CHAPITRE 8 : LA FIN DES NEPHITES

Des siècles avant la naissance de Mormon, leur dernier chef, les Néphites s’étaient déjà engagés sur le chemin qui allait les conduire tout droit à la destruction. Dès le temps de Samuel, le prophète lamanite, les Néphites plantaient le décor de leur extinction. La prophétie sinistre de Samuel contenue dans Hélaman 13:8-39 est à peine conditionnelle. À l‘exception d’un « à moins qu’ils se repentent », au commencement, il adopte rapidement un langage qui ne laisse aucun doute sur l’avenir, comme « lorsque vous chasserez les justes de parmi vous » (v. 14) et « le jour viendra » (v. 20). Il ne restait, à ce moment-là, que cinq ans avant la naissance du Sauveur.

Les Néphites avaient déjà été éprouvés par la famine (Hélaman 11), mais en fin de compte, ce n’était pas par l’intervention de la nature qu’ils allaient être détruits. Comme Samuel l’avait prédit, ce fut le chaos social. Ils en avaient eu un échantillon juste avant l’arrivée de Samuel dans le pays (Hélaman 11:24-37). Le matérialisme et l’orgueil chez les Néphites allaient pousser le peuple tout entier au bord du précipice. Vacillant près de ce gouffre social, ils ressentirent de plein fouet les signes spectaculaires qui accompagnèrent la naissance du Christ – une nuit sans obscurité et une nouvelle étoile dans le ciel (3 Néphi 1:13-21). Le choc fut suffisant pour les ramener à la raison… provisoirement.

Dans la décennie qui suivit, les Néphites et les bandes de brigands étaient de nouveau occupés à avancer et à reculer dans un conflit qui annonçait ce qui allait se produire à l’échelle globale trois siècles et demi plus tard. « Et ainsi…l'épée de la destruction était suspendue au-dessus [d’eux] » (3 Néphi 2:19). Mais un second répit et une nouvelle occasion leur furent donnés trente-trois ans après l’apparition de l’étoile.

La grande catastrophe

L’histoire de la destruction qui a accompagné la crucifixion de Jésus à Jérusalem, racontée par le Livre de Mormon, est tout à fait explicite à propos des dégâts qu’elle a causés. Le texte décrit avec vigueur un orage, un séisme et des soulèvements et des effondrements de terrain. En fait, ce qui s’est révélé encore plus important, ce sont les changements dans la société. Ensemble, ces torsions de l’ordre établi ont en quelque sorte retardé l’horloge. Les survivants se retrouvaient dans un nouvel environnement, vidé, par le désastre, d’une grande partie de la surpopulation qui leur avait empoisonné l’existence. L’occasion leur était donnée de recommencer à zéro, un peu comme ce que le groupe de Néphi avait connu quand il était nouveau dans le pays six siècles plus tôt.

Avant d’examiner la nouvelle société qui est apparue, précisons l’étendue et la nature des changements qui se sont produits dans l’environnement. Comme toujours, nous devons nous poser la question de savoir ce que le texte scripturaire dit. Le huitième chapitre de 3 Néphi raconte les faits de base. Il se produisit une grande tempête avec un vent violent, des tourbillons et du tonnerre et des éclairs sans précédents. Cette tempête eut une étendue considérable, car elle toucha non seulement le pays situé du côté du sud, qui avait des centaines de kilomètres de long, mais encore plus gravement le pays situé du côté du nord. Une série de séismes violents accompagna les coups de tonnerre et les éclairs terrifiants, « la surface de toute la terre » se déforma et même les couches rocheuses de base furent fissurées. Tous ces événements prirent « trois heures », bien que cela ait semblé plus long aux malheureuses victimes. On pouvait « sentir » des « ténèbres épaisses ». Certaines personnes furent saisies et étouffées par des « vapeurs de fumée et de ténèbres », tandis que des « brouillards de ténèbres » épais empêchaient pendant trois jour que l’on allume du feu.

En dépit de l’étendue géographique considérable de la catastrophe et de la violence, ce fut principalement « la surface du pays » qui fut touchée. Les caractéristiques fondamentales du paysage ne furent pas transformées. La liste des dégâts faite par la voix du Seigneur mentionne seize villes par leur nom (3 Néphi 9:3-10). Trois de ces endroits sont cités ailleurs dans l’ouvrage comme étant situés dans le pays situé du côté du sud ; il est logique que les quatre autres villes citées avec eux se soient aussi trouvées dans cette région. Neuf villes sont mentionnées ensemble dans les versets 8 à 10, dont une était à coup sûr dans le pays situé du côté du nord ; celles qui sont nommées avec elle étaient probablement aussi dans le nord. Six villes furent détruites par le feu. Huit localités furent englouties dans la terre ou recouvertes de terre, mais une seulement s’enfonça dans la mer (Moroni, dont on sait qu’elle était près de la côte). Une autre, Jérusalem, fut couverte par la montée des « eaux ».

Cependant, « il y eut quelques villes qui restèrent » (3 Néphi 8:15) ; et à Abondance, près du centre du territoire néphite, « une grande multitude » survécut et se rassembla autour de son temple (3 Néphi 11:1). Zarahemla et les autres villes qui avaient brûlé furent bientôt reconstruites aux mêmes endroits que précédemment (4 Néphi vv. 7-8). De plus, les points de référence géographique essentiels, tels que la bande étroite de terre et le passage étroit, la colline de Cumorah/Ramah et le fleuve Sidon restèrent importants et apparemment inchangés. Nous devons donc faire preuve de modération dans le tableau que nous permettons à notre esprit de créer quant à la totalité de la destruction. Nous ne devons pas aller au-delà de ce que le texte déclare et nous devons conserver une prudence mesurée.

Ces faits du Livre de Mormon doivent correspondre à la scène mésoaméricaine. Les mêmes types de forces destructrices naturelles qui se produisent dans 3 Néphi doivent être bien connus dans le sud du Mexique et dans les environs. Après tout, ce qui a impressionné l’annaliste néphite, c’est l’intensité du déchaînement de la nature, pas le caractère nouveau des phénomènes (3 Néphi 8:5, 7). Toutes ces espèces de destruction s’étaient évidemment déjà produites dans le pays, mais jamais avec un effet aussi terrifiant. Il ne faut pas s’étonner que les sortes de forces naturelles déchaînées au cours de ces trois heures fatidiques soient courantes en Mésoamérique.

C’est une région qui se trouve dans une zone d’activité sismique intense : le bord du bassin du Pacifique, le long duquel des tremblements de terre violents sont monnaie courante [1]. Des dizaines de volcans parsèment cette zone particulièrement instable, depuis le centre du Mexique jusqu’au Nicaragua. Beaucoup d’entre eux ont été actifs à l’époque historique [2]. Antigua, l’ancienne capitale du Guatemala, a été complètement détruite par un tremblement de terre en 1773 et a de nouveau été gravement endommagée en 1917. Les dégâts considérables causés en 1976 au Guatemala par une autre série de tremblements de terre est caractéristique de nombreux cas précédents. Les traditions et la présence de signes hiéroglyphiques signifiant des tremblements de terre prouvent l’effet profond qu’ils ont eu sur les peuples précolombiens [3].

Une description de l’éruption, en 1835, du Consegüina au Nicaragua donne une idée de la terreur et de la destruction qui ont résulté de l’énorme désastre de l’époque du Christ. Un nuage dense s’éleva tout d'abord au-dessus du cône et, en quelques heures, « il enveloppa tout dans la plus grande obscurité, de sorte que les objets les plus proches étaient imperceptibles. » Les animaux sauvages, paniqués, se précipitèrent aveuglément dans les localités, y augmentant la terreur. Ensuite vinrent les tremblements, « une ondulation perpétuelle ». Des cendres volcaniques commencèrent à tomber comme « une farine fine et poudreuse ». Le tonnerre et les éclairs « continuèrent pendant toute la nuit et le jour suivant ». La poussière projetée dans l’atmosphère, combinée à la chaleur provenant du volcan, déclencha des tempêtes. Plus tard encore, la pire de toutes les secousses se produisit et fut suffisamment forte pour jeter les gens par terre. L'obscurité revint et, cette fois-ci, dura quarante-trois heures [4]. Cette situation, si on la multiplie dans son intensité et dans le territoire affecté, ressemble beaucoup à 3 Néphi.

Au chapitre 3, nous avons renvoyé à la littérature scientifique mentionnant des traces d’activité volcanique aux environs de l'époque du Christ. La plus spectaculaire fut probablement au Salvador. L'archéologue et géologue Payson Sheets s’est efforcé de préciser la date et l'étendue de l'éruption et a conclu qu’elle s’est produite « vers l'époque du Christ ». L’un des volcans dévasta, semble-t-il, une région de près de 8.000 km carrés et des chutes de cendres d'une épaisseur allant jusqu’à douze mètres ensevelirent localité après localité [5].

Bien entendu, l'histoire racontée dans 3 Néphi impliquait davantage que des volcans et des tremblements de terre. La puissance du tonnerre et des éclairs impressionnèrent particulièrement l'auteur néphite ; il dit qu'ils étaient suffisamment forts pour contribuer à déformer « la surface de toute la terre » (3 Néphi 8:17). La première réaction que l'on a devant une pareille affirmation est le doute ; comment ces phénomènes atmosphériques ont-ils pu « déformer » la surface de la terre ? Et cependant cette affirmation est le compte-rendu, par Don Joseph Mozino, de l’éruption de 1793 dans les montagnes volcaniques Tuxtla de Veracruz. Tout commença par une accumulation de nuages au-dessus des montagnes, ensuite « des coups de tonnerre formidables, mais souterrains ». Plus tard, « c'était comme si toute l'artillerie de Veracruz ouvrait le feu » ; certains de ces coups de tonnerre – il y en eut plus de 400 – furent entendus à des centaines de kilomètres de là [6]. Ainsi, le « tonnerre » était probablement de deux sortes, l'un résultant des orages exceptionnellement violents causés par la chaleur et la poussière provenant des éruptions et l'autre des fractures qui se produisirent dans les couches souterraines à cause de l'action sismique. Mozino, comme l'auteur néphite, eut du mal à distinguer l'un de l'autre.

Outre les résultats désastreux du volcanisme, des tremblements de terre et des orages locaux simultanés, des glissements de terrain et des coulées de boue sont souvent déclenchés par les pluies torrentielles qui accompagnent le volcanisme. Il paraît vraisemblable que l’ensevelissement de villes « dans les profondeurs de la terre » (3 Néphi 9:6, 8) a dû être le résultat de glissements aussi bien que des chutes de cendres volcaniques. En outre, des vents suscités par certains processus météorologiques soufflent parfois en direction du sud sur le Golfe du Mexique pour « empiler » de l'eau contre la côte (« est »), inondant les terres basses [7]. C’est soit cet effet d’un orage normal, soit le résultat plus profond d'un ouragan tropical balayant le Golfe de Campeche qui a pu être à l’origine du fait que « la grande ville de Moroni », sur cette côte « s’enfonce dans les profondeurs de la mer » (v. 4). Si un ouragan a suivi le sillage normal d’une tempête à travers le Golfe, son centre a dû toucher la côte de notre pays situé du côté du nord [8]; l’Écriture nous dit, et c'est significatif, que « la tempête » causa plus de destruction dans le nord que dans le sud (3 Néphi 8:12).

