais fait ce genre de chose de la manière froide et « objective » qu’on a bien voulu faire croire à pas mal de profanes, si ce n’est peut-être pour des problèmes mineurs et sans intérêt. Personne n’examine jamais « tous » les éléments probants d’une question quelle qu’elle soit, car il y a trop de choses à découvrir ou à gérer. De toutes façons, la manière dont les questions sont formulées est influencée par les sentiments et les présuppositions du chercheur, et à coup sûr dans un domaine tel que celui-ci, de sorte qu’en fin de compte l’objectivité est quasiment impossible. Mon entreprise se rapproche davantage de ce que Michael Polanyi décrit dans son livre Personal Knowledge [iii]. Il démontre de manière convaincante que les convictions et les intérêts des chercheurs façonnent profondément toute recherche. Mes idées subjectives concernant le Livre de Mormon et le milieu culturel auquel je vais le comparer ont évidemment influencé ce que j’écris ici. Si je n’éprouvais pas un vif intérêt pour la région et l’Écriture, je n’aurais jamais fait l’effort substantiel requis, ne serait-ce que pour faire la comparaison. « On n’apprend à comprendre quelque chose que si on l’aime », a dit Goethe. Mon désir de comprendre l’ouvrage et son environnement influence inévitablement tout le travail que je fais dans ces deux domaines. Et c’est probablement vrai de tous les érudits et de tous les savants qui travaillent à un problème complexe, que ce soit l’élaboration d’une nouvelle variété de riz ou la reconstitution de l’histoire des Juifs [iv].

 

Mais ce n’est pas parce que l’on a des idées précises sur quelque chose que cela doit enlever tout mérite à une recherche disciplinée. Pour comprendre, il faut plus qu’un intérêt zélé et même des recherches intensives. Il faut aussi de la discipline. Je me suis efforcé de me soumettre à la discipline imposée par tous les faits portant sur le sujet que je pouvais saisir concernant l’environnement constitué par l’Amérique Centrale et le volume d’Écriture lui-même. J’ai abandonné bien des idées préconçues tentantes face à des éléments allant en sens contraire et à la rareté des faits. De plus il est essentiel d’entretenir un scepticisme sain vis-à-vis de la connaissance que l’on a des faits.

 

Je doute de pouvoir jamais saisir pleinement tout ce qu’un texte donné exprime. Je doute encore plus que nous puissions, moi ou d’autres, avoir une perception complète des faits scientifiques et historiques qui semblent empiéter sur le texte.

 

En dépit de toutes ces restrictions mentales, j’en suis maintenant arrivé au stade ou j’ai le sentiment qu’il vaut la peine de faire connaître aux autres ce que je sais. Pour être précis, j’ai élaboré un tableau ou un modèle de la façon dont les événements du Livre de Mormon ont eu lieu. Ce modèle est plausible. Cela veut dire que l’environnement décrit a raisonnablement pu être tel que je le montre.

 

Comme un modèle réduit d’avion ou de machine à vapeur, ce modèle fonctionne, en ce sens que les éléments s’imbriquent pour expliquer de nombreux points du Livre de Mormon qui sinon semblent inexplicables. Certains diront : « Mais vous ne pouvez pas en être certain. Tout ce que vous avez,  c’est une théorie, n’est-ce pas ? » « Eh bien, si des personnes se présentent avec, disons, une nouvelle espèce de « machine volante », la plupart d’entre nous auraient la sagesse de demander une démonstration. Une fois que nous aurions vu l’engin décoller, faire un tour et revenir pour atterrir sans encombre et si nous l’avions nous-mêmes ensuite essayé plusieurs fois avec succès, nous pourrions la prendre au sérieux. Appelez cela une « théorie » si vous voulez, mais si mon modèle fonctionne – le modèle montrant comment le récit du Livre de Mormon s’est déroulé à une certaine époque et en un certain lieu de l’Amérique ancienne – tout le monde devrait le prendre au sérieux. Ainsi donc, le reste de ce livre présente un système cohérent et plausible pour interpréter le Livre de Mormon d’une manière géographique, historique et culturelle précise.

 

Après avoir étudié ce sujet pendant tant d’années, suis-je satisfait des résultats ? Non. Il reste beaucoup de questions à résoudre; tout le monde doit être disposé à corriger les faiblesses d’une prise de position une fois qu’on les relève. J’y suis bien entendu tout disposé. En fin de compte, seule la vérité demeurera.

 

Le présent livre s’adresse principalement à l’auditoire de ceux qui sont vivement désireux d’apprendre davantage de vérités concernant le Livre de Mormon et l’Amérique précolombienne. La documentation que j’ai choisie et ma présentation ont pour but d’aider ces lecteurs à poursuivre la tâche. J’ai bâti sur l’œuvre de beaucoup de personnes du passé, dont je salue les efforts. Mon expérience professionnelle dans les disciplines qui nous parlent de la vie dans l’Antiquité me donne l’assurance que ceux qui œuvrent dans ces domaines sont animés de la volonté de rechercher la vérité.  Les saints des derniers jours qui ont étudié leurs Écritures ont aussi apporté des vérités capitales. Je suis reconnaissant envers ces deux sources. Les notes de bas de page considérables sont en partie un hommage à certains de ceux qui m’ont précédé. Les notes de fin de chapitre sont également un guide pour ceux qui iront plus loin dans la recherche et dans la correction de mes erreurs et de mon ignorance. J’espère que beaucoup de personnes de la prochaine génération exploreront soigneusement ce qui se trouve derrière les portes que j’ai simplement entrebâillées. À côté de ces chercheurs avides et de ces collaborateurs potentiels, il peut y avoir des personnes réticentes, curieuses ou critiques qui souhaitent également lire l’ouvrage. Elles sont les bienvenues, mais le message s’adresse principalement à ceux qui sont ambitieux et enthousiastes.

 

Des chapitres et des versets du Livre de Mormon sont souvent cités ci-après. Si on ne lit pas ces versets, on passera à côté d’informations importantes, mais si je devais citer tous les versets qui ont trait au sujet, cela alourdirait considérablement la lecture. Ce qui est donné sert au moins de point de départ pour le chercheur qui veut en savoir davantage. Il en va de même de la littérature technique citée. Tout ce que j’ai l’intention de faire, c’est de proposer des endroits, tant dans les Écritures que dans les sources professionnelles, où l’on peut commencer à lire, pas de fournir une liste exhaustive de références. Et si un sujet est traité sommairement dans le texte, cela ne veut pas dire que je n’étais pas tenté de lui accorder un traitement plus complet. Mais nous devons tous affronter les mêmes problèmes dont se plaignait Herman Melville : « Oh, le temps, l’argent et la patience ! »

 


[i] John A. Widtsoe, dir. de publ., Discours de Brigham Young, p. 128.

[ii] Lynn Hilton et Hope Hilton, In Search of Lehi's Trail, Salt Lake City, Deseret Book Co., 1976; voir aussi À la recherche de la piste de Léhi, série parue dans  L’Étoile en 1977 (ndt).

[iii] Michael Polanyi, Personal Knowledge: Towards a Post-Critical Philosophy, Chicago, University of Chicago Press, 1958.

[iv] Il y a vingt-cinq ans, Cyrus Gordon faisait remarquer que « le feu sacré nécessaire pour maîtriser tout un complexe de sources difficiles » est fonction d’un engagement personnel qui dépasse la recherche ou les abstractions scientifiques. Introduction to Old Testament Times, Ventnor, New Jersey, Ventnor Publishers, 1953, p. v.

 

 

 

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