CHAPITRE 1 : UNE CARTOGRAPHIE DU LIVRE DE MORMON

 

Avant toute autre espèce de recherche, nous devons déterminer où l’histoire du Livre de Mormon a eu lieu sur le continent américain. Si elle a occupé la totalité du continent américain, nous devrions le savoir. Si le théâtre était un territoire limité, alors ce fait est essentiel. Nous tromper dans la géographie nous entraînerait dans une série d’erreurs qui invaliderait fatalement toutes les conclusions auxquelles nous pourrions parvenir. Si nous ne savions pas où, et bien entendu quand, trouver les données comparatives, autant essayer de déverser de la lumière sur le Livre de Mormon en imaginant qu’il se situe en Espagne ou en Sibérie.

 

UNE CARTE AUTORISEE?

 

Beaucoup de saints des derniers jours qui rencontrent des problèmes, comme la géographie du Livre de Mormon, cherchent automatiquement la réponse auprès des dirigeants de l’Église. Il semble donc indiqué de commencer en voyant si la géographie du Livre de Mormon a déjà été déterminée ou non par ces dirigeants.

 

Les sources historiques ne fournissent aucune indication que les instructions données par Moroni au jeune Joseph Smith aient parlé de géographie, et Joseph Smith n’a pas non plus prétendu être inspiré en la matière. Les idées qu’il a formulées plus tard concernant l’endroit où avaient eu lieu les événements rapportés dans le livre étaient de toute évidence l’expression de ses propres conclusions. Ce qui semble avoir été le premier consensus dans l’interprétation de la géographie du Livre de Mormon entre ses associés et lui était très général : Le pays du sud était la totalité de l’Amérique du Sud ; le pays du nord, l’Amérique du Nord. Une chose qui l’indique est une note de la main de Frederick G. Williams, écrite en 1836, attribuant à Joseph Smith l’affirmation que « Léhi et son groupe… débarquèrent en Amérique du Sud, au Chili, par 30° de latitude sud [1]. » Deux dirigeants de l’Église, B. H. Roberts et John A. Widtsoe, tous les deux esprits critiques prudents, hésitaient à accepter l’idée que cette déclaration puisse venir du prophète [2], pourtant il ne serait certainement pas étonnant que le prophète ait entretenu jadis cette idée, puisque d’autres parmi les premiers membres de l’Église semblent l’avoir cru [3]. (Williams a affirmé plus tard que la déclaration relative au Chili lui avait été faite par un ange plutôt que par Joseph [4].) Étant donné que les idées du prophète ont mûri, avec le temps, à propos d’autres sujets, sa façon de penser concernant la géographie du Livre de Mormon a également pu subir des changements. En 1842, un éditorial du journal de l’Église, le Times and Seasons (15 septembre, pp. 921-922), affirmait : « Léhi a débarqué un petit peu au sud de l’isthme de Darien (Panama). » Six mois auparavant, Joseph Smith avait pris sur lui l’unique responsabilité en tant qu’éditeur du contenu du journal (page 710) en dépit du fait que John Taylor en fût le rédacteur officiel. Le lieu mentionné est, bien entendu, à quelque cinq mille kilomètres au nord de l’endroit du Chili mentionné dans la note de Williams.

 

Au bout de quelques semaines, une autre note géographique parut dans le journal. À l’époque, le livre de John Lloyd Stephens, Incidents of Travel in Central America, Chiapas and Yucatan, publié en 1841, était un best-seller remarquable de l’époque. Le numéro de septembre 1842 du journal faisait une critique enthousiaste du livre de Stephens, avec de longs extraits du passionnant récit, qui décrivait, pour la première fois, les merveilles des ruines mayas dans une source en langue anglaise facilement accessible. Dans son commentaire sur le premier extrait, l’auteur anonyme dit que les Néphites « vivaient aux environs de l’étroite bande de terre qui comprend maintenant l’Amérique Centrale, avec toutes les villes que l’on peut trouver » (p. 915). Quinze jours plus tard (1er octobre 1842, p. 927), l’auteur parvenait à une nouvelle conclusion :

 

« Depuis la publication de notre « extrait » du livre de M. Stephens, « Incidents of Travel » etc., nous avons trouvé un autre fait important relatif à la véracité du Livre de Mormon. L’Amérique Centrale, ou le Guatemala, est située au nord de I’isthme de Darien et comprenait autrefois plusieurs centaines de kilomètres de territoire du nord au sud. La ville de Zarahemla, brûlée lors de la crucifixion du Sauveur, et reconstruite plut tard, se trouvait sur ce territoire. »

 

L’éditorialiste ajoutait, dans une formulation pittoresque mais avec une prudence digne d’éloges:

 

« Nous n’allons pas déclarer formellement que les ruines de Quirigua [au Guatemala] sont celles de Zarahemla, mais quand le pays, les pierres et les livres racontent si clairement l’histoire, nous sommes d’avis qu’il faudrait apporter plus de preuves que n’en pourraient apporter les Juifs pour prouver que les disciples ont volé le corps de Jésus dans le tombeau, pour prouver que les ruines de la ville en question ne sont pas de l’une de celles dont parle le Livre de Mormon. »

 

Nous n’avons pas la certitude, en dépit du fait qu’il avait assumé la responsabilité de la rédaction du journal, que les affirmations de celui-ci aient véritablement Joseph Smith pour auteur. Nous ne pouvons pas non plus avoir l’assurance d’aucune autre source de ce que Joseph pensait au juste dans ce domaine. Qu’il ait personnellement cru ou non que les pays néphites se trouvaient en Amérique Centrale, les dirigeants qui le fréquentaient quotidiennement avaient le sentiment que c’était la meilleure réponse à la question « où ? ». Il peut encore être plus important pour les saints des derniers jours de se rendre compte qu’ils considéraient que c’était une question ouverte, une question à méditer et à explorer, et ils ajoutaient à leur étude des Écritures les meilleures informations provenant des quelques ouvrages  profanes spécialisés qui leur étaient accessibles à l’époque. Vingt et un mois après les affirmations du Times and Seasons, Joseph Smith et son frère Hyrum étaient morts. La foule d’événements qui se sont accumulés dans cette période trépidante précédant le martyre n’ont laissé au prophète que très peu de loisirs pour étudier les questions de géographie. Néanmoins, une déclaration d’Orson Pratt en 1848 montre l’influence durable des idées exprimées six ans auparavant dans le Times and Seasons. Les Néphites, dit Pratt, « habitaient les villes du Yucatan » à l’époque ou ils furent attaqués et chassés du pays du sud [5] ; ceci excluait de toute évidence Panama comme « étroite bande de terre ». Pendant la génération qui a suivi, le souci principal des saints a été de survivre. Lorsque l’intérêt pour la géographie du Livre de Mormon est revenu plus tard au cours du XIXe siècle, les dirigeants de l’Église ont pris soin de ne pas permettre aux saints de se diviser sur la question et de transformer des opinions en dogmes. George Q. Cannon, une des forces intellectuelles de l’Église à l’époque, a dit en 1890 :

 

« Il y a une tendance, qui se manifeste fortement à l’heure actuelle, parmi certains des frères, à étudier la géographie du Livre de Mormon… Les frères qui font des exposés sur les territoires néphites ont souvent été invités à dresser une carte de la géographie néphite, mais n’ont jamais consenti à le faire. Il n’y a personne non plus, à notre connaissance, parmi les douze apôtres, qui voudrait entreprendre pareille tâche. La raison en est que sans plus amples informations, ils ne sont pas disposés ne serait-ce qu’à suggérer [une solution] [6]. »

 

Joseph F. Smith, président de l’Église, Anthony W. Ivins, président des soixante-dix et l’Apôtre John A. Widtsoe ont été parmi les autorités qui ont affirmé plus tard que l’Église ne prenait pas position en faveur d’une localisation précise pour le Livre de Mormon. Le Président Smith, par exemple, invité à approuver une carte « montrant l’endroit exact où Léhi et son groupe ont débarqué », a refusé en disant que « le Seigneur ne l’avait pas encore révélé [7] ». « Frère Ivins a fait cette mise en garde en 1929: « Il n’y a toujours rien qui ait jamais été dit qui soit susceptible de régler définitivement la question [de la géographie du Livre de Mormon]. L’Église dit donc : Oui, nous attendons simplement de découvrir la vérité [8]. » Cette mise en garde est la politique qui a constamment été suivie depuis lors, permettant aux personnes privées d’examiner et d’étudier le sujet comme elles le veulent sans mettre les autorités de l’Église dans la situation difficile de devoir défendre ou réfuter le point de vue personnel de quelqu’un.

 

Même avec un passage en revue aussi bref que celui-ci, il apparaît clairement que les autorités de l’Église, depuis l’époque de Joseph Smith jusqu’à nos jours, ne sont parvenues à aucun consensus, n’ont fait aucune déclaration autorisée et n’ont signalé aucune solution définitive à la question de la géographie du Livre de Mormon. Cependant le problème ne leur a jamais paru insoluble, simplement difficile. Frère Widtsoe estimait que « grâce à une étude diligente, accompagnée de prière, nous pouvons être amenés à mieux comprendre les temps et les lieux de l’histoire des peuples qui traversent les pages divinement révélées du Livre de Mormon [9]. » Non, les autorités de l’Église n’ont réglé pour nous aucune des grandes questions relatives à l’environnement du Livre de Mormon. Nous devons chercher la réponse ailleurs.

 

QUE DIT LE LIVRE ?

 

Le premier endroit où il faut rechercher la connaissance du contexte du Livre de Mormon, c’est le livre lui-même. Quand on travaille avec un texte ancien, une méthode saine est de retourner à l’original. Un expert de renom en ce qui concerne les terres bibliques et l’Ancien Testament l’explique comme ceci : « On ne saurait trop insister sur le fait que les découvertes de l’archéologie ont tendance à justifier le sens littéral du texte plutôt que l’interprétation savante et traditionnelle [allant en sens contraire]. Cela n’est pas seulement vrai pour la Bible, mais pour les textes anciens en général [10]. »

 

Mais y a-t-il suffisamment d’informations solides dans l’ouvrage lui-même pour permettre une description cohérente et fiable ? Beaucoup de saints des derniers jours ont examiné les indices géographiques fournis par le Livre de Mormon et ont construit diverses cartes montrant ce qu’ils considèrent être les relations entre les villes et les pays mentionnés.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont parvenus à des conclusions variées. Nous devons effectivement élaborer une carte de ce genre, et nous devons le faire de manière systématique et globale. Il faut extraire tous les renseignements utiles de chaque passage du livre et tout cela doit s’imbriquer l’un dans l’autre sans contradiction. En dépit de leurs apports, toutes les cartes précédentes ont été incomplètes et n’ont pas traité avec cohérence les informations fournies en la matière par le Livre de Mormon. On ne peut pas vraiment se fier à aucune d’elles.

 

L’élaboration d’une carte ayant une cohérence interne n’est que la première étape. Il faut ensuite faire correspondre les terres, les cours d’eau et les montagnes du Livre de Mormon à des endroits réels, un lieu après l’autre, comme les savants l’ont fait pour une grande partie des informations que l’on trouve dans la Bible. Sans cela, les événements du Livre de Mormon resteront dans un flou géographique ; nous n’aurions qu’un simulacre de carte.

 

Notre première tâche est d’analyser, à partir du texte, les caractéristiques-clefs des pays décrits. Cela donnera lieu à un ensemble de conditions requises. Toute région d’Amérique proposée comme emplacement d’événements du Livre de Mormon doit répondre à ces critères, sinon elle doit être considérée comme erronée. Lors de la comparaison des conditions requises avec des parties d’une carte représentant un lieu géographique réel, nous devons éliminer de notre examen tous les territoires qui sont en conflit sérieux avec les conditions requises. On peut très bien finir par ne pas avoir suffisamment d’informations pour identifier formellement un lieu quelconque comme étant la région par excellence où les événements du Livre de Mormon ont eu lieu. Allons cependant de l’avant.

 

La configuration la plus évidente requise concerne le contour général des terres du Livre de Mormon. Nous apprenons rapidement qu’une « étroite bande de terre » ou isthme séparait un « pays situé du côté du nord » d’un « pays situé du côté du sud » le tout ayant la forme générale d’un sablier. (Voir carte 1.)

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Carte 1. Une géographie en forme de sablier

 

Alma 22:32 nous dit que le pays situé du côté du sud était presque entièrement entouré d’eau, mais il n’y a pas de précision concernant la position du pays situé du côté du nord par rapport aux mers voisines. Le pays situé du côté du sud, tel que le concevaient les Néphites, avait deux divisions principales : le pays de Néphi à l’extrême sud et, au nord de celui-ci, le pays de Zarahemla, qui s’étendait presque jusqu’à atteindre l’étroite bande de terre. La partie sud de l’isthme lui-même était appelée pays d’Abondance. Immédiatement au nord d’Abondance, à l’étroite bande de terre, se trouvait le pays de Désolation. Non loin au nord de Désolation se trouvait la première grande région de colonisation des Jarédites, le pays de Moron (Éther 7:6). Au nord de Désolation, le long de la côte est, se trouvait un pays avec de grandes étendues d’eau (Alma 50:29; Éther 15:8-11). Tout ce qui est au nord de Moron et au sud de Néphi reste flou, mais entre les deux les rapports généraux des lieux – pays du nord/isthme/pays de Zarahemla/pays de Néphi –- sont incontestables.

 

DIMENSIONS

 

Quelles étaient la largeur et la longueur de ces pays ? Après tout, le modèle en forme de sablier pourrait correspondre soit à la totalité du continent américain soit à une partie relativement restreinte de celui-ci. Il est essentiel de déterminer l’échelle du territoire où les événements de l’Écriture se sont déroulés.

