CHAPITRE 2 : UNE MISE AU POINT

 

Notre tâche maintenant consiste essentiellement à comparer. D’une part, nous devons étudier soigneusement et comprendre clairement les aspects du Livre de Mormon que nous désirons comparer. D’autre part, nous devons réunir, passer au crible de manière critique et comparer avec l’Écriture les résultats des recherches des sciences naturelles, de l’archéologie et des disciplines apparentées, qui nous donnent des informations sur les temps anciens. Certaines de ces découvertes approfondiront nos idées concernant le Livre de Mormon. Toutefois, la validité des comparaisons ne peut pas être meilleure que la qualité et la pertinence des données utilisées. Nous devons tout particulièrement nous assurer que nous traitons du bon endroit et de la bonne époque. Le premier chapitre nous a permis de déterminer l’endroit. Nous devons encore envisager deux autres problèmes. Nous devons être aussi certains que possible de ce que le Livre de Mormon nous dit à propos de ces peuples aussi bien que de ce qu’il ne nous dit pas. En même temps, il sera essentiel d’apprendre ce que les sciences ont découvert de certain et ce qu’elles n’ont pas découvert, qui a trait aux temps et aux lieux du Livre de Mormon.

 

LE LIVRE DE MORMON EST…

 

La page de titre du Livre de Mormon dit qu’il constitue les « annales du peuple de Néphi ». Est-ce que cela peut être la même chose que « l’histoire des Indiens américains » comme les saints des derniers jours on parfois appelé le livre ? Le chapitre 1 a rassemblé les passages d’Écriture qui montrent que le récit ne nous donne que l’histoire d’un territoire limité. Les événements d’Amérique qu’il raconte directement se limitent à un espace ayant sans doute 1000 kilomètres de long et 300 de large. Le temps est, lui aussi, restreint, couvrant 3000 ans ou davantage depuis l’arrivée des Jarédites jusqu’au dernier écrit de Moroni. Toutefois, de longues périodes sont passées quasiment sous silence. 62% du Livre de Mormon parlent d’une période particulière de 160 ans (130 av. J.-C. – 30 apr. J.-C.), tandis que les trois siècles suivants ne prennent que 4 pages. Le récit jarédite est encore plus maigre ; plusieurs siècles ne reçoivent pas plus de quelques lignes. Il est certain que nous ne pouvons pas qualifier une histoire aussi concise d’ « histoire des Indiens américains ». Même pour « le peuple de Néphi », on ne peut guère le considérer comme une histoire.

 

Ce que la plupart des gens entendent par le mot histoire, c’est l’enregistrement ordonné d’événements importants affectant un peuple ou une nation, et cependant le Livre de Mormon contient essentiellement des sermons, des lettres et d’autres écrits à but religieux. Tout cela se rattache à un système chronologique que beaucoup de lecteurs n’arrivent pas vraiment à démêler. Du point de vue de l’historien, il y a des lacunes chronologiques et autres majeures. Par exemple, dans le livre d’Éther, les annales jarédites, le personnage principal au début est « le frère de Jared », et pourtant, dans tout le reste du récit, on n’identifie qu’un seul de ses descendants (Éther 12:18), et même celui-là est présenté comme un intrus parmi les souverains. C’est vraiment quelque chose de bizarre comme histoire. On trouve une situation à peu près analogue dans les annales néphites où l’on nous dit que le peuple de Zarahemla était plus nombreux que les Néphites descendant de Léhi (Mosiah 25:2), après quoi l’on ne trouve plus rien de conséquent sur cette majorité. Quelle sorte d’histoire est-ce là ? La réponse : c’est l’histoire d’une lignée.

 

LE LIVRE DE MORMON EST L’HISTOIRE D’UNE LIGNEE

 

Nous utilisons ici le mot lignée pour désigner un groupe de personnes se réclamant d’un ancêtre commun et utilisant cette descendance commune comme base de son identité sociale. Des élites dominantes organisées sur cette base ont existé dans l’Amérique préhispanique tout comme en Europe (« la maison de untel ») et dans une grande partie du monde. Le Dr Robert Carmack, spécialiste des documents autochtones, a montré que sur les plateaux du Guatemala, chacun des grands « groupes familiaux politiques » de peuples Quiché qui dominaient cette région à l’arrivée des Espagnols possédait sa propre histoire écrite. Des savants et prêtres spécialistes tenaient ou interprétaient les annales. Les livres ou codex eux-mêmes servaient de symbole du pouvoir des souverains, qui les exposaient publiquement avec cérémonial et vénération et en faisaient lire des parties à leurs sujets. On consultait ces documents pour régler les questions d’histoire et d’administration publique et l’on s’en servait pour prédire l’avenir. Ils racontaient l’histoire originelle officielle du groupe tout en conférant aussi de la légitimité et de la sainteté aux souverains. Les livres servaient également à expliquer l’ordre social existant, justifiant le fait que certains éléments sociaux et ethniques étaient dominants ou asservis au sein de la société et disant pourquoi il y avait coopération ou conflit avec les populations environnantes [1].

 

Le Livre de Mormon se dit l’histoire d’une lignée de ce genre, car on y trouve de nombreux passages montrant qu’on s’en servait et qu’on le considérait comme indiqué plus haut. Néphi, fondateur de la lignée, dit, à la première page du livre, que c’était le récit personnel des actes de sa vie, fait selon sa connaissance et de sa propre main (voir 1 Néphi 1:3). Dès que Néphi devint gouverneur d’une partie des descendants de Léhi, ses annales personnelles devinrent en fait les annales de son règne sur le peuple (2 Néphi 5:33; Jacob 7:26).

 

À partir de ce moment-là, ses successeurs, qui étaient ses descendants directs, continuèrent à porter des inscriptions dans le récit grandissant (Jacob 1:2-3, 9-20 ; Omni 1:11 ; Mosiah 7:2 ; 25:13 ; 28:10-11, 20 ; Alma 63:1 ; Hélaman 3:37; 3 Néphi 1:2; 5:20 ; Mormon 1:1-5 ; 6:6). Les annales de cette lignée de souverains étaient tenues sur « les plaques de Néphi » et constituaient le récit officiel des événements notables de son règne. Mormon finit par abréger et condenser les annales complètes de son lignage, c’est-à-dire la lignée de Néphi (Mormon 6:6; 8:13). Mais la tenue des « petites plaques de Néphi », qui devaient être consacrées à des textes sacrés, fut confiée à la lignée de Jacob, frère de Néphi, qui fut désigné par Néphi comme premier grand prêtre du groupe — (2 Néphi 5:26 ; Jacob 1:1-3, 7:27 ; Jarom 1:1, 14-15 ; Omni 1:3-4, 8-12, 23, 25, 30.)

 

La possession d’annales sacrées était une source de prestige et une démonstration de l’autorité reçue pour régner parmi les descendants de Léhi (Omni 1:14, 17-19; Énos 1:14, 20; Mosiah 1:2, 6, 15-16; 10:15-16).  Les documents étaient périodiquement exposés et lus à la population (Mosiah 6:3 était de toute évidence une exposition publique de ce genre qui concernait les annales mentionnées dans Mosiah 1:16; comparer avec 3 Néphi 23:8). Les plaques justifiaient clairement la souveraineté de la lignée de Néphi par rapport à n’importe quelle autre. Les récits historiques concernant les relations entre les Néphites et les Lamanites — de longues explications sur la façon dont chaque groupe s’est retrouvé dans la situation qu’il occupait historiquement —  sont une préoccupation majeure du Livre de Mormon. La plus grande partie de 1 Néphi dans notre volume actuel est consacrée à l’histoire de l’origine néphite. Nous savons ainsi que la plupart des caractéristiques des histoires de lignée du Guatemala décrites par Carmack valent aussi pour ce récit de la lignée de Néphi.

 

Les annales des Jarédites sont de la même veine. Cela ressort parfaitement de la généalogie que nous trouvons dans Éther 1:6-32. 

 

Certains des dirigeants mentionnés étaient des rois et d’autres des candidats au trône, mais tous appartenaient à la lignée de Jared. Les descendants de Jared détenaient le droit à la souveraineté (Éther 6:22-25), comme c’était le cas des descendants de Néphi — la lignée dirigeante —  qui tenaient les annales officielles à une époque beaucoup plus tardive. D’autre part, c’était le frère de Jared qui détenait la fonction prophétique (sacerdotale ?) et avait même désapprouvé l’idée de la royauté. Il ne faut donc pas s’étonner que ses descendants soient ignorés pour la plupart dans les annales dynastiques que nous avons grâce à Éther. C’est ainsi que Éther 10:30-31 nous dit qu’après qu’un roi appelé Hearthom eut gouverné pendant 24 ans, le royaume « lui fut ôté » — de toute évidence par une autre lignée, étant donné que le nom du nouveau roi n’apparaît même pas dans le récit de la lignée de Jared. Après quoi Heth, Aaron, Amnigaddah, et Coriantum, de la lignée Jared-Éther, passèrent tous leur vie en captivité. Pendant ce temps-là, la souveraineté demeura de toute évidence entre les mains d’une autre lignée, soit celle du frère de Jared, soit celle d’une autre descendance (Éther 2:1).

 

« L’histoire » tenue par une lignée n’est, bien entendu, pas le récit exhaustif de tout ce qui se passe dans la région. C’est plutôt comme l’histoire d’Abraham dans la Bible. Ce récit ne se préoccupait fondamentalement que des affaires de son groupe familial et il ne parle des autres qu’au passage (par exemple, dans Genèse 23). On peut aussi faire une comparaison avec une histoire familiale. On n’y trouve que les événements notables d’une certaine sorte et la plupart d’entre eux ne sont mentionnés que brièvement. Par exemple, si certaines familles mormones avaient tenu leurs annales de ce qu’elles ont vécu au Missouri à la fin des années 1830, réfléchissez à l’impossibilité de construire plus tard l’histoire du Missouri à partir de ces récits. Ceux qui ont tenu les annales de Néphi et de Jared n’ont rien noté d’autre qu’une partie sélectionnée des événements dont eux-mêmes ont été informés. C’est de toute évidence la raison pour laquelle l’Écriture néphite est si silencieuse sur « le peuple de Zarahemla ». Il est mentionné lorsque sa présence influence occasionnellement le destin de la lignée de Néphi gouvernée par les « Néphis » ou rois, mais nous aurions besoin des annales du peuple de Zarahemla si nous voulions apprendre quelque chose  d’important sur son histoire.

 

Il y a une autre chose très importante à propos de la nature des annales néphites. Tous ceux qui les ont tenues appartenaient à la classe puissante et riche de la société. Nous devons garder à l’esprit que dans les civilisations archaïques comme celles de l’Égypte ou des Néphites d’Amérique, la plupart des gens étaient illettrés. La difficulté de devenir compétent dans le système d’écriture difficile employé sur les plaques est soulignée. Le roi Benjamin dit expressément qu’il « instruisit [ses fils princiers] dans toute la langue de ses pères, afin qu’ils devinssent ainsi des hommes pleins de jugement » (Mosiah 1:3). Il est clair que c’était un exploit peu ordinaire et digne d’être noté que de maîtriser le système d’écriture. Moroni confirme que cette maîtrise était difficile quand il se plaint de ce que le Seigneur n’avait pas rendu les Néphites « puissants à écrire » (Éther 12:23). L’instruction basée sur l’écriture prenait beaucoup de temps et par conséquent était coûteuse : « Les uns étaient ignorants à cause de leur pauvreté, les autres recevaient une grande instruction à cause de leur richesse » (3 Néphi 6:12). En d’autres termes, seuls les couches socio-économiques supérieures de la société avaient normalement cette chance. Étant donné ce qu’ils étaient, nous nous attendons à ce que les auteurs de l’histoire se préoccupent de grandes questions dynastiques, concernant la capitale ou sacerdotales. Ce n’est que rarement que nous trouvons des faits relatifs aux gens du commun.

 

Le fait d’avoir ces précisions à l’esprit nous permet de démêler plus facilement quelques problèmes dans le Livre de Mormon. L’étude soigneuse du terme Néphites, par exemple, montre que ce nom est utilisé avec six significations au moins :

 

1. La lignée proprement dite de Néphi (Jacob 1:13-14; Mosiah 25:12 ; Alma 3:17 ; probablement 43:14).

2. Dans un sens plus étroit, une élite régnante, composée des rois portant le titre « Néphi » et leur parenté (vraisemblablement la branche aînée de la première catégorie) (Jacob 1:11; comparez avec « néphite » dans l’expression intéressante « peuple néphite », comme dans Alma 54:14 ;  Hélaman 1:1 ; Moroni 8:27).

3. Tous ceux qui étaient valablement gouvernés par les « Néphis » (Jacob 1:10-14 ; Mosiah 25:13 ; Mormon 1:8-9). (Les deux Mosiah et Benjamin continuèrent la « charte » de la royauté détenue par les « Néphis » ; les « juges » ou « gouverneurs » qui succédèrent à Mosiah le Jeune étaient certainement légitimés par le fait que Mosiah leur avait transféré la même autorité, si pas le titre.)

4. Ceux qui croyaient à un ensemble bien déterminé de pratiques et de croyances religieuses (Alma 48:9-10; 54:10; 4 Néphi 1:36-37).

5. Ceux qui observaient une tradition culturelle (2 Néphi 5:6; 9-17; Jacob 3 ; Énos 1:20-23; Jarom 1:4-10 ; Hélaman 3:16). 

6. Un groupe ethnique ou « racial » (1 Néphi  12:19; 23; 2 Néphi 5:21-23; Jacob 3:5 ; Alma ; 55:4, 8).

 

Parfois les Néphites sont qualifiés de nombreux au sens de la troisième signification; à d’autres endroits, c’est du premier sens qu’il s’agit, auquel cas la population impliquée serait, on le comprend, plus petite (Alma 43:13 ?). Les distinctions étaient certainement parfaitement claires pour ceux qui tenaient les annales quand ils écrivaient, et d’habitude le contexte montre de quel sens il s’agit.

 

Le même principe s’applique aux « Lamanites ». Quand « les Zoramites devinrent Lamanites » (Alma 43:4), par exemple, cela ne signifie pas qu’ils adoptèrent de nouvelles caractéristiques biologiques, mais simplement qu’ils changèrent d’allégeance politique.

 

Toutes ces données reviennent à dire que le Livre de Mormon est un enregistrement partiel d’événements, mettant l’accent sur ce qui arrivait à un groupe de personnes, exprimé en ses propres termes ethnocentriques, au milieu d’autres peuples, qui avaient chacun leur version des événements. Il ressemble ainsi beaucoup à d’autres annales du passé ancien. Les Israélites, de Joseph à Moïse, tenaient une grande place dans leur propre récit, qui nous est parvenu par l’intermédiaire de Moïse, mais dans les documents égyptiens, Israël n’est apparemment même pas mentionné. De même, le Popol Vuh, un document de lignée provenant des plateaux du Guatemala, décrit des groupes de langue nahua qui entrèrent dans le pays vers le 13è siècle et soumirent la population maya locale, numériquement supérieure. Les indigènes sont pour ainsi dire ignorés dans le récit. Et pourtant, à l’époque espagnole, on ne pouvait plus détecter que des traces infimes de la langue et une poignée de traits culturels des intrus. Ils finirent par se trouver culturellement engloutis par la population de base qu’ils avaient conquise [2]. Dans un cas semblable, M. K. Freddolino, comparant une histoire traditionnelle de la région tarascane de l’ouest du Mexique avec les données archéologiques, ne trouva, dans les fouilles, aucune indication de la présence d’un groupe d’immigrants, comme le rapportait la tradition. Elle ne put qu’en conclure que si l’histoire a pu être exacte du point de vue de l’élite que constituaient ces intrus, la tradition que cette élite a transmise n’a pas reflété le cours général des événements de la région géographique dans laquelle elle était entrée et n’a certainement eu aucun impact visible sur les données archéologiques [3]. Bien entendu, la fin de la lignée néphite à Cumorah, quoique impliquant un grand nombre de ses sujets, est présentée comme étant la fin de l’histoire de ladite lignée, et d’une manière beaucoup plus spectaculaire qu’on pourrait le croire de l’extérieur. Moroni rapporte de manière laconique qu’il y avait beaucoup de Lamanites et de brigands, qui luttaient les uns contre les autres, mais que ce n’était pas une consolation pour lui, étant donné que son peuple était parti, car « mon père a été tué… et toute ma parenté, et je n’ai pas d’amis, ni où aller » (Mormon 8:5, 8-9). Les annales prirent fin parce que la lignée prenait fin, pas parce qu’une civilisation entière avait cessé d’exister (voir Moroni 9:20, 24). La différence est importante si nous voulons rattacher avec précision l’ouvrage aux données archéologiques.