Nous avons situé Jérusalem, au Guatemala, au bord du lac Atitlan (Alma 2:1). Le niveau de ce lac a fluctué, selon les géologues, jusqu'à 12 mètres à cause des déplacements souterrains de la matière volcanique qui en obstrue la sortie [9]. Les tremblements de terre et les éruptions ont pu faire bouger la base du lac en sorte que l’eau vienne à la place de Jérusalem (3 Néphi 9:7). Le pays ou vallée proche de Middoni, probablement aujourd'hui l'emplacement d'Antigua, ancienne capitale du Guatemala, a été secoué violemment bien des fois [10]. Le système tout entier de failles et de chaînes volcaniques s’étirant le long des plateaux du Salvador, du Guatemala et du Chiapas [11] a dû être mis en branle simultanément pour créer les immenses dégâts décrits dans l’Écriture. D'autres régions sujettes à des activités volcaniques et à des séismes se trouvent dans un système, au nord, dans les états mexicains de Veracruz, d'Oaxaca, de Puebla et de Mexico.

L’ordre nouveau

C'est peut-être une idée erronée que nous émettons lorsque nous qualifions l'ordre social qui a suivi le grand désastre de « nouveau ». Inévitablement, le résultat d'un désastre est de forcer les gens à retourner à leurs principes fondamentaux. Beaucoup parmi les nouvelles façons de faire de « l'Age d'Or » d’après la catastrophe ont dû être semblables à celles qui avaient cours à l'époque plus simple de la vie agraire avant l'apparition des classes sociales, des villes et du complexe de commerce et de sociétés secrètes. Historiquement parlant, dans toute la Mésoamérique, les terres ont souvent été possédées « en commun » [12]. Les terres disponibles étaient distribuées pour être utilisées selon les besoins ; il n'y avait pas de famille en particulier qui eût plus qu'un contrôle temporaire sur des ressources dépassant ses besoins. La tendance contraire apparaissait périodiquement lorsque le vieux système de vie basé sur la parenté était déformé par l'apparition d'une classe de gens qui exploitaient les autres.

Le système social chez les Indiens cuicatèques du centre et du sud du Mexique au moment de la conquête a été décrit d'une façon qui nous donne une idée de la manière dont la société néphite fonctionnait probablement. Le rôle des gouvernants chez les Cuicatèques était à certains égards superflu. En dessous d’eux, il y avait une structure fondamentale d’unités basées sur la parenté et d'autres facteurs immédiats. Les populations locales trouvaient la strate gouvernante précieuse, car, en tant qu’intruse « étrangère », elle pouvait ignorer les partis pris locaux dans l'accomplissement de ses devoirs administratifs. Ceux-ci comprenaient la réaffectation annuelle des terres, l'organisation de la défense et le règlement des conflits. En échange de ces corvées, elle recevait le droit à une parcelle des terres communautaires, que le peuple cultivait pour elle. Si, dans un certain sens, ces chefs pouvaient « posséder » la terre (comparer avec Mosiah 9:6, Alma 53:2), il ne leur appartenait pas d’en faire ce qu'ils voulaient, car ils agissaient toujours dans le cadre d'un rôle défini, comme symboles de la société tout entière [13]. Les gouvernants du Livre de Mormon, comme Zénif, fonctionnaient probablement à peu près de la même manière que les nobles cuicatèques. Cependant, avant la grande catastrophe, le gouvernement central s'était effondré et il ne restait plus que le système basé sur la parenté pour gérer la vie publique. Pareil système pouvait marcher tant que la population était relativement restreinte. Vint alors la grande destruction, suivie de la visite de Jésus-Christ et de l'établissement de la vie communautaire chrétienne. La réduction de la population à la suite de la dévastation permit à des formes gouvernementales et sociales encore plus simples de fonctionner de nouveau avec efficacité, comme du temps du roi Benjamin. La crainte de la guerre ayant été éliminée et les conflits plus rares ou nuls parce que le peuple suivait fidèlement les mêmes valeurs de justice, le rôle administratif typique du gouvernant politique devint inutile. Il semble que c’est ce qui s’est passé (4 Néphi 1:2-3).

Les vestiges archéologiques tendent à confirmer que la société qui existait en Mésoamérique pendant les premier et deuxième siècles de notre ère a été marquée par des distinctions sociales minimales. Par exemple, à Chiapa de Corzo, que nous connaissons mieux que la plupart des autres sites, les cinquante-quatre tombes de cette période (période Istmo) contenaient soit aucune offrande, soit des témoignages modestes. Les fouilleurs n'ont pu trouver « aucun indice d’une grande différenciation sociale [14] ». Cela faisait un contraste marqué avec les tombes riches des périodes précédente et suivante. D'une manière générale, une situation semblable existait ailleurs à cette époque-là en Mésoamérique. En bref, à partir de peu de temps après l'époque du Christ jusque vers 200 apr. J.-C., une simplicité digne a régné dans les pratiques funéraires et cela reflétait probablement un ordre social « modéré » [15].

Les lourdes pertes causées par la grande destruction ont également dû résoudre certaines des difficultés économiques dans lesquelles les populations du Livre de Mormon étaient précédemment tombées. Une fois la population réduite, la pression sur les ressources, qui avait causé des dissensions, a dû être est éliminée. Il devait y avoir suffisamment de terres pour tout le monde, du moins pendant quelques générations, jusqu'à ce que la surpopulation cause de nouveau des tensions. De plus, une réaction sociale normale a dû se manifester autrefois, tout comme de nos jours, dans ces populations : quand il y a désastre, le sentiment de solidarité et d’entraide a tendance à apparaître à cause de ces ennuis mêmes. Le fait de recommencer à zéro fait souvent ressortir les meilleurs sentiments chez les gens, même s'ils n'ont pas de religion nouvelle. Toutes ces tendances fournissent le cadre qui va nous permettre d’apprécier le changement qui s’est produit, mais le changement d’orientation radical adopté par les Néphites et les Lamanites est attribué, dans l’Écriture, davantage au fait qu'ils avaient accepté l'Évangile qu'à des facteurs sociaux ou économiques. La puissance du message qui fut apporté à une partie d'entre eux par Jésus ressuscité en personne changea leur cœur ; c'est pour cela que la nouvelle vie fut possible. « Tous les hommes pratiquaient la justice les uns envers les autres » parce que « le peuple fut entièrement converti au Seigneur » (4 Néphi v. 2). Et « il n'y eut pas de querelles dans le pays, à cause de l'amour de Dieu qui demeurait dans le cœur du peuple » (v. 15).

Le Seigneur ressuscité apparut aux survivants à la ville d'Abondance, où quelque 2500 personnes s’étaient rassemblées à a suite de la destruction (3 Néphi 17:25). Le jour qui suivit sa première apparition, une foule encore plus grande, auprès de laquelle le récit merveilleux des événements du premier jour s'était répandu au cours de la nuit, se retrouva en sa présence (3 Néphi 19:2-5). (Elle a dû être constituée de la population du « pays » d'Abondance, les distances étant trop grandes pour que d'autres y arrivent du jour au lendemain.) Deux raisons semblent avoir dicté le choix de cet endroit pour l'événement capital de l'apparition du Sauveur. Tout d'abord, comme nous l'avons vu (comme dans Alma 22:29-30), Abondance se trouvait exactement sur la ligne qui séparait le pays situé du côté du nord du pays situé du côté du sud ; elle symbolisait donc « le pays tout entier ». Deuxièmement, elle était apparemment un centre d’orthodoxie religieuse ; c'est de là que Néphi avait lancé un mouvement de réforme quelques décennies avant la naissance du Christ (Hélaman 5:14) et c'est là que vivait la totalité des douze disciples que le Seigneur choisit pour diriger son Église.

Quetzalcoatl

Beaucoup de saints des derniers jours connaissent un petit nombre de choses sur le personnage de la Mésoamérique ancienne connu sous le nom de Quetzalcoatl (« serpent précieux »), chez lequel on trouve des ressemblances frappantes avec le Christ présenté dans le Livre de Mormon. Par exemple, il était originaire de la région de Coatzacoalcos, notre Abondance (Coatzacoalcos signifie « sanctuaire du serpent ») [16]. Selon certains récits, il portait une longue robe blanche. La « robe blanche » portée par le Christ ressuscité est unique, un vêtement qui n'est mentionné nulle part ailleurs chez les Néphites (3 Néphi 11:8; comparer avec 1 Néphi 8:5). Un certain nombre de livres et d’articles destinés à des lecteurs mormons ont traité de cet être, citant des témoignages de récits natifs traditionnels, mis par écrit par les Espagnols, des représentations artistiques, du folklore et des analyses de noms anciens [17]. Ceci montre qu'il existait, en Mésoamérique précolombienne aussi bien que dans beaucoup d'autres parties du Nouveau Monde, une croyance très répandue en un être sacré, décrit comme un homme blanc et barbu, qui était apparu il y a longtemps, avait enseigné une série de principes spirituels exigeants, puis était parti mystérieusement avec la promesse de revenir un jour. Le succès rencontré par Cortez lors de la conquête du Mexique est partiellement dû à l'hésitation des Aztèques à s’opposer à celui qu'ils croyaient être cette divinité de retour [18].

Cette croyance des natifs a incité certains saints des derniers jours à commettre l'erreur d'essayer de rattacher toutes les mentions de « Quetzalcoatl » à la visite du Christ racontée dans le Livre de Mormon. Après près de deux mille ans de création de légendes, les choses sont beaucoup plus compliquées que cela. Un certain nombre de personnalités ont porté le titre Quetzalcoatl; certaines traditions et certains symboles désignent tels porteurs du nom, d'autres désignent tels autres. Faire la distinction quant au point de savoir quand une mention désigne le dieu Quetzalcoatl et quand elle désigne des humains qui ont porté plus tard son titre est une tâche complexe et inachevée. En outre, beaucoup de mythologies, sans doute dépourvues de base historique, se sont également attachées aux divers Quetzalcoatl. La confusion dans ce domaine est allée tellement loin, qu’il y a un historien qui prétend qu'il n'est pas du tout question d'un être sacré ancien dans les sources mésoaméricaines, mais uniquement de personnages sacerdotaux de la période post-classique autour desquels sont apparues des légendes déificatrices [19]. Cependant, cette prise de position extrême ignore un grand ensemble d'éléments qui démontrent qu’un être divin fut connu et adoré pendant des siècles comme dieu Quetzalcoatl, peut-être dès avant l'époque de la naissance du Christ [20]. Cette divinité a été identifiée par certains symboles sacrés dont l'utilisation est attestée par des vestiges archéologiques remontant à des milliers d'années. L’être que les symboles désignent est souvent distingué de tous les prêtres qui ont pris plus tard son nom. Miguel Leon-Portilla, l'un des grands spécialistes de la littérature traditionnelle du Mexique, croit que la plupart des sources s'accordent pour dire que le Quetzalcoatl originel fut le fondateur d'une « spiritualité élevée, une vision du monde qui a été à l'origine des plus grandes réalisations culturelles du Mexique [21]. »

Parmi les symboles de Quetzalcoatl, il y avait des coquillages, l'oiseau quetzal et le serpent, particulièrement sous la forme emplumée ou volante. Le coquillage a été interprété comme signifiant la notion de résurrection d'entre les morts [22]. La raison pour laquelle Quetzalcoatl/Christ est rattaché à la notion de résurrection est évidente pour les chrétiens, même si la raison pour laquelle on utilise le coquillage comme symbole n'est pas claire. L'oiseau vert appelé quetzal, qui est toujours le symbole national du Guatemala aujourd'hui, était rattaché à la pierre verte convoitée, la jadéite, en vertu de sa couleur « précieuse » ; l’oiseau et la gemme signifiaient tous deux l’eau, source de vie, ou la pluie. Jéhovah ou Yahweh, le Dieu d'Israël, était considéré autrefois comme celui qui était maître de la pluie et de l’eau, source de vie, en général [23]. Le Seigneur suscita une grande sécheresse pour amener les Néphites à l'humilité (Hélaman 11). Il n'y a pas de raison apparente pour laquelle il verrait un inconvénient à être associé avec le bel oiseau ou avec la pierre précieuse et fraîche qu'est la jadéite (notez Matthieu 21:42 ; Jacob 4:15). Les deux symboles rappellent sa domination sur « la pluie de la première et de l'arrière-saison » (Deutéronome 121:14).