 

L’information cruciale du livre permettant de déterminer les dimensions, c’est le temps qu’il fallait à des personnes pour se rendre d’un endroit à l’autre. Considérez la distance entre la ville de Néphi et la ville de Zarahemla. Les missionnaires d’Ammon essayant d’atteindre le pays de Néphi « ne savaient pas dans quelle direction ils devaient voyager dans le désert pour monter au pays de Léhi-Néphi » ; par conséquent, ils ne trouvent l’endroit qu’après 40 jours de voyage (Mosiah 7:4). Plus utile est le voyage d’Alma et de ses convertis, qui suivent essentiellement le même itinéraire en sens inverse. Ils quittent les eaux de Mormon, un lieu qui ne devait se trouver qu’à quelques jours tout au plus de la ville de Néphi, et arrivent à Zarahemla en 21 jours (Mosiah 18:1-7; 23:1-3; 24:20 et 25). Le groupe comporte des femmes, des enfants et des « troupeaux ». À quelle vitesse a-t-il pu voyager ?

 

Les pionniers mormons poussant des attelages de bœufs à travers le Nebraska, pays plat, faisaient 16 à 17 km par jour. Au Guatemala, il faut 8 jours aux conducteurs de bestiaux pour faire faire 150 km à des porcs par terrain montagneux jusqu’au marché, une moyenne d’un peu plus de 17 km par jour [11]. D’autres groupes de voyageurs vont encore moins vite. R. E. W. Adams, un archéologue qui a travaillé au Guatemala, raconte que des voyageurs faisant des trajets commerciaux routiniers sur des pistes de jungle et des cours d’eau depuis la vallée de Cotzal jusqu’au Peten, situé à environ 200 km de là à vol d’oiseau, ont besoin de 19 jours ou davantage, ce qui fait une moyenne d’un peu plus de 10 km par jour. Une grande partie de leur déplacement se fait par pirogue. En outre, une personne qui marche dans cette région peut faire en six heures une distance qui en prendrait sept à cheval. Si elle pousse des animaux, la durée est portée à dix heures [12].

 

D’autres voyageurs sont beaucoup plus rapides. R. F. Heizer signale qu’au XIXe siècle, des petits groupes d’indiens mohaves de Californie pouvaient faire plus de 150 km par jour, se passant parfois de nourriture et même d’eau des jours d’affilée. Il y a environ 75 ans, un Indien a fait, dit-on, un voyage de 150 km, puis a fait demi-tour après quelques heures de repos seulement et est retourné. Une moyenne de dix km à l’heure, pas par jour, n’était pas quelque chose d’exceptionnel dans leur cas [13]. Le père Sahagun écrit à propos d’un peuple mexicain préhispanique : « Les Toltèques étaient grands, ils avaient une plus grande stature que ceux qui vivent maintenant, raison pour laquelle on les appelait tlanquacemilhuique, ce qui signifie qu’ils pouvaient courir une journée entière sans se fatiguer [14]. » Pendant les mouvements des Toltèques décrits dans les chroniques mexicaines, les marches qui duraient de l’aube au crépuscule, sans animaux, représentaient une moyenne de six lieues, soit de 25 à 40 kilomètres [15].

 

Les autres informations en matière de déplacement rentrent dans cette fourchette. Il existe un grand éventail de possibilités, en fonction du terrain, de l’habitude qu’avaient les gens de voyager et du point de savoir s’il s’agissait d’un messager solitaire, d’une population entière ou d’une armée.

 

Si nous considérons que les gens et les animaux d’Alma se déplaçaient à une vitesse normale, il est plausible qu’ils aient voyagé à une vitesse d’environ 17 km par jour. Par rapport aux eaux de Mormon, d’où le groupe d’Alma est parti, Zarahemla devait donc être éloignée de 21 jours, soit 360 km de cheminement à raison de 17 km par jour. Hélam, le pays où Alma s’enfuit, semble s’être trouvé à l’écart de l’itinéraire principal, qui était sans doute un peu plus court (plus tard, d’autres voyageurs ne passeront pas par là ; comparez avec (Mosiah 23:30, 35). En outre, le texte montre bien que le voyage se faisait partiellement à travers un désert montagneux (où se trouvaient les sources du fleuve Sidon – Alma 16:6; 22:27; 27:14), par un itinéraire sinueux que le groupe d’Alma ne connaissait pas. L’endroit appelé les eaux de Mormon était à quelques jours de la ville de Néphi (Mosiah 18:4-7, 30-34; 23:1). Le kilométrage réel entre Zarahemla et Néphi, les deux villes dominantes de l’époque, a dû être de l’ordre de 400 km sur la base d’une vitesse de déplacement de 17 km par jour. Compte tenu du caractère sinueux de l’itinéraire réel sur un terrain de ce genre, la distance à vol d’oiseau serait plus proche de 300 km. (Voir carte 2.)

 

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Carte 2. Déplacements indiquant les distances

 

En prenant cette distance entre Néphi et Zarahemla comme étalon provisoire, nous pouvons estimer la distance entre certains autres endroits. Moroni dit de la ville de Zarahemla qu’elle se trouvait au cœur ou au centre du pays de Zarahemla (Alma 60:1,19,22; Hélaman 1:17-18, 22-32). Et pourtant Zarahemla n’était pas très éloignée de la limite des territoires lamanites. Un certains Coriantumr fit descendre une armée lamanite du pays de Néphi directement jusqu’à la ville de Zarahemla « et sa marche fut tellement rapide que les Néphites n’eurent pas le temps de rassembler leurs armées » (Hélaman 1:19). Si la distance entre la limite des zones de peuplement néphites et la capitale avait été très grande, les Néphites auraient été avertis de l’approche de l’armée. Précédemment, une autre armée lamanite venue de Néphi était soudain apparue sur la scène près de Zarahemla quasiment par surprise (Alma 2:23-25). On trouve une confirmation dans le récit du roi Mosiah, qui, des années auparavant, avait fait sortir son peuple du pays de Néphi ; il semble être descendu assez subitement dans le pays et même dans la ville de Zarahemla (voir Omni vv. 13-14). Ce sont là des faits qui donnent à penser que la ville de Zarahemla était un peu au sud du centre géographique du pays tout en pouvant être considérée comme se trouvant au cœur du pays.

 

Il y a une autre raison de penser que la ville de Zarahemla n’était peut-être pas exactement au centre du pays de Zarahemla. Au nord de la ville, entre Zarahemla et Abondance, peut-être encore plus loin au nord (Hélaman 1:27-28), se trouvaient « les parties les plus capitales du pays ». Cette zone importante semble s’être trouvée le long du fleuve Sidon, qui coulait de Zarahemla vers le nord (Alma 22:27-33; 2:15). La région habitée la plus importante étant située en aval de Zarahemla, nous en retirons l’impression que la capitale était plus près de la frontière lamanite que le centre de population du pays de Zarahemla lui-même.

 

Dans les derniers temps de la période d’avant Jésus-Christ, une bande continue de désert séparait la Zarahemla néphite du territoire lamanite. En outre, au moins pendant les événements rapportés dans les livres de Mosiah et d’Alma, la ville de Néphi (également appelée Léhi-Néphi) était à une certaine distance de « l’étroite bande de désert » proprement dite. Du côté lamanite de la zone frontière, un espace considérable de désert semble avoir séparé la ville de Néphi de la bande de transition. C’est dans cet espace étendu que l’on assiste à beaucoup de recherche de terres perdues, de marches et de contre marches d’ennemis et de déplacements dans le désert. (Voir, par exemple, Mosiah 19:9-11, 18, 23, 28; 23:1-4, 25-31, 35; Alma 17:8-9, 13; 23:14, à la lumière des versets 9-12; 24:1.) Il n’est jamais question de voyages en direction du sud au départ de la ville de Néphi ; celle-ci a dû se trouver près de la limite méridionale de ce que les Néphites reconnaissaient comme étant le pays de Néphi (Alma 22:28) Si l’on tient compte de toutes ces considérations, il semblerait valable de diviser notre kilométrage provisoire comme suit : une distance de l’ordre de 300 km à vol d’oiseau séparait la ville de Néphi de la ville de Zarahemla ; quelque 150 km de cette distance séparaient Néphi du milieu de « l’étroite bande de désert » (Alma 22:27); il y avait ensuite 130 km de cet endroit jusqu’à la ville de Zarahemla elle-même. Bien que ce ne soient que des estimations, ces distances et ces rapports sont aussi soigneusement déduits et fidèles aux annales néphites que les renseignements actuels le permettent.

 

Vers le nord, au delà des frontières du pays de Zarahemla, se trouvait une région qui n’a pas de nom, « le pays qui était entre le pays de Zarahemla et le pays d’Abondance ». L’endroit n’est mentionné que dans (3 Néphi 3:23) (la ligne qui contient ce bout de phrase fut omise pendant de nombreuse années du texte imprimé, apparemment suite à une erreur lors de la composition, mais a été remise dans l’édition de 1981 du Livre de Mormon [16].) Le pays d’Abondance semble d’une manière générale avoir été très étroit, puisque (Alma 22:31-33) le décrit essentiellement comme une zone qui s’étendait le long de l’étroite bande de terre. Nous ne savons rien de plus à ce sujet.

 

Quelle distance y avait-il entre Zarahemla et Abondance ? Si la première se trouvait légèrement au sud du centre géographique, comme nous le proposons plus haut, il devait y avoir quelque chose comme 150 km de là à la frontière nord du territoire auquel était appliqué le nom Zarahemla à l’époque d’Alma (Alma 5:1; 6:7; 8:1-3, 66, 11-12; 28:1). Si nous ajoutons le pays intermédiaire anonyme qui se trouve entre les deux, ainsi que l’étroit pays d’Abondance, 130 km de plus devraient être une distance imaginable suffisante jusqu’à la limite septentrionale du pays situé du côté du sud. Au-delà se trouvait le pays de Désolation dans le pays situé du côté du nord, dont nous parlerons plus tard.

 

Revoyons ces distances. Le « pays du premier héritage » devait se trouver à l’extrême limite au sud, mais nous ne pouvons pas être certains de sa situation par rapport à Néphi et à ses environs, à part le fait que le pays en question était côtier et que l’autre était situé en hauteur. Notre premier point de référence clair est donc la ville de Néphi. Vient ensuite l’étendue de 150 km jusqu’à l’endroit où commence l’influence néphite. 130 km de plus nous amènent à la ville de Zarahemla elle-même. À quelque 150 km au nord de Zarahemla se trouvait la limite du pays directement dominé par la ville lors du règne du dernier roi (Alma chapitres 5-15) et qui restera longtemps après une unité géographique effective (3 Néphi 3:23). 130 km de plus couvrent l’étendue combinée du pays intermédiaire et d’Abondance. Ainsi donc la longueur totale du pays situé du côté du sud, où la plus grande partie de l’histoire du Livre de Mormon s’est déroulée, ne devrait pas être beaucoup plus grande ni beaucoup plus petite que 560 km.

 

Étant donné que nous sommes habitués aux grandes distances que nous pouvons parcourir par avion ou en voiture, il pourrait être utile de nous  rappeler que la Palestine, de Dan à Beer-Schéba, n’avait que 250 km de long et que sa largeur était moins de la moitié de cela, et cependant 95 % des événements de l’Ancien Testament ont eu lieu dans cet espace minuscule. Dans cette perspective, l’échelle estimée à laquelle nous sommes parvenus pour le théâtre des activités néphites semble raisonnable.

 

Bien entendu, d’autres indices dans le Livre de Mormon contribuent à confirmer ces dimensions. Une vérification vitale de la longueur des pays combinés se présente dans l’histoire du groupe d’exploration du roi Limhi. Souverain d’un peuple asservi au pays de Néphi, Limhi envoie des explorateurs retrouver la Zarahemla d’où leurs grands-pères étaient venus près de 50 ans plus tôt (Mosiah 8:7-8). Ses messagers doivent demander au peuple de Zarahemla de les aider à renverser le joug lamanite. Malheureusement, l’itinéraire qu’ils suivent les fait passer à côté de Zarahemla et leur fait traverser « l’étroite bande de terre » sans même qu’ils s’en rendent compte et les amène au dernier champ de bataille de leurs prédécesseurs, les Jarédites. Ils y trouvent des ruines et un ensemble de 24 plaques d’or laissé par le dernier prophète jarédite, Éther (Éther 15:33; Mosiah 21:25-27). Tristement, les explorateurs rentrent chez eux à Néphi pour  rapporter, par erreur, à Limhi, que les restes qu’ils ont trouvés doivent être ceux de Zarahemla détruite. Le groupe d’exploration devait savoir combien de temps environ il avait fallu à leurs pères pour aller de Zarahemla à Néphi deux générations à peine auparavant, de sorte qu’après avoir parcouru, disons, deux fois la distance normale jusqu’à Zarahemla, il a dû se demander où il était et n’est probablement pas allé beaucoup plus loin.

 

De Néphi à Zarahemla il y avait, à vol d’oiseau, environ 300 km. En parcourant deux fois cette distance il a dû arriver à la « ligne » (Alma 22:32, logiquement un cours d’eau) séparant Abondance de Désolation, le commencement du pays situé du côté du nord. À une telle distance de chez lui, il a dû envisager de faire demi-tour. Il est certain que des hommes diligents comme ceux que le roi avait dû envoyer pour cette mission ne se seraient pas aventurés beaucoup plus loin. Il ne serait donc pas raisonnable de penser que le champ de bataille des Jarédites, où les explorateurs de Limhi aboutirent, ait pu se trouver à plus de 150 km à l’intérieur du pays situé du côté du nord par rapport à la « ligne » de la bande étroite. (Voir carte 2.)