 

LES PARTICULARITES CULTURELLES ET LES ECRITURES

 

Tout ce que l'on dit est formulé dans un contexte culturel, ce qui implique l’utilisation d’un certain  vocabulaire, de certaines expériences, de certains symboles et d’idées reçues. Et c’est essentiel dans le même sens que quand on a besoin d’un récipient d’une sorte ou d’une autre pour apporter de l’eau à quelqu’un qui a soif. Quand le Christ a donné ses enseignements aux Juifs de son vivant, il a parlé de brebis et de bergeries, de vignes et de pressoirs, de dettes et de prison, de chameaux et de chèvres. La signification de ce qu’il disait parvenait à l’esprit de ses auditeurs comme un contenu véhiculé par les symboles linguistiques et visuels qu’il utilisait. Néphi se rendait compte que le message transmis par les prophètes juifs avait un caractère culturel qui leur était propre : « Voici, Ésaïe a dit beaucoup de choses qui étaient difficiles à comprendre pour beaucoup parmi mon peuple ; car il ne connaît pas la manière de prophétiser parmi les Juifs. Car moi, Néphi, je ne leur ai pas enseigné beaucoup de choses concernant la manière des Juifs » (2 Néphi 25:1-2). Mais il dit à propos de lui-même : « Je suis sorti de Jérusalem, et mes yeux ont vu les choses des Juifs, et je sais que les Juifs, eux, comprennent les choses des prophètes, et il n’y a aucun autre peuple qui comprend les choses qui ont été dites aux Juifs aussi bien qu’eux, s’il n’est instruit à la manière des choses des Juifs » (verset 5). Ce qu'il nous dit ici, c'est que la meilleure manière de communiquer les vérités de l'Évangile est de le faire en des termes qui sont propres à sa culture, et que nous risquons de ne pas comprendre pleinement ce qui nous est communiqué si nous n’apprenons pas le système de significations qui est le véhicule du message. Le Livre de Mormon a son propre ensemble de récipients néphites dans lesquels « l’eau vive » nous est offerte. Nous pouvons absorber une partie de la parole en termes généraux, mais pour boire en profondeur, la meilleure chose à faire est d'utiliser le récipient d’origine.

 

Les saints des derniers jours ont longtemps pensé que l'Écriture américaine ancienne devait être lue comme si c'était la Bible. Sur cette base, nous avons supposé, sans beaucoup réfléchir à la question, que le Livre de Mormon allait manifester des caractéristiques de style et un contexte culturel hébraïques (israélites). Certains de nos spécialistes ont effectivement trouvé des parallèles instructifs entre les cultures israélite et égyptienne d'une part et le style et le contenu du livre d'autre part [4]. Pourtant l'histoire néphite se situe essentiellement en Amérique. Le cadre fourni par le Nouveau Monde devait certainement avoir un impact au moins aussi immédiat et aussi fort sur le texte scripturaire que tout ce qui venait du Vieux Monde. Pour pouvoir finalement comprendre ce que le livre est et n'est pas, nous devons voir comment il a été façonné dans sa patrie américaine et pas seulement au Proche-Orient.

 

Quand il a traduit le texte du Livre de Mormon, Joseph Smith l’a tout naturellement formulé en des termes rappelant la Bible. La formulation dont Joseph disposait, qui lui semblait, à lui et à ses contemporains, « scripturaire », avait de toute évidence pour origine sa connaissance de la Bible. Toutefois, certains éléments stylistiques du texte révèlent nettement des formes propres au Proche-Orient antique et pas simplement la main ou l'esprit de Joseph [5]. Un jour, quand nous en saurons davantage sur la manière de s'exprimer des Américains anciens, nous pourrons détecter des ressemblances entre cette Écriture et d'autres textes produits par les peuples anciens d'Amérique, mais actuellement ce genre de comparaison est impossible. On peut cependant faire un autre type de comparaison. Il s'agit de contenu, pas de style. Des ensembles d'idées et de symboles utilisés dans le Livre de Mormon se révèlent être très semblables aussi bien à ceux des codex ou livres de la Mésoamérique ancienne, qu’à ce qui se produisait dans les cultures du Proche-Orient ancien. En bref, on peut considérer le Livre de Mormon comme un pont entre les deux régions culturelles qu’il mentionne, exactement comme il le propose.

 

À l’époque où il aidait Joseph Smith à la traduction du Livre de Mormon, Martin Harris porta un exemplaire d'une partie des caractères qui se trouvaient sur les plaques d'or au professeur Charles Anthon, de l'université de Columbia, pour voir s'il se porterait garant qu'ils étaient anciens. Le récit fait par Harris de sa rencontre avec le professeur est bien connu des saints des derniers jours [6]. Quelques années plus tard, Anthon écrivit à des détracteurs de Joseph Smith ses propres souvenirs de l'événement. À propos des caractères qui se trouvaient sur le papier apporté par Martin Harris, le professeur dit qu'ils étaient en colonnes « de toute évidence copiés sur le zodiaque mexicain [7] ». Cela a été confirmé à notre époque par la découverte, en 1980, d'un document écrit de la main même de Joseph Smith, qui montre effectivement des caractères en colonnes, apparemment la feuille de papier même que Martin Harris a montrée à Anthon.

 

Il y a des raisons de penser que les plaques d'or pourraient être considérées comme une sorte de codex mésoaméricain. Un grand nombre de concepts et d'images que l'on trouve dans le Livre de Mormon ressemblent à ce à quoi on peut s'attendre dans un livre ancien provenant du Mexique. L'existence de tels parallèles est fort importante à cause de ce qu'elle laisse entendre concernant l'histoire des contacts entre le Vieux et le Nouveau Monde. Une chose plus importante pour ce qui nous occupe en ce moment, c'est que nous apprenons que le Livre de Mormon doit encore contenir beaucoup de choses que les hommes modernes n'ont pas saisies parce qu'elles sont présentées en termes d'une conception du monde qui nous est étrangère. Pour donner un aperçu de la pensée néphite,  je fais ci-après un résumé de ce que j'ai traité en détail ailleurs [8]. Les phénomènes cités dans l'exposé qui suit sont presque tous communs à trois sources : le Livre de Mormon (comme l'indiquent les versets cités dans l'étude que j'ai faite [9]), les croyances mésoaméricaines et la pensée du Proche-Orient à l'époque de l'Ancien Testament.

 

UNE VISION COMMUNE

 

Les cieux et la terre sont constitués de couches : des niveaux multiples en haut, la surface de la terre au niveau intermédiaire et le monde inférieur sous la surface. Les collines naturelles et artificielles sont des points de contact avec les couches supérieures ; les cavernes et les trous d’eau relient au monde inférieur. Le lion (le jaguar en Mésoamérique), une divinité de la nuit et des enfers, représente le soleil dans son aspect nocturne. Le lion est craint, respecté et envié.

 

Sous la surface se trouve la région de la mort et des ténèbres. Certains des morts connaissant un paradis qui leur assure une existence postmortelle sans souffrance. Un hadès assure le châtiment des autres. Sous la surface se trouve un océan d'eau primordiale qui peut se déverser sur la surface en sortant d'une caverne ou d'un trou quand une brèche est faite dans la montagne artificielle qui couvre l'endroit. Bien que l'eau souterraine puisse être synonyme du mal, elle peut aussi être considérée comme « pure » ou « sacrée ». Un monstre (monstre terrestre, dragon, crocodile, léviathan) habite ces eaux. Il a été soumis par la puissance divine dans un grand combat dans les temps anciens. Le symbole d'un vase qui déborde, dont le liquide se répartit en deux ou quatre cours d’eau est lié à l'idée du jaillissement des eaux ; ce symbole est également lié à la Voie lactée, perçue comme un fleuve. À l'époque légendaire, un déluge catastrophique a eu lieu, qui a détruit tous les hommes sauf une poignée. L'histoire du monde est divisée en une série d'époques, chacune débouchant sur une catastrophe majeure, dont le déluge.

 

Les montagnes sont des lieux sacrés, la demeure de Dieu, dont le nom contient souvent le terme « montagne ». Cette divinité maîtrise la pluie, les nuages et l’éclair. Les ancêtres décédés et les dieux se réunissent sur une montagne sacrée, où ils décident périodiquement de la destinée de l’humanité. Un havre sur ou à l'intérieur d'une montagne reçoit les esprits des bienheureux. Les montagnes réelles ou leurs représentations artificielles étant des points de contact, les hommes y supplient la divinité, font des offrandes, reçoivent des apparitions, érigent des sanctuaires ou des temples, enterrent les morts et ainsi de suite. Le fait de monter sur une de ces montagnes ou tumulus symbolise l'ascension aux cieux. Les tumulus sont périodiquement agrandis et réaménagés.

 

Il est extrêmement important d’honorer les ancêtres. La descendance de père à fils est le principe central de l’organisation par parenté. On honore les ancêtres en les enterrant avec déférence, souvent dans une tombe, qui peut être réutilisée pour enterrer d’autres membres de la lignée. On érige des stèles commémoratives, (de grandes pierres verticales) près des collines et des tombes. Les pierres peuvent être alignées dans le but de faire des observations astronomiques. Sept lignées sont considérées comme primordiales dans l’histoire des origines du peuple. Le chiffre sept a lui-même une importance sacrée.

 

Les trous d’eau, les lacs, les cavernes humides et les autres sources d’eau sont sacrés, essentiellement à cause de leur lien présumé avec les eaux situées en dessous de la terre. Dans la pensée, les serpents ou d’autres reptiles sont associés à ces endroits humides. Le serpent volant ou élevé est un symbole bienfaisant de la divinité. Cet être a du pouvoir sur la pluie et la sécheresse et par conséquent sur la fertilité ou la famine.

 

Le monde est conçu comme divisé en quatre quartiers, et chaque grande direction est liée à une couleur symbolique. L’orientation première est vers l’est, comme si l’observateur était tourné dans cette direction. Le sud est alors considéré comme étant « à droite », tandis que le nord est « à gauche ». Le côté nord est considéré comme maudit, de mauvaise augure, maléfique. Le fait que le soleil se lève à l’est, surtout lors des solstices, a une importance sacrée. Les centres cérémoniels sont appelés « nombril du monde ». Des assemblées périodiques d’adorateurs ont lieu dans ces endroits sacrés.

 

La maladie est considérée comme un produit du péché ; la guérison peut résulter de la suppression des effets de la transgression par la confession. On connaît et pratique une forme de baptême, de même que la circoncision. On connaît un complexe sacrificiel important, notamment l’holocauste d’animaux. On connaît aussi les sacrifices humains et le cannibalisme est un élément rituel également pratiqué à l’occasion. Il arrive que l’on prenne des trophées humains. D’autres rites sont le repas sacré et le jeûne.

 

On construisait les temples selon le principe de sections intérieurs progressivement plus sacrées et de l’alignement sur le soleil, la lune, les planètes et les étoiles. Les autels sont constitués d’un socle en forme de marches, dont les couches en terrasse symbolisent les couches du cosmos. On utilisait aussi des encensoirs avec et sans cornes, des idoles et des petites figurines dont on ne connaît pas le but avec précision. Le système symbolique comprend aussi des créatures sacrées composites, mi-hommes, mi-animales, comme les quadrupèdes ailés (chérubins). Un élément également important est l’arbre, en particulier l’arbre de vie avec son précieux fruit. Divers peuples sont considérés comme provenant d’arbres et comme symbolisés par eux.

 

Cette liste est déjà impressionnante, pourtant elle pourrait être considérablement allongée. Ces idées faisaient partie du système de pensée ou conception du monde des Néphites, dont une grande partie était apparemment proche de la pensée mésoaméricaine et de la pensée ancienne de l'Asie occidentale. Le fait que ces manières de penser et de s'exprimer, dont beaucoup nous paraissent étranges, soient communes au Livre de Mormon et aux régions auxquelles il se rattache ne signifie pas que les conceptions du monde correspondent sur tous les points. Il y a des différences. Après tout, des prophètes tels qu’Ézéchiel, dans l'Ancien Testament, ont utilisé une grande partie de ces symbolismes et pourtant nous savons que les croyances et les pratiques israélites différaient considérablement de celles qui étaient courantes au Proche-Orient. Le livre néphite a, lui aussi, une langue et des idées qui lui sont propres. Nous ne nous attendrions pas à ce que le Livre de Mormon soit totalement mésoaméricain ou totalement proche-oriental ; néanmoins, la mesure dans laquelle il s'intègre dans ces traditions culturelles est remarquable et logique par rapport à ce qu'il dit de lui-même.

 

Nous pouvons dire, en résumé, que le Livre de Mormon est la traduction de l'histoire d'une longue lignée, qui trouve son origine dans les pays bibliques et a des racines israélites. Ses représentants ont traversé l'océan vers la Mésoamérique et ils ont eu une carrière d'environ mille ans avant que leur entité sociale et culturelle ne s’éteigne. Comme histoire de lignée, le livre ne prétend pas raconter tout ce qui s'est produit parmi toutes les populations qui ont été en contact avec le groupe qui tenait les annales, pas plus qu'il ne parle de beaucoup d'aspects courants de la vie. La puissance et la gloire de la lignée, que les historiens attribuaient à l'aide et à la faveur divines, et ses problèmes, censés être dus aux péchés du peuple, sont les préoccupations centrales. Le récit est formulé dans les termes d'un langage, d'un ensemble de concepts et d'une vision du monde qui ont beaucoup de caractéristiques en commun avec le Proche-Orient d'où la lignée et provient et avec la Mésoamérique, patrie de la lignée dans le Nouveau Monde.

 

Sachant cela, nous sommes mieux en mesure d'évaluer les choses dont traitent les annales et ce sur quoi elles sont silencieuses. Nous sommes également davantage en mesure de les comparer avec les découvertes des chercheurs de l’extérieur. Il y a, toutefois, deux facettes à toute comparaison, de sorte que nous devons maintenant examiner la nature de l'information de l'autre côté de l'équation historique. Voyons comment l'étude scientifique et les recherches spécialisées obtiennent des résultats et à quel point ces résultats sont fiables.

 

COMMENT ON EN APPREND SUR LA VIE D’AUTREFOIS

 

La manière idéale d’en apprendre sur un peuple d'autrefois serait de trouver un groupe encore vivant qui aurait conservé telles quelles les coutumes de ses ancêtres. C'est bien entendu impossible, mais la pensée est tentante parce qu'il y a un fossé tellement énorme entre ce que nous sommes en mesure d'apprendre auprès des personnes en vie et le peu de choses que nous pouvons glaner dans ce qui nous reste des temps passés. Il y a des années, l'anthropologue Julian Steward a étudié les Indiens Paiute du Nevada de ces deux manières contrastantes. Il a commencé par recueillir le plus d’informations possibles auprès des survivants en posant des questions et en observant. Ensuite, il a comparé ses résultats avec ce que l'archéologie révélait en faisant des fouilles dans les sites paiutes. Son travail auprès des vivants a dégagé près de 1400 éléments (et c'est là une des plus simples de toutes les sociétés qui se prolongent à notre époque), les recherches archéologiques n'ont révélé que 40 de ces éléments [10].