La deuxième moitié du nom Quetzalcoatl est le mot qui désigne le serpent dans la langue des Aztèques. Cette créature était, elle aussi, associée, dans l’esprit des Mésoaméricains, à l'idée d'humidité et donc de fertilité, mais aussi à celle de sagesse et de pouvoir [24]. Le Sauveur s'est appliqué à lui-même le symbole du serpent : « Et comme Moïse et éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé » (Jean 3:14). Ce qui amena Moïse à faire ce qu'il fit, ce fut l'épisode où Israël dans le désert souffrit des morsures de « serpents brûlants » (Nombres 21:6). Après en avoir reçu le commandement, Moïse dressa la représentation de bronze sur une perche ; elle avait le pouvoir de guérir ceux qui avaient suffisamment de foi pour lever les yeux et la regarder. La cérémonie représentait de toute évidence le fait que le Sauveur allait être élevé sur la croix pour sauver ceux qui se tournent vers lui avec foi, le considérant comme leur Rédempteur. Dans leurs enseignements aux Néphites, Alma et Néphi rattachaient l'image du serpent à Jésus (Alma 33:19 ; Hélaman 8:14-15). Le symbole du serpent était cependant, bien longtemps avant cela, un symbole puissant. Il impressionnait les Jarédites (Éther 9:31-33) et il avait une place très importante dans l'art olmèque [25]. Il est clair que le symbolisme du serpent est à sa place en rapport avec Jésus ou Quetzalcoatl.

Les premiers siècles le de notre ère connurent une prolifération des symboles de Quetzalcoatl. Plus tard, de nombreux cycles de mythes et de rituels découlèrent de la figure originale, modifiant de nombreuses façons le modèle original et ses enseignements [26]. C'est exactement le tableau que nous peint le Livre de Mormon, dans 4 Néphi, de l'influence du Christ sur la vie religieuse dans toutes les terres néphites et lamanites au cours des premiers siècles de notre ère. Certains des mêmes motifs symboliques se rattachent au Sauveur, et le culte du Christ a été modifié et déformé avec le temps. Nous ne devons donc pas nous étonner qu'au cours des siècles des caractéristiques et des symboles apostats étranges aient découlé des croyances originales. Si nous nous en tenons là dans nos comparaisons, nous sommes sur un terrain ferme, mais aller loin au-delà de ceci pour comparer de nombreux détails sur les deux grandes figures religieuses sans analyse soigneuse, ce serait aller au-delà de ce qui est plausible, même si le sujet réclame des recherches approfondies.

L'Église du Christ

À l'époque de son ministère à Abondance, le Christ ressuscité ordonna des disciples chargés de poursuivre son œuvre dans toute « l'Église du Christ » (3 Néphi 11:18-22; 26:17,21). Ils répandirent la religion « dans les pays alentour », jusqu'à ce que tous fussent « converti[s] au Seigneur, sur toute la surface du pays, tant les Néphites que les Lamanites » (4 Néphi vv. 1-2). Cela pourrait vouloir dire que toute la sphère culturelle mésoaméricaine, telle qu'elle existait, reçut et pratiqua le culte du Christ/« Serpent précieux »; ou alors, la distribution a pu être limitée d'une manière plus stricte aux régions spécifiquement dominées par les lignées néphites et lamanites, ce qui était sans aucun doute une partie plus restreinte de la Mésoamérique (je dirais le nord de l'isthme et principalement le centre et le sud de Veracruz). Étant donné les différences linguistiques, culturelles et sociales qui existaient certainement de lieu en lieu et aussi à cause des difficultés de communication ordinaire, nous ne nous attendons pas à ce qu'un haut niveau d'uniformité administrative et rituelle existe dans toute cette région. La formulation de 4 Néphi, v. 1 (ils « avaient formé une Église du Christ dans les pays alentour ») pourrait suggérer que chaque région ou pays a pu avoir sa propre organisation, ne bénéficiant que d'une direction centrale limitée, comme cela avait été le cas à l'époque d’Alma (voir Alma 5, 7, 8 et 15). Les problèmes de communication que rencontrerait une administration centralisée auraient été assez semblables à ceux rencontrés par Pierre, Paul et leurs collègues en Méditerranée orientale : très difficiles. Malgré tout, nous devrions pouvoir détecter de nouvelles pratiques religieuses dans les vestiges mésoaméricains se situant autour de la moitié du premier siècle de notre ère. Et nous le pouvons.

On constate une modification dans les pratiques et le matériel rituels vers l'époque du Christ. Certaines vieilles pratiques furent abandonnées soudainement. Certains vieux encensoirs cessèrent d'être utilisés ou changèrent de forme et d'utilisation. Les petites figurines d'argile, qui avaient probablement une signification religieuse quelconque, furent abandonnées en beaucoup d'endroits [27]. Ces deux éléments, les encensoirs et les figurines, avaient des parallèles en Palestine, où ils représentaient des pratiques religieuses soit de nature populaire, soit liées à l’orthodoxie mosaïque. Il est logique que certains parmi le peuple de Léhi aient apporté la connaissance de ces éléments et adapté les formes mésoaméricaines préexistantes à leurs pratiques. Celles-ci ont pu continuer pendant des siècles, au moins parmi le peuple. Ces objets ont pu être utilisés dans les rites néphites officiels sous « la loi de Moïse » (Alma 30:3), peut-être pas. En tout cas, ils étaient tellement enracinés, aussi bien en Mésoamérique que dans le Proche-Orient, que les gens n'ont abandonné de telles coutumes que sous l'influence de croyances puissamment ressenties comme celles qui faisaient partie intégrante de « l'Église du Christ ».

Une autre modification dans les pratiques religieuses qui eut lieu en même temps, ce fut que l'on cessa de graver des monuments de pierre datés. Cette pratique venait tout juste de prendre de l'essor ; des exemples connus à Chiapa de Corzo, San Isidro Piedra Parada, Tres Zapotes et El Baul avaient commencé aux environs de 35 av. J.-C. [28]. La série prend fin avec une, dont la date est soit 36 soit 16 apr. J.-C. (le texte n'est pas clair). Ensuite il ne se passe rien de nouveau pendant de nombreuses années. Cet « hiatus énigmatique dans les monuments datés [29] » semble avoir commencé vers l'époque où de nombreuses pierres gravées plus anciennes ont été défigurées et certaines intentionnellement enterrées, comme si une révolution religieuse d'une sorte ou d'une autre s'était produite [30]. À Chachuapa (Salvador), un de ces monuments gravés fut, dit-on, écrasé lors d’un « rituel de destruction » au moment de la grande éruption volcanique vers l'époque du Christ. Ses fragments sont recouverts par les chutes de cendres [31]. Parmi les sites où l'on voit bien que l'on a systématiquement défiguré les monuments, il y a Kaminaljuyu/Néphi et Chiapa de Corzo/Sidom. Le Livre de Mormon fournit une explication possible de ce comportement. Cela a pu être une réaction de la nouvelle Église enthousiaste contre le vieux culte pratiqué sous la loi de Moïse ou contre le culte des « idoles » (Hélaman 6:31). Bien entendu, d'autres explications sont possibles.

La période qui suit ces événements en Mésoamérique est appelée, par de nombreux experts, la période protoclassique, à peu près de 50 à 200 apr. J.-C. (Je préfère l'appellation plus descriptive « classique initiale »). En beaucoup d'endroits de la Mésoamérique apparurent à ce moment-là certaines espèces caractéristiques de récipients qui ont été interprétées comme montrant l'intrusion d'un nouveau peuple ou d’un nouveau groupe de dirigeants, d’un complexe culturel ou peut-être d’un nouvel ensemble de rituels [32]. Comme les archéologues ne peuvent pas se mettre d'accord sur l'interprétation de ce matériel, nous nous permettons de proposer que ce complexe représentait une nouvelle coutume religieuse, peut-être le sacrement du pain et du vin institué par Jésus (3 Néphi 18:1-9, 28-32; 20:3-9). Les chrétiens du Livre de Mormon accordaient une grande importance à cette cérémonie, qui continua sous une forme modifiée une fois que l'Église originelle commença à se disloquer (4 Néphi 1:27-28). Ce traitement du complexe protoclassique énigmatique est aussi plausible que les propositions faites par les archéologues. Je peux, bien entendu, me tromper.

Il y a une chose qui devient claire à propos de la vie mésoaméricaine au cours des trois premiers siècles : elle était de structure théocratique. La religion était le centre, la force motrice de la société à l'époque. Les prêtres occupaient les postes-clefs de direction. Ceci aussi est en accord avec le Livre de Mormon, qui ne dit pas un seul mot de « gouvernement » ou de choses de ce genre au cours des mêmes siècles. Selon les annales néphites (comme dans 4 Néphi v. 34), c'étaient les dirigeants religieux qui dominaient les affaires publiques.

Nous voyons que l’histoire scripturaire de l'apparition du Christ et ses résultats sociaux s'intègrent à certains égards au tableau que nous avons de l'histoire de la culture mésoaméricaine. Il y a des parallèles remarquables entre les Écritures et les documents externes qui sont visibles. En outre, les événements racontés par les auteurs néphites prennent de la consistance et une signification plus large lorsque nous les regardons en fonction de ce qui se passe en Mésoamérique.

La seconde révolution dans la société néphite

La paix sociale, qui avait régné d'environ 30 apr. J.-C. jusque vers l'an 200, commença à vaciller bien avant cette date charnière. Vers 180 apr. J.-C., un petit nombre de dissidents se détachèrent officiellement (4 Néphi v. 20), mais nous devons supposer que des idéaux et des actions non orthodoxes avaient commencé à se développer encore plus tôt que cela. Dans le dernier quart du IIe siècle, certains des jeunes étaient probablement jusqu'à sept générations biologiques de l'apparition du Christ et tous les témoins oculaires, à l'exception des trois disciples miraculeusement préservés (« les trois Néphites ») étaient partis depuis longtemps. Les 150 ans qui s'étaient écoulés entre-temps constituaient à peu près le même intervalle qu’entre la fondation de l'Église rétablie en 1830 et aujourd'hui. Pour les descendants de Léhi, c’était alors le moment de l'inévitable crise de la foi que la prospérité devait forcément déclencher (4 Néphi v. 23). La structure sociale commença à se laisser aller aux coutures. Cela ne sembla peut-être pas être un changement aussi spectaculaire pour les participants de l'époque que pour nous qui voyons la chose dans une rétrospective historique. Le processus a pu être semblable à celui qui s'est produit à Orderville (Utah) à la fin du XIXe siècle. Ces saints des derniers jours-là essayaient, eux aussi, d’avoir tout en commun, mais constatèrent qu'ils ne pouvaient pas réunir tout à fait suffisamment de sacrifice et de maîtrise d’eux-mêmes. De plus en plus d'habitants d'Orderville renâclèrent sous les restrictions à l’égard de ce qu'ils considéraient être « leurs droits individuels ». Ils finirent par franchir un certain seuil et le système communautaire échoua. Selon James Moyle, le même phénomène se produisit de manière générale parmi les saints des derniers jours partout en pays mormon après 1890 environ. Dans les trois années, des contrats, des « marchés », des franchises, des procès, des dettes, des clubs sociaux, des différences de classe et tous les autres accessoires sociaux et économiques de la « civilisation moderne » apparurent, au moins parmi les mormons urbains [33]. Le nouveau mode de vie étouffa immédiatement le système de coopération économique et de domination de l'Église qui avait régné pendant deux générations.