           

La colline Ramah, où les Jarédites s’entretuèrent, était la même colline que la Cumorah néphite. (Éther 15:11). Tout cela nous dit donc que la distance totale depuis la ville de Néphi jusqu’au dernier champ de bataille à Ramah ou Cumorah ne devait vraisemblablement pas dépasser 750 ou peut-être 800 km. Rappelez-vous que ces chiffres sont des estimations raisonnables correspondant à ce que disent les Écritures ; il n’est pas possible de déterminer des distances plus précises. Toutefois, toute augmentation dans les dimensions rendrait l’histoire des explorateurs de Limhi plus difficile à traiter. La colline Ramah/Cumorah semble donc se trouver à moins de 150 km de l’étroite bande de terre et cela correspond au fait que les Néphites ont appelé la partie la plus méridionale du pays du nord « Désolation », ce qui comprenait le dernier champ de bataille, jonché d’ossements et d’armes rouillées (Alma 22:30-31).

 

Pour ce qui est du pays situé du côté du nord proprement dit, les données-clefs concernant les distances viennent du récit jarédite des dernières années de guerres intestines. Tandis que les Jarédites approchaient de la destruction finale, le prophète Éther, pour avoir la vie sauve, s’enfuit du quartier général du roi à Moron ; « il se cachait, le jour, dans la cavité d’un rocher, et la nuit, il sortait pour voir ce qui allait s’abattre sur le peuple » (Éther 13:13) Il vécut dans cette cavité pendant qu’il faisait « le reste de ses annales », c'est-à-dire le livre original d’Éther, que Moroni condensa plus tard à notre intention. La grande guerre civile jarédite commença la même année que la fuite d’Éther, et le prophète écrivit ce qu’il pouvait en apprendre depuis son sanctuaire (Éther 13:14, 18, 22-24). Au bout de huit ans de combats intermittents, des batailles se poursuivaient toujours au pays de Moron, toujours à portée d’observation pour Éther. Et il était toujours dans sa caverne après qu’une population de plus de deux millions de personnes, qui avait couvert « toute la surface du pays » eut été tuée (Éther 14:11, 22-23; 15:2). Finalement, après la bataille cataclysmique près de la colline de Ramah, le Seigneur fit sortir Éther de sa caverne pour lui faire porter la dernière inscription dans ses annales et les déposer à l’endroit ou le groupe d’explorateurs de Limhi allait les trouver.

 

La conclusion paraît claire. Les guerres finales des Jarédites eurent toutes lieu dans le pays situé du côté du nord à l’intérieur d’un territoire suffisamment restreint pour qu’Éther puisse observer l’essentiel de l’action sans s’éloigner beaucoup de la caverne qui constituait sa base. En outre, la lignée de Jared eut son centre principal de colonisation à Moron à partir que quelque temps après son débarquement sur la côte jusque peu de temps avant la destruction finale. Et le pays de Moron était « près » du pays appelé Désolation par les Néphites (Éther 7:6). Une distance de 150 km de Moron à la colline Ramah devrait suffire comme théâtre de tous ces faits.

 

Le récit concernant le roi Omer confirme que Ramah était proche de Moron. Ce roi gouverna au début de l’histoire jarédite, lorsque la population des émigrants ne pouvait être que minuscule. Menacé par un rival, il se retira de Moron et voyagea avec sa famille de « nombreux jours » pour trouver refuge près de la mer de l’est. Un groupe de personnes devait avancer plus lentement, et, avec des femmes et des enfants, dut emprunter un itinéraire plus long et plus plat qu’Éther, qui était tout seul. En allant de Moron vers la mer, Omer passa près de Ramah/Cumorah. (Éther 9:3) Lorsque les événements au pays furent de nouveau en sa faveur, Omer en fut informé et retourna (Éther 9:13). Si la région dans laquelle il s’enfuit, et par conséquent celle de la dernière bataille, était à quelque 150 km de Moron, la fuite et le retour d’Omer sont concevables; une distance beaucoup plus grande paraîtrait étrange étant donné la population réduite.

 

Beaucoup de saints des derniers jours devront changer radicalement leur façon de penser pour s'adapter aux dimensions dont nous venons de parler. Et nous avons, dans les Écritures, d’autres indications de ce que les Néphites occupaient une région relativement compacte. Par exemple, (3 Néphi 3 raconte comment les Néphites et les Lamanites justes, menacés par les brigands de Gadianton, se rassemblèrent dans une forteresse commune avec sept années de réserves de nourriture pour chasser du pays, par la faim, les brigands parasites. La taille de la population réunie est décrite comme étant des « milliers et [des] dizaines de milliers » du pays situé du côté du sud et du pays situé du côté du nord, tous venant de zones de peuplement dont les annales d’Hélaman disaient quelques années plus tôt : « Il commença à couvrir la surface de toute la terre, depuis la mer au sud jusqu’à la mer au nord, depuis la mer à l’ouest jusqu’à la mer à l’est » (Hélaman 3:8). Et cependant, l’on nous dit que toutes ces personnes se sont rassemblées dans une région unique suffisamment petite pour être assiégée (3 Néphi 4:16-18). Il est évident que les annales traitent d’un territoire général qui n’avait que quelques centaines de kilomètres de dimensions.

 

Que nous dit-on de l’étroite bande de terre elle-même ? Tout d’abord, il fallait qu’elle soit suffisamment large pour que les explorateurs de Limhi puissent la traverser sans même se rendre compte que c’était un isthme. (Souvenez-vous qu’à leur retour, ils pensaient qu’ils étaient restés tout le temps dans le pays situé du côté du sud.) D’autre part, elle était suffisamment étroite pour que sa traversée ne soit « que d’un jour et demi de voyage pour un Néphite, sur la ligne entre Abondance et le pays de Désolation, de la mer de l’est à la mer de l’ouest » (Alma 22:32). Bien entendu, nous ne connaissons pas la longueur d’un « jour de voyage ». Les références citées plus haut montrent le vaste éventail de distances que ce terme pourrait désigner. Les interprétations de cette expression pourraient également varier. Il est possible que « la distance d’un jour et demi de voyage » ait été une mesure standard. Les Néphites considéraient peut-être qu' « un jour et demi de voyage », signifiait autant de kilomètres. A titre de parallèle, la legua (lieue) espagnole mesurait la distance qu’une mule chargée pouvait parcourir en moyenne en une heure ; le terme ne parle pas d’un type de mule particulier, ni d’itinéraire ni d’un nombre d’heures consécutives de voyage. Ou bien l’expression « un Néphite » pourrait vouloir dire que celui qui faisait le voyage serait un messager spécial, car le contexte de la phrase est la défense militaire. Et quel moyen de transport pouvait-on employer? Si nous supposons que les voyages se faisaient à pied – probablement le mode de déplacement normal – nous pouvons envisager une estimation de la largeur de l’isthme. Comme nous l’avons déjà calculé, la vitesse pour « un Néphite », une seule personne, pouvait aller jusqu’à 10 km à l’heure pendant une durée allant jusqu’à 24 heures dans le « jour et demi ». Cela donnerait 240 km. Si une méthode de voyage autre que la marche était utilisée, les 240 km pourraient être augmentés. Ou bien la distance pourrait être limitée à, disons, 80 km. Si c’est le chiffre le plus bas qui est d’application, il serait plus difficile aux explorateurs de Limhi de ne pas s’apercevoir qu’ils traversaient un isthme étroit; si nous poussons vers l’autre  extrême, le « jour et demi de voyage » devient plus gênant. Une fourchette intermédiaire plausible me semblerait être de 120 à 200 km.

 

Il y a encore un autre récit de voyage qui nous aide à déterminer les distances, cette fois-ci sur la côte est du pays situé du côté du sud. Moroni, le commandant néphite, y installe un cordon de villes de garnison en prévision d’un assaut lamanite visant Abondance et la zone stratégique de la bande étroite. La région ne tarde pas à devenir une zone cruciale de batailles où le dissident néphite Amalickiah réussit, par intrigue, à se rendre maître des armées lamanites et déferle le long de la côte, s’emparant d’une ville après l’autre jusqu’à arriver à la frontière même du pays d’Abondance (Alma 51:22-28). Abondance était la ville la plus septentrionale sur la ligne de marche vers le pays situé du côté du nord. À ce moment-là, un groupe de soldats néphites parvient, par la ruse, à faire sortir la garnison lamanite de sa forteresse de Mulek, et l’entraîne dans la direction d’Abondance, tandis qu’un deuxième groupe armé se glisse sur les arrières de l’ennemi pour s’emparer de Mulek (Alma 52:21-31).

 

Mulek et Abondance étaient suffisamment proches l’une de l’autre pour que l’armée de Téancum puisse faire une grande partie de la distance et revenir en moins d’une seule journée chaude malgré l’effort intense que cela nécessite (v. 31). Sur la base de ces passages, nous pouvons déduire que Mulek était séparée d’Abondance d’une journée de marche ordinaire pour des soldats, disons près de 40 kilomètres

 

Un peu plus tard, Gid, la ville située à côté de Mulek, est reprise par les Néphites en une seule opération. Après d’autres escarmouches, quatre villes restent entre les mains des Lamanites : Morianton, Léhi, Néphihah et Moroni. En une seule journée d’offensive, les Néphites chassent l’ennemi de chacune d’elles (Alma 62:24-35). La contre-attaque néphite commence, probablement à l’aube, contre Néphihah, la plus importante des quatre. Après l’avoir prise rapidement, l’armée du capitaine Moroni poursuit les Lamanites, qui se replient via Léhi et Morianton jusqu’à la plage (v. 32). Longeant le bord de la mer, elle fonce ensuite jusqu’à Moroni et y arrive à la tombée de la nuit (v. 35). La journée est essentiellement consacrée à pourchasser les Lamanites en déroute, pas à les combattre. Avec une forte production d’adrénaline, les armées ont pu faire 5 km à l’heure ou davantage pendant 15 heures, soit près de 80 km. D’après les autres éléments dont nous disposons concernant l’emplacement de ces villes, l’itinéraire suivi était plutôt un demi-cercle qu’une ligne droite. Il faut en conclure que le tronçon de ligne côtière utilisé ce jour là ne pouvait pas avoir plus de 50 km de long.

 

Ensemble, tous ces chiffres nous disent quelque chose d’important sur la longueur de la côte est tenue par les Néphites. Nous avons vu qu’il y avait environ 40 km d’Abondance à Mulek. À l’autre extrémité, le secteur Néphihah-Moroni en compte peut-être encore 50. Cela laisse le milieu, où les seules villes citées sont Gid et Omner. A défaut de données sur cette section-là, j’ajoute simplement encore 50 km, par analogie avec les autres secteurs. En résumé, la distance entre Abondance, à l’extrémité nord, jusqu’à Moroni, à l’extrémité méridionale de la côte est ne peut comprendre vraisemblablement plus de 140 km. (Voir carte 2.)

 

Si la côte est de la région contrôlée par les Néphites comprend quelque 140 km, cela fait beaucoup moins que la longueur du territoire situé du côté du sud, mesurée via Zarahemla et Néphi. Cet axe était de l’ordre de 600 km. La différence entre ces deux longueurs est si grande qu’elle ne peut être due à des suppositions erronées. Le texte du Livre de Mormon requiert réellement que la côte est intéressant les Néphites soit beaucoup plus courte que l’ouest et quelle que soit la carte que nous établissions, elle doit tenir compte de ce fait.

 

En même temps, « les régions frontières près du bord de la mer de l’est », comme les auteurs néphites appellent cette zone côtière, devaient êtres un territoire de bonne taille. Quand Moronihah et ses armées se battent pour récupérer ce qu’ils ont perdu au cours d’une guerre désastreuse ultérieure à la suite de laquelle les Lamanites ont pu occuper tout le territoire néphite dans le pays situé du côté du sud, ils reprennent « la moitié de toutes leurs possessions » et cette moitié est constituée par la région « frontière » de l’est plus le pays d’Abondance. (Hélaman 4:5, 10, 16) Étant donné qu’il n’y a aucune indication précisant qu’Abondance elle-même était un pays étendu, les « régions frontières » devaient être un territoire conséquent pour qu’ensemble les deux régions constituent la moitié de tout le territoire néphite. Notez en outre que l’attaque éclair d’Amalickiah dans ce secteur fait des ravages « en bas, près du bord de la mer » tout le long de la côte jusqu’à Abondance toute proche (Alma 51:25-28) et pourtant il passe à côté de Néphihah, qui est plus loin à l’intérieur des terres. Même après que Néphihah est finalement tombé entre les mains ennemies, les Néphites conservent dans l’arrière-pays une région de plaines, où se trouve Jershon, leur base militaire. Pour que cette situation ait un sens au point de vue militaire, il fallait que la région côtière ait une largeur d’au moins 50 à 60 km et le passage concernant « la moitié de leurs possessions » confirme cette dimension.

 

Malgré tout, nous voyons bien que, dans son ensemble, le pays situé du côté du sud était loin d’être aussi large que long. Notez que les migrations, les voyages, les déplacements missionnaires, les guerres – pratiquement tous les mouvements – ont tendance à aller vers le nord ou vers le sud plutôt que vers l’est ou l’ouest. Le voyage missionnaire d’Alma est un des rares qui nous en apprennent beaucoup sur la largeur. Alma quitte Zarahemla, sur le fleuve Sidon, pour prêcher à Mélek, à l’extrémité ouest du territoire colonisé (Alma 8:3-5). De là, il part vers le nord, parallèlement au désert de l’ouest (Alma 22:27-28), pour atteindre Ammonihah (Alma 8:6). Comme Mélek, cet endroit se trouvait près de la périphérie ouest, comme le démontrent (Alma 16:2 et 25:2. D’Ammonihah, le prophète voyage vers l’est en direction d’une ville appelée Aaron (Alma 8:13) sans réellement y arriver. Il est dit plus tard que Néphihah unissait « les régions frontières d’Aaron et de Moroni » (Alma 50:14) ; Néphihah était l’une des villes défensives construites dans les plaines de l’est et la ville de Moroni était près de la mer de l’est (Alma 50:13; 62:32-34). Cette information permet de déterminer qu’un cordon de villes s’étendait d’ouest en est à travers le territoire situé au nord de Zarahemla: Ammonihah, Aaron, Néphihah, Moroni. (Voir carte 2.) Ces quatre localités se succédant à travers la plus grande partie du pays situé du côté du sud ont pu prendre jusqu’à 250 km, mais c’est sans doute un maximum. La distance de côte à côte sur cette transversale ne dépassait probablement pas 300 km. (Voir carte 2.)