 

La plupart les sociétés indigènes descendant des peuples du Livre de Mormon ont été profondément modifiées par les événements qui se sont produits entre l'époque de la disparition des Néphites (IVe siècle apr. J.-C.) et l'arrivée des conquérants espagnols. Après l’année 1519, quand Cortez a commencé la destruction de l'empire aztèque au Mexique, les changements révolutionnaires sont devenus monnaie courante. Comme Néphi l'avait prédit des millénaires auparavant, les « nombreuses multitudes » des descendants de son père ont été dispersées devant les gentils et frappées (1 Néphi 13:14), principalement par les Espagnols et plus tard par les Yankees. Toutefois, dans les régions isolées, l'influence européenne est restée limitée et des parties importantes du mode de vie préhispanique ont été conservées.

 

Un exemple instructif est le peuple de Zinacantan, une communauté dans le sud du Mexique dans la région identifiée au chapitre 1 comme étant le pays étendu de Zarahemla. Evon Z. Vogt, anthropologue de Harvard, et beaucoup de ses collègues ont étudié pendant des années ce peuple de langue maya qui habite dans une vallée des montagnes du Chiapas. Les chercheurs ont découvert une forme de culture qui était restée ordonnée et complète en dépit d'une certaine contamination par les modes de vie des colons espagnols et des Mexicains. Beaucoup d'idées préhispaniques s’étaient conservées. Même les quelques éléments apportés par les Espagnols qui sont devenus assez importants – les outils de métal, le rhum de canne à sucre, les poules, les croix de bois, le rite du baptême, les saints catholiques – ont étés intégrés si complètement aux coutumes indigènes que leur origine européenne a été oubliée [11]. Bien entendu, cela ne veut pas dire que ces gens vivent exactement comme leurs ancêtres, mais un grand nombre d’éléments de la mosaïque de leur vie ont été conservés. Certaines de leurs croyances semblent se rattacher à ce que nous savions déjà des anciens Mayas.

 

Une deuxième source capitale de renseignements, ce sont les récits qui nous ont été laissés par les anciens auteurs espagnols et les Indiens auxquels ils ont appris à lire et à écrire. Cette source nous parle de beaucoup d’aspects de la vie mésoaméricaine qui n’ont été conservés chez aucun des groupes qui survivent aujourd’hui. De bons exemples de documents espagnols clefs sont l’histoire du Yucatan par l’évêque Diego de Landa et les livres superbes sur le centre du Mexique par le père Bernardino de Sahagun [12]. Quelques récits traditionnels nous ont été transmis par des descendants de la noblesse d’avant la conquête et une poignée de manuscrits précolombiens véritables ont également survécu, bien que les prêtres espagnols en aient brûlé un très grand nombre d’autres.

 

Le tout gros des renseignements sur la vie dans le passé nous vient des archéologues. Ils mettent souvent à jour des preuves physiques incontestables d’aliments, d’outils et de techniques utilisés dans le passé. Par exemple, on a trouvé si souvent des spécimens de maïs, de haricots, et de courges que nous savons qu’ils constituaient un élément courant du régime il y a longtemps au même titre qu’à l’époque moderne. Les absences systématiques se transforment aussi en faits probables. Par exemple, on n’a trouvé nulle part en Amérique d'indications qu'on ait utilisé de la farine sous forme de pains cuits. Il est tout à fait certain que ces gens d'autrefois n'utilisaient pas le pain levé que nous connaissons, mais des gâteaux plats sans levain.

 

Les savants ont pu dégager les relations commerciales existant entre les sociétés d'autrefois en étudiant l'obsidienne ou verre volcanique. Les bords coupants comme un rasoir de cette matière faisaient qu’elle était très prisée pour couper et gratter. Du fait que chaque affleurement du minerai a une composition chimique qui lui est propre, l'origine d'un objet en obsidienne découvert en un lieu quelconque de la Mésoamérique peut ordinairement être identifiée, même s'il a servi de monnaie d'échange à des centaines de kilomètres de distance. Les déductions que l'on peut faire à partir de telles données nous apprennent beaucoup de choses. Par exemple, au cours d'une certaine période, les outils en obsidienne utilisés dans des sites de la civilisation olmèque dans le centre-sud de l’état de Veracruz venaient presque tous d’une grande coulée volcanique au nord. Plus tard, ce sont des endroits plus éloignés au nord-ouest qui ont fourni une grande partie de l'approvisionnement. La différence a probablement coïncidé avec de nouvelles dispositions politiques qui rendaient la source plus proche inaccessible [13]. Ce genre d'analyse donne un éclairage sur les changements économiques et politiques qui ont affecté l'accès aux ressources. Ensuite, il y a des données sur les ustensiles de cuisine, les ateliers, les armes, les enterrements, les temples et les fortifications, d'après les découvertes directes et d'après l’étude des groupes survivants et des anciens documents. Nous tirons avantage de tous les renseignements de ce genre.

 

Les représentations artistiques ajoutent d'autres détails. Nous pouvons  voir des costumes, des rituels, la façon de faire la guerre et d'autres aspects de la vie d'autrefois que les artistes ont décidé de représenter. Mais la plus grande partie de l'art mésoaméricain était complexe et pleine de symboles exotiques plutôt que de scènes de la vie de tous les jours [14]. De petites figurines d'argile trouvées par milliers (nous ne savons pas exactement à quoi elles servaient) représentent parfois d'autres aspects de la vie.

 

METHODES ARCHEOLOGIQUES

 

On a l'impression que la recherche de ces vestiges matériels du passé humain – le travail de l’archéologie – est quelque chose de direct et de simple, mais ce n'est pas le cas. Les résultats peuvent être précieux, mais il existe aussi des limites sérieuses. Pour apprécier les points forts et les problèmes de ce processus, nous devons examiner quelques principes clefs. L'instrument le plus utile pour déterminer les relations de temps et d’espace est la « stratigraphie ». Pour illustrer le principe, empilez trois livres, un à un. Peut-il y avoir un doute quelconque sur celui que vous avez déposé en premier lieu ? Celui du bas, naturellement. Quelqu'un qui trouve la pile plus tard en tirerait certainement la même conclusion. Ce principe,  la stratigraphie, est illustré par les strates du Grand Canyon. C’est également clair dans une tranchée creusée par un archéologue. Les exceptions au principe sont très rares ; on pourrait croire qu'un tremblement de terre pourrait renverser les couches, mais cela n’arrive pas.

 

Il y a aussi un autre moyen de distinguer les éléments plus anciens des plus récents. Dans un étang, la ride la plus éloignée de l'endroit où l'on a lancé un caillou est la première qui a été formée. De même, la répartition sur une carte d'un élément culturel peut nous donner des renseignements historiques. Habituellement une coutume ou un vestige provient du centre de la région où il a été diffusé plus tard et puisque dans cette région centrale il aura eu plus de temps pour devenir plus complexe, on trouvera plus de variantes dans les environs. C'est en vertu de ce genre de principe géographique que les archéologues sont en mesure de tirer des déductions sur l'origine et la diffusion de styles de poteries, d'architecture et de plantes cultivées.

 

Un troisième moyen de déterminer les rapports de temps et d’espace est la « typologie ». Toute activité culturelle ou objet culturel a des caractéristiques différentes dans les détails de celles que l'on trouve dans des activités ou objets équivalents de date plus ancienne ou plus tardive. Les danses populaires, les formes de cérémoniel, les vêtements ou les bouteilles de verre, tout cela varie de manière constante avec le temps dans des détails stylistique cruciaux. Par exemple, certains jeunes peuvent identifier sans hésitation n'importe quelle moto ou auto qu'ils voient, et peuvent citer la marque, le modèle, l'année de fabrication et d'autres détails d'un seul coup d'œil. Le truc consiste à remarquer les indices révélateurs dépendant de la mode ou de la nouvelle technologie qui change d'année en année – par exemple la carrosserie, la forme des phares, la peinture et le bruit du moteur. Les vestiges conservent les changements d’une culture et constituent une histoire indélébile.

 

La source la plus utile des archéologues pour dater les événements est la poterie. Du fait qu'il était facile de les casser, les assiettes, les pots et les tasses de la vie de tous les jours nécessitaient une fabrication constante. Les potiers apportaient de petits changements dans leur art, souvent sans s'en rendre compte. Certaines de ces tendances entraient dans la mode et se répandaient dans d'autres endroits. À certains moments, une idée ou une technique entièrement nouvelle était inventée, empruntée ou peut-être imposée par des conquérants. Ces modifications de style, surtout lorsqu'on les associe à des données stratigraphiques et à leur distribution, permettent de se faire une idée détaillée et généralement fiable du lieu et du moment où certains peuples et certaines idées ont existé et se sont déplacés de lieu en lieu dans le passé.

 

LA DATATION EN ANNEES

 

Jusqu'à présent le quand, dans notre étude n'a rien signifié de plus que « plus tôt que » ou « plus tard que ». Ces méthodes générales ne nous disent pas il y a combien d'années. Ce que nous souhaitons faire, c'est préciser la date des événements sur notre calendrier.

 

À première vue, les écrits historiques semblent être l'idéal pour cela. Si nous pouvions trouver des documents conservés depuis le passé, qui décrivent avec précision des événements, donnent le nom de populations et attribuent une date à des bâtiments ou à des vestiges, nous résoudrions le problème de la chronologie. Malheureusement, le nombre de documents historiques venant d'un lieu quelconque de l'Amérique qui contiennent de tels renseignements est minime et il est difficile de les interpréter. Nous avons bien des monuments de pierre gravés et quelques codex (livres locaux) de la Mésoamérique. Les habitants de langue maya des plaines du Guatemala et des régions voisines possédaient une connaissance superbe de l'arithmétique des calendriers et ont laissé beaucoup de stèles (monuments de pierre) et d'autres objets sur lesquels des dates ont été inscrites selon le système autochtone. Les savants qui espèrent utiliser ces sources de datation se sont constamment heurtés à deux problèmes. Le premier, c'est qu'il existe différentes interprétations de la façon dont il faut rattacher le système de calendrier maya aux dates européennes. Le deuxième, c'est qu’il faut pouvoir rattacher les informations données sur les objets gravés ou peints aux événements environnants. Par exemple, une date qui apparaît sur un monument se rapporte-t-elle au moment où il a été mis en place, à un événement plus ancien ou à quelque chose dont on attend l'accomplissement dans l'avenir ? Et quels liens, s'il y en a, cela pourrait-il avoir avec les bâtiments proches ? La plupart du temps, nous ne le savons pas.

 

Heureusement, la première difficulté est maintenant pratiquement résolue. Ces dernières années, plusieurs faisceaux de preuves ont montré de plus en plus qu'il est très vraisemblable que l'année 1539 de notre ère contient la date maya écrite sous la forme 11.16.0.0.0 [15]. Si nous supposons que le système de calendrier utilisé lors de la conquête espagnole a été employé de manière continue [16] pendant des millénaires, cela situe à 35 av J.-C. ce qui pourrait être la plus ancienne inscription datée de Mésoamérique [17]. La période allant d'environ 300 à 900 de notre ère a produit des centaines de monuments portant des dates. En outre, plus les recherches avancent, plus on est sûr de relier correctement les objets datés à leur environnement, bien qu'il reste des problèmes. Les études faites ces 15 dernières années ont montré, par exemple, que beaucoup de monuments gravés par les Mayas commémoraient la naissance, le mariage ou le décès de souverains locaux et ces événements peuvent parfois être rattachés directement à de nouveaux bâtiments construits pour marquer ces événements [18].

 

LA DATATION AU CARBONE 14

 

Aussi précieux que soit le calendrier autochtone pour notre étude, il y a trop peu d'objets datés dans trop peu d'endroits et couvrant trop peu de temps pour nous permettre d'en faire le moyen principal d’obtenir une datation absolue. Heureusement,  ces dernières décennies, la physique a mis au point de nouvelles techniques ingénieuses, que l'on peut appliquer au problème. La technique la plus généralement appliquée consiste à utiliser un élément radioactif courant (le carbone 14 ou C-14). Cela marche comme ceci. Tout élément radioactif perd sa radioactivité à une vitesse constante qui lui est propre. Il a été calculé, dans le cas du carbone 14, qu’il faut environ 5.800 ans pour que la moitié de la matière radioactive originelle disparaisse. Tout ce qui est vivant conserve un niveau stable de C-14, qu’il tire de l'atmosphère. À la mort de l'organisme, le carbone radioactif qu'il contient se dégrade à la vitesse fixée, puisqu’il n'est plus remplacé. Si un instrument de contrôle montre que le C-14 d'un spécimen organique – disons un bout de bois – a une radiation de la moitié de celle des êtres vivants, on sait que l'objet testé est mort il y a plus de 5.800 ans. Cette technique permet de dater le charbon de bois d'un foyer et de déterminer ainsi quand le bois utilisé a été coupé, ou nous pouvons calculer l'âge d'un maïs conservé dans un vase et ainsi obtenir une date générale pour la fabrication du vase [19].

 

Comme tous les processus techniques, celui-ci rencontre quelques problèmes. Certains types de matériaux testés ont donné des résultats bizarres. De temps en temps ce sont les instruments ou les techniques de laboratoire qui sont déficients. Parfois l'échantillon testé n'était clairement rattaché à aucun autre objet, de sorte que nous ne pouvons pas être sûrs de ce que la date signifie. Cependant, les dizaines de milliers de datations au C-14 effectuées sur les objets archéologiques au cours des 35 dernières années ont permis aux archéologues d'élaborer une échelle de temps pour les civilisations anciennes qui correspond généralement à ce que nous savons grâce à d'autres méthodes, tout en étant beaucoup plus détaillée. En fait, parmi les premiers objets mesurés par la méthode, il y a eu des morceaux de bois provenant de tombes égyptiennes dont nous connaissions déjà les dates historiques grâce à des documents;  c'est comme cela que le processus a été calibré à l'origine dans notre calendrier.

 

Les recherches continues effectuées, ces dernières années, sur le processus de datation au C-14 en ont amélioré la précision. Une avancée majeure s'est produite lorsque la technique a été combinée avec la datation selon les anneaux des arbres ou « dendrochronologie ». Il y a plus de 50 ans, le Dr A. E. Douglass a noté, à propos des anneaux des arbres, une chose à laquelle la plupart d'entre nous ne pensent pas lorsqu'ils regardent une souche nouvellement coupée. Nous savons tous que les arbres ajoutent habituellement un anneau pour chaque année de leur croissance, et nous pouvons les compter facilement. Douglass a remarqué que chez certaines espèces, certains anneaux étaient beaucoup plus larges ou plus étroits que d'autres et que sur une certaine période ils présentaient une certaine disposition. La succession d'anneaux larges et étroits au cours d'une période donnée, disons de 20 ans, ne se retrouvait jamais exactement dans aucune autre période de 20 ans. Les arbres qui poussaient dans la même région avaient la même séquence d’anneaux, parce que les variations dans de la largeur des anneaux étaient le résultat de variations annuelles dans les précipitations, créant une « empreinte digitale » propre à cette région et à cette période de temps. Douglass découvrit ensuite qu'il pouvait faire chevaucher des segments de temps. Les anneaux d'un arbre que l'on savait avoir été coupé en 1910 pouvaient remonter sur cent ans, mais alors on pouvait trouver les anneaux d'un autre arbre correspondant avec précision aux 30 premières années de ce siècle tout en remontant encore d'une cinquantaine d'années. Grâce à ces chevauchements, on a pu élaborer une succession de séquences distinctives d'anneaux remontant sur bien plus de mille ans [20]. Cette connaissance nous permet de dater, avec une extrême précision, les ruines de Pueblo en déterminant quand les poutres des maisons ont été coupées.