On pourrait s'attendre à ce que la même chose se produise parmi les Israélites de Mésoamérique. Tout à coup, en arrivant aux 200 ans après la naissance du Christ, les saints du Livre de Mormon « n'eurent plus leurs biens et leur subsistance en commun. Et ils commencèrent à être divisés en classes » (4 Néphi, vv. 25-26). L'ambition trop longtemps contenue de réussir dans le monde explosa en un foisonnement d'activités commerciales, exactement comme dans l'Utah du XIXe siècle. Chez les Néphites, les changements radicaux portèrent de mauvais fruits, dit l'Écriture, le cœur des gens s'était tourné vers « l'orgueil » et « l’iniquité » et ils en étaient venus à « s’endurcir le cœur » (versets 24, 28, 31). Tout au long de cette transition, la plupart des populations du Livre de Mormon semblent être restées pratiquantes. Elles ne se détournaient pas de la religion publique en tant que telle, elles se rebellaient uniquement contre les croyances et les pratiques chrétiennes clefs. Les prêtres et les prophètes étaient les dirigeants principaux dans la société (v. 34). De nombreuses sectes (« Églises ») se détachèrent de l'Église originelle pour suivre des dirigeants non orthodoxes. Des cérémonies et une architecture recherchées dans les centres rituels essayèrent de compenser l'appauvrissement spirituel (v. 41).

Le savant mexicain Enrique Fiorescano a décrit les caractéristiques des changements qui se sont produits à cette époque-là dans l'architecture et la vie religieuse à Teotihuacan. Le tableau qu'il dépeint ressemble d'une manière frappante à celui de l'Écriture. Il constate qu’au cours de la période allant de 150 à 200 apr. J.-C., avant l'apostasie générale par rapport à « l'Église du Christ », le « Serpent à plumes », Quetzalcoatl, était clairement la divinité centrale. La divinité avait une importance beaucoup plus grande que les prêtres. La théologie était bien adaptée au monde réel du peuple et celui-ci pouvait comprendre directement les enseignements. Mais cette simplicité et cette intégrité ne durèrent que brièvement, car dès 250 apr. J.-C., le temple de Quetzalcoatl avait été partiellement détruit, puis recouvert d'un nouvel édifice plus grand ; le dieu Tlaloc était passé au premier plan, portant certains des attributs qui avaient précédemment appartenus à Quetzalcoatl. Une grande recherche dans le système de croyances et d’activités religieuses continua au IIIe siècle de notre ère, de nouveaux symboles étant ajoutés par les prêtres de Tlaloc à celui-ci et à d'autres divinités qui avaient été réintroduites. Le sacerdoce acquit maintenant une puissance accrue, partiellement parce que « l’extraordinaire complexité » du nouveau système religieux exigeait que les prêtres interprètent le rituel, les croyances et les mythes compliqués aux fidèles laïcs. Tlaloc devint un « dieu intellectualisé des prêtres », tandis que Quetzalcoatl perdait la première place [34]. La reconstitution historique de Fiorescano correspond remarquablement bien dans sa nature et sa chronologie à l'histoire de l'apostasie que l'on trouve dans 4 Néphi et Mormon.

On peut trouver au Chiapas une modification similaire dans l'orientation de la société et de la religion. À Chiapa de Corzo, la période Istmo des premiers siècles après Jésus-Christ – « modérée » et dépourvue de différenciations sociales – fut suivie, après 250 apr. J.-C. environ, d'une courte phase jiquipilas, une époque d'importations « extravagantes » de biens à l'usage de l'élite, « de pompe et de cérémonies conformément à la tradition existant ailleurs dans la Mésoamérique de l'époque » et d'une « situation socio-politico-religieuse agitée » qui allait avoir pour résultat, un siècle plus tard, « l'abandon presque total de Chiapa de Corzo [35] ».

Le dernier acte et sa géographie

Le conflit qui allait avoir pour résultat l'extermination des lignées néphites commença au même endroit que les guerres précédentes – là où la puissance croissante des Lamanites au sud se heurtait à la présence politique néphite. « La guerre commença entre eux dans les régions frontières de Zarahemla, près des eaux de Sidon » (Mormon 1:10).

Comme nous l'avons relevé précédemment, le sud-est du Chiapas constituait une frontière entre les peuples parlant les langues mayas et d’autres groupes, en particulier les Zoquéens, qui avaient été parmi les porteurs de la tradition olmèque/jarédite. Les aperçus que nous avons de l’histoire ethnique avant l'époque de Colomb indique que les populations de langue maya occupaient tous les territoires que nous avons cités comme faisant partie du grand pays de Néphi. Les masses populaires gouvernées par la lignée de souverains lamanites parlaient probablement l'une ou l'autre langue maya. La tendance de ceux qui parlaient ces langues, comme le montre la reconstitution linguistique, a été de s’étendre vers le nord et l'ouest et de pénétrer dans le Chiapas [36]. Il paraît presque historiquement inévitable que le mouvement maya/lamanite ait encombré l’extrémité méridionale du territoire néphite. Le renouvellement du conflit à cet endroit précis adjacent au Sidon et à Zarahemla au quatrième siècle correspond bien en tant que prolongement logique du processus entrepris des siècles plus tôt.

Les Néphites avaient eux-mêmes déjà poussé vers le nord, d'une part à cause de cette pression venue du sud et d'autre part parce que cela leur donnait la possibilité d’exploiter un territoire moins densément occupé vers le nord. Comme nous l'avons noté précédemment, les migrations signalées dans le livre d'Hélaman (3:8) faisaient partie du mouvement. Le remplacement de Zarahemla par Abondance comme centre néphite principal à l'époque du Sauveur est une indication que le processus se poursuivait. Lorsque s’ouvrit la période finale, le jeune Mormon, qui allait y jouer un rôle central, grandissait dans son pays natal du côté du nord, probablement non loin de l'endroit où les derniers combats allaient être menés. Au moment de son premier voyage vers le sud pour aller à Zarahemla dans sa jeunesse, l’isthme et le pays de Zarahemla étaient devenus densément peuplés (Mormon 1:7). Le jeune Mormon atteignit sa maturité au milieu d'une société qui opérait une révolution (Mormon 1:13-14, 18-19). À cause de ses hautes relations sacerdotales (versets 2-6; comparer avec 4 Néphi vv. 19, 21, 47-49), de son lignage noble (Mormon 1:5) et par conséquent du niveau d’éducation élevé dont il devait disposer, il fut précipité dans un rôle de dirigeant qui n'aurait jamais été confié à un jeune de seize ans ordinaire. On lui donna le commandement des forces néphites dans la zone des combats au sud de Zarahemla. Mais la situation était, dès le début, sans espoir et la retraite était inévitable ( Mormon 2:3). Nous sommes vers 325 apr. J.-C.

La nature du problème d’organisation des Néphites est décrite dans la formulation du quatrième verset de Mormon 2 : « Nous arrivâmes à la ville d'Angola, et nous prîmes possession de la ville et fîmes des préparatifs pour nous défendre contre les Lamanites. » Cette déclaration est remarquable parce que Angola faisait déjà partie du grand Zarahemla. Pourquoi fallait-il que les forces de Mormon en prennent possession? L’élément clef dans la structure politique néphite a déjà été mentionné plusieurs fois : il n'y avait pas d'État néphite unitaire. Ce que nous voyons dans la nomination de Mormon et dans ce qui se passe à Angola est le système de gouvernement par lignée dans l'arène politique. Les gouvernants détenaient le pouvoir sur la base de la loyauté qui leur était accordée par la parenté et par les « amis », qui s'étaient engagés à s'allier à une lignée grande et puissante. Les unités plus petites devaient se rattacher à d'autres pour survivre dans un monde d'épreuve de force où c'était manger ou être mangé. Cela avait été le cas juste avant l'apparition du Sauveur (3 Néphi 7:2-6) et c'était de nouveau vrai maintenant. Chaque lignée avait tendance à occuper certaines régions et certaines localités. Chacune était liée à d'autres par des liens entre personnes – des ancêtres lointains communs, des alliances commerciales, l'amitié, des mariages mixtes, une religion commune et ainsi de suite – selon que ces relations étaient cultivées par leurs gouvernants. C'est ainsi que l'on constituait des armées coalisées en fonction du climat politique du moment.

Nous pouvons nous faire une idée de la façon dont pareil système fonctionnait à l'époque de la conquête par Cortez, douze siècles après Mormon. Les éléments essentiels avaient peu changé dans l'intervalle. Nous avons vu précédemment comment, lorsqu’il rencontra pour la première fois les Tlaxcalans, qui devinrent finalement ses alliés contre les Aztèques, Cortez trouva un gouvernement fragmenté. « Ces mêmes caciques [dirigeants]... sortirent pour nous recevoir et amenèrent leurs fils et leurs neveux et beaucoup d’entre les principaux habitants, chaque groupe de gens apparentés et chaque clan étant un groupe en soi [37]. » Une fragmentation semblable existait certainement chez les Néphites, le commandant militaire faisant usage de ses pouvoirs de persuasion et de diplomatie aussi souvent qu'il utilisait son autorité limitée.

De toute évidence, le père de Mormon ne se serait vraisemblablement pas déplacé à Zarahemla de son lieu de résidence dans le pays situé du côté du nord s’il n’y avait pas eu un réseau de relations basées sur la parenté et la classe pour paver la voie. Mais personne n'était apparenté à tout le monde ! Certains groupes refusèrent de se laisser persuader. À Angola, étape dans la fuite des Néphites qui avaient quitté le centre qu’était Zarahemla, l'alliance de Mormon, constituée de milices de lignée, trouva les habitants de l'endroit réticents à se laisser embrigader. Les résidents d'Angola avaient probablement le sentiment qu'ils préféreraient éviter de prendre parti dans une querelle qu'ils pensaient pouvoir esquiver en douce. Mais, bien entendu, qu'ils veuillent ou non, ils devraient fournir du ravitaillement en grandes quantités. Il n'est pas étonnant que les armées de Mormon aient dû prendre possession de la ville.

À mesure que leur retraite se poursuivait, les forces Néphites répétèrent systématiquement ce processus, forçant les populations locales à se joindre aux lignées qui se repliaient et à leurs armées. Tous les moyens politiques et militaires accessibles à Mormon et à son peuple, ils les utilisèrent pour rassembler le « peuple aussi vite que possible, afin de le réunir en un seul corps » (Mormon 2:7).

D'Angola ils se replièrent sur David, mais en furent également chassés. Étant donné qu'elles semblent avoir été des étapes sur le chemin allant de Zarahemla à la côte est près de la bande étroite (Mormon 2:4-6), Angola et David devaient se trouver, selon la terminologie néphite, au nord-ouest de Zarahemla. En venant du centre du Chiapas, la route normale pour atteindre la côte du Pacifique mène vers l'ouest, à partir de la partie supérieure du fleuve Grijalva/Sidon, en passant par la vallée de Cintalapa aux cols permettant de traverser la bande montagneuse de désert au-dessus d'Arruaga. (Les Lamanites avaient suivi le même itinéraire en sens inverse lors des attaques qu’ils avaient précédemment lancées contre Ammonihah et Noé – Alma 16:2; 49:1-14). Angola et David se trouvaient probablement quelque part le long de cet itinéraire, mais la brièveté du récit de Mormon ne nous fournit pas de renseignements pour situer ces endroits de manière définitive.

La ville d'Angola se trouvait vraisemblablement au site ou près du site de Mirador, identifié au chapitre 5 comme étant Ammonihah; un changement de nom ou de site ne serait pas surprenant au cours des siècles écoulés depuis le temps d'Alma. David était un pays pour lequel aucune ville n'était mentionnée ; il a pu se trouver vers l'ouest de Mirador, le long de la vallée de Cintalapa. Finalement, les Néphites reculèrent vers le « pays de Josué, qui était dans les régions frontières, à l'ouest, près du bord de la mer » (Mormon 2:6). À l'époque, la zone côtière Arriaga-Tonala était fort densément peuplée. C'est là que les conditions imposées par le texte en ce qui concerne Josué sont remplies. Le succès avec lequel les Néphites purent contenir temporairement les attaques des Lamanites à cet endroit (verset 9) s'explique par le fait qu'ils tenaient les deux cols principaux franchissant les montagnes au-dessus du pays de Josué, de sorte que l’ennemi ne pouvait pas atteindre la bande côtière. (Voir carte 13).