 

On ne trouve nulle part d’information sur la largeur du pays de Néphi, la partie montagneuse du pays situé du côté du sud. La ville de Néphi n’était de toute évidence pas très loin de la côte; le groupe de colons formé au départ par Néphi n’était certainement pas allé plus loin que nécessaire pour mettre de la distance entre lui et les Lamanites (2 Néphi 5:6-8), qui n’entrèrent que trop vite en contact avec lui (versets 14, 34). En outre la bande côtière immédiatement voisine à l’ouest était considérée comme faisant partie du pays de Néphi (Alma 22:28 : « dans le pays de Néphi »), bien qu’au nord la bande de territoire fût considérée comme étant seulement « à l’ouest » du pays de Zarahemla. Il n’est question de rien qui soit situé à l’est de Néphi. Toute la région à l’est du pays de Néphi reste indéfinie, à part le fait qu’elle faisait partie de tout le pays situé du côté du sud « presque entouré[e] d’eau » (Alma 22:32).

 

L’étendue et la forme du territoire situé du côté du nord sont également obscures. Au-delà de la bande étroite, il était suffisamment vaste pour que l’on distingue à l’ouest une partie en hauteur par rapport à la région des plaines située dans l’est (Éther 9:3; 10:32; "11:15; "14:3, "6-7, "16-17). Nous ne savons pas à quelle distance Moron, le centre jarédite de ces terres hautes, était de la côte ouest, mais puisqu’il fut colonisé par les Jarédites peu après leur arrivée (Éther 6:13; "57:5, "16-17, "7:20), nous pouvons supposer qu’il n’était pas très éloigné de la mer. N’oubliez pas non plus les limites imposées par le fait qu’Éther put observer les dernières guerres jarédites depuis sa caverne (Éther 13:13-14). À la lumière de toutes ces considérations, le pays situé du côté du nord dans la région proprement jarédite n’a vraisemblablement pas eu plus de quelques centaines de kilomètres de large.

 

Cette longue incursion dans les dimensions du théâtre des activités du Livre de Mormon nous a permis de déterminer les conditions essentielles. Nous pouvons maintenant être certains que l’histoire du Livre de Mormon a eu lieu dans une partie limitée du continent américain, une partie ayant en gros la forme d’un sablier. Les dimensions de ce territoire se mesurent en centaines et non en milliers de kilomètres. Les mouvements de population, les voyages de personnes et la durée des voyages mentionnés dans l’Écriture correspondent raisonnablement à un pays situé du côté du sud ayant une longueur d’environ 600 km et pas beaucoup plus que la moitié de cela en largeur à un endroit situé au nord de Zarahemla. Le pays situé du côté du nord est moins bien spécifié mais ne semble pas être aussi long. (Voir carte 3.)

 

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Carte 3. Emplacements des pays ou des villes les uns par rapport aux autres

 

Les données fournies par le Livre de Mormon et les hypothèses qui ont mené à ces conclusions ne sont, bien entendu, pas parfaitement tranchées. Si l’on joue avec les informations fournies par le texte, on pourra parvenir à des résultats légèrement différents. Si quelqu’un tire la conclusion que la distance de Néphi à Zarahemla avait 25% de plus que ce que j’ai dit, cela m’intéresserait d’entendre son argumentation ; peut-être est-ce exact. Mais quiconque affirme que la distance entre les deux villes était, disons, de 600 km au lieu des 300 suggérés ici ne pourrait pas créer un modèle plausible à partir de ce que dit le Livre de Mormon. Certaines des exigences d’échelle imposées par le texte sont très précises. Elles sont également liées les unes aux autres dans un rapport complexe. Il est impossible de ne résoudre qu’une partie du problème des localisations et des distances car, comme dans un puzzle, tous les éléments doivent s’imbriquer les uns dans les autres. Je trouve qu’ils s’adaptent parfaitement les uns aux autres. La situation spatiale est donc cohérente, mais il faut également satisfaire à d’autres conditions pour pouvoir élaborer une carte acceptable du Livre de Mormon. Voyons maintenant la configuration du pays

 

TOPOGRAPHIE

 

Nous avons plus de renseignements sur la configuration du terrain que ne pourrait le laisser croire une lecture superficielle des Écritures. Les historiens parlent constamment de « monter », « descendre » et « franchir ». (Certains lecteurs ont prétendu que ces expressions ne sont que le reflet de conventions culturelles, comme l’expression yankee « down South ». Mais dans beaucoup de cas, l’Écriture rattache le mot à des circonstances topographiques claires et cohérentes ; je ne vois aucune raison de ne pas prendre les prépositions de manière littérale) Cette information nous permet de nous faire une bonne image du relief. (Voir carte 4.)

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Carte 4. Topographie des pays et régions

 

Un élément essentiel est le grand fleuve, le Sidon, qui descendait des montagnes séparant les pays de Néphi et de Zarahemla. Ce fleuve passait « devant » le pays local de Zarahemla, lequel était situé essentiellement à l’ouest de ce cours d’eau (Alma 2:15). La seule partie peuplée des terres néphites situées à coup sûr à l’est du fleuve est la vallée de Gédéon (Alma 6:7). Étant donné que les voyageurs devaient « monter » à Gédéon, et puisqu’il y avait, juste de l’autre côté du fleuve par rapport à la ville de Zarahemla, une « colline Amnihu » suffisamment grande mais en pente suffisamment douce pour qu’une grande bataille puisse s’y dérouler, le bassin du Sidon devait avoir une pente plus forte du côté est que du côté ouest. Nous savons aussi que le fleuve devait être assez long. Son origine se trouvait loin dans le désert au dessus de la ville néphite la plus haute située sur le fleuve, Manti (Alma 16:6). Zarahemla était en aval. La ville de Sidom était encore plus loin au nord et probablement sur le fleuve. (Du fait que l’endroit portait un nom tellement proche de celui du célèbre port des Phéniciens, ce devait être une zone portuaire sur le fleuve ; ce qui renforce l’idée qu’il se situait sur le fleuve, c’est l’accent mis dans (Alma 15:14 sur les baptêmes accomplis à Sidom.) Le fleuve a dû parcourir au moins quelques centaines de kilomètres en territoire néphite avant de se déverser dans la mer, étant donné les dimensions générales du pays situé du côté du sud. On pouvait le traverser sans grande difficulté à pied à un endroit donné et probablement pendant la partie la plus sèche de l’année (Alma 2:27, "33-35; "43:40).

 

Une partie du territoire néphite était constituée d’un désert difficile à pénétrer situé au voisinage de régions colonisées (3 Néphi 1:27; "72:17; "4:1-13), ce qui nous amène à nous attendre à ce qu’une partie du tracé du fleuve traverse une région montagneuse inhospitalière. Dans tous les cas, la ville de Zarahemla se trouvait à une hauteur intermédiaire plus haute que la côte (Alma 22:31) mais plus bas que Néphi (Alma 22:31; "Hélaman 1:17).

 

Il est vraisemblable que le fleuve Sidon se déversait dans la mer de l’est et non dans celle de l’ouest. Les plaines à l’est avaient une grande étendue, comme montré plus haut, mais la région côtière à l’ouest était apparemment étroite et pour la plus grande partie insignifiante. Puisqu’on peut s’attendre à ce que le cours inférieur et l’embouchure d’un grand fleuve se forment dans une plaine importante et la traversent, les terres basses situées à l’est devaient être l’endroit où le fleuve avait son embouchure. Les descriptions de batailles qui eurent lieu dans l’est parlent de « bord de la mer » et de « plaines », mais il n’est jamais question de collines d’une certaine importance, si ce n’est dans un endroit appelé Antionum, qui se trouvait probablement à une certaine distance à l’intérieur des terres (Alma 32:4; 51:25-26, "52:20; "62:18). On ne nous dit pas où le Sidon se déversait dans la mer, en dépit du fait qu’un tel fleuve a dû avoir une embouchure considérable. Compte tenu de la place réduite occupée par la section de la côte détenue par les Néphites, il est vraisemblable que le fleuve atteignait la mer à la limite ou au-delà de la limite des possessions néphites, là où ils n’auraient eu aucune raison d’en parler.

 

Nous savons, bien entendu, que le « pays du premier héritage » se trouvait sur la côte ouest. Après la séparation de la colonie de Léhi en deux groupes, Néphi amena ses partisans dans un endroit situé plus haut ; ils s’enfuirent dans les hautes terres intérieures (2 Néphi 5:7-8; comparez avec "Alma 22:28). Le territoire côtier du premier héritage était au sud du pays de Zarahemla, mais se poursuivait d’une manière continue vers le nord, constituant une bande de terrain parallèle au pays de Zarahemla. Cette bande de terrain s’étirait jusqu’à l’isthme (Alma 22:27-29). Le désert de l’ouest était aussi constitué d’une chaîne de montagnes inhabitée parallèle à la zone côtière, car des groupes devaient passer dans le désert soit par un col (près d’Antiparah au sud – (Alma 56:31-40) soit par un autre au nord (Alma 25:2). Naturellement les cours d’eau situés du côté est de cette chaîne devaient se déverser dans le Sidon, qui de toute évidence arrosait un bassin important. (Aucun autre fleuve n’est mentionné dans le pays de Zarahemla.) Le pays de Mélek jouxtait le désert de l’est et se trouvait donc probablement au bord des terres cultivables du bassin. (Alma 8:3-5). Il était facilement accessible depuis la ville de Zarahemla (v. 3; comparez avec Alma 35:13-14; 45:18), mais était protégé de la côte par la bande de désert montagneux à l’ouest, car les Ammonites seront placés dans Mélek pour les protéger des représailles lamanites (Alma 35:13). (Mélek n’est jamais attaqué par les Lamanites, qui se glissent au moins deux fois à côté de lui le long de la côte pour attaquer Ammonihah plus au nord – (Alma 25:1-2; 49:1, 25.)

 

La ville d’Abondance était près du niveau de la mer (Alma 51:32) ; elle se trouvait, après tout, près de la côte est sur l’isthme. Hagoth choisit un endroit de la côte ouest «  dans les régions frontières du pays d’Abondance, près du pays de Désolation » pour construire et lancer ses navires (Alma 63:5-6). Les termes utilisés ici peuvent indiquer que le pays d’Abondance ne s’étendait pas jusqu’à la mer de l’ouest à l’isthme, mais en tout cas le territoire devait être à un niveau relativement bas sur la plus grande partie du parcours, comme l’implique (Alma 22:29-33.

 

Au nord se trouvait le pays de Cumorah, qui était soit une subdivision de Désolation, soit son prolongement. Il contenait au moins une « colline » (Ramah/Cumorah), suffisamment haute pour que la poignée de survivants néphites qui y montèrent réussissent à s’y cacher de leurs ennemis massés à la base (Mormon 6:6, 11). La colline jarédite Comnor et deux vallées étaient tout près (Éther 14:26-28), et la colline Shim se trouvait peut-être dans la même région (Éther 9:3; Mormon 4:23). Ainsi donc, les batailles finales ont eu lieu dans ou à côté d’un secteur accidenté, lequel se situait, sur un plan plus général, « dans un pays d’eaux, de rivières et de sources nombreuses » (Mormon 6:4). Cela implique un climat humide et un écoulement des eaux en direction de l’est à partir des hautes terres qui comprenaient le pays jarédite de Moron (Éther 15:8-11).  Cette région arrosée devait être le même territoire « qui était couvert de grandes étendues d’eaux » que Morianton convoitait. Il pouvait potentiellement être constitué en un bloc ou une alliance avec le pays proche d’Abondance (Alma 50:29, "32). Les Jarédites écrivaient systématiquement que les anciennes terres étaient en hauteur par rapport à la région de la mer de l’est, et l’histoire politique montre bien que les deux régions – probablement les terres basses de l’est et les terre hautes de l’ouest – furent des rivales de longue durée (Éther 7:4-6, 15-21; 8:2-3; 11:15, 13:27-30; 14:3-7, 11-16, 26). Cependant les terres basses semblent être devenues les plus peuplées et les plus importantes à l’époque de la chute des Jarédites, comme le montre le fait que les batailles finales entre les groupes rivaux y eurent lieu. Ainsi donc, la division géographique semble avoir été en rapport avec des divisions sociales et politiques constantes.

 

En résumé, le pays situé du côté du nord se composait d’au moins deux parties :  des terres basses à l’est et des terres hautes à l’ouest. Ces dernières contenaient la capitale jarédite Moron – bien qu’aucune ville de Moron soit jamais mentionnée – à l’intérieur du « pays du premier héritage » (Éther 7:5, 16-17). Dans le pays situé du côté du sud, on remarque cinq grands éléments topographiques : les terres hautes au sud, la vallée de Sidon, une plaine côtière substantielle à l’est, une étroite bande de terre située à bas niveau et une mince bande côtière à l’ouest longée par des montagnes bordant le bassin du fleuve Sidon.