 

Ces dernières années, d'autres chercheurs ont utilisé la datation par les anneaux d'arbres pour déterminer une succession de séquences d'anneaux pour le sapin bristlecone, qui pousse dans l'ouest du Nevada. Ces arbres comptent parmi les plus anciens de tous les végétaux.  Il est arrivé qu'un arbre vive des milliers d'années. Les anneaux de ces sapins ont été utilisés pour créer une séquence remontant sur des milliers d'années. Des échantillons de bois ont été retirés de certains segments d'anneaux de ces sapins. Les centaines d’échantillons d'un âge connu avec certitude ont ensuite été traités par la méthode du C-14. Un morceau de bois formellement daté en comptant les anneaux pourrait, par exemple, avoir 2675 ans. Cependant, en utilisant la méthode du carbone 14, les calculs du temps pourraient ne donner que 2400 ans. Il est clair que la méthode chimique était imprécise, car le comptage des années de l'arbre était incontestable. Maintenant, après des centaines de tests de ce genre, on a mis au point des corrections permettant de déterminer l’imprécision de n’importe quelle date au C-14. Il en résulte que ces tests sont maintenant presque aussi précis que si l’on datait,  en comptant directement des anneaux d’arbres, un nouveau vestige découvert lors de fouilles archéologiques [21].

 

Soit dit en passant, des lectures au carbone 14 ont été effectuées sur des poutres de bâtiments construits par les Mayas et très clairement datés dans leur système de calendrier par des inscriptions gravées sur les poutres. Les dates au carbone 14 et les poutres datées au calendrier (en utilisant la corrélation GMT) correspondent de manière raisonnable.

 

On a élaboré d’autres méthodes techniquement ingénieuses pour dégager des dates en fonction de notre calendrier. L’une d’elles profite de l'hydratation ou de la patine qui se produit sur de l’obsidienne qui reste exposée à l'atmosphère. On fait des mesures microscopiques de l'épaisseur de la couche patinée d’un objet en d'obsidienne. Plus il s’est écoulé de temps depuis le moment où l'obsidienne a été fraîchement taillée et donc exposée à l'air lors de la fabrication de l'outil, plus la patine sombre sur sa surface est épaisse ; et l’on peut convertir cela en années dans notre calendrier [22]. Une autre méthode, l’archéo-magnétisme, dépend de la mesure des changements dans l'orientation du champ magnétique qui entoure la terre. La chaleur d'un feu aligne de manière permanente les molécules se trouvant dans le sol brûlé en dessous du feu sur l'angle des champs magnétiques de force existant à cet endroit et à ce moment-là sur la surface de la terre. Les spécialistes de la terre peuvent calculer l’importance du changement dans l'orientation magnétique au cours des années, de sorte que quand on découvre un bâtiment brûlé ou un foyer utilisé pour la cuisson, on peut comparer l’information involontairement donnée par son angle magnétique « figé » avec l'angle du champ actuel. On peut ainsi calculer le nombre d'années qui se sont écoulées depuis que le feu a brûlé [23]. Ces méthodes ne sont mentionnées que pour donner une idée de l’éventail d’outils que la science a mis à notre disposition pour nous aider à fixer des dates. Toutes donnent des résultats qui s’accordent généralement entre elles. Naturellement, notre confiance en leur précision s’accroît à mesure que les calculs convergent.

 

À l’aide de ces méthodes, les experts ont fixé des dates assez stables pour la plupart des vestiges anciens. Pour la Mésoamérique, les civilisations les plus soigneusement étudiées – celles qui ont suivi le temps du Christ – sont maintenant datées avec des variations potentielles n’excédant pas 50 à 100 ans. Pour les 2000 années précédentes de l’époque d’avant J-C, l’imprécision des dates ne dépasse pas les 200 ans maximum. Mais on pourra encore affiner la technique.

 

L’HISTOIRE DE LA LANGUE

 

Les méthodes dont nous avons parlé jusqu'à présent traitent essentiellement d’objets matériels, mais ce ne sont pas seulement les restes matériels qui donnent un éclairage sur la vie d’autrefois. L'histoire de la langue ajoute des données précieuses au tableau. Voyons comment par un exemple tiré des langues d'Europe occidentale.

 

Il est évident qu’un grand nombre de mots anglais, suédois et allemands sont apparentés.

 

Anglais

Suédois

Allemand

brother

broder

bruder

foot

fot

fuss

door

dörr

tür

day

dag

tag

heart

hjarta

herz

                      

Non seulement il y a des ressemblances orthographiques qui sont claires, mais un grand nombre de différences se produisent selon un procédé régulier. Par exemple, les mots commençant par d en anglais et en suédois ont un t en allemand. Quand on regarde beaucoup d’autres d'exemples, on découvre le grand nombre et la nature systématique de ces rapports.  On peut en déduire que les trois langues avaient une origine commune. À un moment donné du passé, la façon de s’exprimer de ceux qui parlaient la langue ancestrale a changé peu à peu à mesure que les groupes qui la parlaient se sont éloignés les uns des autres. Au cours d'une période très longue, chaque groupe a développé des caractéristiques linguistiques propres en fonction des conditions et des coutumes locales. L’accroissement des distances a dû les empêcher de communiquer la nouvelle façon de parler à leurs anciens voisins. Finalement les changements ont atteint un stade où les uns et les autres n’étaient plus capables de se comprendre.

 

Bien que cette esquisse de la séparation d'une langue jadis unifiée soit simpliste, le principe général a été maintes et maintes fois confirmé par les faits historiques. Une comparaison soigneuse nous permet de reconstituer avec une grande certitude les divisions et les mouvements de groupes de langues.

 

Il est également possible de reconstituer un tableau partiel de la culture de ceux qui parlaient la langue ancestrale. Quand on compare les langues dérivées, on peut dégager des détails culturels pour lesquels chacune a un mot dont on retrouve l’équivalent dans les autres. D'autres objets n’auront peut-être pas de mot dans la moitié des langues tardives, de sorte que nous pourrions dire que les objets en question n’étaient pas présents avant que les ancêtres ne se mettent à se séparer géographiquement et linguistiquement. C’est sur ce genre de base que nous savons qu’en Mésoamérique, ceux qui parlaient le proto-mixe-zoquéen, probablement vers 1500 av. J-C, possédaient les plantes cultivées suivantes : le cacao, la courge, la calebasse, la tomate, le haricot, la patate douce, le plantain, le maïs, la goyave, la papaye, le zapote, le manioc, et le coton. Grâce à cette méthode ingénieuse, nous apprenons des faits importants que l'archéologie ne pourrait probablement jamais récupérer pour nous. Ce qui est encore plus précieux, c’est d’apprendre que la même population ancienne avait des mots pour la danse, l’encens, le métal, la fête, le tabac, jouer la musique, acheter quelque chose, et raboter du bois par exemple [24].

 

Une autre sorte d’étude de la langue nous donne une idée de l’époque à laquelle les langues se sont divisées. On appelle aujourd'hui cette analyse « glottochronologie ». Il y a plus d’une génération, le professeur Morris Swadesh et d’autres ont créé des listes de 100 et 200 mots de vocabulaire de « base » (des mots comme bras, pied, tête, eau, manger) pour les langues dont les documents historiques permettaient d’examiner à quelle vitesse les changements s’étaient produits. Ils ont découvert que l’on pouvait trouver un rythme de changement relativement fixe : 81% de ces mots étaient toujours reconnaissables après mille ans ; il restait ensuite 81% de ces 81% à la fin d’un deuxième cycle de mille ans et ainsi de suite [25]. Ainsi donc, si deux langues ont en commun des racines reconnaissables pour 66% de la liste de base, cela voudrait dire qu’elles se sont séparées mille ans auparavant (une rétention de 81% pour chacune des langues donne le chiffre combiné de 66%). Certains critiques sont contre le fait de se reposer fortement sur des dates calculées de cette manière, mais la méthode à au moins le mérite de déterminer l'ordre correct des divisions successives des langues dérivées. Cela nous donne aussi au moins une idée générale, en années, de l’époque où les divisions ont eu lieu, à laquelle nous pouvons comparer les constatations faites grâce à d'autres méthodes.

 

Considérez un exemple de la lumière que cette méthode jette sur les mouvements anciens. Les langues navajo et apache sont apparentées à près de 50 autres langues d’Amérique du Nord, la plupart d'entre elles loin au nord des endroits où l’on trouve maintenant ces indiens des États du Sud-Ouest. La « souche » linguistique générale, qui comprend la totalité des 50 langues dérivées de ce qui était à un moment donné une langue unique, s’appelle l’athabaskan. Si nous comparons le navajo avec le kutchin, une langue athabaskane parlée en Alaska, nous voyons qu’elles diffèrent entre elles à peu près comme l’anglais diffère de l’allemand. Quand on vérifie le vocabulaire de base, on constate qu’elles ont en commun environ 70% des termes « de base » (par exemple, le navajo « -tsin » et le kutchin « -tsan, » qui veulent touts les deux dire « arbre »). Cela se convertit à environ 850 ans, en suivant le rythme glottochronologique normal, de sorte que vers 1100 apr. J-C., les Kutchins et les Navajos ont commencé à se séparer [26]. D’autres éléments donnent à penser que les premiers Navajos ont atteint la région du Nouveau-Mexique quelques centaines d’années plus tard ; ceci confirme les résultats obtenus en comparant les langues.

 

UNE METHODE COMBINEE

 

Nous avons appris à faire preuve de prudence lors de notre recherche, dans Le Livre de Mormon, d’indices concernant les caractéristiques de ces populations, de peur de prendre pour des réalités nos idées préconçues et nos déductions. Nous avons également vu comment les études spécialisées et scientifiques nous parlent de la vie d’autrefois, même si elles ont une valeur limitée. Compte tenu de cela, notre but est, à partir de maintenant, de tracer, dans les grandes lignes, en Mésoamérique, un environnement géographique, culturel et historique dans lequel les événements, les populations et les affirmations du Livre de Mormon s’intègrent de manière plausible. En cours de route, nous allons faire trois choses : (1) analyser ce que le texte dit, (2) comparer les renseignements fournis par le texte avec les découvertes des études des experts et (3) approfondir la signification des deux groupes de données en les comparant entre eux, augmentant la perception que nous avons de chacun d’eux en voyant comment on peut les concilier.

 

Plus tard nous entrerons dans le menu détail ; en fait, nous allons examiner la géographie locale et les séquences archéologiques dans des sites déterminés. Mais nous allons tout d’abord commencer à un niveau plus général. Il y a trois grandes questions qui viennent tout de suite à l’esprit de beaucoup de gens quand on examine en parallèle le Livre de Mormon et les découvertes scientifiques. Ces trois questions illustrent notre méthode générale. L’une d’elles a trait au langage : Que signifient les passages d’Écriture relatifs à l'utilisation de « l’hébreu » et de « l’égyptien » chez les Néphites ? Deuxièmement, comment pouvons-nous expliquer les caractéristiques raciales des autochtones d’Amérique, habituellement qualifiés de « mongoloïdes » (d’Asie orientale), alors que les Jarédites et les Néphites venaient, selon les annales, du Proche-Orient ? Troisièmement, à la lumière des deux premières questions, les peuples du Livre de Mormon ont-ils trouvé d'autres populations quand ils sont arrivés ?

 

L’HEBREU ET L’EGYPTIEN

 

À l’époque où les  explorateurs européens ont atteint l’Amérique,  on parlait environ 200 langues rien qu’en Mésoamérique, et sept fois plus que cela sur tout le continent américain [27]. Certaines de ces langues étaient aussi éloignées l'une de l'autre que le chinois de l’anglais. On n’y a trouvé ni l’hébreu ni l’égyptien. Cela constitue pour nous un avertissement que nous avons intérêt à lire avec un soin extrême les rares déclarations du Livre de Mormon sur la langue, en particulier celles qui pourraient avoir trait à l'hébreu ou à l'égyptien.

 

          

Partie inférieure de la stèle 10 de Kaminaljuyu (Guatemala) montrant le système d’écriture le plus ancien que l’on connaisse dans le haut Guatemala soit sans doute le deuxième siècle av. J.-C. (d’après Girard, 1962).

 

Néphi commence ses annales en disant : « Je fais ces annales dans la langue de mon père, consistant en la science des Juifs et la langue des Égyptiens » (1 Néphi 1:2). Des savants membres de l’Église ont interprété ce passage de différentes façons [28], mais la signification paraît très claire à la lumière d'autres passages. La « science » dont parle Néphi doit être essentiellement la culture juive de l’époque antérieure à la captivité babylonienne (586 av J-C.). Cela devient évident dans 2 Néphi 25:5 où Néphi fait allusion aux « paroles d’Ésaïe », aux « choses des Juifs » et à « la manière des choses des Juifs ». Il ressort clairement que la connaissance qu’il avait de tout cela remontait à l’époque où il vivait à Jérusalem. Pour pouvoir transmettre clairement une partie importante de cette connaissance culturelle à ses descendants, qui ne connaissaient rien par expérience de la vie juive, il fallait utiliser l’hébreu, langue que lui et eux ont dû employer. Aucune personne bien informée sur le Proche-Orient ne contesterait le fait que la conversation, les discussions et les décisions quotidiennes de la famille de Léhi se faisaient en hébreu dans leur mère patrie, puis, jour après jour, pendant leur fuite à travers l'Arabie et pendant leur voyages jusqu’en Amérique. Il n’y a guère de raison de douter qu’ils aient tenu leurs annales dans la même langue. Si Néphi parlait et écrivait normalement l'hébreu et réfléchissait dans le cadre conceptuel de la culture israélite/juive, qu’a-t-il pu vouloir dire « en parlant de la langue des Égyptiens » ? Moroni nous l’explique : « Nous avons écrit ces annales selon notre connaissance, dans les caractères qui sont appelés parmi nous l'égyptien réformé, transmis et altérés par nous, selon notre manière de parler » (Mormon 9:32, italiques ajoutés). Néphi disait simplement qu'il utilisait des signes égyptiens pour écrire ses textes juifs/hébraïques. Son expression : « la langue des Égyptiens » utilise certainement le mot langue dans le sens donné par le dictionnaire : « Moyen systématique de communiquer des idées ou des sentiments à l’aide de signes conventionnels. » Ce que Néphi nous dit, c’est que le Livre de Mormon, du moins la partie qu’il a écrite, a été formulée en langue hébraïque, était fortement imprégnée de culture juive et a été écrite à l’aide d’un système de caractères égyptiens modifiés. Cette évaluation parait raisonnable, bien que nous ne puissions pas encore être sûrs de tous ces détails.

 

Dans les premiers siècles qui suivent le débarquement de Néphi, aucune indication n’est donnée que la langue hébraïque de son groupe soit devenue une autre langue, mais il est vrai qu’il y a bien peu de détails sur quoi que ce soit pour cette période, de sorte que la possibilité reste. Quand le groupe de réfugiés néphites de Mosiah quitte sa première patrie autour de la ville de Néphi et arrive parmi le peuple de Zarahemla, peu de temps avant 200 av J-C, les deux groupes parlent des langues distinctes (Omni 1:17-18), bien qu’aucune des deux langues ne soit nommée. Sous Benjamin, le roi suivant, les masses non néphites comprenaient la langue que le roi néphite choisit d’utiliser pour son discours (rapporté dans Mosiah 2 à 5 inclus ; voir en particulier Mosiah 2:6) Il parait hautement improbable que les sujets « mulékites », plus nombreux, aient tous appris la langue que Mosiah avait introduite parmi eux une génération plus tôt. À en juger par l'histoire de la plupart des contacts de ce genre, c’est la noblesse, moins nombreuse, qui a dû s’adapter, au moins à la longue. Plus tard, même quand les Néphites et les Lamanites communiquent entre eux (comme dans Alma 17:20-24:30), rien ne semble indiquer qu’il y ait eu un problème de langue ou que l’on ait eu recours à des traducteurs. Cela implique peut-être l’existence une lingua franca. L’Écriture ne dit rien de précis sur tout cela ; en tout cas, Mormon, qui a abrégé les annales, n’a pas jugé nécessaire de l’expliquer. Il est possible que les dirigeants néphites aient continué pendant un certain temps à connaître l'hébreu parlé, mais il est plus difficile de croire que ce genre de connaissance spéciale, réservé à l’élite, ait duré jusqu’à l’époque de Cumorah. Néanmoins le silence des annales empêche de régler la question. Les érudits de l’Église ont trouvé que des éléments distincts de style et de formulation hébraïque apparaissent en filigrane dans la traduction anglaise de Joseph Smith, y compris la partie écrite par Mormon [29]. Mais était-il possible d’exprimer l’hébreu grâce au système d'écriture égyptien ? C’est ce que nous allons devoir examiner.