 



Une « révolution complète », observa Mormon, se produisait dans tout le pays de Zarahemla (verset 8). Les découvertes archéologiques faites au Chiapas semblent le confirmer. Pour le site de Mirador, l'archéologue Agrinier a signalé la courte phase jiquipilas (début du classique), qui n'a duré que de 250 à 350 apr. J.-C. environ.

La phase jiquipilas « se clôtura par un incendie intense qui détruisit totalement » la structure du plus grand bâtiment sacré de Mirador. « Il semble que le temple ait été complètement vidé de son contenu avant son incendie. » Cela fait penser soit à une politique de la terre brûlée de la part des habitants avant leur retraite, soit à du pillage de la part de l'envahisseur, soit aux deux [38]. Les tombes situées sur le site furent saccagées au même moment [39]. Après la destruction du temple, suivit une période d'abandon temporaire, qui ne dura peut-être qu’une seule année. (Ocozocuautla, que nous pensons être l'ancienne ville de Noé, fut probablement abandonnée même temps et ne fut jamais réoccupée [40].) Quand Mirador fut de nouveau habitée, ce fut par une nouvelle population. Les bâtiments donnent l'impression d'une « construction plus bâclée » par « une élite transitoire... plus préoccupée par une grandeur rapidement acquise que par la durée à long terme [41]. » Cela ressemble à ce que nous pourrions attendre de la part des envahisseurs lamanites qui étaient sur les talons du peuple en retraite de Mormon.

Les connexions culturelles de la région de Chiapas depuis 50 apr. J.-C. avaient été établies principalement en direction de l'isthme de Tehuantepec et au-delà vers le centre et le sud de Veracruz. Cela rattache notre région de Zarahemla à Abondance et aussi à Désolation et Cumorah, patrie de Mormon. Ce que le Livre de Mormon dit et laisse entendre s’accorde avait ce point de vue. C'est en direction du nord par rapport à ces régions que les Néphites finirent par se retirer (Mormon 2:16-17, 28-29). Par contre, on ne trouve quasiment aucune connexion dans les premiers temps apr. J.-C. entre les sites de Chiapas et les régions de langue maya situées au sud et à l'est. Étant donné que c'est là ce que nous avons considéré comme étant territoire Lamanite, cette différenciation culturelle correspond de nouveau à la situation décrite par le Livre de Mormon. Quand les populations du début du Classique à Chiapas disparurent de leurs zones de peuplement, ce fut un abandon massif. Beaucoup de sites archéologiques de cette région jadis fortement peuplée furent simplement laissés vides et ne furent pas réoccupés avant de nombreuses générations [42]. On constate un saupoudrage d'intrus, mais l'occupation suivante ne représente pas grand-chose.

Nous savons que les Lamanites du IVe siècle sont venus de Néphi, sur les plateaux du sud, pour attaquer les Néphites. Une douzaine de campagnes lancées par les Lamanites avant l'ère chrétienne étaient venues de la même source et s'étaient déplacées dans la même direction. À la date en question, le site de Kaminaljuyu dans la vallée du Guatemala retrouvait son ancienne gloire. Il tombait déjà sous l'influence de la métropole tentaculaire de Teotihuacan au centre du Mexique, qui était à ce moment-là le plus impressionnant de tous les centres mésoaméricains [43]. On a donné plusieurs explications au développement du lien entre les deux centres. Elles mettent l'accent sur la fonction de Kaminaljuyu comme centre commercial méridional de Teotihuacan, permettant d'exploiter les précieux dépôts voisins d'obsidienne [44]. Quelle qu’ait été la motivation matérielle justifiant cette relation, celle-ci était un fait.

Les gens de Teotihuacan étaient de véritables organisateurs, contrôlant la population de leur propre région par les mesures les plus fermes : ils « serraient la vis » [45]. Les élites lamanites de Néphi/Kaminaljuyu apprirent probablement beaucoup de choses de leurs collègues plus avancés du nord sur la façon de dominer leurs voisins. On a en fait l'impression que c'était la connexion guatémaltèque de Teotihuacan et non la métropole du centre du Mexique elle-même qui était la source d'une grande partie de la vaste influence visible dans le sud de la Mésoamérique que l'on a jusqu'à présent attribuée au centre septentrional [46]. Les Lamanites qui attaquèrent les forces de Mormon à Zarahemla/Chiapas pourraient très bien avoir été porteurs de la culture des plateaux guatémaltèques stimulée par Teotihuacan. Lors de leur poussée vers le nord au départ de leur base dans notre pays de Néphi, les chefs de lignée lamanites ont dû avoir de grandes ambitions de puissance, ayant eu les yeux ouverts aux possibilités de conquête par leurs professeurs et modèles de Teotihuacan. Ils ont dû être mieux organisés et mieux équipés que l'avaient été les Lamanites précédents lors de leurs attaques contre les ennemis héréditaires, les Néphites. Cette façon de voir est confirmée par les données archéologiques fournies par Mirador. Il s’avère que les envahisseurs qui pillèrent et brûlèrent à cet endroit, lancés sur les talons de la population qui abandonnait le site, se caractérisaient par un mélange de traditions guatémaltèques et teotihuacanes. Agrinier note: « Les affinités... [des céramiques de style Teotihuacan à Mirador] avec les plateaux du Guatemala semblent indiquer que cette dernière région est une source d'influence majeure à Mirador [47]. La date de cette présence guatémaltèque-teotihuacanoïde se situe, selon mon analyse de la chronologie, à la fin de la période de Chiapas VIII (début du Classique), vers 350 ans apr. J.-C.

Les éléments fournis par l'archéologie au Chiapas, à la période du début du Classique, révèlent une correspondance remarquable avec le récit que fait le Livre de Mormon des dernières années des Néphites à Zarahemla. Les habitants de Zarahemla, au Chiapas, au cours des deux premiers siècles apr. J.-C., avaient vécu dans une société où apparaissaient peu de différences sociales internes. Cette situation avait changé aux environs de l'année 250. Une version locale de la Tradition Théocratique ou Classique se développa à ce moment-là, en ce sens que les prêtres manipulèrent un ensemble complexe de symboles et de rituels religieux et que des classes sociales apparurent au milieu d'un commerce et d'une richesse en plein essor. Moins d'un siècle plus tard, des populations agressives et décidées, provenant du vieux centre lamanite de Néphi/plateaux du Guatemala, déclenchèrent une expansion vers le nord qui ne tarda pas à détruire ou à dépeupler la plupart des sites de la dépression centrale du Chiapas. Une culture de type lamanite/Teotihuacan à la manière guatémaltèque s'installa là-dessus au Chiapas, mais les nouveau gouvernants ne purent produire qu’une pâle version de leur culture sur la nouvelle scène, peut-être à cause du coût élevé en ressources humaines et matérielles consumées par les guerres continuelles de la période du Classique Moyen (comparer avec Moroni 1:1-2).

Les derniers moments

Le fait de tenir bon lors d'une série d'affrontements sanglants permit aux Néphites de se maintenir pendant quatorze ans au pays de Josué. Finalement leurs défenses s'effondrèrent. Ils s'enfuirent en pleine débandade de l'autre côté de la bande étroite et entrèrent dans le pays situé du côté du nord, qu’ils franchirent jusqu'au pays de Jashon.

Ce n'était pas loin de la patrie d'origine et de Mormon (Mormon 2:17 et 1:2-3). Tout près se trouvait l'endroit où Ammaron avait enterré les annales néphites, pour les conserver, dans la colline de Shim, dans le pays d'Antum. Il avait chargé le jeune Mormon de les récupérer quand il serait grand. (Il fallut apparemment quelque onze années de plus à Mormon pour retourner dans la région et terminer sa tâche sur les plaques que ne l’avait prévu Ammaron.)

Les brefs passages scripturaires concernant ces pays ne nous permettent pas de coordonner les endroits mentionnés avec des localités précises sur la carte d’aujourd'hui, mais nous pouvons émettre des hypothèses à leur sujet. Le livre d’Éther nous dit que la colline de Shim se trouvait entre le pays jarédite de Moron et la colline de Ramah (la Cumorah des Néphites). Non loin au-delà de la colline de Cumorah se trouvait le bord de la mer de l’est (Éther 9:3). Nous avons vu au chapitre 1 que ces collines devaient se trouver dans le sud de l'État de Veracruz. Des collines suffisamment grandes pour mériter le nom de repères sur un itinéraire, comme c'était le cas de Shim, se trouvent dans la partie sud de la masse montagneuse des Tuxtla ou, mais c’est moins probable, sur les contreforts de la Sierra Madre, à 130 km au sud-ouest. Les localisations les plus vraisemblables pour Jashon et Shem (Mormon 2:17, 20), bien qu'aucun détail géographique ne soit donné, devaient être sur la bande entourant Acayucan et Hueyapan, au sud et à l'ouest des Tuxtla, ou alors dans le secteur de 80 km depuis San Juan Evangelista dans la direction de Tuxtepec (voir carte 13). Tous ces endroits étaient dans le secteur oriental des plaines du pays situé du côté du nord. Selon le compte-rendu des guerres finales, il n'y a ni haut ni bas dans la géographie des pays néphites au nord d'Abondance.

Quelque chose de très important, qui ressort de l’histoire des manœuvres militaires menées par les Néphites, est qu’ils ont combattu pendant les trente-cinq années qui ont suivi, jusqu'au bout, dans une région limitée, dans le sud du centre de Veracruz. Il est probable que la zone des combats ne s’est jamais située à plus de 150 km de l'endroit où Mormon avait passé son enfance.

Chose remarquable, les Néphites firent un retour en force après les défaites qui les avaient repoussés jusqu'à Jashon. Au cours d'une campagne éclair, ils allèrent jusqu'à reprendre « possession des pays de [leur] héritage », y compris Zarahemla (Mormon 2:27). Mais ils savaient qu'ils n'avaient pas le pouvoir de défendre tout ce territoire. Pour commencer, ils n'avaient pas été capables de le conserver et maintenant ils étaient encore plus affaiblis. Ils marchandèrent donc leur avantage momentané contre ce qu'ils espéraient être la sécurité. Ils négocièrent un traité avec leurs ennemis, « les Lamanites et les brigands de Gadianton » (Mormon 2:28-29). La frontière devait être exactement sur l'ancienne ligne Désolation-Abondance où le pays situé du côté du sud jouxtait le pays situé du côté du nord.

Quand on regarde une carte, il peut sembler étrange que les Néphites ne se soient pas préoccupés de la masse de plateaux constituant la moitié occidentale du pays situé du côté du nord, dans laquelle s'était trouvé le Moron des Jarédites. La raison en est probablement simple : il ne s'y trouvait que peu ou pas de lignées néphites ou alliées. Ceux qui y habitaient ne leur étaient probablement pas apparentés par le lignage et probablement pas non plus par la langue. Nous savons, grâce aux études linguistiques et archéologiques, qu'elle était occupée par des groupes descendant partiellement de l'époque jarédite. (Du moins, il est tout à fait certain que les Zapotèques et diverses parentés linguistiques à eux étaient déjà installés sur les plateaux, bien que ce sujet ne soit pas réglé [48].) On ne trouve nulle part, dans les annales néphites, d’indications qu'ils aient occupé cette zone. La retraite forcée des Néphites devait de toute évidence se faire vers des régions habitées par leurs propres populations et non par des étrangers.