 

D’AUTRES CONDITIONS ENCORE

 

Le texte est avare de détails sur le climat et la végétation, mais certains renseignements nous fournissent des spécifications complémentaires pour notre carte. Si l’on prend littéralement le texte quand il dit que du « blé » et de « l’orge » poussaient au pays de Néphi, cela voudrait dire que le climat était tempéré ; sous les tropiques, cela nous oriente vers des terres hautes. Le maïs, qui est une plante essentiellement semi-tropicale, semble avoir été une culture plus importante (Mosiah 9:9, puis en particulier le verset 14). Les seules allusions à la neige et au froid dans tout le Livre de Mormon se trouvent dans des citations sur le Proche-Orient provenant d’Ésaïe. Des fièvres endémiques se produisaient dans certaines régions du territoire des Néphites, ce qui tend à confirmer la présence d’un climat sub-tropical (Alma 46:40). Les textes impliquent la présence d’une chaleur humide et débilitante au moins dans les régions frontières de la mer de l’est (Alma 51:33; 52:31; 62:35). Les sécheresses étaient rares mais pouvaient être graves (Hélaman 11:4-6; Éther 9:28-35)

 

Une condition importante que nous ne citons qu’au passage, ce sont les caractéristiques sociales et culturelles. Toute région proposée comme terre promise néphite doit répondre à certains critères culturels. Par exemple : 1) les anciens habitants devaient savoir lire et écrire et devaient avoir une longue  tradition de tenue de nombreux registres ; 2) les autres éléments fondamentaux de la civilisation étaient également présents, comme une agriculture et un commerce développés ; et 3) la région devait contenir une population totale se comptant par millions et notamment des villes de taille conséquente, en tous cas au moins dès le 4e siècle apr. J.-C. En outre, ces caractéristiques et d’autres devaient apparaître à certains endroits et à certaines époques et pas à d’autres.

 

Nous avons maintenant une liste de conditions suffisamment détaillée pour être utile : La forme du pays, les distances, la topographie, les caractéristiques naturelles et culturelles. Nous n’avons pu traiter ici que d’une petite partie des renseignements donnés par les textes scripturaires, mais le tout est cohérent avec lui-même et avec d’autres données trop complexes pour les citer dans cet ouvrage général.  Ce que nous avons jusqu’à présent constitue une liste récapitulative préliminaire pouvant servir à évaluer toute région sur la carte d’aujourd’hui qui pourrait être la terre promise des descendants de Léhi.

 

TRANSPOSITION DANS LE MONDE REEL

 

Y a-t-il, en Amérique, une région qui réponde aux conditions imposées par le Livre de Mormon ?

 

Dans l’histoire de la pensée des saints des derniers jours sur le Livre de Mormon, un petit nombre seulement de transpositions ont été sérieusement proposées entre la géographie du livre et la carte du continent américain [17]. Tout d’abord peu d’ « étroites bandes » possibles valent la peine d’être examinées. Selon la conception la plus ancienne, Panama était censé être l’étroite bande de terre du Livre de Mormon, l’Amérique du Sud, ou une partie de celle-ci, étant le pays situé du côté du sud. Les dimensions territoriales du Livre de Mormon, à elles seules, excluent la totalité du continent, et d’autre part, toute tentative de n’envisager qu’une partie de l’Amérique du Sud comme étant le pays situé du côté du sud se heurte à un certain nombre de points du texte (par exemple, (Alma 22:32, « presque entouré[e] d’eau »). L’idée que l’on avance parfois qu’une partie de l’Amérique du Sud ait pu être submergée par la mer, ne laissant qu’un territoire réduit occupé par les Néphites, est sans valeur, comme le prouvent abondamment les faits géologiques et archéologiques. De plus, pour plusieurs raisons, Panama n’aurait pas pu être l’étroite bande de terre mentionnée dans le Livre de Mormon. Par exemple, le groupe d’exploration de Limhi n’aurait guère pu le traverser et revenir sans se rendre compte qu’il avait quitté le pays de Zarahemla.

 

Une autre transposition a été suggérée qui appelle pays du nord la péninsule du Yucatan dans le sud-est du Mexique, le pays situé du côté du sud étant au Guatemala et au Honduras. La faiblesse la plus évidente de cette théorie est l’absence d’une « étroite bande de terre » acceptable. La base de la péninsule du Yucatan ne convient pas du tout, tandis que les tentatives d’identifier ici et là un bout de territoire comme étant une « étroite bande de terre » dans un sens autre que le sens littéral d’isthme avec la mer de part et d’autre contredisent ce que l’Écriture elle-même dit clairement. La suggestion que la terre promise tout entière se trouvait au Nicaragua n’est pas davantage croyable. Les distances et une foule d’autres impossibilités excluent totalement cette hypothèse.

 

La seule « étroite bande de terre » potentiellement acceptable, étant donné les exigences du Livre de Mormon, est l’isthme de Tehuantepec, dans le sud du Mexique. Tous les spécialistes mormons de la géographie du Livre de Mormon qui ont travaillé systématiquement ces dernières décennies au problème sont parvenus à un consensus à ce sujet. Comme nous l’avons appris plus haut, les membres dirigeants de l’Église de l’époque de Joseph Smith étaient apparemment parvenus à une conception semblable et lui aussi probablement. Cela situerait les événements du Livre de Mormon en Mésoamérique, la région culturelle du centre et du sud du Mexique et du nord de l’Amérique Centrale où se trouvent les civilisations les plus poussées de l’Amérique ancienne. C’est ici que les conditions physiques de la terre promise sont satisfaites, et c’est uniquement ici que l’on évite les failles importantes des autres propositions.  Par exemple, le Livre de Mormon dit clairement que sa population tenait une quantité considérable de documents écrits, et la Mésoamérique a été le seul lieu du Nouveau Monde tout entier où, à notre connaissance, des systèmes authentiques d’écriture ont été utilisés pendant une période prolongée et de manière régulière avant l’arrivée des Européens.

 

Les spécialistes du Livre de Mormon qui acceptent l’isthme de Tehuantepec comme étant l’étroite bande de terre ne sont toujours pas d’accord entre eux sur la façon dont il faut interpréter les territoires environnants pour ce qui est des détails des territoires du Livre de Mormon. Pendant les 35 années où je me suis préoccupé du sujet, j’ai étudié toutes ces conceptions et à certains moments j’ai été attiré par plusieurs d’entre elles. Jusque tout récemment, la transposition la mieux connue faisait du fleuve Usumacinta, qui constitue la frontière entre le Mexique et le Guatemala sur une partie de son parcours, le fleuve Sidon. Un certain nombre de faiblesses fatales rendent ceci impossible. Par exemple, cela n’explique pas de manière plausible pourquoi Amalickiah attaquerait sur la côte est ( 1Alma 51; 52:1-14), car, si l’Usumacinta était le fleuve Sidon, l’histoire tout entière irait à l’encontre d’une stratégie militaire saine. En outre, les distances le long de la côte est qu’une transposition vers l’Usumacinta nécessiterait défient les dimensions requises pour le territoire néphite que nous avons démontrées.

 

Cela ne servirait à rien d’examiner ici toutes les transpositions géographiques proposées et d’indiquer chaque fois les discordances entre elles et le texte scripturaire. Qu’il suffise de dire que quand on examine à fond les exigences géographiques et culturelles, il n’y a qu’une transposition qui survit. Elle correspond, dans tous les points importants, à ce que dit l’Écriture.

 

Il y a encore un petit nombre de passages du Livre de Mormon que l’on ne peut pas faire cadrer avec ce que l’on sait aujourd’hui de la région méso-américaine (c’est d’ailleurs aussi toujours le cas de la Bible dans son cadre). Il faudra encore faire des recherches sur ces points. Mais à mon avis aucun de ces problèmes n’est grave.

 

La plus grande partie du reste de cet ouvrage sera consacré aux détails de la transposition réussie et de ses implications culturelles. Cette transposition augmente considérablement notre compréhension du Livre de Mormon, car elle nous permet de situer dans un cadre géographique, historique et archéologique bien déterminé la plus grande partie des événements et des descriptions du texte scripturaire. Cela donne une impression de concret et d’approfondissement du sens comparable à ce qui est maintenant possible pour la Bible dans son environnement du Proche-Orient.

 

Il serait prématuré de donner une identification précise de tous les pays et de toutes les villes du Livre de Mormon. Le tableau général est raisonnable et convaincant. Naturellement, plus nous nous rapprochons des endroits exacts, plus les questions sont nombreuses. Une bonne raison en est que tandis que le Livre de Mormon nous donne généralement des informations considérables, nous ne trouvons que quelques mots ou à peine des allusions quand il s’agit de détails tel que l’itinéraire entre Néphihah et Gédéon. (Cela ressemble au problème rencontré par le météorologue, qui peut vous dire s’il va pleuvoir dans votre pays, mais pas nécessairement s’il pleuvra dans la partie de la ville où vous habitez.) Ce sur quoi nous débouchons, c’est une situation plausible : les identifications sur cartes sont croyables. Les arguments avancés contre la localisation des événements du Livre de Mormon aux emplacements qui apparaissent sur nos cartes ne sont pas persuasifs. Certaines identifications bien déterminées semblent même hautement probables. Il n’en reste pas moins que nous ne sommes pas absolument certains pour aucune d’entre elles.

 

Il y a un point qu’il faut souligner : Le récit du Livre de Mormon s’est réellement passé quelque part. Nous qui croyons que le livre est authentiquement ancien, nous avons l’assurance qu’il y a effectivement eu des endroits réels où des Néphis et des Almas réels ont fait ce que le livre dit qu’ils ont fait. Nous espérons pouvoir identifier un jour ces endroits, concrétiser l’environnement du Livre de Mormon. Pourquoi pas maintenant ? Le centre et le sud de la Mésoamérique se qualifient d’une manière tellement remarquable pour être le cadre géographique et culturel du Livre de Mormon que je suis convaincu que c’est là le pays de Léhi. Par souci de simplicité, je ne traite dorénavant que de cette unique transposition géographique, comme si la question était réglée.

 

LA FORME DE LA MESOAMERIQUE

 

L’isthme de Tehuantepec, en forme de selle [18], a longtemps été considéré comme un bon site pour le canal qui a finalement été creusé à Panama. Le côté Atlantique de l’isthme est arrosé et couvert de forets denses s’élevant graduellement sur environ 150 km jusqu’à une ligne de partage herbeuse dans un col situé à environ 250 m au-dessus du niveau de la mer. Du côté du Pacifique, le terrain descend sur quelque 30 km de la crête jusqu’à une série de larges lagunes reliées à la mer. Les vents secs fréquents ne laissent pousser autour des lagunes qu’une végétation d’une espèce relativement aride. La largeur totale depuis le rivage atlantique jusqu’au bord des lagunes est de 200 km en ligne droite.

 

Le relief montagneux de part et d’autre de l’isthme appartient à des zones géographiques et biologiques différentes. Le sud du centre du Mexique, situé juste à l’ouest et au nord de l’isthme, marque la fin de l’Amérique du Nord dans le règne végétal et animal, puisque ce que l’on trouve normalement dans les régions tempérées et plus sèches du Mexique ne se retrouve pas plus bas que l’isthme. Au nord et à l’ouest, le climat a tendance d’être plus sec qu’au sud et à l’est. Du côté atlantique ou du golfe, le fleuve Coatzacoalcos constitue une ligne distincte séparant des collines ondoyantes, s’élevant vers le nord, des vastes plaines détrempées au sud et à l’est. En dépit de différences considérables des deux côtés du fleuve, on trouve beaucoup d’éléments botaniques et climatiques tout le long de la plaine de la côte du golfe. Les effets de l’environnement sur l’habitat humain étaient généralement similaires partout dans les terres basses ou tierra caliente (« pays chaud »). À cause de sa productivité agricole, cette zone entretenait une population importante en dépit de ce qui peut nous sembler être des obstacles redoutables.

 

Au-delà du fleuve Coatzacoalcos, à travers l’état mexicain de Tabasco, s’étire une plaine mal drainée qui subit des inondations considérables chaque année. Les pluies importantes qui tombent sur les régions montagneuses au sud s’écoulent en direction de la mer pendant la saison humide. La côte est bordée de vieilles dunes de sable parfois larges de plusieurs kilomètres. Il est possible d’y voyager, avec certaines difficultés, parallèlement à la plage, mais un enchevêtrement de lagunes et de marécages juste derrière la ligne des dunes interrompt la plupart des routes allant vers le bord de la mer ou en venant. Le long des grands cours d’eau, les levées de limon déposées par les inondations dominent légèrement les marécages environnants. Une grande partie de l’habitat se situe le long de ces élévations légères de bonne terre. Avant les systèmes de transport modernes, virtuellement tous les voyages par voie de terre cessaient sur cette côte de Tabasco pendant la période d’inondation, dont les points culminants se situent en juin et de nouveau en septembre. Même lors de la « saison sèche », les voyageurs ne peuvent emprunter facilement qu’un petit nombre d’itinéraires.

 

Du côté Pacifique de l’isthme, la plaine étroite est battue par des vents causés par la poussée en direction du sud, au cours des mois d’hiver, de vastes masses d’air provenant du centre des États-Unis et balayant le golfe du Mexique ; l’air s’engouffre parfois à grande vitesse dans la trouée des montagnes de l’isthme. Il en résulte que la région des lagunes est nettement plus sèche que le côté atlantique plus élevé. La plaine côtière à l’ouest est étroite – 10 à 15 km – presque jusqu’à la frontière du Guatemala, après quoi elle s’élargit de manière considérable.

 

Chose intéressante, les Toltèques des hautes terres du Guatemala appelaient la bande côtière de l’est du Tabasco « la frontière de la mer [19] », et les Guatémaltèques appellent toujours leur côte sud las orillas del mar [20], qui a la même signification, ce qui nous rappelle le terme néphite « région frontière près du bord de la mer », comme dans Alma 56:31.