 

Le système égyptien n'était pas un alphabet. La plupart des hiéroglyphes égyptiens représentaient des concepts entiers. On utilisait aussi des signes représentant des sons – des syllabes et des sons individuels comparables à nos lettres. « Après avoir créé un ensemble de lettres pour les sons principaux de leur langue, les Égyptiens auraient très bien pu abandonner tout le reste de leurs centaines de caractères… Mais pendant trois mille ans ils se sont accrochés à ces caractères multiples, et ont écrit, pêle-mêle, des caractères pictographiques et phonétiques » à cause de la force de la tradition [30]. On a appelé ce type d'écriture le système logographique alphabétique. Ce n’est pas seulement l’écriture égyptienne, mais aussi l’écriture chinoise et l’écriture maya qui entrent dans cette catégorie [31]. Pour lire ces systèmes, il fallait s’acquitter de la tâche difficile d’apprendre la signification de centaines de caractères. C'est ce qui faisait de la maîtrise de ce système un tel problème et aussi un tel exploit. Cela empêchait aussi l’ensemble de la population de savoir lire et écrire. De plus, le système rendait les ambiguïtés inévitables ; puisque le nombre de caractères ne correspondrait  jamais au nombre de mots ou de concepts à représenter, n'importe quel caractère pouvait signifier plusieurs choses. Par exemple, le signe égyptien qui ressemblait à une fleur de lotus était un code représentant le lotus lui-même et le nombre « mille » [32]. Pour déchiffrer un texte, il fallait interpréter les indices fournis par le contexte et par les signes voisins (les « déterminants » ). C’est peut-être pour cela que Moroni se plaint de l'écriture néphite : « Lorsque nous écrivons, nous voyons notre faiblesse et trébuchons à cause de l’arrangement de nos paroles » (Éther 12:23, 25). L'écriture maya manquait de précision pour cette même raison, de sorte que « le lecteur devait avoir une bonne connaissance de la mythologie et du folklore pour comprendre les textes [33] », nous apprend Sir Eric Thompson, expert en maya. (Ce qu'il appelle « mythologie et folklore » c’est en gros ce que Néphi, dans 2 Néphi 25:1-2 et 5, dit qu’il fallait savoir pour comprendre Ésaïe tel qu’il était écrit sur les plaques d’airain.)

 

Le type d'écriture dont nous parlons communiquait principalement des idées en tant que telles, pas des sons ; il n’était donc pas lié à une seule langue. Ainsi, les mêmes caractères sont utilisés dans de nombreux cas par les Chinois, les Japonais et les Vietnamiens, et pourtant ces langues ne sont pas apparentées. En Mésopotamie, les Babyloniens de langue akkadienne ont repris à leur compte l’écriture sumérienne antérieure et l’ont ensuite profondément modifiée et plus tard les Hittites ont emprunté le système, alors qu’aucune de ces trois langues parlées ne ressemblait aux autres [34]. L'écriture cunéiforme ultérieure aurait pu être appelée « sumérien réformé ». Nous voyons même ce principe fonctionner aujourd'hui : les numéraux en « arabe réformé » : 1, 2, 3, 4, et ainsi de suite, sont des caractères connus dans le monde entier. Chacun de ces caractères a le même sens pour des gens qui utilisent des milliers de langues différentes. En principe, c’est exactement le même processus de représentation de concepts par des caractères, sans tenir compte de la langue, qui a pu fonctionner pour les hiéroglyphes égyptiens. En fait, on a trouvé un certain nombre d'exemples en Palestine qui démontrent que l’on utilisait des caractères égyptiens à l’époque de l’Ancien Testament pour écrire la langue hébraïque [35].

 

Nous comprenons ainsi comment les sujets de Zarahemla, les Néphites de Mosiah et même les Lamanites ont pu utiliser le même système d'écriture glyphique appelé « langue de Néphi » (Mosiah 24:4), tout en parlant des langues différentes. De la même façon, les glyphes du système d’écriture « maya » étaient utilisés par des gens parlant plusieurs langues : chol, yucatèque, tzeltal et quiché dans la famille maya, plus d'autres qui n’avaient aucun lien avec elle. 

 

Étant donné que rien de ce qui est dit ou sous-entendu dans le Livre de Mormon sur les caractères de « l’égyptien réformé » ne porte à croire que l’égyptien était parlé dans la terre promise néphite, nous n'avons aucune raison de nous attendre à ce que des savants trouvent des traces de langue égyptienne dans le Nouveau Monde. Il est certain que les linguistes travaillant en Mésoamérique n’en ont jamais mis aucune trace à jour. Mais, comme nous l’avons vu, l'écriture glyphique répandue dans le centre et le sud de la Mésoamérique est identique, dans son principe, à l'écriture égyptienne [36], et c’est peut-être là tout ce que l’Écriture veut dire dans ses allusions à l'égyptien. Toutefois, l’hébreu a dû être utilisé comme langue parlée, au moins par les tout premiers Néphites, de sorte que nous pourrions trouver des indications au moins de quelques mots conservés dans d'autres langues de la région.

 

L’identification de mots d’emprunt de ce genre est quelque chose de délicat. Des ressemblances entre mots isolés apparaissent par hasard dans des langues qui n’ont absolument rien à voir entre elles. Ce n’est que si nous découvrions un système de parallèles linguistiques que nous serions justifiés de penser que la ressemblance est significative. David H. Kelley, de l'université de Calgary, croit que trois noms de jours du calendrier maya sont probablement apparentés à l'hébreu. Les noms de jours mayas et les symboles qui leur sont associés suivent un ordre précis, ordre qui correspond à celui de l'alphabet sémitique de l'Asie occidentale ; la façon dont cet ordre alphabétique se présente avait aussi une importance dans le calendrier. Le nom maya manik était représenté par un glyphe ayant la forme d’une main, probablement prononcé ke(h). Manik a sa place dans la séquence de jours correspondant à l’hébreu « k, » qui était représenté par une lettre dont la forme représentait une main et qui était prononcé kaph (en hébreu kaph signifie « main »; en maya yucatèque kab signifie « main »). La lettre suivante dans l'ordre de l'alphabet hébreu était lamed, tandis que le jour maya suivant était lamat. Le troisième dans l'ordre était la lettre hébraïque mem (« eaux »;  comparez avec le grec mu dans la même position dans la séquence, qui peut être apparenté à l’assyrien mu, « eau »), tandis que le nom de jour maya suivant est mulu(c), dont l'équivalent pour les Aztèques représente « l’eau. » Ni le professeur Kelley ni personne d’autre ne sait ce qu’il faut penser de tout ceci, mais il a certainement l’impression que des mains ou des langues, de l’Asie occidentale ont joué un rôle dans la formation de cette section du calendrier maya [37].

 

On pourrait citer d’autres renseignements sur l'hébreu qui mériteraient réflexion ; ne relevons qu’une étude des plus intéressantes. Des listes de mots de la famille des langues situées juste du nord de l'Isthme de Tehuantepec, qui comprenaient le zapotèque et le mixtèque, ont été comparées, il y a quelques années, avec l'hébreu. Des ressemblances dans le vocabulaire de base des deux groupes sont apparues. La comparaison n'a pas été faite avec rigueur ni en profondeur, mais les résultats permettent de croire à des rapports systématiques. Plus tard, un autre chercheur a étendu la comparaison au-delà de l'hébreu pour y inclure d'autres langues sémitiques du Proche-Orient, ce qui a donné des résultats encore plus suggestifs [38]. Ce que cette recherche permet de dire, c’est qu’il est nécessaire de consacrer beaucoup plus de travail à ce domaine. Jusqu'à présent, le manque de spécialistes compétents et intéressés et le manque d'argent ont empêché des recherches plus approfondies.

 

Ensuite il y a le livre de Barry Fell, America B.C, qui est sorti en 1976. Il affirme avoir identifié, dans des inscriptions en Amérique et autour du bassin du Pacifique, pas moins de onze écritures, représentant au moins cinq langues, y compris l'égyptien. Fell commet des erreurs graves dans son travail, mais les inscriptions qu'il a réunies constituent effectivement un problème que les spécialistes conventionnels doivent encore examiner soigneusement et expliquer de manière satisfaisante [39].

 

Pour ce qui est de la langue des Jarédites, il n’y a pas grand-chose que l’on puisse dire. La petite liste de noms propres et de mots non traduits qui apparaît dans le livre d'Éther, ainsi que les attaches des Jarédites avec le nord de la Mésopotamie (Éther 1:33, 43; 2:1), donnent à penser qu’ils parlaient une langue sémitique du nord, une langue ayant une parenté lointaine avec l’hébreu ultérieur. Les peuples zapotèque et mixtèque, dont nous avons parlé plus haut, vivaient dans la région que j'identifie comme étant le cœur du pays jarédite : Moron et les environs. Si de nouvelles recherches confirment l’existence de relations entre les langues ancestrales zapotèque et mixtèque et les langues du Proche-Orient, on pourrait éventuellement l’attribuer à la langue parlée sémitique du groupe jarédite.

 

Ce qui a pu arriver aux langues originaires du Vieux Monde des lignées du Livre de Mormon est expliqué par le cas de gens qui ont régné beaucoup plus tard sur les populations de langue quiché des plateaux du Guatemala. Le Popol Vuh et d'autres histoires originaires de la région nous disent que ces élites étrangères, en nombre réduit, arrivaient sur les plateaux, qui contenaient déjà des centaines de milliers d’autochtones parlant une langue de la famille maya. Les intrus parlaient une langue nahua (apparentée aux langues des Aztèques et, de manière lointaine, aux langues utes du Grand Bassin). Les nouveaux venus prirent le pouvoir sur les habitants locaux et les dominèrent pendant plusieurs siècles. Après la conquête espagnole, les seules traces de langue parlée nahua que l’on a pu détecter consistaient en quelques mots qui faisaient figure d’intrus dans le vocabulaire quiché-maya [40]. Il est vraisemblable que l’hébreu parlé par les premiers Néphites a eu le même sort.

 

Il est clair que les centaines de langues parlées en Mésoamérique ne sont que marginalement liées, si elle le sont, aux langues de l’Asie occidentale que les groupes migrateurs du Livre de Mormon ont pu apporter. La vaste majorité des langues et des populations qui les parlent doivent tout simplement être expliquées autrement. Mais examinons la question suivante, ensuite nous reviendrons à la question de la langue.

 

D'ETRANGES VISAGES

 

Le Livre de Mormon ne nous dit rien – littéralement rien – des caractéristiques biologiques de ses peuples quand ils ont quitté l'Asie. Le texte ne nous dit pas si Néphi avait moins de 1,50 mètres ou plus de 1,95 mètres. Nous ne savons rien de la couleur des cheveux de Laman, ni du type de squelette qu’avait Sariah, la femme de Léhi. Nous n’avons pas non plus de renseignements de cette sorte à propos des Jarédites ou du peuple de Zarahemla. Ainsi donc, à strictement parler, il n'y a rien de précis que nous puissions comparer entre l'Écriture et les sources externes. Étant donné que tout ce que nous avons, ce sont des déductions, nous allons devoir être prudents, surtout vis-à-vis des idées toutes faites que nous risquons d’introduire dans le sujet en nous basant sur la situation d’aujourd’hui.

 

Nous pouvons probablement considérer, sans risque de nous tromper, que Léhi et son groupe possédaient les caractères physiques se situant dans la fourchette normale pour les habitants de la Palestine de son époque. (Les gens de la région n'ont d’ailleurs pas beaucoup changé, même aujourd’hui.) Nous avons, pour nous guider, des squelettes et des représentations artistiques d’autrefois ainsi que des données sur les descendants vivants. Tous ces renseignements pris ensemble donnent le tableau suivant. Les hommes avaient approximativement 1,65m, les femmes 1,50m. Ils étaient plus nombreux à peser moins de 60 kg que davantage. Ils étaient de corpulence mince et gracile, ils n’étaient pas fortement musclés. (C’étaient des renseignements que n’avait pas le peintre qui a fait les illustrations utilisées ces dernières années dans le Livre de Mormon.) Les cheveux étaient entre noir et châtain.  Les yeux étaient la plupart du temps bruns, bien qu'ils puissent aussi se situer dans les teintes de gris, bleu et noisette. Il était normal de trouver une peau légèrement brun-rougeâtre ou couleur cuivre (non bronzée) avec également, chez certains, des teintes olive ou blanc jaunâtre. Certains hommes portaient une barbe modérée. Depuis des millénaires, ce sont les gens ayant ces traits qui prédominent dans les parties basses des pays de l’est de la Méditerranée et du Proche-Orient. Les régions montagneuses, juste au nord des centres du Proche-Orient, ont pu fournir des gènes donnant lieu à une carrure légèrement plus rude et à un nez crochu plus proéminent [41].

 

 

Personnages des peintures murales de Bonampak (800 apr. J.-C.), donnant une idée de la diversité des caractéristiques physiques parmi des peuples de Mésoamérique. (Photo Daniel Bates. Publié avec la permission de David A. Palmer et la Society for Early Historic Archaeology.)

  

Il est bien entendu possible qu’un petit groupe – quelques familles dans le cas de Léhi – provenant du réservoir de population de l’âge du fer d’Israël ait pu mettre en évidence quelques caractéristiques non typiques qui ont pu apparaître par hasard d’une manière particulièrement accentuée chez les parents. Néanmoins il est peu vraisemblable qu’un de ces traits particuliers ait modifié considérablement l’apparence de leurs descendants par rapport au tableau que nous venons de tracer.

 

Supposons qu’un groupe de ce genre ait été transplanté en Amérique tropicale, où ses descendants ont ensuite vécu pendant plus de 2500 ans. À quoi ressembleraient-ils maintenant, en supposant qu’ils ne se soient pas mélangés à d'autres peuples ? Il est tout simplement impossible de le dire. Personne  aujourd'hui n'a une connaissance scientifique suffisante des facteurs qui interviennent pour savoir exactement à quel point et de quelle façon ces immigrants auraient pu changer sous l'effet de leur nouvel environnement. Pour ce qui est de changer, ils auraient changé. Une nouvelle alimentation, de nouvelles tâches, un nouveau climat, de nouvelles maladies et de nouvelles tensions,  tout cela favoriserait certaines potentialités dans leur biologie et en défavoriserait d’autres. La plasticité due aux changements d’environnement pourrait être accentuée s’ils se mélangeaient avec d'autres groupes.

 

Quels autres groupes ? Y avait-il d'autres populations dans la région ? Nous avons déjà vu, d’après ce que le Livre de Mormon nous dit concernant les dimensions des territoires, que celui dont il traite n’a que quelques centaines de kilomètres de long. Cela laisse beaucoup de place en Amérique pour  contenir des millions de gens, ceux auxquels Léhi fait allusion quant il assure à ses fils que, même à leur époque, d’autres  peuples attendaient dans les coulisses, pour ainsi dire : « Beaucoup de nations envahiraient la terre »  si elles en connaissaient l’existence (2 Néphi 1:8). La puissance divine pouvait retenir ces peuples tant que les immigrants gardaient les commandements de Dieu (2 Néphi 1:9), mais plus tard, prophétise Léhi, le Seigneur amènerait « d'autres nations ». Cela se produirait lorsque les descendants de Léhi  se seraient rebellés et auraient dégénéré dans l'incrédulité (2 Néphi 1:11).

 

Les Lamanites furent rebelles quasiment dès les premiers jours du débarquement ; les Néphites ne furent pas fidèles longtemps (voir les livres de Jarom et Omni). Pour ce qui est de ceux qui accompagnaient Mulek, ils ne valaient guère mieux que les Lamanites (Omni vv. 16-17). La justice divine ne leur aurait-elle pas amené d'autres nations même dans ces premiers siècles ? La plupart des lecteurs membres de l’Église ont supposé que les « autres nations » étaient « les gentils » européens (1 Néphi 13:1-3) qui envahirent le pays après la découverte de Colomb ; mais cela a-t-il un sens que le sort prophétisé par Léhi soit retardé jusqu'à 1100 ans après Cumorah ? « Beaucoup de nations » tout près en  Amérique ont pu entrer en peu de temps dans les terres des groupes israélites américains. La reconstitution linguistique nous parle d'un des groupes ultérieurs : les populations de langue  nahua, qui comprenaient les Aztèques. Ils sont tous arrivés en Mésoamérique après que le récit du Livre de Mormon eut été scellé, et pourtant ils n’ont pas tardé à dominer une grande partie de la région [42].