Après la signature du traité, des années se passèrent tandis que les Néphites se préparaient pour le renouvellement inévitable de la guerre. Mormon, leur chef, écrivit certainement son abrégé des plaques de Néphi à ce moment-là. Son peuple pouvait facilement fortifier les quelques itinéraires tortueux par lesquels les Lamanites pouvaient traverser leurs frontières. Il n'y avait qu'un endroit critique. C’est là qu'ils concentrèrent l'essentiel de leurs forces, à l'endroit du « passage étroit », cette crête de gravier qui traversait la barrière constituée par les marécages, dont nous avons parlé au premier chapitre. La base des forces néphites qui défendaient le passage était la ville de Désolation. Elle devait se trouver près de la ville moderne de Minatitlan. Ils savaient que c'était fatalement là que l'attaque allait se produire. Finalement, les Lamanites descendirent en force des plateaux du Guatemala et du Chiapas à la ville de Désolation (voir Mormon 3:7). La bataille a dû se produire au gué permettant de traverser le fleuve Coatzacoalcos, à une vingtaine de kilomètres de son embouchure. Il y eut une première, puis une deuxième attaque lamanite infructueuse ; leurs morts « furent jetés dans la mer » (verset 8), probablement par le fleuve.

Peu de temps plus tard, les armées néphites tentèrent de nouveau de faire une percée en direction du sud jusqu'à Zarahemla (Mormon 4:1-2), comme ils avaient réussi à le faire quelques années auparavant. Non seulement cette incursion fut un échec, mais leurs armées furent attaquées par des forces lamanites fraîches. Le résultat fut qu’ils perdirent leur base de Désolation. Les restes de leurs armées trouvèrent refuge à Téancum « dans les régions frontières près du bord de la mer ». Cela a pu se passer aux environs de Pilapan, à une vingtaine de kilomètres de là sur la côte du Golfe.

Les combats sanglants qui s'ensuivirent oscillèrent tantôt dans une direction, tantôt dans l'autre. Dans la « trois cent soixante-quinzième année » après la naissance du Christ, la balance pencha de manière décisive du côté des Lamanites à cause de leur supériorité numérique. Mormon put voir « que les Lamanites étaient sur le point de détruire le pays » (Mormon 4:23). Le moment dont Ammaron lui avait parlé était finalement arrivé, de sorte qu'il alla chercher les livres de son peuple dans la colline de Shim.

Les ennemis des Néphites pratiquaient à cette époque le sacrifice des femmes et des enfants prisonniers (et certainement aussi des hommes) à leurs idoles (Mormon 4:15, 14 ). L’histoire mésoaméricaine ultérieure connut un développement plus complet de cette pratique sanglante en même temps que le cannibalisme rituel que Mormon signale parmi ses propres partisans dépravés (Moroni 9:9-10). Chez les Aztèques, à l'époque de la conquête espagnole, « le cannibalisme cérémoniel était parfois pratiqué parce que l'on croyait que, ce faisant, on pouvait absorber les vertus de celui qui était mangé [49]. » Pour l'époque tardive de Teotihuacan (vers 600 apr. J.-C.), les fouilles ont révélé des indices clairs de sacrifices humains avec un repas constitué des victimes [50]. Sanders a signalé des données plus anciennes concernant la même pratique découvertes dans un site proche de Teotihuacan, datant entre 450 et 550 apr. J.-C. [51]. Si des éléments culturels de Teotihuacan étaient aussi profondément ancrés dans la vie des Lamanites guatémaltèques qu'il le paraît, il n'est pas étonnant de trouver ces rites méprisables chez les Lamanites.

Le repli néphite était maintenant irréversible ; ils ne lancèrent plus d'autres contre-attaques. En dépit de l'abandon de nouvelles terres et localités devant l'avance des Lamanites (Mormon 5:4-5), ils réussirent à maintenir une ligne de défense qui sauva certaines de leurs bases. Mais les choses étaient allées si loin qu’il ne restait plus qu’une seule manœuvre accessible aux Néphites. Dans un coup de dés désespéré, Mormon prit rendez-vous avec l’ennemi pour une épreuve de force dans un pays où il avait « l’espoir d'avoir l'avantage sur les Lamanites » (Mormon 6:4 ). (Les pratiques mexicaines ultérieures attestent que fixer une date pour une bataille était coutumier [52].)

Cumorah doit faire partie de l'extrémité septentrionale occidentale des monts Tuxtla à quelque 150 km du passage étroit et près de l'immense site de Tres Zapotes. La région des Tuxtla (« le lieu des aras ») a été décrite par le peintre Miguel Covarrubias comme étant « un pays d'une fertilité sans précédent, arrosé dans toutes les directions par des cours d'eau, des chutes d'eau et des lacs [53]. » Mormon l'appelait un « pays d'eaux, de rivières et de sources nombreuses » (Mormon 6:4). Mille ans auparavant, cette région avait été la clef du système de colonisation olmèque tardive, sans aucun doute pour la même raison. Cette zone, extrêmement fertile à cause de son terrain volcanique riche et des chutes de pluies abondantes, pouvait probablement pourvoir par lui-même aux besoins en nourriture des forces néphites concentrées. (La nourriture constituait un problème croissant étant donné le bouleversement social et militaire, nous dit Moroni 9:16 ). « L’avantage » dont les Néphites pensaient pouvoir jouir là-bas a peut-être été dû au terrain accidenté, que Mormon devait bien connaître. Il est également possible que les Néphites se soient dit que l'endroit serait fatal aux Lamanites à cause de croyances ou de traditions superstitieuses concernant la fin des Jarédites à cet endroit même. Mais pourquoi les Lamanites ont-ils permis qu'il s'écoule des années pour que les Néphites puissent se préparer ? D'abord, ils devaient comprendre, grâce à leur connaissance de la géographie de la région, que les Néphites n'avaient aucun endroit pour se replier au-delà de Cumorah, car derrière se trouvait l'immense estuaire d'Alvarado (le Ripliancum jarédite) et l'enchevêtrement de cours d'eau et de marécages que l'on appelle aujourd'hui « La Mixtequilla » [54]. Les deux camps savaient donc que ce serait là une bataille décisive entre les vieux rivaux. Une autre raison pour laquelle l'endroit et le moment fixés ont dû convenir aux Lamanites est qu'ils avaient besoin de temps pour augmenter leurs propres forces pour l'affrontement suprême, car ils étaient loin de leurs bases. De toute façon, l'endroit convenu était situé plus profondément dans le territoire maintenant limité sous contrôle néphite, de sorte que les Lamanites n'avaient rien à perdre.

Une bonne question que l'on pourrait se poser est : « Pourquoi les Néphites n'ont-ils pas continué à se replier de plus en plus loin vers le nord pour échapper ainsi totalement aux Lamanites ? » Il faut tout d'abord que nous nous rendions compte qu'il n’arrive quasiment jamais qu'il existe un pays convenable qui ne contienne déjà une population de taille respectable, de sorte qu'il aurait fallu en déposséder d'abord d'autres populations. En outre, s'ils avaient reculé davantage, ils seraient entrés dans un territoire écologiquement nouveau et leurs perspectives de pouvoir nourrir leur nombre dans un nouvel environnement sans avoir le temps d'apprendre à exploiter le terrain étaient minces. Plus loin au nord se trouvait aussi une autre menace militaire. Au-delà des grands marécages, ils se rapprocheraient de plus en plus du territoire proprement dit de Teotihuacan, le puissant état allié culturellement si pas militairement aux Lamanites, qui se trouvait de l'autre côté. Le territoire sous contrôle de Teotihuacan ne s'étendait apparemment pas tout à fait aussi loin que les Tuxtlas en 380 apr. J.-C., mais tout nouveau déplacement vers le nord par le peuple de Mormon aurait buté sur cette grande puissance, qui se tenait dans les coulisses, mais qui ne participait pas directement au conflit du moment. Cependant, la véritable raison de la résistance Néphites pourrait simplement être que les terres qu'ils défendaient leur appartenaient déjà ; ils estimaient qu'ils y avaient droit et étaient motivés pour les défendre, si c'était possible. Pour beaucoup de gens, une vie de réfugié loin de ce que l'on considère comme étant sa patrie ne vaut pas la peine d'être vécue (comparer avec Jacob 7:26 et Mormon 8:5). Ainsi, pris entre le rouleau compresseur lamanite au sud et Teotihuacan elle-même au nord, les Néphites défendirent de bon gré le noyau restant de leurs terres, parce qu'il le fallait bien.

Quatre années de préparation avaient donné aux Néphites la meilleure position militaire qu'ils pouvaient espérer. Vint finalement la terrible scène finale. Depuis qu'ils avaient laissé Dieu derrière eux, il ne restait que leurs muscles et leur tête pour combattre les hordes lamanites qui se jetèrent sur eux à la colline de Cumorah (Mormon 6:7). Comme dans la plupart des grandes campagnes militaires de la Mésoamérique et du Livre de Mormon, les familles des soldats étaient présentes. Le résultat allait donc être un génocide et pas simplement une défaite militaire [55]. Vingt-trois armées de 10.000 hommes constituaient les forces néphites. Toutes furent balayées en ce seul jour sinistre [56].

La Mésoamérique a-t-elle pu être le théâtre d'une guerre livrée à une échelle aussi impressionnante que ce que le Livre de Mormon raconte ? Ixtlilxochitl, le chroniqueur du Mexique central, rapporte, à propos des Toltèques aux environs de 1060 apr. J.-C., qu’au cours d'une guerre de trois années, 5.600.000 d'entre eux furent tués de part et d'autre [57]. Même si on laisse beaucoup de place à l'exagération, il fait peu de doute que la bataille de Cumorah se situe dans le domaine du possible en termes mésoaméricains.

Deux douzaines d'isolés néphites survécurent au milieu des cadavres. Au cours de la nuit, ils allèrent jusqu'au sommet de la colline de Cumorah, voisine, d'où ils purent contempler le lieu du massacre. Plus de 600.000 personnes devaient être mortes là (si l'on compte les femmes et les enfants des Néphites ainsi que les pertes lamanites). Le candidat le plus vraisemblable pour être cette colline est le Cerro Vigia, haut de plus de 900 m et situé à l’extrémité nord-ouest des Tuxtla. À sa base se trouvent des plaines ayant l'ampleur requise pour que s’y déploient les armées. En 1975, David A. Palmer a fait la liste des conditions à remplir par la colline de Cumorah qu’il estimait imposées par le texte : elle devait être suffisamment grande pour qu’autour de sa base un million de personnes puissent se livrer bataille ; elle devait être suffisamment haute pour que les survivants blessés ne risquent pas d'être repérés, une fois au sommet, par les Lamanites qui étaient en bas ; pourtant elle ne devait pas être élevée au point que des hommes blessés ne puissent pas l'escalader pendant la nuit, et ainsi de suite. Palmer a fait plus tard un voyage au Cerro Vigia, dont j'avais suggéré que c'était le meilleur candidat pour être la colline de Cumorah/Ramah des derniers combats. Il n'a pu découvrir aucune raison pour que ce ne soit pas la colline en question ; elle répondait à toutes les conditions requises par le récit néphite [58]. Si ce qu'il dit est juste, Mormon avait jadis caché quelque part à l'intérieur (peut-être dans une caverne) les archives de Néphi (Mormon 6:6). Son propre jeu de plaques, sur lequel il avait écrit son abrégé et auquel il annexa les petites plaques de Néphi, il le donna à son fils Moroni (Paroles de Mormon, vv. 2, 5-6). Ce dernier, de son côté, continua à y écrire et les remit finalement à Joseph Smith.

Le « pays d'eaux, de rivières et de sources nombreuses » où la bataille finale eut lieu présentait trop d’attraits pour les colons pour qu'on le laisse inoccupé. Il ne fallut pas longtemps pour que la zone environnante soit de nouveau occupée. Il semblerait qu'une forteresse de Teotihuacan ait été construite dans ces collines après la disparition des Néphites. Les populations qui s'y sont succédé jusqu'à l'époque moderne entretiennent toujours des superstitions concernant les collines et les monuments anciens [59].