 

Au sud-est de l’isthme de Tehuantepec se trouve la dépression centrale du Chiapas. (voir la carte ci-dessus). Elle est traversée par le grand fleuve appelé le Rio Grande de Chiapas, le Mezcalapa ou le Grijalva, selon le nom qu’il reçoit à divers endroits de son cours. Ce vaste bassin est bordé à l’est par un plateau qui est un prolongement des hautes terres du Guatemala [21]. Le plateau descend vers les terres basses sur ses côtés nord et est à travers un enchevêtrement de collines et de vallées couvertes de forêts épaisses. Cet ensemble situé en hauteur intercepte une grande partie de l’humidité venant du golfe, qui, sinon, parviendrait jusqu’à la dépression centrale. Étant donné que l’intérieur est également abrité, de l’autre côté, de l’air humide de l’océan Pacifique par une chaîne continue de montagnes, la Sierra Madre du Chiapas, le bassin supérieur du Grijalva est relativement sec et très chaud. Dans la partie supérieure, on pourrait cultiver de grandes quantités de maïs et de coton, mais on y trouve peu d’endroits favorables à la culture. La plus grande partie du territoire est généralement aride et montagneuse. En aval, le cours moyen du Grijalva est plus arrosé, mais la région est trop accidentée pour soutenir une population importante. Il était possible, dans ce secteur, d’utiliser des parties du fleuve pour le transport ou de suivre des pistes dans les montagnes, mais il était beaucoup plus facile de se rendre de la dépression centrale du Chiapas vers le nord de la Mésoamérique par la vallée ouverte et sèche de Cintalapa menant en direction de l’ouest jusqu’à la côte du Pacifique et par conséquent jusqu’à l’isthme de Tehuantepec. Le fait que la grande route inter-américaine suit maintenant l’itinéraire ouvert et sec est la preuve de sa fiabilité et de la facilité du terrain.

 

Les vallées des terres hautes du Guatemala au sud sont tellement élevées que les températures sont d’ordinaire agréablement fraîches. (Ces hauteurs intermédiaires sont classées comme tierra templada – « pays tempéré » – s’élevant par endroits jusqu’à la tierra fria – « terre froide ».) Le long du côté Pacifique de ces terres hautes, une chaîne pittoresque de pics volcaniques domine de belles vallées du côté intérieur et commande la plaine côtière de l’autre. La face nord de la côte du Guatemala se trouve sur le chemin de vents humides soufflant vers l’intérieur des terres à partir des mers situées de part et d’autre de la péninsule du Yucatan. Des précipitations exceptionnellement fortes tombent sur ces versants, empêchant les hommes de s’y installer et créant une gigantesque forêt tropicale humide. Une dépression étroite à mi-hauteur reste fort sèche ; les parties les plus profondes sont même arides étant donné le principe du parapluie que nous avons vu fonctionner de l’autre côté de la frontière au Chiapas.

 

Les vallées tempérées du Guatemala sont séparées du Chiapas par une rangée de hautes montagnes, parmi lesquelles se trouve le volcan Tajumulco, le pic le plus élevé d’Amérique Centrale, avec une hauteur de plus de 4000 m. Les vallées encaissées creusées par les cours d’eau ne permettent qu’une traversée difficile de cette région accidentée. Ceux qui se rendaient du Guatemala au Mexique devaient vraisemblablement passer par les hauteurs plus praticables et plus sèches des monts Cuchumatanes plutôt que par les gorges. La barrière constituée par cette rangée de montagnes séparant les deux pays modernes se poursuit vers la côte du Golfe sous la forme de la pente détrempée et couverte de forêts décrite plus haut.

 

À l’ouest et au nord de Tehuantepec sur la côte du Pacifique, une bande étroite et sèche s’élève assez brusquement vers une barrière montagneuse. À l’intérieur des terres par rapport à cette chaîne de montagnes, il y a des plateaux arides et escarpés parmi lesquels on trouve quelques vallées fertiles. Ce décor s’étend jusqu’à la Sierra Madre, qui domine à l’est, dont les volcans impressionnants s’élèvent jusqu’à 5400 m. À partir de là, le terrain descend vers la mer jusqu’à de larges plaines plates : la frontière du Golfe de Campeche mentionné précédemment. Juste au nord de l’isthme, sur la côte est, se trouvent les monts Tuxtla, et le sol est fertile à cause de leur passé volcanique et des vents humides venant du golfe.

 

UNE COMPARAISON

 

Quand on garde à l’esprit ce bref survol des caractéristiques physiques de la Mésoamérique, il est possible de faire une comparaison avec les pays représentés dans le Livre de Mormon. Dans les deux cas, on voit clairement la forme générale d’un sablier. Les dimensions sont très semblables, à condition d’ignorer le prolongement de la Mésoamérique vers le nord et l’est, ce que nous pouvons faire, parce que le Livre de Mormon est silencieux en ce qui concerne le territoire correspondant. Nous devons également ignorer la péninsule du Yucatan et les terres basses avoisinantes, car nous avons noté précédemment que la partie de la côte contrôlée par les Néphites le long de la mer de l’est était courte et que la région tout entière située à l’est à partir de la ville de Néphi n’est pas décrite dans l’Écriture. Par conséquent, les deux régions de la Mésoamérique qui ne correspondent pas clairement à ce que les annales néphites nous disent en matière de géographie sont précisément les régions à propos desquelles le récit scripturaire nous laisse dans le vague. Il n’y a pas de contradictions. (Voir carte 5.)

 

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Carte 5. Correspondance entre la géographie méso-américaine et celle du Livre de Mormon

 

Le fleuve Sidon correspond au fleuve Grijalva, qui descend des terres hautes du Guatemala, traverse un grand bassin à mi-hauteur et continue jusqu’à la mer en traversant une plaine côtière importante. La longueur du fleuve, 500 km, correspond à ce qui est dit à propos du fleuve Sidon et on ne trouve aucun autre grand fleuve dans cette partie du sud du Mexique ; le Livre de Mormon ne mentionne aucun autre cours d’eau. L’isthme de Tehuantepec, large de 200 km, se situe juste à l’intérieur de la fourchette plausible que nous avons estimée comme largeur « de l’étroite bande ». La distance d’ouest en est indiquée par le Livre de Mormon d’Ammonihah jusqu’à Moroni, sur la côte est, correspond quasiment à la distance nécessaire pour traverser la plus grande partie des états de Chiapas et de Tabasco, soit environ 250 km.

 

La topographie correspond également. La rangée désertique de montagnes séparant le plateau du Guatemala du centre du Chiapas se trouve au bon endroit pour être « l’étroite bande de désert » des Néphites. Les cours d’eau qui en descendent constituent le Grijalva ou le Sidon. Les bandes côtières de désert qui font frontière, la présence d’une région de collines dans un secteur situé idéalement pour être le champ de bataille final et d’autres éléments coïncident également.

 

Il n’est pas nécessaire de donner davantage de détails pour le moment. On peut se rendre directement compte de la correspondance générale entre la géographie méso-américaine et celle du Livre de Mormon en étudiant soigneusement la carte 5. Quiconque souhaite approfondir systématiquement le sujet peut vérifier chacune des conditions requises énumérées plus haut, en marquant les parallèles étroits avec le décor méso-américain.

 

Beaucoup d’éléments géographiques du sud et du centre du Mexique et du Guatemala semblent correspondre de manière décisive aux conditions requises pour le territoire du Livre de Mormon, à l’exception peut-être d’une anomalie majeure. Quand les auteurs du Livre de Mormon parlent de leur géographie, ils utilisent les expressions « du nord » ou « du côté du nord » et « du sud » ou « du côté du sud », alors que l’orientation de la Mésoamérique semble faussée par rapport à ces points cardinaux standard. Comment résoudre ce problème ?

 

LES DIRECTIONS DANS LE LIVRE DE MORMON

 

Donner des noms aux directions a toujours présenté des difficultés linguistiques et culturelles aux populations du monde. Comme les autres coutumes, c’est quelque chose de tout à fait arbitraire plutôt que logique, comme les hommes modernes aimeraient le penser. Nous, avec notre tradition européenne, nous disons que « l’est » est « là où le soleil  se lève » ; mais dans les régions arctiques, le soleil ne s’inquiète pas de cela et se lève au sud. Même sous les latitudes moyennes, le lever du soleil ne se situe exactement à l’est que deux jours par an. Il faut connaître toutes sortes de cultures pour se rendre compte qu’il n’existe pas une manière unique, « correcte » ou « évidente » de désigner les directions.

 

Les groupes de langues esquimaudes orientales distinguent les directions essentiellement comme étant soit vers l’intérieur du pays (littéralement « au dessus »), soit vers la mer (« au dessous »). Cela donne la contradiction intéressante qu’au Labrador un mot qui veut dire « en direction de la mer » se traduit par « est », parce qu’il se fait que la mer se trouve plus ou moins dans cette direction, tandis que le même mot de l’autre côté du détroit, dans l’ouest du Groenland voisin, correspond à notre « ouest » [22], car là, la mer est à l’ouest. Les Polynésiens utilisent des termes semblables pour les directions de base : « à l’intérieur du pays » et « vers la côte » parfois combinés avec la distinction « devant » et « derrière » [23]. Les Islandais désignent les directions en fonction du pays d’origine du voyageur et non de l’itinéraire qu’il a suivi pour arriver [24]. (Appliquée à nous, cette idée signifierait que nous dirions qu’un voyageur arrivant à New York de Miami se serait rendu dans « l’est », du moment que son voyage a commencé en Californie.) À Picuris Pueblo, au Nouveau Mexique, on distingue et on désigne cinq directions, dont aucune n’équivalait à nos points cardinaux [25].

 

Les Israélites de Palestine, dans leur manière de penser, concevaient les directions comme si l’on se tenait le dos à la mer, face au désert. Yam (« mer ») signifiait donc « ouest, » car la Méditerranée se trouvait dans cette direction, tandis que qedem (« devant ») désignait « est ». Par conséquent, yamin (« main droite ») signifiait « sud », tandis que semol (« main gauche ») indiquait le  « nord » [26]. En Palestine, ce modèle coïncidait avec la nature (la côte va quasiment dans la direction nord-sud) et était donc facilement traduisible selon les usages européens par ouest, est, nord et sud. (Ce n’était pas le seul modèle utilisé parmi les Israélites pour désigner les directions, mais c’était le plus fondamental, et il était profondément incrusté dans la langue.) D’autres langues sémitiques que l’hébreu suivaient une logique semblable, mais leur orientation géographique jetait parfois la confusion dans le modèle. Par exemple, les Assyriens appelaient le golfe Persique « la mer du soleil levant », alors qu’il était en réalité au sud-sud-est par rapport à eux [27].

 

Supposez un instant que vous soyez avec le groupe de Léhi à son arrivée sur la côte Pacifique de l’Amérique Centrale. Selon la terminologie actuelle de la civilisation occidentale, le rivage serait orienté approximativement nord-ouest/sud-est. Lorsque vous diriez yamah, voulant dire « en direction de l’ouest », le terme voudrait dire littéralement « en direction de la mer », alors qu’en réalité l’eau se trouverait en fait « derrière votre dos » ou à notre sud-ouest.  En outre, le premier pas que vous feriez vers l’intérieur des terres en vous éloignant de la mer serait « en direction de l’est » (littéralement « vers l’avant ») en hébreu; nous dirions aujourd’hui que le mouvement aurait été vers le nord-est. En l’absence d’un consensus de la part du groupe pour décaler de 45 degrés ou davantage le sens des termes utilisés en hébreu pour désigner les directions, le petit groupe de colons a dû appliquer sa manière sémitique de s’exprimer aux nouvelles directions imposées par le nouvel habitat.

 

En fait, nous ne savons pas comment Laman, Lémuel, Sam et Néphi appelaient leurs directions parce que les premiers termes désignant des directions n’apparaissent dans le Livre de Mormon que des siècles après leur arrivée (Mosiah 7:5; "9:14) [28]. Il est tout de même intéressant de relever le fait que dans les langues mayas de la Mésoamérique, « sud » signifiait « à droite » et nord « à gauche » [29], comme en hébreu. En plus de semol, les Hébreux appelaient le « nord » sapon, ce qui signifie « région cachée ou sombre », ce qui rappelle le trait culturel très courant qui associe la malchance, le mal et les ténèbres au côté gauche [30]. Bien entendu, les Néphites considéraient le pays situé du côté du nord – à leur gauche dans le système hébreu – comme « maudit » (3 Néphi 3:24). Les ruines et les ossements des Jarédites détruits qu’ils découvrirent dans le pays situé du côté du nord renforcèrent cette idée. Les Mayas Quichés, des plateaux du Guatemala, dont nous avons des annales précolombiennes très importantes, le Popol Vuh, associaient le sud au côté droit et à la couleur rouge ; « le nord » (côté gauche) était associé à la couleur noire et à des connotations négatives telles que la stupidité, la mort et l’enfer [31]. On retrouve les mêmes associations, couleurs y compris, dans le Proche-Orient antique [32].