 

Dans le territoire même occupé d'abord par les Néphites et les Lamanites, d'autres peuples ont pu vivre au moment de l’arrivée du groupe de Léhi. Il existe, dans le Livre de Mormon, de nombreuses indications indirectes que des survivants de l’époque des Jarédites ont continué à vivre jusqu’à l’époque néphite et ont fortement influencé ce dernier  groupe. Hugh Nibley a attiré l'attention sur certains de ces indices [43]. Mais les historiens néphites ne l’auraient-ils pas dit de manière explicite ? Réfléchissez un instant à la situation de ces historiens nous parlant des premiers Lamanites. Ils écrivaient en fonction de la perspective limitée qu’ils avaient dans leur petite colonie assiégée (2 Néphi 5:14; Jacob 7:26). Dans leur état d’esprit, on le comprend, ils devaient considérer tous ceux avec qui ils entraient en contact « à l’extérieur » comme étant des « Lamanites »,  car, dans le mode de pensée néphite de l’époque, qui d’autre pouvaient être ces rôdeurs à peau sombre dans la forêt ? Nous pouvons être certains qu'ils ne bavardaient pas avec eux de leurs ancêtres. Tous ceux qu’ils voyaient étaient dans tous les cas des ennemis ou sans aucun doute n’allaient pas tarder à être dominés par les descendants agressifs des frères aînés de Néphi.

 

Les renseignements archéologiques que nous avons sur la côte du Guatemala ou du Salvador à l’époque du débarquement néphite (vers 575 av. J.-C.) sont particulièrement vagues. Nous n’avons aucune indication qu’il y ait eu des structures plus anciennes que cette époque dans la Vallée du Guatemala, qui a probablement été le premier pays de Néphi. On a trouvé des dépôts de céramique et d'autres objets plus anciens représentant une population rurale dispersée (des périodes vaguement définies sous le nom de « Las Charcas » et « Arévalo ») [44]. On peut supposer, en fonction des données connues,  que seuls quelques hameaux agricoles dispersés occupaient la Vallée du Guatemala dans la première moitié du sixième siècle av. J.-C., l’époque où nous supposons que Néphi et son groupe y sont arrivés. Entre-temps, la séquence archéologique la plus claire sur la côte autour de cette période se trouve près de la frontière entre le Mexique et le Guatemala, où il y a une absence d’occupation qui apparaît aux environs de 600 av. J.-C, bien qu’à l’intérieur des terres, dans la Izapa voisine, une certaine continuité puisse se manifester dans le matériel archéologique confus [45]. Quelles que soient les populations, s’il y en a eu, qui occupaient la région où le groupe de Léhi a débarqué, elles semblent n’avoir pas  représenté grand-chose à cette époque précise en fait de population ou de puissance. Il est raisonnable que des immigrants aient pu trouver à se situer parmi elles et même à les dominer.

 

Une autre question concerne l'impact qu’un groupe minuscule de colons venu d’outre-mer a pu avoir sur la culture archéologique d'une région. David H. Kelley a attiré l’attention sur la faiblesse du point de vue des archéologues qui insistent sur la continuité apparente de la culture dans des zones de peuplement locales face à une invasion majeure. Il note que dans les sites des villages aztèques, même la conquête espagnole (« l'invasion la plus radicale qu’à notre connaissance le Mexique ait subie ») n’apparaît que tardivement et faiblement [46]. Ainsi donc, à l’endroit où Léhi a débarqué, nous n'avons aucune idée de ce que les archéologues pourraient trouver qui soit susceptible de démontrer l'arrivée de la vingtaine de personnes constituant le groupe de colons venu dans un seul bateau. Peut-être que les deux figurines égyptiennes ushabti qui se trouvent dans un musée de San Salvador (dont on dit  qu’elles ont été déterrées près de la plage dans l’ouest du Salvador), seraient, si elles  pouvaient être authentifiées, la trace la plus directe d’intrus venus du Proche-Orient que l’on pourrait jamais trouver [47].

 

Une forte indication, donnée dans notre texte, de la présence de peuples autochtones, ce sont les mentions constantes que font les premiers historiens néphites du grand nombre de Lamanites qu’ils affrontaient. Les gens qui vivent dans les conditions que les Néphites attribuent aux premiers Lamanites – nomades, chasseurs, sauvages – ne développent pas de populations qui puissent se comparer avec des populations semblables aux cultivateurs néphites ambitieux décrits dans Énos, v. 21. Alors comment « les Lamanites » ont-ils acquis une supériorité numérique aussi écrasante ? La seule réponse crédible est que les immigrants Lamanites ont annexé des populations autochtones vivant déjà dans la région.

 

Ce qui complique encore le tableau, c’est « le peuple de Zarahemla ». Mosiah s’aperçut rapidement, quand il le découvrit, que son chef prétendait descendre des Juifs (Omni vv. 14-15, 18), mais on ne dit rien sur les ancêtres du peuple sur lequel ce Zarahemla régnait. Il a très bien pu être un groupe hétérogène, comprenant beaucoup de descendants d’ancêtres de la période jarédite. Sur une base philologique, Nibley a détecté « une influence jarédite parvenant jusqu’aux Néphites par l’intermédiaire des Mulékites [48] ». Après tout, les gens de la ville de Zarahemla considéraient les Jarédites détruits comme « [leurs] frères » (voir Alma 46:22). Pourtant, les « Mulékites » et les « Jarédites », comme nous autres, saints des derniers jours, nous les considérons habituellement, ne peuvent pas expliquer d’où venaient toutes ces personnes qui étaient présentes. Il est impossible d'expliquer la présence de 200 langues mésoaméricaines rien que sur la base des groupes du Livre de Mormon. Pour ce qui est du texte scripturaire, Nibley nous fait remarquer : « Il n'y a pas un mot dans le Livre de Mormon qui empêche l'arrivée sur le continent américain d’un nombre quelconque de gens venant d’une partie quelconque du monde à une époque quelconque, à la seule condition qu’ils arrivent sous la direction du Seigneur; et même cette condition ne doit pas être interprétée de manière trop stricte » [49].

 

Les découvertes de la science fournissent des indications claires qu’il y avait une continuité culturelle, linguistique et biologique entre les peuples prénéphites et ceux découverts en Mésoamérique après la date de l'arrivée néphite. Nous avons vu que dans la région côtière du Salvador et du Guatemala, où le groupe de Léhi a probablement débarqué, les données concernant les populations qui ont pu être présentes aux environs de  600 av. J..-C. sont ambiguës. Des changements radicaux étaient alors en train de se produire suite à la mort de la tradition culturelle dont les Jarédites avait  fait partie. Les découvertes archéologiques montrent que ces dernières affres affectèrent la vie sur tout le territoire jusqu’à « la terre du premier héritage néphite » au sud. Il paraît possible que la population présente dans le voisinage immédiat du lieu du débarquement des Israélites ait été suffisamment réduite et  faible pour ne pas constituer une gêne sérieuse pour les colonisateurs. En effet, comme dans les relations entre les Indiens du Massachusetts et les Pèlerins, les indigènes ont très bien pu transmettre les techniques et les plantes à cultiver nécessaires au succès de la nouvelle colonie. (Les maladies apportées par le groupe de Léhi, auxquelles celui-ci était immunisé, ont pu toucher rapidement les  habitants locaux, les affaiblissant davantage, mais n’ont pas forcément éliminé leur apport génétique et culturel à la population ultérieure.) L'archéologie montre que dans la région du centre-sud du Mexique et de  l’isthme, des cultures localisées ont persisté de part et d’autre de la frontière temporelle jarédite-néphite en dépit de l’effondrement spectaculaire de la principale civilisation « olmèque ». Le peuple de Zarahemla a dû faire partie d’un de ces groupes de transition (ce qui rend Omni v. 17 compréhensible). Ils ont pu combiner les éléments génétiques et culturels de la civilisation précédente avec ce que le groupe de voyageurs de Mulek venu de la Méditerranée avait introduit. Les renseignements scientifiques sont incontestables; il y a clairement eu une continuité de population des les temps plus anciens jusqu’à l’époque des Néphites. Le récit du Livre de Mormon ne le contredit ni ne le confirme, mais pareille continuité ne pose pas non plus de problèmes particuliers pour l'Écriture telle que je la lis.

 

Qu’en est-il des caractéristiques raciales « mongoloïdes » que les anthropologues voient chez les habitants précolombiens du continent américain ? Il y a des faits qui sont tout à fait clairs. Des traits asiatiques tels que le pli caractéristique des yeux, la tache pigmentée à la base de la colonne vertébrale des bébés et une forme spéciale d'incisive se retrouvent dans des proportions diverses parmi touts les groupes amérindiens étudiés [50]. Sur la base de ces traits, tous les chercheurs qui connaissent le sujet estiment sans risque de se tromper qu’il y a un lien biologique avec l’Asie. Ce qui n’est pas clair, c’est l’étendue et la signification historique de ces faits. Il est évident qu’une grande partie des caractéristiques des autochtones américains est le résultat de l’adaptation à l’environnement du Nouveau Monde [51]. On trouve des variantes importantes dans la répartition de divers traits corporels ; c'est-à-dire que certains groupes sont beaucoup moins mongoloïdes que d'autres. Cela soulève la question de savoir si, à un moment donné du passé, certains peuples d’Amérique ont pu être totalement non mongoloïdes. Certaines représentations artistiques montrent clairement des personnes appartenant à plusieurs groupes raciaux non indiens – « sémitiques », chinois, noirs [52] – bien que certains peuples mésoaméricains ressemblaient effectivement autrefois aux autochtones récents habitant les mêmes régions. Au-delà de l’art, les données scientifiques révèlent aussi la présence de groupes méditerranéens et proche-orientaux en Mésoamérique.

 

Le Dr Juan Comas, l'anthropologue le plus éminent du Mexique, a posé la question : « Les Amérindiens sont-ils un groupe biologiquement homogène ? » Il y a ensuite répondu par un « non » formel [53]. Un bloc substantiel d'autres experts sont d'accord avec lui. G. Albin Matson, un chercheur éminent dans le domaine des groupes sanguins, a adopté « la position sensée » que « les Indiens américains ne sont pas complètement mongoloïdes [54]. » Le professeur Earnest Hooton, de Harvard, est parvenu à une conclusion similaire, comme l’explique le livre très drôle Men out of Asia, par l'archéologue non conformiste Harold S. Gladwin. Hooton a vu dans le Nouveau Monde des traits corporels qui auraient été tout à fait chez eux en Palestine [55].

 

Tout récemment, l'anthropologue polonais Andrzej Wiercinski a analysé une grande quantité de crânes mis au jour dans des sites datés en Mésoamérique. Il a découvert des indices non seulement de types physiques provenant  du nord et du centre de l’Asie, mais en outre des traits typiquement chinois et aussi caucasoïdes, y compris le sous-type « arménoïde » du Proche-Orient, dont le grand nez et la barbe ressemblent au visage classique de l’Oncle Sam. Wiercinski affirme que « la série mexicaine ancienne tend davantage vers les traits de visage de type blanc que vers le mongoloïde classique ». Par conséquent, selon lui, « le Mexique ancien était habité par une chaîne de populations apparentées entre elles qui ne peuvent pas être considérées comme typiquement mongoloïdes. » Il croyait, en fait, qu’à ces trois « souches amérindiennes primaires » s’étaient superposés des éléments « introduits par des groupes étrangers de migrants sporadiques venant de l’ouest de la Méditerranée [56] ». L'archéologue Robert Chadwick, qui postule la présence de « prospecteurs » européens anciens au Nouveau Monde, est d'accord avec ce point de vue [57].

 

Il ne faut pas non plus oublier les caractéristiques physiques des Israélites décrites plus haut. Leur peau typiquement olivâtre, leurs cheveux foncés, leurs yeux bruns et leur corpulence mince signifieraient que le groupe de Léhi ne se distinguerait pas fortement par son aspect physique de beaucoup de groupes indiens. Les caractères physiques qu’ils amenaient pourraient s’intégrer confortablement et peut-être même disparaître dans le milieu biologique de l'Amérique Centrale.

 

Ainsi,  les Néphites auraient-ils pu s’intégrer biologiquement dans le tableau que nous avons maintenant des populations mésoaméricaines ? La réponse est oui, quand on comprend la constitution physique qui les caractérisait et quand on les voit comme un  groupe relativement restreint vivant parmi des populations qui ont fini par se mêler à leurs descendants et par les absorber. Ce scénario correspond à ce que nous avons déjà décrit en termes sociaux et politiques, à savoir que le Livre de Mormon est un document écrit par une élite dominant une population aux caractéristiques non révélées qu'elle a trouvée dans le pays. Mais les saints des derniers jours qui insistent sur le fait qu’il y avait des millions de Néphites qui ressemblaient à des Européens du Nord ne peuvent pas justifier leur position.

 

Et « la peau sombre » des Lamanites et « la peau claire » des Néphites ? Premièrement, les termes sont relatifs. Qu’entend-on au juste par sombre et clair ? L’Espagnol Tomas Medel a noté aux environs de 1560 que les Indiens des régions côtières du Guatemala au bord du Pacifique, où je situe les tout premiers Lamanites, avaient une peau plus sombre que ceux des régions plus fraîches et plus élevées où les premiers Néphites vivaient. Les montagnards, dit Medel, « ne semblent pas très différents des Espagnols [58] ». Cette observation est soulignée par un incident historique qui se produisit à l’autre extrémité de la Mésoamérique pendant la conquête des Aztèques par Cortez. Devant affronter une rébellion à sa base sur le Golfe du Mexique, le commandant envoya des espions du centre du Mexique pour évaluer la situation. Parmi un groupe de ses alliés indiens, il envoya deux Espagnols  ayant une peau relativement sombre, habillés comme les natifs. Ils réussirent à être dans le camp des Espagnols rebelles pendant un temps prolongé, puis retournèrent faire rapport de la situation sans que leurs compatriotes ne se soient aperçus qu’ils étaient Espagnols [59]. Le père Thomas Gage dit des Indiens du centre du Chiapas qu’ils ont « le teint clair » et que les natifs du Nicaragua sont « d’un blanc ordinaire [60] ». D'autre part, la couleur d'autres Indiens s’approche de ce qu’on pourrait appeler « une peau sombre » (2 Néphi 5:21) [61].

 

Les couleurs de peau des peuples qui survivent dans le pays du  Livre de Mormon présentent une variété importante, allant du brun foncé au quasiment blanc. Ces couleurs couvrent presque les mêmes nuances que l’on trouvait autrefois autour de la côte de la Méditerranée et au Proche-Orient. Il est vraisemblable que la distinction objective de couleur de peau entre les Néphites et les Lamanites était moins marquée que la différence subjective. L'Écriture dit clairement que les Néphites avaient des préjugés contre les Lamanites (Jacob 3:5; Mosiah 9:1-2; Alma 26:23-25). Cela a dû influencer la perception qu’ils avaient de leurs ennemis. La description que les Néphites font des Lamanites suit une pratique connue au Proche-Orient. Les citadins sumériens de la Mésopotamie du troisième millénaire av. J..-C. considéraient les Amoréens, les parents d'Abraham habitant dans le désert, comme des sauvages « sombres » qui vivaient dans des tentes, mangeaient leur nourriture crue n’ensevelissaient pas les morts et ne cultivaient rien [62]. Les Syriens des villes appellent encore les nomades bédouins « les bêtes sauvages. » L'image que les Néphites donnent de leur parenté, dans Jarom v. 6 et Énos v. 20, ressemble tellement aux épithètes employés au Proche-Orient que ce langage devrait probablement être considéré comme une formule littéraire plutôt qu'une description objective, un étiquetage appliqué à tout peuple « arriéré », craint et méprisé [63]. Mais tout cela n'exclut pas une différence culturelle et biologique entre les deux groupes. La question est de savoir à quel point la différence était grande ; nous pouvons douter qu’elle ait été aussi tranchée que les historiens néphites veulent le faire croire.