Est-il resté des Néphites après cette bataille ? Certains, oui. Les Écritures le disent clairement. Seulement on ne les appelait plus Néphites. Mormon note que « un petit nombre... s'étaient échappés dans les régions du sud et un petit nombre... avaient déserté et étaient passés chez les Lamanites » (Mormon 6:15). Naturellement, dès le départ, un grand nombre de personnes de descendance néphite n'avaient jamais consenti à fuir leurs terres (Mormon 2:7-8), mais avaient changé d'allégeance et renoncé à leurs vieilles croyances et à leurs anciennes allégeances plutôt que de s'en aller (Moroni 1:2). Mormon fit observer à son fils que « beaucoup de nos frères sont passés aux Lamanites » (Moroni 9:24). Les Doctrine et Alliances disent que l'on identifiera un jour les descendants modernes non seulement des Néphites mais aussi les principales lignées qui s’étaient alliées avec eux, les Jacobites, les Joséphites et les Zoramites (D&A 3:17-20; 10:48).

Beaucoup de saints des derniers jours ont été fascinés, au cours des années, par les « indiens blancs ». Ils ont vu dans les articles à sensation sur ces soi-disant groupes des restes des Néphites. Quand nous examinons le Livre de Mormon, nous ne trouvons aucune indication que des « Néphites blancs » devaient être préservés. Mormon et Moroni précisèrent à plusieurs reprises avant que la bataille de Cumorah ait lieu qu'il n'y avait pas de différence significative dans le niveau d'impiété des Néphites et des Lamanites, si ce n'est que la méchanceté de leur propre peuple dépassait celle des Lamanites (Moroni 9:20; voir aussi Mormon 5:15). Il y a des variantes considérables de pigmentation chez les descendants des peuples précolombiens, comme nous l'avons fait remarquer au chapitre 2. Il y a parmi eux des groupes qui ont une peau relativement claire. Il semble qu'il y ait longtemps eu des Mésoaméricains que l'on pouvait qualifier comme étant au moins à peau claire (« pur » ou « agréable » pourraient être des notions tout à fait différentes). Mais on ne connaît, d'aucune source digne de foi, l’existence, dans le Nouveau Monde, à l’arrivée des Espagnols, d’un groupe de natifs spectaculairement blancs, capables de se reproduire. Les mormons ont intérêt à renoncer au passe-temps romantique de rechercher des bandes mystérieuses « d'indiens blancs ».

La disparition des Néphites ne causa aucun changement de culture révolutionnaire dans le centre de la Mésoamérique. Les populations qui remplirent le vide laissé par eux étaient porteuses des mêmes traits de civilisation de base, la Seconde Tradition de notre traitement de l'histoire de la culture. La montée constante de Teotihuacan vers la domination de la plus grande partie de la Mésoamérique au nord et à l'ouest de l'isthme de Tehuantepec est bien documentée pour la période qui suit Cumorah. En 400 apr. J.-C., son militarisme était généralisé et, au cours du début de la période Classique Moyenne (de 400 à 550 apr. J.-C. environ), cette grande ville située à côté de la vallée de Mexico formait un axe avec Kaminaljuyu/Néphi et la côte pacifique du Guatemala. Leur influence et leur domination conjointes se révélèrent être les plus puissantes de Mésoamérique, si on les mesure en termes de puissance brute. Mais le système vieillissant de religion et d'idéologie sur lequel cet « empire » virtuel était basé se détériora graduellement. Après 600 apr. J.-C., il ne restait plus que des successeurs de second plan pour se quereller sur les ossements de ce qui avait été une civilisation impressionnante.

Avec l'extinction des Néphites, les registres de lignage continuèrent à être tenus par d'autres. Ils allaient, bien entendu, donner une toute autre version de l’histoire que les Néphites. Dans la Mésoamérique, des milliers de livres furent tenus, dont beaucoup ressemblaient à certains égards aux annales de Mormon [60]. Cependant, il n'y avait dans aucun une matière ressemblant réellement à celle du Livre de Mormon, tout comme les milliers de documents de la région méditerranéenne et du Proche-Orient antiques avaient en commun une grande partie de la forme mais pas grand-chose de la substance des Écritures que nous appelons la Bible.

Nous avons vu que le Livre de Mormon est différent des autres documents de la Mésoamérique et cependant leur ressemble. Nous avons aussi appris que l'histoire s’intègre bien et prend du relief quand on connaît le cadre dans lequel elle se situe. Elle semble se rattacher, à beaucoup d'égards, à la civilisation précolombienne du Mexique et du nord de l'Amérique Centrale. Ces pages ont montré une façon d'apprendre une nouvelle dimension de ce que le volume a à dire. Aux saints des derniers jours, ainsi qu'aux autres, à lire le Livre de Mormon des différentes façons dont il peut être lu pour en extraire toute la lumière qu’il contient pour nous.

Épilogue

Ce livre n'a pas essayé de fournir une carte définitive qui pourrait conduire le lecteur à l'endroit exact où Néphi a abordé ni à celui où Mormon a combattu. Son but n'a pas non plus été de prouver que les événements du Livre de Mormon se sont passés d'une manière particulière dans des phases archéologiques précises.

Ce que nous avons fait, avant tout, c'est montrer que l'histoire du Livre de Mormon a pu avoir un cadre concret, qu'il est plausible de le traiter comme une histoire située dans un contexte géographique et culturel particulier. Le cadre géographique identifié répond aux critères fixés involontairement par le Livre de Mormon tandis qu'il raconte son histoire. Nous avons constaté que les dimensions, le climat, la topographie, la configuration du terrain et de l’eau et les niveaux culturels qui ressortent des passages de l'Écriture concordent avec les caractéristiques du centre et du sud de la Mésoamérique. Des données culturelles, historiques et archéologiques confirment la corrélation géographique. Étant donné l'espace limité, nous avons omis beaucoup de détails dont nous disposons ; néanmoins les concordances ont été systématiques et méritent qu'on s'y arrête.

Les comparaisons ont eu deux objectifs. Premièrement, comme nous l'avons déjà dit, la concordance entre le récit scripturaire et les renseignements externes montre que le premier est plausible compte tenu des derniers. Le Livre de Mormon montre tant de ressemblances avec le cadre mésoaméricain qu’il semble impossible que des personnes raisonnables, disposées à examiner les données, continuent à prétendre que le Livre de Mormon est une simple histoire romancée ou une théorie historique écrite au cours de la troisième décennie du XIXe siècle dans l'État de New York. Si, aux yeux de certains, cela constitue la « preuve » de l'authenticité de l'ouvrage, libre à eux d'en tirer cette conclusion. Les corrélations que nous avons mises en évidence ne sont probablement pas encore suffisamment détaillées pour satisfaire tout le monde sur ce point, mais le thème du débat est au moins sur un nouveau terrain.

Le deuxième objectif a été de jeter de la lumière sur le document. La connaissance que nous apportent les chercheurs sur la vie et la culture au Mexique et en Amérique Centrale dans les temps anciens nous permet d'avoir une vision concrète de la façon dont les armées du Livre de Mormon combattaient, dont les dissidents effectuaient leur dissidence et dont les agriculteurs cultivaient. Nous commençons aussi à voir certaines des raisons de la situation ancienne : les sociétés secrètes, les parentés et les tribus, le commerce et la conquête, les migrations et les missions. À mes yeux, c'est cette lumière qui pourrait, dans le long terme, être l'apport le plus significatif. Suite à cette explication concernant le cadre, le lecteur devrait avoir acquis la conviction que le Livre de Mormon est un document extrêmement complexe, qui mérite une étude bien plus approfondie que celle qu’on lui a consacrée dans le passé

Quoi que le présent ouvrage ait accompli par ailleurs, il pose des fondements. Bien qu'il ne contienne pas toutes les réponses, il améliore la qualité de nos questions. Ceux qui étudient sérieusement le Livre de Mormon, aussi bien que les spécialistes qui étudient la civilisation mésoaméricaine, devraient considérer ceci comme une invitation à aller de l'avant. Je suis douloureusement conscient du caractère préliminaire des données que j'ai proposées. Mais le mieux, c’est de faire un pas à la fois.

Et cependant, le Livre de Mormon n'est pas simplement un ouvrage historique ou un registre de lignée qui doit être étudié par des spécialistes « neutres ». Des centaines d'histoires de lignée ont été compilées dans la Mésoamérique ancienne. Celle-ci est tout à fait unique. Compte-rendu des relations de Dieu avec un peuple hors du commun, c'est une Écriture, précieuse à cause de ses enseignements spirituels puissants, indépendamment de ce que les érudits pourraient en dire en tant qu’histoire. Étant donné l'importance du livre, si le fait de comprendre le cadre du livre contribue à en saisir clairement le message, mes efforts n'auront pas été vains.

 

NOTES

 