 

Les souverains toltèques des Quichés, ainsi que d’autres groupes préhispaniques, appelaient « est » la zone de plaines bordant le Golfe près de l’isthme de Tehuantepec, obligeant les traducteurs du Popol Vuh à utiliser cette formule bizarre : « dans les pays au nord, c'est-à-dire ‘dans l’Est’…. [33] ». En outre, le professeur Vogt pense qu’il est possible que les directions des anciens Mayas avaient 45 degrés d’écart par rapport aux nôtres [34]. Une autre étude récente de la terminologie utilisée pour désigner autrefois les directions dans la Mésoamérique centrale est particulièrement intéressante :

 

« Le Golfe du Mexique, quelle que soit sa situation par rapport aux terres – vers l’est dans le nord du Mexique, vers le nord dans la région de la côte sud du Golfe ou vers l’ouest au large de la côte de Campeche – est la « mer de l’est », tandis que, de la même manière, l’océan Pacifique est la « mer de l’ouest ». En conséquence, au centre du pays, autour de l’isthme de Tehuantepec, l’ouest est du côté Pacifique et l’est est dans la région de la côte sud du Golfe [35]. »

 

Nous avons vu ci-dessus que le Golfe du Mexique ou Golfe de Campeche correspond à la « mer de l’est » des Néphites.

 

Les exemples que nous avons passés en revue chez plusieurs peuples montrent qu’une orientation simple nord/sud/est/ouest en rapport avec la boussole n’est pas « naturelle » ni universelle et que d’autres cultures ont créé des appellations qu’il est difficile de traduire clairement dans le système de langue et de pensée dominant du monde d’aujourd’hui. Nous ne devons donc pas nous étonner que les terminologies néphite et méso-américaine aient pu découler d’autres conceptions que la nôtre.

 

D’ailleurs il s’avère que décrire l’orientation du territoire méso-américain en fonction de la boussole européenne est quelque chose de peu commode parce qu’elle est de travers par rapport au système qui nous est familier. L’expérience des conquérants européens illustre le problème. Par exemple, lorsqu’il raconte son voyage de Mexico jusqu’aux terres hautes du Guatemala au XVIIe siècle, le père Thomas Gage décrit son voyage comme allant vers le « sud » [36]. En réalité, c’est plus vers l’est que vers le sud. Il a traversé l’isthme de Tehuantepec à peu près à l’endroit ou passe aujourd’hui l’autoroute inter-américaine et a fini par arriver à Chiapa de Corzo sur le fleuve Grijalva. Là, dans son récit de voyage, il dit avoir traversé Macuilapa « au nord » de Chiapa de Corzo. Sur une carte, cela se trouve en réalité au sud-ouest. Plus loin, il situe Chiapa de Corzo au « nord-est » de la capitale du Guatemala (en réalité, elle est au ouest-nord-ouest), tandis que le Chiapas, sur la côte du Pacifique, était « au nord-ouest » pour lui (nous dirions le sud-ouest). Il y a une explication sensée à ces affirmations étranges ; d’une manière générale, il se rendait vers une destination située au sud, de sorte qu’il était naturel pour lui que les endroits qu’il avait déjà traversés lui paraissent  situés « du côté du nord », même si la carte montre qu’aucune partie de son voyage n’allait directement vers le sud selon notre façon de nous exprimer. Soit dit entre parenthèses, une région qu’il qualifie comme étant « à l’est » de la capitale du Guatemala se trouve en réalité au nord selon la boussole ; on le voit ici verser involontairement dans la même façon de penser que les Toltèques précolombiens du Guatemala : le point cardinal nord devient est. Une déclaration faite en 1982 par un archéologue éminent tombe dans le même travers : « Au nord de la région maya…à Monte Alban dans l’Oaxaca…[37] ». La direction réelle est l’ouest-sud-ouest ; le nord réel conduirait à Cuba, pas à Oaxaca.

 

Il y a, dans le Livre de Mormon, un point de sémantique qui est important. Le Livre de Mormon parle habituellement du « pays situé du côté du nord » et du « pays situé du côté du sud », rarement du « pays du nord » et du « pays du sud ». (Ces derniers termes n’apparaissent que 7 fois ; les expressions « situé du côté du » apparaissent 47 fois.) L’expression « du côté du » veut bien entendu dire : qui tend ou mène vers ». Gage considérait, à juste titre, le Guatemala comme « du côté du sud » par rapport à Mexico, même si, techniquement parlant, il était plus exactement à l’est. De même, si vous montez dans un avion à Los Angeles en direction de Caracas (Venezuela), ne considérerez-vous pas mentalement que vous vous dirigez vers le sud ? Après tout, votre destination est l’Amérique du Sud ; mais en réalité vous finirez par vous diriger davantage vers l’est que vers le sud. Néanmoins, l’expression  « du côté du sud » est correcte.

 

Aucune de ces considération n’implique que les peuples intéressés ne comprenaient pas les réalités en matière de direction. Les anciens habitants du Guatemala savaient aussi bien que vous ou moi ou Thomas Gage où le soleil se levait. Le problème n’était pas une affaire d’ignorance mais de différence de conception des choses et de langue entre leur culture et la nôtre.

 

Si tout cela a l’air un peu compliqué, nous pouvons quand même être reconnaissants d’une chose. Mormon et Joseph Smith, qui nous ont donné le texte du Livre de Mormon, auraient pu aggraver la situation en étant « littéraux ». Imaginez que vous deviez constamment lire la mention « le pays à l’ouest-nord-ouest » ou peut-être « la mer qui est au sud-ouest de Zarahemla mais au sud-est d’une partie du pays du nord-ouest » ! Cela aurait été littéralement exact selon notre terminologie, mais d’une gaucherie invraisemblable..

 

Ce qui a commencé comme un « problème » de direction a été résolu d’une manière plausible.  Nous avons découvert que les annales néphites ont du sens quand on les rattache à la pensée et à la langue hébraïques d’une part et à la situation de la Mésoamérique d’autre part.

 

LE PASSAGE ETROIT

 

Une autre question géographique qui ne cesse de se présenter quand on lit le Livre de Mormon est la nature et l’emplacement du « passage étroit » dont il est question dans (Alma 50:34 et "52:9 et "Mormon 2:29 et "3:5). Il est clair, d’après ces versets, que ce passage n’est pas la même chose que l’étroite bande de terre elle-même. C’est plutôt un endroit précis à l’intérieur de cette étroite bande. Alma 50 raconte comment Téancum intercepte le groupe de fuyards de Morianton juste au moment où les uns et les autres arrivent à un endroit très précis, « le passage étroit qui menait près de la mer jusque dans le pays situé du côté du nord, oui, près de la mer, à l’ouest et à l’est ». Il est également clair que des groupes passaient près de la ville d’Abondance" pour accéder à ce passage étroit en venant de la région du bord de mer est ("Alma 51:28-30; "52:9, 27; "53:3-4). Pourtant la ville d’Abondance n’est pas mentionnée lorsque l’on aborde le passage en venant de la mer de l’ouest, comme on le voit dans Mormon 2:3-6, "16-17, et "29 à "34:23. (Peut-être la ville n’était-elle plus habitée au IVe siècle de notre ère).

 

On trouve la solution quand on examine une géographie très détaillée de la région de l’isthme de Tehuantepec. Une formation irrégulière de grès et de gravier apparaît sous forme d’une crête ayant une largeur moyenne de quelques kilomètres, dominant le paysage environnant de 50 à 60 m et allant vers l’ouest à partir de la partie inférieure du fleuve Coatzacoalcos. C’est le seul chemin fiable toute l’année « en direction du nord » au départ de la région côtière orientale de l’isthme pour entrer au centre du territoire de Veracruz [38]. Une grande partie des terres situées de part et d’autre de cette crête est périodiquement inondée sur une profondeur allant jusqu’à quatre mètres pendant la saison des pluies [39]. À certains moments au cours de cette saison, le passage par la crête devait effectivement mener « près de la mer, à l’ouest et à l’est » ("Alma 50:34), car l’eau remplissant le bassin inondé se trouvait de part et d’autre de la crête et devait barrer la route aussi efficacement que la mer, dont les inondations étaient le prolongement. Même pendant la saison sèche, les terres les plus basses sont couvertes de broussailles épineuses, entrecoupées de lagunes et rendues impraticables pour des voyages routiniers. Cette formation part des environs de Minatitlan, la ville moderne sur le Coatzacoalcos, en direction de l’ouest sur une longueur d’environ 30 km jusqu’à Acayucan. De là, la route normale conduit plus loin vers l’ouest jusqu’au franchissement du fleuve à San Juan, un carrefour-clef. L’autoroute moderne longe partiellement cette élévation pour échapper aux marécages qui s’étendent de part et d’autre. À cet endroit, elle suit essentiellement la route pré-européenne, qui avait été utilisée comme itinéraire préféré pendant des milliers d’années. (Voir carte 13.)

 

À l’extrémité est, la crête commence à Paso Nuevo, gué principal sur le Coatzacoalcos, juste au-dessous de Minatitlan. À l’est  du gué, la route ordinaire traverse des plaines et des collines basses pour entrer dans le Tabasco. Si, comme Morianton (Alma 50:33-34), on vient de la plaine de Tabasco, on considérerait l’itinéraire passant par le gué et par la crête comme l’accès au pays situé du côté du nord. L’armée d’interception de Téancum a barré l’accès probablement juste au gué. Et la ville d’Abondance, qui devait être proche, devrait se situer près de la rive est (en direction du sud) du fleuve, quelque part dans le tronçon de 15 km entre le gué et la côte (comparez avec Alma 50:32, "34; "51:28-30; "53:3-4; "3 Néphi 11:1; "19:10-12)

 

DEUX CUMORAH ?

 

Il y a une question de bon sens et nécessaire que beaucoup de lecteurs doivent maintenant être en train de se poser : Comment Joseph Smith a-t-il obtenu les plaques d’or dans le nord de l’État de New York si le champ de bataille des Néphites était en Mésoamérique ?

 

Examinons l’endroit où la bataille finale a eu lieu. Le Livre de Mormon nous dit clairement que la fin des Jarédites et des Néphites s’est produite près de l’étroite bande de terre. Pourtant New York est à des milliers de kilomètres de toute configuration plausible que l’on pourrait décrire comme étant cette étroite bande de terre. L’Écriture elle-même exclut donc l’idée que les Néphites ont péri près de Palmyra.

 

Alors comment les plaques sont–elles arrivées du champ de bataille à New York ? Nous n’avons pas de réponse définitive, mais nous pouvons nous en faire une idée plausible. Mormon rapporte qu’il a enterré toutes les annales dont il avait la garde dans la colline de Cumorah de la bataille finale à l’exception de certaines plaques d’or essentielles (Mormon 6:6). Celles que Joseph Smith a traduites, il les avait confiées à son fils Moroni. Trente-cinq ans plus tard, Moroni était toujours occupé à ajouter à ces annales (Moroni 10:1). Il ne nous dit nulle part où il a l’intention de les déposer, ni où il est quand il les scelle (Moroni 10:34). La façon la plus évidente d’amener les plaques dans l’État de New York, c’est que quelqu’un les y porte. Moroni a pu le faire lui-même pendant ses années finales de solitude.

 

Moroni aurait-il pu survivre à un voyage de plusieurs milliers de kilomètres parmi des populations et des pays inconnus, s’il a effectivement transporté les annales [40] ? Pareil voyage ne serait pas plus étonnant que celui fait par le groupe de Léhi par voie de terre et de mer jusqu’à l’autre côté de la planète. En fait, nous avons un cas frappant d’un voyage ressemblant très fort à celui que Moroni a pu faire. Au milieu du XVIe siècle, David Ingram, un marin anglais qui avait fait naufrage, a fait à pied, en onze mois, à travers un territoire indien totalement inconnu, le trajet de Tampico (Mexique), jusqu’au fleuve St. John, à la limite actuelle entre le Maine  et le Canada [41]. Ce voyage remarquable a dû représenter à peu près la même distance que celui de Moroni et en suivant essentiellement le même itinéraire. En conséquence, il semble tout à fait réalisable que Moroni ait emporté les plaques jusqu’à l’État de New York par ses propres moyens.

 

ET LA GRANDE CATASTROPHE ?

 

L’emplacement de Cumorah n’est pas la seule question que le lecteur réfléchi a dû se poser. Et si le paysage avait tellement changé entre les temps anciens et l’époque moderne que l’on ne pourrait plus retrouver les anciens emplacements ? Le Livre de Mormon nous apprend que « la face de toute la terre » a été changée par des tremblements de terre terribles et d’autres destructions au temps de la crucifixion du Sauveur. Se pourrait-il qu’il n’y ait aujourd’hui aucun moyen de reconstituer la géographie de l’époque précédant la crucifixion ?

 

La réponse à cela se trouve aussi dans le livre. Mormon et Moroni ont tous deux vécu et écrit après les changements catastrophiques. Ils n’ont aucun mal à identifier les endroits qu’ils ont personnellement connus de leur vivant avec les endroits mentionnés par Alma ou Hélaman avant la catastrophe. Rien dans la géographie d’avant la Crucifixion ne semble leur avoir causé de perplexité. L’ouvrage lui-même dit que les changements qui se sont produits à la mort du Sauveur étaient essentiellement superficiels. Abondance était toujours à sa place, son temple était toujours là lorsque le Sauveur ressuscité est apparu (3 Néphi 11:1). Zarahemla avait été reconstruite sur les ruines brûlées de la ville précédente (4 Néphi 1:8). Le passage étroit était toujours dans sa position-clef pendant les batailles finales, comme il l’avait été plus de quatre siècles auparavant. Le fleuve Sidon avait toujours le même lit et Ramah/Cumorah, la colline repère, a présidé, inchangée, à l’annihilation de son deuxième peuple. Ainsi, les annales elles-mêmes ne permettent en aucune façon de croire que la forme ou la nature du pays aient changé d’une manière essentielle en dépit des destructions impressionnantes qui ont été le signal de la mort du Sauveur. Les sciences de la terre ne donnent pas non plus d’informations fiables qui puissent nous inciter à croire que des changement majeurs ont eu lieu. Rien de ce que nous savons ne nous empêche de situer la plupart des endroits d’autrefois sur la carte d’aujourd’hui.