 

Nous avons vu que le Livre de Mormon ne dit pas grand chose sur toute cette question de biologie humaine ou « de race », En jetant un coup d’œil sur l’aspect qu’avaient les gens qui vivaient au Proche-Orient, nous avons découvert que, aux yeux d'un simple observateur, ils n'auraient pas été tellement différents de certains groupes mésoaméricains. En Mésoamérique, nous avons des indications que des groupes porteurs de caractéristiques proche-orientales ont pu être présents autrefois, en même temps que la population amérindienne beaucoup plus importante. Ces faits semblent indiquer que ce que dit l’Écriture est compatible avec les données scientifiques. Il ne reste pas de problème majeur à ce sujet.

 

PETIT PAYS, GRAND CONTINENT

 

Les renseignements linguistiques et biologiques montrent les uns et les autres que l'histoire culturelle et ethnique des régions que nous avons associées au récit du Livre de Mormon – le centre-sud de la Mésoamérique – a été complexe. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Les pays de la Bible se révèlent être tout aussi complexes, historiquement parlant. Un récit unique, en particulier un récit religieux mettant surtout l'accent sur la religion, ne peut faire autre chose que donner les grandes lignes de quelques scènes de l’histoire du peuple traité. Ce que nous apprenons sur les peuples et le déroulement des événements dans l’Écriture ne suffit pas pour nous donner une image d’ensemble de l’histoire, dont l’ouvrage religieux ne nous raconte qu’une petite partie. La loi et les prophètes des Israélites ne donnent qu’un bref aperçu de l'histoire de l'Égypte ou de la Perse ou de la Grèce et certainement d’aucun pays plus éloigné que cela de part et d’autre. On ne pouvait pas espérer davantage du Livre de Mormon qu’il éclaircisse ce qui s’est produit dans la totalité du Nouveau Monde, même si les auteurs avaient connu ces faits. Mais quand nous saisissons l’image historique d’ensemble, le récit scripturaire s’y intègre raisonnablement. Dans les pays bordant l’Atlantique, nous assistons à une évolution logique passant par la Réforme, la Grande Charte et la Révolution américaine, plus mille autres événements, le tout aboutissant au rétablissement de l'Évangile. Ou bien nous voyons le chemin hasardeux parcouru par le minuscule Israël dirigé par des prophètes au milieu des grandes puissances, l’Égypte, l’Assyrie et Babylone. Les événements ayant une importance sacrée se situent dans un contexte profane au même titre que les événements de la vie de tous les jours.

 

La position des Néphites ne pourrait-elle pas correspondre à la situation générale d’Israël dans l’Ancien Monde ? La « terre promise » mésoaméricaine dans le Nouveau Monde faisait partie d’un processus civilisateur. De même que la Palestine s'est révélée être l’arène du monde ancien, où tout ce que les Israélites faisaient et disaient pouvait avoir des répercussions à l'étranger, de même la Mésoamérique a été l’agent de liaison culturel sur le continent américain. C’était l’endroit par excellence où une civilisation archaïque (une du même type que l'Égypte ou Babylone dans l’Ancien Monde) pouvait soit prendre de l’ampleur soit être écrasée dans la compétition intense existant entre les peuples. Si nous devions évaluer sur une échelle de 100 la complexité de la civilisation à un moment quelconque du continent américain préhispanique, la Mésoamérique aurait tendance, pendant plusieurs millénaires, à se trouver au sommet, souvent près de la marque 100. Les Pueblos du Nouveau-Mexique pourraient avoir un 20 et la culture mississippienne du centre des États-Unis, il y a sept ou huit cents ans, un 30. Les cueilleurs paiutes du Nevada auraient plus ou moins 2, les Esquimaux seraient un chouia plus haut. Le Nicaragua pourrait atteindre tout au plus 35 et la plus grande partie de la population du Brésil entre 10 et 25. Le Pérou se verrait attribuer entre 80 et presque 100. De cette évaluation comparative se dégagent deux zéniths de développement culturel : les zones mésoaméricaine et andine. Ce n’est que pour la première qu’il y a des indications de l’existence de documents écrits. Tout le reste était substantiellement moins complexe et moins intéressant du point de vue de l'histoire de la culture du continent. Il serait compréhensible que les Néphites se situent là où était l’action dans le Nouveau Monde.

 

Toutes les histoires américaines locales – l'expansion des  populations, la création de monuments, la montée et la chute des chefs, l’expansion des cultes et les escarmouches entre de petits groupes – sont quasiment aussi variées que l'histoire de l'Asie. Des centaines de tribus et de royaumes, des milliers de collectivités ayant leur caractère culturel propre remplissaient depuis longtemps le continent. Combien d'entre eux ont eu directement affaire aux Néphites ou aux Jarédites ? Peut-être autant que ceux qui ont été directement en relation avec les Israélites parmi les peuples d'Eurasie. Nous savons que certains traits culturels se sont répandus à différentes périodes à partir de la Mésoamérique, de sorte qu’il existe peu de régions sur le continent qui n’ont pas été touchées d’une façon ou d’une autre par des influences provenant de la nouvelle patrie de Léhi. Il est probable que certaines personnes – certains gènes – ont accompagné la culture. Il apparaît, d’une manière générale, que ces effets étaient ordinairement mineurs, culturellement ou biologiquement, mais que dans certains endroits des résultats considérables en ont découlé. Nous savons que des mouvements importants de personnes et d’idées mésoaméricaines ont pénétré dans le nord du Mexique et dans la région de l’Arizona et du Nouveau-Mexique [64]. La partie inférieure et moyenne de la vallée du Mississipi et les états du sud-est ont ressenti une forte influence à plusieurs époques [65]. L'Équateur de l’époque des Jarédites et le Pérou, l'Équateur et la Colombie à plusieurs époques ultérieures [66], ont également ressenti l’empreinte de la vie mésoaméricaine et probablement des gènes de ses populations. Des groupes dans les régions réceptrices ont également renvoyé des dons culturels à la région néphite.

 

Le sujet a trop de ramifications pour qu’on puisse le traiter pleinement ici. La question qui va tout de suite venir à l’esprit des lecteurs membres de l’Église sera vraisemblablement celle-ci : Si tous ces peuples ne sont pas décrits dans le Livre de Mormon, devons-nous considérer leurs descendants comme étant des « Lamanites » ? Les saints des derniers jours les appellent aujourd'hui Lamanites. Est-ce que c'est vrai au sens purement biologique du terme ?

 

En tout premier lieu, la prophétie de Léhi concernant l'avenir de ses descendants nous enseigne que « nul ne viendra dans cette terre s’il n’est amené par la main du Seigneur » (2 Néphi 1:6). Et « cette terre est consacrée à ceux qu’il [le Seigneur] amènera » (v. 7). La signification devient encore plus claire dans le discours du Sauveur rapporté aux vingtième et vingt-et-unième chapitres de 3 Néphi. Ceux qui ont été amenés là-bas et désirent profiter de la bénédiction promise par Léhi doivent le faire en étant « compt[és] parmi ce reste, le reste de Jacob » à qui la terre a été donnée en héritage (3 Néphi 21:22). Cela vaut aussi bien pour les « gentils » de ces derniers siècles que pour les peuples « autochtones » d’autrefois. Bref, les bénédictions du pays devaient être accessibles à tous les arrivants s’ils étaient disposés à se rattacher « par l'adoption » à Léhi, à qui le pays était donné. Les termes des déclarations du Sauveur, si pas de Léhi, disent même que le continent tout entier et pas simplement le pays immédiat mentionné dans les annales historiques des Néphites devait être l’héritage de Léhi (3 Néphi 20:13, 20, 22; 21:4, 12, 23-25, 29; D&C 54:8). Ainsi donc n'importe quel peuple du continent américain pourrait recevoir les bénédictions de l’identification aux Israélites américains, que ce soit sous l'étiquette « Lamanites », s’il descendait d'ancêtres précolombiens, ou  que ce soit comme « Gentils » (immigrants dans la tradition chrétienne, beaucoup venant d'Europe), en vertu des conditions énoncées dans 3 Néphi 21:22. Tous les autochtones du Nouveau Monde peuvent prétendre être classifiés à juste titre comme « Lamanites. » Il n’est pas question ici, d’une manière ou d’une autre, de descendance « littérale », que le Seigneur ne considère pas comme ayant une importance particulière pour ce qui est de recevoir les bénédictions (1 Néphi 17:32-35).

 

Si un chercheur trouvait de nouvelles méthodes pour poursuivre les recherches sur le « lignage par le sang » d'une personne, d’une famille ou d’un peuple donné, il risquerait de s’apercevoir que certains autochtones américains descendent directement des Néphites d’autrefois, que d’autres descendent partiellement d'autres personnes du groupe de Léhi ou de Mulek, que d’autres sont d'origine jarédite et d’autres encore n’ont aucun lien perceptible avec aucun d’eux. Il n’existe pas de méthode scientifique, généalogique ou historique pour résoudre de telles questions ; mais ce qui est plus important, c’est que les Écritures montrent que les résultats importent peu en ce qui concerne l'Église et l'Évangile.

 

Dans cette section, nous avons examiné trois questions concernant le Livre de Mormon en  rapport avec les découvertes de la science. De nouveaux examens soigneux du texte scripturaire, l'étude de découvertes parfois négligées de la recherche et un effort concerté pour harmoniser toute cette documentation ont réduit « les problèmes » à très peu de chose. Nous constatons que les deux groupes de faits s’adaptent très bien l’un à l’autre. Il n'y a pas de problème particulier pour l'Écriture et les renseignements relatifs aux anciens habitants fournis par des sources externes ne montrent pas non plus que le récit scripturaire est erroné. Certains parmi nous devront sans doute revoir leurs idées précédentes concernant le Livre de Mormon et les découvertes de la science, mais ce ne sera qu’une saine remise en question d’erreurs du passé. Les travaux futurs pourront nous en apprendre davantage sur ces sujets, mais il semble pour le moment que nous ayons « déblayé le terrain » de manière à pouvoir aborder de nouvelles questions.

 

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[1] Robert M. Carmack, Quichean Civilization: The Ethnohistoric, Ethnographic, and Archaeological Sources, Berkeley, University of California Press, 1973, pp. 16-18.Robert M. Carmack, Quichean Civilization: The Ethnohistoric, Ethnographic, and Archaeological Sources, Berkeley, University of California Press, 1973, pp. 16-18.Robert M. Carmack, Toltec Influence on the Postclassic Culture History of Highland Guatemala, MARI 26, 1968, p. 86.Marie Kimball Freddolino, « An Investigation into the 'Pre-Tarascan' Cultures of Zacapu, Michoacan, Mexico », thèse de doctorat, université de Yale, 1973. William F. Albright attire l’attention sur la même manipulation des généalogies par les Israélites dans l’Ancien Testament, dans son Yahweh and the Gods of Canaan: A Historical Analysis of Two Contrasting Faiths, Garden City, New York, Doubleday, 1968, p. 82.Par exemple, John A. Tvedtnes, « Hebraisms in the Book of Mormon: A Preliminary Survey », BYU Studies 11 automne 1970, pp. 50-60; Hugh Nibley, Lehi in the Desert and the World of the Jaredites, Salt Lake City, Bookcraft, 1952, p. 33; M. Deloy Pack, « Possible Lexical Hebraisms in the Book of Mormon (Words of Mormon-Moroni) », mémoire de maîtrise, université Brigham Young, 1973, pp. 176-177.John W. Welch, « Chiasmus in the Book of Mormon », BYU Studies 10, 1969, pp. 69-84; idem, « Chiasmus in the Book of Mormon », dans Chiasmus in Antiquity: Structures, Analyses, Exegesis, dir. de publ. John W. Welch, Hildesheim, Allemagne, Gerstenberg Verlag, 1981, pp. 198-210.James B. Allen et Glen M. Leonard, The Story of the Latter-day Saints, Salt Lake City, Deseret Book, 1976, p. 41.Brigham H. Roberts, New Witnesses for God, vol. 2. The Book of Mormon, vol. 2, Salt Lake City, Deseret News Press, 1926, pp. 95-100; idem, A Comprehensive History of the Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. Century 1, vol. 1, Salt Lake City, The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1930, pp. 100-107.« The Book of Mormon as a Mesoamerican Codex », Society for Early Historic Archaeology, Newsletter and Proceedings, Provo, 139, 1976, pp. 1-9, qui s’appuie fortement sur mon article « The Significance of an Apparent Relationship Between the Ancient Near East and Mesoamerica », dans Man Across the Sea: Problems of Pre-Columbian Contacts, dir. de publ. Carroll L. Riley etc., Austin, University of Texas Press, 1971, pp. 219-241.« Mesoamerican Codex », appendice, colonne du milieu.Julian H. Steward, Pueblo Material Culture in Western Utah, University of New Mexico, Bulletin 287, Anthropology Series 1, Albuquerque, 1936, pp. 1-63.E. Z. Vogt, Recurrent and Directional Processes in Zinacantan, 37a Congreso Internacional de Americanistas, Buenos Aires, 1966, vol. 1 Buenos Aires, 1968, p. 445. On trouvera une introduction pratique sur ce people dans un bref document de Vogt, The Zinacantecos of, Mexico, A Modern Maya Way of Life, Case Studies in Cultural Anthropology, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1970.A. M. Tozzer, dir. de publ., Landa's Relacion de las Cosas de Yucatan, HUPM 18, 1941, est la traduction la plus utile, mais beaucoup d’autres ont été publiées. Frère Bernardino de Sahagun, Florentine Codex: General History of the Things of New Spain, Monographs of the School of American Research 14, trad. et dir. de publ. Charles E. Dibble et Arthur J. O. Anderson, Santa Fe, Nouveau Mexique, School of American Research and University of Utah Press, 1950-1963.

[2] Robert M. Carmack, Toltec Influence on the Postclassic Culture History of Highland Guatemala, MARI 26, 1968, p. 86.

[3] Marie Kimball Freddolino, « An Investigation into the 'Pre-Tarascan' Cultures of Zacapu, Michoacan, Mexico », thèse de doctorat, université de Yale, 1973. William F. Albright attire l’attention sur la même manipulation des généalogies par les Israélites dans l’Ancien Testament, dans son Yahweh and the Gods of Canaan: A Historical Analysis of Two Contrasting Faiths, Garden City, New York, Doubleday, 1968, p. 82.

[4] Par exemple, John A. Tvedtnes, « Hebraisms in the Book of Mormon: A Preliminary Survey », BYU Studies 11 automne 1970, pp. 50-60; Hugh Nibley, Lehi in the Desert and the World of the Jaredites, Salt Lake City, Bookcraft, 1952, p. 33; M. Deloy Pack, « Possible Lexical Hebraisms in the Book of Mormon (Words of Mormon-Moroni) », mémoire de maîtrise, université Brigham Young, 1973, pp. 176-177.

[5] John W. Welch, « Chiasmus in the Book of Mormon », BYU Studies 10, 1969, pp. 69-84; idem, « Chiasmus in the Book of Mormon », dans Chiasmus in Antiquity: Structures, Analyses, Exegesis, dir. de publ. John W. Welch, Hildesheim, Allemagne, Gerstenberg Verlag, 1981, pp. 198-210.

[6] James B. Allen et Glen M. Leonard, The Story of the Latter-day Saints, Salt Lake City, Deseret Book, 1976, p. 41.

[7] Brigham H. Roberts, New Witnesses for God, vol. 2. The Book of Mormon, vol. 2, Salt Lake City, Deseret News Press, 1926, pp. 95-100; idem, A Comprehensive History of the Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. Century 1, vol. 1, Salt Lake City, The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1930, pp. 100-107.