[1] Manuel Maldonado-Koerdell, Geohistory and Paleogeography of Middle America, HMAI 1, 1964, pp. 22-26; Robert C. West, « Surface Configuration and Associated Geology of Middle America », Id., pp. 42-58, 75-78.
[2] Felix W. McBryde, Cultural and Historical Geography of Southwest Guatemala, SISA 4, 1947, p. 6.
[3] Maldonado-Koerdell, Geohistory, p. 26.
[4] Payson D. Sheets, « An Ancient Natural Disaster », Expedition 13, automne 1971, p. 27.
[5] Voir chapitre 3, note 43.
[6] Joseph Mariano Mozino Suarez de Figueroa, Noticias de Nutka, Mexico, Sociedad Mexicana de Geografia y Estadistica, 1913, pp. 105-110.
[7] Jorge A. Vivo E., Weather and Climate of Mexico and Central America, HMAI 1, 1964, p. 195. Notez la description que fait Ixtilxochitl d’un ouragan d’autrefois et de ses effets, dans Milton R. Hunter et Thomas Stuart Ferguson, Ancient America and the Book of Mormon, Oakland, Kolob Book, 1950, pp. 41, 190-91. Comparez avec A. M. Tozzer, Landa's Relacion de las Cosas de Yucatan, HUPM 18, 1941, pp. 40-41, 216, concernant un ouragan qui causa des incendies qui brûlèrent complètement des localités au centre du Yucatan. Dans la partie centrale du Mexique, en particulier, le dieu Quetzalcoatl était souvent représenté comme Ehecatl, l’aspect venteux de Quetzalcoatl, indiquant peut-être la force des tempêtes dans la région.
[8] Vivo, Weather and Climate. Dans Warfare in the Book of Mormon, p. 476, Sorenson apporte cette correction: “Pour ce qui est du calendrier selon le nouveau calcul, 3 Néphi 8 m’oblige à revenir sur une précédente position que j’avais adoptée. Le quatrième jour du premier mois de la trente-quatrième année de la nouvelle ère, les signes de la crucifixion qui avaient été prophétisés commencèrent avec le déclenchement d’un grand orage et d’une « tempête » (3 Néphi 8:5-7). Je pensais qu’il s’agissait là d’un ouragan tropical, mais la saison où les ouragans se produisent habituellement ne se situe qu’entre juin et novembre. Un ouragan aurait été absolument impossible, pour des raisons naturelles, qu’il se soit agi ici de l’ancien nouvel an commençant fin décembre ou, comme je le suppose maintenant, du nouvel an tombant environ trois mois plus tard. La relecture du texte me persuade maintenant qu’il n’était pas question d’un ouragan. Après tout, la tempête s’est produite soudainement et a pris fin après trois heures seulement (voir 3 Néphi 8:16, 19). Ce n’est pas la description d’un ouragan typique venant des Caraïbes. Ce qui peut expliquer les phénomènes, c’est un groupe de super-orages déclenchés par le volcanisme. De tels orages seraient tout à fait possibles en avril.
[9] McBryde, Cultural and Historical Geography, pp. 132, 168, 179-180; Samuel K. Lothrop, dans Atitlan, CIWP 444, 1933, p. 83, signale des tessons de poterie érodés par l’eau provenant du site de Chuitinamit, bien au-dessus du niveau de l’eau de l’époque. On ne peut les expliquer que par l’intensité des fluctuations.
[10] Maldonado-Koerdell, Geohistory, pp. 25-26.
[11] Robert C. West et John P. Augelli, Middle America: Its Lands and Peoples, 2e éd. Englewood Cliffs, New Jersey, Prentice-Hall, 1976, p. 35.
[12] McBryde, Cultural and Historical Geography, p. x; comparer avec « Economy and Technology », dans Heritage of Conquest, dir. de publ. Sol Tax, Glencoe, Free Press, 1952, pp. 60-62, 74, et Eva Hunt, « Irrigation and the Sociopolitical Organization of Cuicatec Cacicazgos », dans The Prehistory of the Tehuacan Valley, vol. 4. Chronology and Irrigation, dir. de publ. F. Johnson, Austin, University of Texas Press, 1972, pp. 193, 203-204.
[13] Tax, « Economy and Technology », pp. 200-205, 218-231.
[14] Gareth W. Lowe, « Burial Customs at Chiapa de Corzo », The Archaeological Burials at Chiapa de Corzo and Their Furniture, NWAF 16, 1964, p. 73.
[15] Id., p. 75.
[16] Miguel Covarrubias, Mexico South: The Isthmus of Tehuantepec, New York, Knopf, 1947, p. 39.
[17] Par exemple, Milton R. Hunter, Christ in Ancient America, Salt Lake City, Deseret Book, 1959.
[18] Frances F. Berdan, The Aztecs of Central Mexico, An Imperial Society, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1982, p. 165; John L. Sorenson, « Some Mesoamerican Traditions of Immigration by Sea », El Mexico Antiguo 8, 1955, p. 428.
[19] B. C. Hedrick, « Quetzalcoatl: European or Indigene? » dans Man Across the Sea: Problems of Pre-Columbian Contacts, dir. de publ. Carroll J. Riley etc. Austin, University of Texas Press, 1971, pp. 255-265.
[20] Stephan F. de Borhegyi, « Shell Offerings and the Use of Shell Motifs at Lake Amatitlan, Guatemala, and Teotihuacan, Mexico », Actas y Memorias, 36a Congreso Internacional de Americanistas, Espana, 1965, vol. 1 Séville, 1968, pp. 356, 359; Laurette Sejourne, Burning Water: Thought and Religion in Ancient Mexico, New York, Vanguard, 1957, pp. 25, 83-85; idem, « El Simbolismo de los Rituales Funerarios en Monte Alban », Revista Mexicana de Estudios Antropologicos 16, 1960, 85-90. Rene Millon, dans The Teotihuacan Map, vol. 1, Austin, University of Texas Press, 1973, pp. 55-56, note que le temple de Quetzalcoatl décoré de coquillages et de serpents à Teotihuacan a été construit au plus tard en 400 apr. J.-C. et peut-être peu après 150.
[21] « Quetzalcoatl: Espiritualismo del Mexico Antiguo », Cuadernos Americanos 105, no. 4, 1959, pp. 127-129.
[22] Sejourne, « El Simbolismo. »
[23] Voir les références dans mon article dans Riley etc., Man Across the Sea, pp. 234-235.
[24] Id.
[25] Philip Drucker, Robert F. Heizer et R. J. Squier, Excavations at La Venta, Tabasco, 1955, Smithsonian Institution Bureau of American Ethnology, Bulletin 170 1957, pp. 199-200, pensent voir le reptile volant représenté à La Venta à l’époque olmèque, mais Ignacio Bernal, Olmec World, op. cit., 61-62, affirme qu’il ne s’y trouve pas de plumes ni sur d’autres représentations anciennes de serpents. Il place les représentations les plus anciennes du serpent à plumes peu de temps seulement avant l’époque du Christ. Ce qui a été interprété comme un « serpent à plumes » provenant de Chiapas est clairement antérieur au Christ de plusieurs siècles. Agrinier, Archaeological Burials, p. 18, fig. 23.
[26] George C. Vaillant, The Aztecs of Mexico, Harmondsworth, Penguin Books, 1950, pp. 160, 174.
[27] John L. Sorenson, A Chronological Ordering of the Mesoamerican Pre-Classic, MARI 18, 1955, pp. 53-57.
[28] Joyce Marcus, « The Origins of Mesoamerican Writing », Annual Review of Anthropology 5, 1976, 49-55.
[29] Lee A. Parsons, « An Early Maya Stela on the Pacific Coast of Guatemala », Estudios de Cultura Maya 6, 1976, p. 180. Plus récemment, on a découvert, à Abaj Takalik, sur la côte du Guatemala, une stèle datée de 126 apr. J.-C., ce qui réduit le fossé.
[30] Lowe et ses collègues parlent de la destruction violente et de l’enterrement de monuments taillés dans de la pierre à Chiapa de Corzo, Chinkultic et divers sites au Guatemala et à El Salvador. Gareth W. Lowe, Thomas A. Lee, Jr. et Eduardo Martinez E., Izapa: An Introduction to the Ruins and Monuments, NWAF 31, 1982, p. 28. À ce même moment, à Chiapa de Corzo, « l’occupation horcones prenait fin avec son renversement par la violence » accompagnée d’une « attitude irrespectueuse tant pour les morts que pour certaines conventions. » Lowe, « Burial Customs », p. 73.
[31] Robert J. Sharer, « Chalchuapa: Investigations at a Highland Maya Ceremonial Center », Expedition 11, hiver 1969, pp. 36-38.
[32] Les réflexions sur le problème sont passées en revue dans Robert Wauchope, Zacualpa, El Quiche, Guatemala. An Ancient Provincial Center of the Highland Maya, MARI 39, 1975, pp. 49-52.
[33] Gene A. Sessions, dir. de publ., Mormon Democrat: The Religious and Political Memoirs of James Henry Moyle, Salt Lake City, Département d’histoire de l’Eglise, 1975, pp. 90, 163 et suiv.
[34] Enrique Fiorescano, « La Serpiente Emplumada, Tlaloc y Quetzalcoatl », Cuadernos Americanos 133, mars-avril 1964, 137-154. Comparer avec David H. Kelley, « The Birth of the Gods at Palenque », Estudios de Cultura Maya 5, 1966, 120, sur le culte mexicain de Quetzalcoatl importé dans ce centre maya au plus tard entre 400 et 500 apr. J.-C. et le même phénomène au lac Amatitlan, Guatemala, au même moment – Borhegyi, « Shell Offerings », pp. 356, 359, 364-365.
[35] Lowe, « Burial Customs », p. 75.
[36] Terrence Kaufman, « Archaeological and Linguistic Correlations in Mayaland and Associated Areas of Meso-America », World Archaeology 8, 1976, 106-109.
[37] Bernal Diaz del Castillo, The Discovery and Conquest of Mexico, 1517-1521, trad. et annot. A. P. Maudslay, New York, Farrer, Straus et Cudahy, 1956, p. 150.
[38] Pierre Agrinier, Mounds 9 and 10 at Mirador, Chiapas, Mexico, NWAF 39, 1975, p. 9.
[39] Id., p. 90.
[40] Andrew J. McDonald, Correspondance personnelle.
[41] Agrinier, Mounds 9 and 10, pp. 99-100.
[42] Gareth W. Lowe et J. Alden Mason, Archaeological Survey of the Chiapas Coast, Highlands, and Upper Grijalva Basin, HMAI 2, 1965, p. 226; John L. Sorenson, An Archaeological Reconnaissance of West-Central Chiapas, Mexico, NWAF 1, 1956, p. 15.
[43] Kenneth L. Brown, « The B-III-5 Mound Group: Early and Middle Classic Civic Architecture », dans The Pennsylvania State University Kaminaljuyu Project-1969, 1970 Seasons, 1e partie. Mound Excavation, dir. de publ. J. W. Michels et W. T. Sanders, PSUO 9, décembre 1973, pp. 391-463; Kenneth L. Brown, « The Valley of Guatemala: A Highland Port of Trade », dans Teotihuacan and Kaminaljuyu: A Study in Prehistoric Culture Contact, dir. de publ. William T. Sanders et Joseph W. Michels, Pennsylvania State University Press Monograph Series on Kaminaljuyu 1977, pp. 205-396.
[44] William T. Sanders et Barbara J. Price, Mesoamerica: The Evolution of a Civilization, New York, Random House, 1968, pp. 166-168, 203-204, Lee A. Parsons et Barbara J. Price, « Mesoamerican Trade and Its Role in the Emergence of Civilization », dans Peasant Livelihood: Studies in Economic Anthropology and Cultural Ecology, dir. de publ. R. Halperin et J. Dow, New York, St. Martin's, 1976, pp. 205-220.
[45] William T. Sanders, « A Profile of Urban Evolution in the Teotihuacan Valley », Actas y Memorias, 37a Congreso Internacional de Americamistas, Buenos Aires, 1966, vol. 1, Buenos Aires, 1968, pp. 100-101.
[46] Nicholas Hellmuth, « The Escuintla Hoards: Teotihuacan Ceramic Art of the Tiquisate Region », Foundation for Latin American Anthropological Research Progress Reports 1, no. 2, 1975.
[47] Agrinier, Mounds 9 and 10, p. 100. En outre, les fragments de codex découverts dans la tombe du tumulus 10 à Mirador, qui datent de l’occupation par les intrus, environ 400-450 apr. J.-C., orientent directement vers le Guatemala, pas vers Teotihuacan, car les codex sont inconnus dans la métropole du nord.
[48] Hanns J. Prem, « Calendrics and Writing », dans Observations on the Emergence of Civilization in Mesoamerica, dir. de publ. Robert F. Heizer et John A. Graham, UCAR 11, 1971, p. 122.
[49] Vaillant, The Aztecs of Mexico, p. 76.
[50] Id.
[51] William T. Sanders, The Cultural Ecology of the Teotihuacan Valley. A Preliminary Report of the Results of the Teotihuacan Valley Project, University Park, Pennsylvania State University, Department of Sociology and Anthropology, 1965, p. 179.
[52] Fernando de Alva Ixtlilxochitl, facilement accessible dans Hunter et Ferguson, Ancient America, p. 383.
[53] Covarrubias, Mexico South, p. 27.
[54] Les Aztèques donnaient à cette vaste région marécageuse le nom de Chalchihuecan, Lieu des Jupes-de-Dame-Jade, la déesse des eaux dormantes. Id., p. 11.
[55] Par exemple, voir Alma 56:28 ainsi que les fréquentes allusions au « camp » accompagnant une armée, comme dans Alma 48:6. Pour les pratiques mésoaméricaines, voir, par exemple, Hunter et Ferguson, Ancient America, pp. 383-384, concernant les Tultecas.
[56] Comme mentionné dans un précédent chapitre, l’unité de 10 000 hommes sous la direction d’un capitaine de lignée était toujours la norme quand le Mexique fut envahi par Cortez. Bernal Diaz del Castillo, The Bernal Diaz Chronicles, trad. et dir. de publ. A. Idell, Garden City, New York, Doubleday, 1956, p. 106.
[57] Hunter et Ferguson, Ancient America, p. 385.
[58] David Palmer, In Search of Cumorah, Bountiful, Utah, Horizon, 1981.
[59] Alfonso Medellin Zenil, « El Dios Jaguar de San Martin », Boletin INAH 33, septembre 1968, p. 16.
[60] Tozzer, Landa's Relacion, p. 169; Hunter et Ferguson, Ancient America, pp. 337-338.
 

 

 

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