 

UNE CARTE GENERALE DU LIVRE DE MORMON

 

Il est maintenant possible de proposer une correspondance sommaire entre les lieux et les détails géographiques du Livre de Mormon sur la carte de la Mésoamérique. Nous en avons déjà dit assez pour qu’il soit bien clair que toutes les équivalences ne sont pas proposées avec la même assurance et aucune avec une certitude absolue – pour le moment. Le reste du livre donnera de nombreux détails sur les points ébauchés ici. (Voir carte 5.)

 

L‘étroite bande de terre est l’isthme de Tehuantepec.

 

La mer de l’est est le Golfe du Mexique ou son composant, le Golfe de Campeche.

 

La mer de l’ouest est l’océan Pacifique à l’ouest du Mexique et du Guatemala.

 

Le pays situé du côté du sud comprend la partie du Mexique située à l’est et au sud de l’isthme de Tehuantepec, comprenant essentiellement les États de Chiapas et de Tabasco, ainsi que les terres hautes et la région côtière du Guatemala et peut-être une partie du Salvador.

 

Le pays situé du côté du nord consiste pour une partie du Mexique à l’ouest et au nord de l’isthme de Tehuantepec, comprenant tout ou partie des États de Veracruz, Oaxaca, Puebla et Guerrero (et peut-être même davantage).

 

Le fleuve Sidon est le fleuve Grijalva. La ville de Zarahemla se trouvait sur la rive ouest de ce fleuve et a très bien pu être le site archéologique de Santa Rosa (qui est maintenant immergé par les eaux de retenue du barrage d’Angostura).

 

Le pays jarédite de Moron était vraisemblablement la vallée d’Oaxaca.

 

Le champ de bataille final où les peuples jarédite et néphite ont péri se trouvait autour des monts Tuxtla dans la partie centrale et méridionale de Veracruz.

 

La ville de Néphi était probablement le site archéologique de Kaminaljuyu, qui est maintenant incorporé aux faubourgs de Guatemala City ; le pays de Néphi, au sens large, constituait les plateaux du sud du Guatemala.

 

L’identification de ces lieux n’est pas la fin de l’étude, mais le commencement. Une fois que nous savons où les événements et les peuples se situaient, nous sommes en mesure de nous interroger sur ce qui est arrivé et quand. Nos sites pour Néphi, Zarahemla ou Abondance doivent fournir des indications de mouvements de la part de certaines des populations dont l’histoire est tracée dans les grandes lignes dans le Livre de Mormon, et les éléments de preuve doivent nécessairement remonter à l’époque appropriée, sinon nous aurons commis une erreur grave. Cependant, quelles que soient les autres recherches que nous effectuions, les localisations doivent rester le repère de base. Nous reviendrons maintes et maintes fois sur des détails et des amplifications du tableau si brièvement esquissé ci-dessus.

 

J’ai dit et répété que ces résultats ne sont pas concluants. Pourtant j’ai l’intention de partir dorénavant de l’idée que la question de la géographie est réglée dans les grandes lignes. C’est la chose sensée à faire si l’on veut avancer dans d’autres sujets. J’ai la certitude personnelle que nous connaissons maintenant la carte néphite avec un degré de probabilité élevé. En outre, aucune autre transposition sur carte ne fait l’affaire ; toutes les autres que je connais présentent des failles fatales. Par contre, le tableau proposé ici est tout à fait plausible. On s’en apercevra davantage dans la suite de cette étude. Examinons donc ici de manière plus détaillée les correspondances entre l’Écriture et les sources externes.

 

Joseph Smith ou quelqu’un de ses proches a écrit en 1842 : «  Ce ne serait pas une mauvaise idée de comparer les villes en ruines de M. [John Lloyd] Stephens à celles du Livre de Mormon. » Depuis lors, toutes les tentatives de mener ce projet à bien ont été paralysées par l’incapacité de spécifier les emplacements, les dates et la nature des paysages et des sites qu’il fallait comparer au Livre de Mormon. Les saints des derniers jours n’ont cessé de dire qu’un jour, quand nous en saurons beaucoup plus, nous devrions pouvoir faire ce travail. Eh bien, le moment est venu où nous en savons beaucoup plus. En fait, on en sait tellement que les saints des derniers jours qui réfléchissent ne peuvent plus remettre la tâche à plus tard.

 

 

 

 


[1] Franklin D. Richards et James A. Little, dir. de publ., Compendium, Salt Lake City, Deseret News Press, 1886, p. 289.

[2] Brigham H. Roberts, New Witnesses for God, vol. 3. The Book of Mormon, vol. 3, Salt Lake City, Deseret News Press, 1926, pp. 501-3; John A. Widtsoe, "Is the Book of Mormon Geography Known?" dans A Book of Mormon Treasury: Selections from the Pages of the Improvement Era, Salt Lake City, Bookcraft, 1959, pp. 128-129.

[3] Par exemple, la citation d’Oliver Cowdery dans Francis W. Kirkham, A New Witness for Christ in America: The Book of Mormon, Independence, Missouri, Zion's Printing and Publishing Co., 1942, p. 93.

[4] Nancy C. Williams, Meet Dr. Frederick Granger Williams . . . After One Hundred Years, Independence, Missouri, Zion's Printing and Publishing Co., 1951, pp. 101-3.

[5] Millennial Star 10, 15 novembre 1848, p. 347.

[6] Juvenile Instructor 25, janvier 1890, pp. 18-19.

[7] The Instructor 73, avril 1938, p. 160.

[8] Conference Report, avril 1929, Salt Lake City, The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1929, pp. 15-66.

[9] Widtsoe, "Book of Mormon Geography”, p. 130.

[10] Introduction to Old Testament Times, Ventnor, New Jersey, Ventnor Publishers, 1953, p. 107.

[11] R. E. W. Adams, "The Ceramic Chronology of the Southern Maya”, Second Preliminary Report, National Science Foundation Grant GS 610, University of Minnesota, duplicated, Minneapolis, 1966, p. 5.

[12] Id.

[13] Robert F. Heizer, "Physical Capabilities of the California Indians”, Masterkey 45, 1971,109-13.

[14] Bernardino de Sahagun, Historia de las Cosas de Nueva Espana, Mexico, Editorial Nueva Espana, 1946, p. 281.

[15] Bernardino de Sahagun, Historia de las Cosas de Nueva Espana, Mexico, Editorial Nueva Espana, 1946, p. 281.

[16] Stan Larson, "Change in Early Texts of the Book of Mormon", Ensign 7, septembre 1976, p. 81.

[17] Résumé dans Paul R. Cheesman, The World of the Book of Mormon, Salt Lake City, DeserStan Larson, "Change in Early Texts of the Book of Mormon", Ensign 7, septembre 1976, p. 81.

[18] Le meilleur traitement général de la géographie physique de la Mésoamérique, ce sont les premiers articles dans HMAI, vol. 1. En espagnol, Jorge Tamayo, Geografia General de Mexico, 2 vols. et atlas, Mexico, 1950.

[19] Robert M. Carmack, Toltec Influence on the Postclassic Culture History of Highland Guatemala, MARI 26, 1968, p. 65.

[20] Felix W. McBryde, Cultural and Historical Geography of Southwest Guatemala, SISA 4, 1945, p. 4.

[21] Un traitement bref et pratique de la géographie, de la géologie et du climat du Chiapas et particulièrement de la dépression centrale se trouve dans Gareth W. Lowe, Archaeological Exploration of the Upper Grijalva River, Chiapas, Mexico, NWAF 2, 1959, pp. 4-7. Une excellente source donnant un traitement plus approfondi est Robert C. West et John P. Angelli, Middle America: Its Lands and Peoples, 2e éd., Englewood Cliffs, New Jersey, Prentice-Hall, 1976.

[22] Louis-Jacques Dorais, "Some Notes on the Semantics of Eastern Eskimo Localizers”, Anthropological Linguistics 13, 1971, p. 92.

[23] Phil DeVita, "A Partial Investigation of the Spatial Forms of Some Tuamotuan Dialects”, Anthropological Linguistics 13, 1971, pp. 401-20.

[24] Einar Haugen, "The Semantics of Icelandic Orientation”, Word 13, 1957, pp. 447-60.

[25] George L. et Florence H. Trager, "The Cardinal Directions at Taos and Picuris”, Anthropological Linguistics 12, 1970, pp. 31-37.

[26] S. H. Weingarten, "Yam Suf-Yam Ha'adom“, Beth Mikra 48, 1971, pp. 100-104.

[27] P. Cornwall, "On the Location of Dilmun”, American Schools of Oriental Research, Bulletin 103, 1946, p. 8.

[28] Certains ont pensé que le Liahona de Léhi ("1 Ne. 16:101 Néphi 16:10) était un instrument magnétique. Je ne trouve aucune indication convaincante en faveur d’une telle conception. L’excellent traitement qu’en fait Hugh Nibley nous donne une autre image de son fonctionnement: Since Cumorah, Salt Lake City, Deseret Book, 1967, pp. 283-96.

[29] J. E. S. Thompson, Maya Hieroglyphic Writing: An Introduction, éd. rév., Norman, University of Oklahoma Press, 1960, p. 249; idem, Maya History and Religion, Norman, University of Oklahoma Press, 1970, p. 176; Cecelia F. Klein, "Post-Classic Mexican Death Imagery as a Sign of Cyclic Completion”, dans Death and the Afterlife in Pre-Columbian America, dir. de publ. Elizabeth P. Benson, Washington, D.C., Dumbarton Oaks, 1975, pp. 80-81.

[30] Charles E. Osgood, "The Cross-Cultural Generality of Visual-Verbal Synesthetic Tendencies”, Behavioral Science 5, 1960, pp. 146-49; R. Hertz, Death and the Right Hand, Glencoe, Illinois, Free Press, 1960. Remarquez "Mosiah 5:10"Mosiah 5:11"Mosiah 5:12Mosiah 5:10-12.

[31] Munro S. Edmonson, The Book of Counsel: The Popul Vuh of the Quiche Maya of Guatemala, MARI 35, 1971, p. 36. Le classement des couleurs diffère quelque peu dans d’autres régions méso-américaines.

[32] Weingarten, "Yam Suf», p. 103.

[33] Adrian Recinos, Delia Goetz et Sylvanus G. Morley, trads., Popol Vuh, Norman, University of Oklahoma Press, 1950, pp. 68-69, 207.

[34] Evon Z. Vogt, Zinacantan: A Maya Community in the Highlands of Chiapas, Cambridge, Harvard University Press, 1969, p. 602.

[35] Andrew J. McDonald, "The Origin and Nature of Platform Complexes in Southern Chiapas, Mexico", brouillon de thèse de doctorat, University of Texas, p. 80, copie en possession de J. L. Sorenson. Le tableau dressé par Klein renforce la citation de McDonald: "Invariablement . . . le nord était associé à l’est, le sud à l’ouest. En fait, le nord et le sud étaient relativement sans importance dans la pensée méso-américaine et étaient souvent alliés aux points cardinaux plus importants qu’étaient l’est et l’ouest. Le nord partageait ainsi avec l’est les connotations de ciel et d’en haut, tandis que le sud, comme l’ouest, représentait la terre et l’en bas." "Death Imagery” p. 81. La citation de Recinos, Goetz et Morley concernant “l’est” et le “nord” est illuminée par l’explication de Klein. Cette façon d’associer les points cardinaux se retrouve peut-être dans le Livre de Mormon, où Jésus-Christ descend du ciel à Abondance près de la côte est, tandis que les deux villes détruites lors de sa crucifixion, dont l’emplacement est clairement « au sud », étaient Moroni, engloutie, comme il se doit, dans la mer, et Jérusalem, où les eaux se soulèvent pour la recouvrir. L’étonnante coïncidence entre des “faits objectifs” de l’histoire et un modèle structurel a été présentée par Y. T. Radday, "Chiasm in Kings", Linguistica Biblia 31, 1974, pp. 52-67, mais il ne peut pas expliquer cette coïncidence. Il n’est pas plus facile de dire comment des faits objectifs de la géographie peuvent s’accorder avec le modèle spatial conçu par un peuple.

[36] J. E. S. Thompson, dir. de publ.., Thomas Gage's Travels in the New World, Norman, University of Oklahoma Press, 1958, pp. 181, 193-95.

[37] Kenneth G. Hirth, "Transportation Architecture at Xochicalco, Morelos, Mexico", Current Anthropology 23, 1982, p. 322.

[38] J. J. Williams, The Isthmus of Tehuantepec, Being the Results of a Survey for a Railroad to Connect the Atlantic and Pacific Oceans, New York, 1852, pp. 21-35.

[39] Id. Voir aussi Michael D. Coe, "Photogrammatry and the Ecology of Olmec Civilization", discours prononcé devant la Working Conference on Aerial Photography and Anthropology, Cambridge, Massachusetts, 10-12 mai 1969, pp. 8-9. Ce n’est qu’en mars, en avril et au début de mai qu’il y a peu de précipitations. Les cours d’eau commencent à se gonfler rapidement en juin et atteignent la hauteur de la crête entre juillet et septembre, inondant tout le terrain situé plus bas que le contour de 24 mètres dans les environs de San Lorenzo, le site olmèque.

[40] J. N. Washburn a écrit une théorie intéressante décrivant comment Moroni a pu faire un tel voyage: "The Son of Mormon", document non daté qui se trouve à la bibliothèque de BYU. Soit dit en passant, l’ouvrage de J. A. et J. N. Washburn, An Approach to the Study of Book of Mormon Geography, Provo, Utah, New Era Publishing, 1939, est valable comme traitement de la géographie du Livre de Mormon sur la seule base du texte scripturaire uniquement. Cela a été la première étude sérieuse sur le sujet.

[41] "Man Alone", Christian Science Monitor, 1er juin 1967, p. 16.

 

 

 

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