[8] « The Book of Mormon as a Mesoamerican Codex », Society for Early Historic Archaeology, Newsletter and Proceedings, Provo, 139, 1976, pp. 1-9, qui s’appuie fortement sur mon article « The Significance of an Apparent Relationship Between the Ancient Near East and Mesoamerica », dans Man Across the Sea: Problems of Pre-Columbian Contacts, dir. de publ. Carroll L. Riley etc., Austin, University of Texas Press, 1971, pp. 219-241.

[9] « Mesoamerican Codex », appendice, colonne du milieu.

[10] Julian H. Steward, Pueblo Material Culture in Western Utah, University of New Mexico, Bulletin 287, Anthropology Series 1, Albuquerque, 1936, pp. 1-63.

[11] E. Z. Vogt, Recurrent and Directional Processes in Zinacantan, 37a Congreso Internacional de Americanistas, Buenos Aires, 1966, vol. 1 Buenos Aires, 1968, p. 445. On trouvera une introduction pratique sur ce people dans un bref document de Vogt, The Zinacantecos of, Mexico, A Modern Maya Way of Life, Case Studies in Cultural Anthropology, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1970.

[12] A. M. Tozzer, dir. de publ., Landa's Relacion de las Cosas de Yucatan, HUPM 18, 1941, est la traduction la plus utile, mais beaucoup d’autres ont été publiées. Frère Bernardino de Sahagun, Florentine Codex: General History of the Things of New Spain, Monographs of the School of American Research 14, trad. et dir. de publ. Charles E. Dibble et Arthur J. O. Anderson, Santa Fe, Nouveau Mexique, School of American Research and University of Utah Press, 1950-1963.

[13] Jane W. Pires-Ferreira, « Obsidian Exchange in Formative Mesoamerica », dans The Early Mesoamerican Village, dir. de publ. Kent V. Flannery, New York, Academic Press, 1976, pp. 301-306.

[14] Elizabeth K. Easby et John F. Scott, Before Cortes: Sculpture of Middle America, New York, Metropolitan Museum of Art, 1970, propose un panorama intéressant de cet art pour le profane, accompagné d’un commentaire relativement exact.

[15] Linton Satterthwaite, Calendrics of the Maya Lowlands, HMAI 3 1965, pp. 603-631. Munro S. Edmonson, « The Mayan Calendar Reform of 11.16.0.0.0 », Current Anthropology 17, 1976, pp. 713-717.

[16] D. J. Schove et D. H. Kelley mettent séparément en doute cette continuité, préférant les correspondances de calendrier basées sur des données astronomiques que la plupart des archéologues trouvent impossible d’accepter. Les choses ne sont pas encore tout à fait réglées, mais presque, en faveur de la thèse « GMT » ou 11.16.0.0.0. La confirmation la plus riche (et la plus indigeste) de la correspondance 11.16. est le traitement remarquable de Gordon Brotherston : A Key to the Mesoamerican Reckoning of Time: The Chronology Recorded in Native Texts, British Museum Occasional Paper 38 Londres, British Museum, 1982). Pour le point de vue de Schove, voir son « On Maya Correlations and Calendar Reforms », Current Anthropology 18, 1977, p. 749.

[17] Gareth W. Lowe, « Algunos Resultados de la Temporada 1961 en Chiapa de Corzo, Chiapas », Estudios de Cultura Maya 2, 1962, pp. 185-196; Joyce Marcus, « The Origins of Mesoamerican Writing », Annual Review of Anthropology 5, 1976, pp. 49-51.

[18] Tatiana Proskouriakoff, « Historical Implications of a Pattern of Dates at Piedras Negras, Guatemala », American Antiquity 25, 1960, pp. 454-475; Robert L. Rands, « The Classic Collapse in the Southern Maya Lowlands: Chronology », dans The Classic Maya Collapse, dir. de publ. T. Patrick Culbert Albuquerque: University of New Mexico Press, 1973, pp. 48-53, John P. Molloy et William L. Rathje, « Sexploitation among the Late Classic Maya », dans Mesoamerican Archaeology, New Approaches, dir. de publ. Norman Hammond Austin, University of Texas Press, 1974, pp. 431-444.

[19] Comme introduction générale: Willard F. Libby, « Radiocarbon Dating », Endeavour 13 1954, pp. 5-16. Mises à jour: Joseph W. Michels, Dating Methods in Archaeology, New York, Seminar Press, 1973, et E. K. Ralph, H. N. Michael et M. C. Han, « Radiocarbon Dates and Reality », MASCA Newsletter, Philadelphie, University Museum, University of Pennsylvania 9, no. 1, août 1973, pp. 1-20.

[20] Michels, Dating Methods.

[21] Ralph etc., « Radiocarbon Dates », p. 1.

[22] Michels, Dating Methods.

[23] Id.; Daniel Wolfman, « A Re-evaluation of Mesoamerican Chronology: A.D. 1-1200 » thèse de doct., University of Colorado, 1973, chap. 5.

[24] Lyle Campbell et Terrence Kaufman, « A Linguistic Look at the Olmecs », American Antiquity 41, 1976, pp. 80-89.

[25] Morris Linton Satterthwaite, Calendrics of the Maya Lowlands, HMAI 3 1965, pp. 603-631. Munro S. Edmonson, « The Mayan Calendar Reform of 11.16.0.0.0 », Current Anthropology 17, 1976, pp. 713-717.Jane W. Pires-Ferreira, « Obsidian Exchange in Formative Mesoamerica », dans The Early Mesoamerican Village, dir. de publ. Kent V. Flannery, New York, Academic Press, 1976, pp. 301-306.Swadesh, « Lexicostatistic Classification », HMAI 5 1960, pp. 79-115; idem, « Diffusional Cumulation and Archaic Residue as Historical Explanation », Southwestern Journal of Anthropology 7, 1951, pp. 1-21. Campbell résume les critiques dans American Anthropologist 80, 1978, pp. 159-161, mais il surévalue les objections.

[26] Les données pour cet exemple ont été tirées du livre de mes professeurs, Ralph L. Beals et Harry Hoijer, An Introduction to Anthropology, 4e éd., New York, Macmillan, 1971, pp. 490, 487.

[27] Terrence Kaufman, Idiomas de Mesoamerica, Guatemala, Editorial Jose de Pineda Ibarra y Ministerio de Educacion, 1974. On trouve essentiellement les mêmes renseignements en anglais dans l’Encyclopaedia Britannica, 15e éd., dans l’article de Kaufman sur « Languages: Mesoamerica. »

[28] Les premières figures qui ont pris part à la discussion ont été Hugh Nibley et Sidney Sperry. Le premier croit que les annales néphites étaient tenues en égyptien, un point de vue soutenu par Robert F. Smith. Voir Lehi in the Desert and the World of the Jaredites, Salt Lake City, Bookcraft, 1952, pp. 13-19. Sperry prétendait que c’était l’hébreu qui était utilisé:  Our Book of Mormon,Salt Lake City, Bookcraft, 1950, pp. 30-33. Cette dernière façon de voir me semble plus convaincante, bien que soulevant ses propres difficultés.

[29] Welch, « Chiasmus in the Book of Mormon (1981) »; Tvedtnes, « Hebraisms. »

[30] A. L. Kroeber, Anthropology, éd. rév., New York, Harcourt, Brace, 1948, p. 512. L’explication de Kroeber concernant les systèmes égyptien et apparentés est particulièrement claire. Voir pp. 371-372 et 509-514.

[31] C. F. et F. M. Voegelin, « Typological Classification of Systems with Included, Excluded and Self-sufficient Alphabets », Anthropological Linguistics 3, 1961, pp. 68-80. Voir aussi Marshall Durbin, « Linguistics and Writing Systems », Estudios de Cultura Maya 7, 1968, pp. 49-57.

[32] Voegelin et Voegelin, « Typological Classification », p. 75.

[33] J. E. S. Thompson, Maya Hieroglyphic Writing, HMAI 3 1965, p. 646.

[34] Kroeber, Anthropology, p. 514.

[35] John Tvedtnes, « Linguistic Implications of the Tel-Arad Ostraca », Society for Early Historical Archaeology, Newsletter and Proceedings 127, 1971, pp. 1-5; J. W. Crowfoot et C. M. Crowfoot, « The Ivories from Samaria », Palestine Exploration Quarterly, o.s. janvier 1933, p. 13. Comparer avec Voegelin et Voegelin, « Typological Classification », p. 75.

[36] Linda Miller Van Blerkom, « A Comparison of Maya and Egyptian Hieroglyphs », Katunob 11 août 1978, pp. 1-8.

[37] « Calendar Animals and Deities », Southwestern Journal of Anthropology 16, 1960, pp. 325-329; aussi H. A. Moran et David H. Kelley, The Alphabet and the Ancient Calendar Signs, Palo Alto, Pacific Books, 1967.

[38] Jamais complètement imprimé, mais résumé dans A. M. Reed, Ancient Past of Mexico, New York, Crown, 1966, p. 10; et SEHA Newsletter 112, février 1969, pp. 4-5. L’ouvrage non publié de R. F. Smith contient la version augmentée dont j’ai une copie. Brian Stubbs a rédigé un long rapport, « Observations in Uto-Aztecan », 1983, classé aux archives de la Foundation for Ancient Research and Mormon Studies à Provo, Utah. Le rapport compare les langues sémitiques et uto-aztèques pour un grand éventail d’éléments.

[39] Barry Fell, America B.C.: Ancient Settlers in the New World New York, Quadrangle/The New York Times, Book Co., 1976. J’en ai fait une critique trop optimiste dans BYU Studies, été 1977. La critique de E. S. Rowlett dans Archaeology 31, mars-avril 1978, pp. 64-65, va généralement dans le même sens que mon évaluation actuelle.

[40] Carmack, Toltec Influence, pp. 71-72.

[41] Carleton S. Coon, The Living Races of Man, New York, Knopf, 1965, pp. 79-80; C. C. Seltzer, Contributions to the Racial Anthropology of the Near East, HUPM 16, no. 2, 1940, pp. 5-9, 11, 60, figures 1, 3.

[42] Terrence Kaufman, « Archaeological and Linguistic Correlations in Mayaland and Associated Areas of Meso-America », World Archaeology 8, 1976, pp. 114-116.

[43] Hugh Nibley, Lehi in the Desert, pp. 238-242.

[44] Richard W. Kirsch, Mound A-VI-6: A Terminal Formative Burial Site and Early Postclassic House Platforms, PSUO 9, 1973, p. 328. Comparer avec la citation de Michel, p. 280.

[45] Sur le site La Victoria de Coe, entre les « Conchas I » et « II ». Dee F. Green et Gareth W. Lowe, Altamira and Padre Piedra, Early Preclassic Sites in Chiapas, Mexico, NWAF 20, 1967, p. 73; Lowe, correspondance personnelle, 1977. Comparer avec Susanna M. Ekholm, Mound 30a and the Preclassic Ceramic Sequence of Izapa, Chiapas, Mexico, no. 25 1969, pp. 97-98.

[46] Current Anthropology, 15 juin 1974, p. 180.

[47] Mon étude, « An Apparent Relationship », p. 223.

[48] Id., p. 245.

[49] Id., p. 253.

[50] Coon, Living Races, pp. 152-154 et planches 17-29.

[51] Ricardo Ferre D'Amare, « The Origins of the American Indian: A Reappraisal », Actas, 41a Congreso Internacional de Americanistas, Mexico, 1974, vol. 1 Mexico, 1975, pp. 166-171.

[52] Alexander von Wuthenau, The Art of Terracotta Pottery in Pre-Columbia Central and South America New York, Crown, 1969; idem, Unexpected Faces in Ancient America 1500 B.C.-A.D. 1500,  The Historical Testimony of Pre-Columbian Artists, New York, Crown, 1975).

[53] « Son los Amerindios un Grupo Biologicamente Homogeneo? » Cuadernos Americanos 152 mai-juin 1967, 117-25. Les principaux ouvrages des homogénéistes et des diversistes sont cités dans le précieux résumé de Comas, dans son Antropologia de los Pueblos Ibero-Americanos, Barcelone, Editorial Labor, S. A., 1974, pp. 35-42. Voir aussi dans cet ouvrage son « Paso de Caucasoides Prehistoricos por el Atlantico Septentrional », pp. 52 et suiv. Comparer avec W. O. Hill, « The Soft Anatomy of a North American Indian », American Journal of Physical Anthropology 21 septembre 1963, pp. 245-264. Hill conclut, après une unique étude sur le cadavre d’un Indien Cherokee, que « il n’en découle aucune preuve réelle indiquant des traits mongoloïdes. La théorie de Brinton que l’Amérique a été peuplée [il y a très longtemps] par des migrations venues d’Europe est confirmée, pour autant que l’on puisse en juger par les données fournies par les parties molles » p. 263).

[54] G. Albin Matson etc. « Distribution of Hereditary Blood Groups among Indians in South America. » IV. In Chile, American Journal of Physical Anthropology 27, 1967, p. 188.

[55] Men out of Asia, New York, McGraw-Hill, 1947.

[56] Andrzej Wiercinski, « Inter- and Intrapopulational Racial Differentiation of Tlatilco, Cerro de las Mesas, Teotihuacan, Monte Alban and Yucatan Maya », Actas, Documentos y Memorias, 36a Congreso Internacional de Americanistas, Lima, 1970, vol. 1 Lima: Instituto de Estudios Peruanos, 1972, pp. 231-48. Aussi son « Afinidades Raciales de Algunas Poblaciones Antiguas de Mexico », Anales, Instituto Nacional de Antropologia e Historia, 1972-1973, Mexico, 1975, pp. 123-144.

[57] Robert Chadwick, « The Archaeology of a New World Merchant Culture » thèse de doctorat, Tulane University, 1974.

[58] F. W. McBryde, Cultural and Historical Geography of Southwest Guatemala, SISA 4, 1945, p. 9.

[59] Bernal Diaz del Castillo, The Bernal Diaz Chronicles, trad. et dir. de publ. Albert Idell, Garden City, New York, Doubleday, 1956, p. 227.

[60] J. E. S. Thompson, dir. de publ., Thomas Gage's Travels in the New World,, Norman, University of Oklahoma Press, 1958, pp. 149, 94.

[61] McBryde, Cultural and Historical Geography, p. 9; Hugh Nibley, Since Cumorah, Salt Lake City, Deseret Book, 1967, p. 247.

[62] William F. Albright, From the Stone Age to Christianity, 2e ed. Garden City, New York, Doubleday [Anchor Books], 1957, p. 166.

[63] Comparer avec Nibley, Since Cumorah, pp. 246-251. Certaines de ses interprétations à ce propos sont sujettes à caution parce qu’elles sont basées sur des informations ténues, mais l’idée maîtresse est probablement saine.

[64] C. C. Di Peso, Casas Grandes: A Fallen Trading Center of the Gran Chichimeca, vols. 1-3, Amerind Foundation Series 9, Flagstaff, Arizona, Northland Press, 1974; J. C. Kelley, Mesoamerica and the Southwestern United States, HMAI 4, 1964, pp. 95-110; B. C. Hedrick etc., The Mesoamerican Southwest Carbondale, Southern Illinois University Press, 1974.

[65] C. H. Webb, « The Extent and Content of Poverty Point Culture », American Antiquity 33, 1968, pp. 297-321; C. R. Wicke, « Pyramids and Temple Mounds: Mesoamerican Ceremonial Architecture in Eastern North America , American Antiquity 30, 1965, pp. 409-420; James B. Griffin, Mesoamerica and the Eastern United States in Prehistoric Times, HMAI 4, 1964, pp. 111-132.

[66] Par exemple, Betty J. Meggers, « Cultural Development in Latin America: An Interpretative Overview », dans Aboriginal Cultural Development in Latin America: An Interpretative Review, dir. de publ. Betty J. Meggers et Clifford Evans, Smithsonian Institution Miscellaneous Collections 146, no. 1 Washington, 1963, pp. 131-140.

 

 

 

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